Commentaire du Rapport de la cinquième phase du Dialogue international entre des Églises
et des responsables pentecôtistes classiques et l’Église catholique (1998-2006)

 

DEVENIR CHRÉTIEN: 
PERSPECTIVES TIRÉES DES ÉCRITURES  ET DES ÉCRITS PATRISTIQUES 
Quelques réflexions actuelles

 

 S.Exc. Mgr. Michael E. Putney
Évêque de Townsville

 

Le Rapport de la cinquième phase du dialogue international entre quelques Églises et des responsables pentecôtistes classiques et l’Église catholique (1998-2006) est unique en son genre, même parmi de précédents Rapports de ce dialogue. En premier lieu, ce dialogue est différent de tous les autres dialogues organisés par le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. Il ne s’agit pas d’un dialogue avec une Communion mondiale mais, comme son nom l’indique, d’un dialogue plus limité entre l’Église catholique et quelques Églises et responsables pentecôtistes classiques.

 

Les participants du dialogue

En 1976, le premier Rapport indiquait que les partenaires de ce dialogue étaient non seulement des Églises pentecôtistes, mais également des membres du mouvement charismatique des Églises anglicane et protestantes. Cela le rendait encore plus exceptionnel que de nos jours, du fait que certains des participants appartenaient à des Églises déjà engagées dans un dialogue officiel avec l’Église catholique.

Dans cette dernière phase, la participation pentecôtiste a évolué avec l’inclusion de quelques représentants officiels d’un petit nombre d’Églises pentecôtistes classiques, ainsi que d’autres responsables pentecôtistes. Ce type de participation montre que ce dialogue continue d’être unique en son genre parmi les nombreux dialogues organisés par le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. Il n’existe pas d’organisme pentecôtiste unique avec lequel l’Église catholique pourrait entreprendre un dialogue.

En outre, beaucoup de pentecôtistes ne sont pas favorables ni ouverts à un tel dialogue. S’il existe, c’est grâce aux amitiés instaurées dans le passé, pendant et après le Concile Vatican II, qui conduisirent en 1969 et 1970 à des conversations et permirent d’établir un dialogue en 1972. La contribution du Rév. P. Kilian McDonnell est rappelée avec gratitude dans l’introduction du dialogue. C’est lui, avec David du Plessis, qui a aidé à engager le dialogue en 1972 (24).

Le dialogue a peu à peu été accepté par d’autres pentecôtistes, même par certaines Églises pentecôtistes qui, à présent, y envoient des participants à titre officiel. Les Églises officiellement représentées sont l’Apostolic Faith Mission d’Afrique du Sud, la Church of God of Prophecy, l’International Church of the Four Square Gospel, la Verenigde Pinkster-en, Evangeliegemeenten des Pays-Bas, et les Open Bible Churches. Une absence significative dans cette liste est celle des Assemblées de Dieu, alors qu’en fait un de leurs membres, le Rév. Cecil M. Robeck Jr, a été coprésident pentecôtiste à partir de 1998 et que d’autres membres des Assemblées de Dieu participent au dialogue.

Un autre aspect caractéristique de ce dialogue est qu’il a lieu avec une seule famille de pentecôtistes, communément appelés pentecôtistes classiques. Ces derniers ne représentent toutefois pas tous les pentecôtistes. Dans son discours d’introduction à l’assemblée plénière du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, le 4 novembre 2006, le Cardinal Walter Kasper a parlé des trois vagues de pentecôtisme: « le pentecôtisme classique, avec lequel, au niveau de groupes individuels, il a été possible d’entreprendre de bons dialogues; le mouvement charismatique à l’intérieur des Églises traditionnelles, parmi lesquelles l’Église catholique; le néo-pentecôtisme, qu’il n’est pas rare de voir devenir une religion qui promet seulement une prospérité terrestre » [1].

On avance différents chiffres quant au total des pentecôtistes dans le monde, mais on estime généralement que leur nombre est de 600 millions pour l’ensemble des trois groupes.

À propos de la troisième vague, le Cardinal Kasper a ajouté que « ses rapports avec les Églises traditionnelles ont le plus souvent un caractère agressif et de prosélytisme; avec ce dernier [groupe], un dialogue ‘de la vie’ est donc possible mais non pas, jusqu’à présent, un dialogue dans le sens propre et habituel du terme » [2]. Dans quelques pays occidentaux, c’est ce troisième groupe de pentecôtistes qui émerge à présent comme la principale expression pentecôtiste avec laquelle l’Église catholique doit traiter.

 

Le but du dialogue

Compte tenu de ce type de participation, le but du dialogue est lui aussi unique. D’une manière générale ce but est semblable à celui de tous les dialogues, c’est-à-dire rapprocher pentecôtistes et catholiques dans la prière et le témoignage commun, ou que « la prière, la vie spirituelle et la réflexion théologique constituent un souci partagé » (Rapport final 1972- 1976, 4). Mais dans le Rapport de 1976, son but se distinguait nettement de celui d’autres dialogues qui ont pour but une unité organique, ou tout au moins une sorte d’« unité structurelle possible ». Plus loin, il est dit de manière plus spécifique qu’il s’efforce « d’étudier la vie et l’expérience spirituelle de chrétiens et des Églises » en prenant en considération en même temps « la dimension expérimentale et la dimension théologique » (Rapport final 1972-1976, 5). Cet accent mis sur l’expérience ainsi que sur la théologie reste important.

Dans le Rapport le plus récent, le but indiqué est la promotion du respect et de la compréhension entre l’Église catholique et les Églises pentecôtistes classiques plutôt que rechercher l’unité structurelle (2). Dans une déclaration plus détaillée, il est dit que l’intention de ce dialogue est de « continuer de développer un climat de respect mutuel et de compréhension en matière de foi et de pratique, afin de trouver des points d’accord authentique et d’indiquer les sujets sur lesquels nous estimons qu’il est nécessaire de poursuivre le dialogue » (2).

 

Le contexte global

Pour aider les évêques à résoudre les problèmes pastoraux que pose la présence de tant de pentecôtistes dans leurs diocèses et la perte de tant de catholiques qui adhèrent à ces nouveaux groupes pentecôtistes, le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens a organisé plusieurs importants séminaires à l’intention des évêques d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine au cours des trois dernières années [3]. Notre Église doit évidemment protéger ses membres et trouver des solutions pastorales à la perte de fidèles au profit de ces nouveaux mouvements pentecôtistes.

Dans une déclaration rédigée très prudemment mais honnêtement, concernant le Renouveau charismatique catholique, le Rapport donne une confirmation de la contribution de ce mouvement à la vie de l’Église catholique, mais il ajoute: «De plus, beaucoup de pentecôtistes (mais pas leur totalité) seraient d’accord avec les catholiques pour reconnaître cette grâce dans l’engagement des charismatiques catholiques à demeurer fidèles à leur foi catholique » (195). Cette importante qualification de ce que reconnaissent les pentecôtistes est l’indice d’une des tensions très réelles pour les catholiques lorsqu’ils découvrent que pour certains pentecôtistes, ils ne pourront pas continuer de vivre la vie de l’Esprit dans leur Église. Ils s’aperçoivent souvent que les pentecôtistes ne croient pas que les catholiques sont des chrétiens.

La conclusion du Rapport invite catholiques et pentecôtistes « à un examen de conscience sur l’image qu’ils se sont parfois faite les uns des autres dans le passé, par exemple en qualifiant l’autre de ‘non-chrétien’ ou de membre d’une ‘secte’». Le Rapport poursuit en disant que « nous avons trouvé que nous avons beaucoup de choses en commun. Bien que de grandes différences subsistent sur certaines questions, nous pouvons nous dire les uns et les autres frères et sœurs en Christ, grâce à notre travail durant ce dialogue » (284).

 

Des relations complexes

Dans un tel contexte, ce dialogue revêt une importance particulière car c’est un élément positif dans les relations complexes entre l’Église catholique et les pentecôtistes. L’engagement chrétien des pentecôtistes dans le monde et leur adhésion à la foi des Écritures et aux credo, signifient qu’ils ne peuvent être exclus du dialogue avec l’Église catholique.

L’Église a la tâche délicate d’engager le dialogue avec les autres chrétiens, mais également de traiter avec eux dans des situations pastorales de nombreux diocèses où ils font parfois du prosélytisme ou cherchent à gagner l’adhésion de ses fidèles. Le dialogue a essayé d’aborder la question du prosélytisme dans la phase précédente et a publié, en 1997, le Rapport intitulé «Évangélisation, prosélytisme et témoignage commun». Ce Rapport contient des conseils pour la façon dont le prosélytisme devrait être évité dans les relations entre Églises chrétiennes [4].

 

Pentecôtistes classiques

Du fait que le dialogue actuel a lieu uniquement avec des représentants d’Églises pentecôtistes classiques, il ne peut et ne doit se concentrer que sur des questions comme le « baptême dans l’Esprit », « parler en langues » et les guérisons. Ces phénomènes ne sont pas nécessairement aussi répandus dans la troisième vague dite du néo-pentecôtisme.

En même temps, le Rapport précise que le pentecôtisme classique est lui aussi en train de changer partout dans le monde et que des formes diverses de vie religieuse et de prières se développent de plus en plus. Les expressions les plus spectaculaires du culte pentecôtiste sont adoptées par certains et rejetées par d’autres. Il existe une certaine diversité d’opinions entre les pentecôtistes à ce sujet. En outre, alors que la plupart des pentecôtistes acceptent ce genre d’expériences, le Rapport affirme que certains pentecôtistes pensent qu’une vie de foi ne doit pas trop dépendre d’elles, qu’un discernement prudent est nécessaire pour éviter que ce qui est exceptionnel ne devienne la règle, et qu’il ne faut pas rechercher les expériences comme étant des buts en elles-mêmes. Elles ne servent qu’à rapprocher davantage le croyant de Dieu. Pour les pentecôtistes, « la vie chrétienne devrait grandir à travers la foi, la confiance en Dieu et le salut accompli par Jésus Christ » (172).

 

Les pentecôtistes et l’œcuménisme

Ce dialogue avec l’Église catholique, depuis ses débuts en 1972, était le seul auquel participaient des pentecôtistes, et ce jusqu’à la moitié des années 1990 lorsqu’ils ont commencé à engager des conversations avec toute une série d’autres Églises chrétiennes au niveau international. En outre, ils ont commencé à participer davantage à des forums et rencontres œcuméniques dans différents pays partout dans le monde, au point de devenir membres de quelques Conseils d’Églises nationaux. Le Rapport voit en cela la création d’un nouveau contexte pour cette phase particulière du dialogue.

Cependant, dans le Rapport, les pentecôtistes se déclarent « prudents à l’égard de l’œcuménisme. Bien qu’ils reconnaissent l’action de l’Esprit dans d’autres traditions chrétiennes et entretiennent des relations amicales avec elles, ils hésitent à accueillir sans réserve ces mouvements, de peur de perdre leur propre identité ecclésiale ou de compromettre leurs positions traditionnelles » (171).

Une des façons de profiter ultérieurement des fruits de ce dialogue particulier est indiquée dans le Rapport lui-même: «Nous espérons que ce Rapport sera étudié et discuté par de nombreux catholiques et pentecôtistes dans leurs communautés, et surtout ensemble » (17). Les cinq Rapports du dialogue pourraient très bien servir de base à un engagement entre catholiques et pentecôtistes à différents niveaux partout dans le monde.

Dans la Conclusion, les années de dialogue sont décrites de la façon suivante: «Notre engagement théologique commun était en grande partie centré sur les implications de nos vues respectives en matière de foi, de conversion et de condition de disciple dans la vie chrétienne. Il est bon qu’il en soit ainsi et nous croyons que la reconnaissance de ce fait est essentielle pour un œcuménisme pratique entre les paroisses catholiques et les assemblées pentecôtistes au niveau local » (274).

 

Les Pères de l’Église

Ce dialogue est unique non seulement pour les raisons ci-dessus, mais cette phase particulière est unique parmi les cinq phases qui ont eu lieu, et peut-être même parmi tous les dialogues œcuméniques entrepris par l’Église catholique. Cela est dû au fait que les conversations étaient centrées de manière très délibérée sur des textes patristiques. Comme le titre l’indique, le thème traité était: « Devenir chrétien », qui couvre tout le processus et l’expérience de l’initiation chrétienne. Toutefois, le matériel utilisé pour étudier cette question comprenait non seulement les Écritures, mais également les écrits des Pères de l’Église. La raison à l’appui de cette minutieuse référence aux Pères de l’Église était le rôle important qu’ils jouent dans la compréhension catholique de la Parole de Dieu. Du côté catholique, on désirait partager avec les partenaires pentecôtistes quelque chose de la richesse de la tradition patristique (9).

Ces textes étaient recommandés aux partenaires pentecôtistes parce que les écrits de la période patristique « témoignent de la foi de ces auteurs et de la façon dont leurs vies et leurs ministères étaient fortifiés par leur fidélité ainsi que par leur amour et leur dévotion au Seigneur Jésus Christ dans la puissance de l’Esprit-Saint » (9). Dans le premier chapitre, le Rapport se concentre sur la description faite par les Pères de l’Église de leur propre expérience de conversion. Dans cette optique, les témoignages patristiques ont « le pouvoir d’inspirer et d’encourager pentecôtistes et catholiques, car nos deux communautés conservent précieusement et racontent sans cesse les récits de ces merveilleuses conversions et transformations accomplies par Dieu dans la vie de ses saints » (42).

Ce n’est pas souvent que les vies des Pères, racontées par eux-mêmes, deviennent en partie matière à un débat théologique. Normalement, leur argumentation théologique fournit le matériel pour une discussion théologique. L’accent particulier mis sur ce point illustre le caractère unique de la relation entre pentecôtistes et catholiques impliquée dans ce dialogue.

Un autre aspect unique de celui-ci est que le Rév. P. Kilian McDonnell en a été coprésident catholique depuis la première réunion en 1972, et sans interruption jusqu’à sa retraite en 2000. Il a été remplacé par Mgr John A. Radano, du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, qui a présidé le dialogue de 2001 à 2006. La contribution du Rév. P. McDonnell à cette phase particulière du dialogue est encore très évidente, du fait que son ouvrage sur les textes patristiques concernant l’initiation chrétienne [5] a joué un rôle dans les débats durant les discussions. Le dialogue a trouvé une inspiration dans la participation du Rév. P. McDonnell pendant les premières phases.

 

Diverses compréhensions

Ce dialogue est également différent des autres parce qu’il ne traite pas avec une famille confessionnelle possédant une théologie systématique développée, une longue tradition de réflexion théologique et une pratique liturgique et pastorale, mais plutôt avec un mouvement né au début du siècle dernier aux États-Unis et qui n’a commencé à trouver sa place parmi les principales églises protestantes et anglicane, et même dans l’Église catholique, que dans les années 1960. Dès le début, ce phénomène a eu des interprétations différentes parmi les pentecôtistes eux-mêmes, et le pentecôtisme s’est diversifié et divisé en de nombreuses et différentes écoles de pensée au cours des décennies.

Le pentecôtisme tend à être un mouvement religieux qui met fortement l’accent sur l’expérience religieuse et sur le témoignage de cette expérience de la part de responsables au sein de la communauté. Une grande autorité est attribuée à l’expérience personnelle de la conduite de l’Esprit-Saint dans la vie des individus. Il n’y a que très peu de textes en dehors des Écritures sur lesquels on puisse baser une description fiable de la théologie pentecôtiste.

En ce qui concerne le poids à attribuer à l’exposé des points de vue pentecôtistes par les participants au dialogue, on en donne la description suivante: «Lorsque les participants pentecôtistes parlent d’une seule voix, ils le font en réunissant ce qu’ils considèrent être le consensus général de la majorité des pentecôtistes dans le monde » (16).

Un autre facteur unique qui a émergé dans ce dialogue est que les participants catholiques n’étaient pas non plus d’accord sur la compréhension catholique d’un des sujets, celui du « baptême dans l’Esprit- Saint ». Du fait qu’il n’y a pas de doctrine officielle du magistère sur ce phénomène et qu’il existe au moins deux opinions différentes sur sa signification spirituelle, pastorale et théologique, elles ont toutes deux été présentées par les participants catholiques.

 

La valeur du dialogue

Les participants au dialogue devraient être félicités pour leurs efforts considérables visant à surmonter toutes ces limitations et souvent à trouver une entente des esprits et des cœurs qui serait utile aux relations entre catholiques et pentecôtistes en général partout dans le monde. En même temps, on ne doit pas oublier les limites de ce dialogue qui n’a ni ne peut avoir un caractère pleinement représentatif, qui n’engage la participation que de quelques pentecôtistes classiques, et donc pas de leur totalité, sans parler de ceux que le Cardinal Kasper désigne sous le nom de néo-pentecôtistes, et qui s’occupe de récits d’expériences religieuses ainsi que de théologie, et de théologies diverses et même conflictuelles de part et d’autre.

 

Le Rapport

Le Rapport du dialogue est très long; il compte 285 paragraphes. Après une introduction, nous distiguons cinq sections principales sur les sujets suivants: la conversion et l’initiation chrétienne, la foi et l’initiation chrétienne, la formation chrétienne et la vie de disciple,l’expérience dans la vie chrétienne, le baptême dans l’Esprit-Saint et l’initiation chrétienne. Ces sections principales sont suivies d’une conclusion. Chaque chapitre comporte trois sections précédées d’une introduction: les perspectives bibliques, les perspectives patristiques et les perspectives actuelles.

Dans l’introduction, le point central de cette phase particulière du dialogue a de nouveau été décrit dans les termes d’un recours aux sources patristiques qui, est-il dit, avaient déjà été citées par pentecôtistes et catholiques dans des phases précédentes. Dans la phase actuelle, l’intention était de faire plus délibérément appel aux sources patristiques. S’il s’agit là d’un aspect de la méthodologie utilisée, la question examinée était le processus d’initiation chrétienne tout entier, comment une personne passe de l’entrée initiale dans la vie chrétienne à l’état de membre pleinement actif de l’Église (5).

La raison pour laquelle les participants pensaient devoir aborder cette question était que dans la phase précédente du dialogue, sur Évangélisation, prosélytisme et témoignage commun, ils avaient conclu que certains fidèles dans les deux Églises ne se reconnaissaient pas les uns les autres comme chrétiens, ce qui avait évidemment causé des tensions. Déjà dans les premiers paragraphes, ils avaient indiqué que cela impliquerait un réexamen de « l’importance de l’expérience religieuse dans la vie personnelle » (6). Il est évident que se concentrer sur ce point aurait été droit au cœur même du phénomène pentecôtiste et des questions qu’il soulève pour l’Église catholique.

 

Écriture et tradition

Dans l’introduction, il est question des « sources ». Tout en constatant que pentecôtistes et catholiques, ainsi que d’autres chrétiens, « reconnaissent le caractère unique de la Bible comme Parole de Dieu inspirée et faisant autorité, et normative pour la foi et la vie de l’Église » (8), le Rapport inclut également une étude des textes patristiques, pour les raisons que nous avons déjà indiquées. En même temps, il reconnaît que catholiques et pentecôtistes ont des points de vue différents par rapport à l’autorité des Pères de l’Église.

Les pentecôtistes reconnaissent que les Pères apportent des témoignages authentiques et d’importance vitale de Dieu et de leur propre réponse à Dieu. Ils reconnaissent également qu’en tant que responsables chrétiens, les Pères étaient très proches du temps de Jésus et de ses propres disciples, et qu’ils ont contribué au processus de discernement du Canon des Écritures. En outre, les Pères ont aidé l’Église à traduire la foi biblique dans leurs propres contextes culturels. Pour ces raisons, les pentecôtistes reconnaissent l’importance des Pères, bien qu’ils ne partagent pas l’opinion des catholiques sur leur autorité (10-12).

Compte tenu de cette différence d’opinions sur leur autorité, le Rapport conclut: «Ainsi, tandis que la Bible est la plus haute autorité pour connaître la révélation de Dieu en Jésus Christ (cf. l’encyclique de Jean-Paul II, Ut Unum Sint, 79), les écrits patristiques pourraient être considérés comme occupant une place privilégiée dans l’Église post-biblique » (13). Il va de soi que si les participants catholiques n’auraient pas hésité à faire cette affirmation concernant les écrits patristiques, elle ne pouvait être rédigée que de manière très approximative afin d’y inclure également les participants pentecôtistes.

Les compréhensions différentes de l’autorité des Pères de l’Église naissent d’une différente compréhension de la Tradition. Pour les catholiques, les Pères de l’Église occupent une place privilégiée dans la Tradition qui transmet la Parole de Dieu. La Parole de Dieu est interprétée par le magistère en sa qualité de serviteur de cette Parole. Tandis que « les pentecôtistes ne partagent pas ce point de vue quant à la Tradition et n’ont pas non plus de magistère, bien qu’ils gardent des normes doctrinales. Quelques Églises pentecôtistes ont développé des procédures diverses pour régler les controverses doctrinales. Mais elles n’excluent pas le témoignage des Pères de l’Église, et dans la mesure où ce témoignage est réellement régi par la norme biblique, il peut servir d’exemple pour la vie chrétienne d’aujourd’hui » (185).

En se référant aux Écritures au cours du dialogue, pentecôtistes et catholiques étaient confrontés à leurs diverses interprétations de différents textes. Le Rapport soutient que cela pourrait simplement refléter la diversité qui est dans le Nouveau Testament, et donc « une saine tension qu’on ne devrait pas résoudre artificiellement ou par d’autres moyens inappropriés » (89). D’autre part, cela pourrait indiquer que catholiques et pentecôtistes, alors qu’ils lisent l’Écriture à la lumière de la foi sous l’illumination de l’Esprit-Saint, apportent des présuppositions différentes à leur interprétation de certains passages. Cela soulève la question de savoir exactement ce que sont ces présuppositions. Le Rapport reconnaît qu’un autre sujet pour le dialogue serait celui de l’herméneutique, et précisément l’examen de la manière dont les textes sont interprétés par catholiques et pentecôtistes. Selon le Rapport, les spécialistes pentecôtistes essaient de tracer ce qu’est aujourd’hui une herméneutique biblique spécifiquement pentecôtiste.

Alors que les catholiques interprètent les textes clairement dans le cadre de la tradition apostolique et que le magistère exerce un rôle déterminant pour discerner la légitimité des interprétations, les pentecôtistes ne manquent pas entièrement d’autorités du même genre. Ils sont prêts à dire qu’ils ont une sorte de « tradition » pentecôtiste et des autorités aptes à prendre des décisions concernant les différentes interprétations de la Bible (90), bien que celles-ci varient nettement d’un groupe à l’autre.

Les résultats du dialogue, résumés dans la Conclusion, indiquent que les Écritures sont essentielles pour les deux communautés et que les Pères de l’Église sont appréciés comme « les premiers témoins et interprètes de la foi en Jésus Christ et des dimensions de la vie en Christ », mais qu’ils sont appréciés « de façons différentes » (264).

En second lieu, ils ajoutent que « dans notre lecture de l’Écriture Sainte, nous interprétons la Bible selon les perspectives de nos traditions respectives. Nous reconnaissons tous, encore que de façon différente, que nous sommes gouvernés par la Parole de Dieu » (265). Le Rapport constate que tandis que les pentecôtistes tendent à s’en tenir à la doctrine protestante classique de sola Scriptura, ils recherchent, avec les catholiques, « des moyens permettant à la Tradition d’être fidèle à la vérité biblique ». Il fait remarquer qu’une « discussion future devrait se concentrer non seulement sur la relation entre Écriture et Tradition, mais également sur nos compréhensions respectives du rapport de l’Écriture et de la Tradition avec la Parole de Dieu » (265).

Dans la discussion sur l’expérience religieuse, le dialogue a abordé toute la question de l’autorité dans l’Église pour discerner l’expérience et l’enseignement religieux. Le Rapport présente cette question dans le sens « de savoir comment l’Église est dotée par Dieu de la capacité de discerner une authentique expérience de la grâce et, par extension, une doctrine orthodoxe authentique ». Il ajoute: «La nécessité d’un discernement concernant l’expérience et la doctrine pose naturellement la question du rôle de l’autorité dans l’Église » (282).

Les questions de Tradition, d’autorité et de présuppositions herméneutiques ressortent dans tous les dialogues où l’Église catholique est impliquée. Elles posent davantage de problèmes dans le présent dialogue en raison de la nature du phénomène pentecôtiste en tant que mouvement porteur d’une « expérience » pour ses adhérents, mais qui devient à présent un groupe différent de communautés plus ecclésialement structurées. À ces problèmes est liée la question de la relation de cette « expérience », qui a fondamentalement identifié le mouvement depuis sa naissance comme un phénomène religieux du siècle dernier, avec la tradition spirituelle de la chrétienté en général. L’accent mis sur les Pères était une tentative d’aborder cette relation sur un ton mineur, mais la question demeure.

 

Conversion

Dans le premier chapitre du Rapport, consacré à la «Conversion et l’initiation chrétienne », il apparaît clairement que catholiques et pentecôtistes ont des compréhensions et des approches différentes de la conversion. Dans le Rapport on affirme que catholiques et pentecôtistes peuvent être d’accord que la conversion implique « une interaction mystérieuse entre l’humain et le divin, et surtout une réponse humaine à l’initiative divine » (40). Quant à la question de savoir s’il s’agit d’un événement ou d’un processus, l’accord est formulé plutôt prudemment: «En général, catholiques et pentecôtistes sont d’accord que la conversion implique aussi bien un événement qu’un processus, et ils reconnaissent la nécessité d’une formation continue » (57). Mais alors que les deux côtés reconnaissent la conversion comme le don de Dieu, il n’y a aucun accord sur « ce qui constitue une expérience valable de conversion » (59).

Les pentecôtistes « estiment que repentir et conversion doivent normalement avoir un fort impact expérientiel » (154). Pour eux, il est normal qu’il y ait un « avant » et un « après » dans le récit qu’ils font de leur conversion, et ils aimeraient pouvoir préciser le moment exact où elle a lieu (154). En même temps, le Rapport indique que tout en appréciant les expériences religieuses affectives, les pentecôtistes ne croient pas que le salut dépende d’une expérience vécue par la personne, et les convertis sont encouragés à « accepter avec foi » qu’ils sont sauvés, même en l’absence de sensations ou de manifestations particulières. « Pour les pentecôtistes, la dimension expérientielle de la conversion est très importante. Toutefois, il est encore plus important qu’il y ait un profond changement dans la manière dont le nouveau croyant vit sa vie » (155).

Le Rapport constate également que les pentecôtistes acceptent de plus en plus le fait qu’on peut parvenir à la foi en Christ à travers un processus graduel, même si cela signifie que la dimension expérientielle est moins spectaculaire. C’est un changement en regard de la compréhension pentecôtiste antérieure (156). Dans le cas de conversions de groupes, les pentecôtistes voudraient être sûrs que ces conversions comporteront, à un certain point, une profession de foi personnelle (157).

De leur côté, les participants catholiques peuvent citer le Catéchisme de l’Église catholique pour situer la conversion comme élément essentiel dans l’ensemble du processus d’initiation chrétienne, qui comprend « l’annonce de la Parole, l’accueil de l’Évangile entraînant la conversion, la profession de foi, le baptême, l’effusion de l’Esprit-Saint, l’accès à la communion eucharistique » (Catéchisme de l’Église catholique [CEC] 1229) (26). Pour les catholiques, le Rite d’initiation chrétienne des adultes illustre le fait que le processus de la conversion est un processus évolutif qui implique des expériences très diverses, et son but est la transformation de toute la personne « dans les domaines du développement cognitif, de la croissance affective et du changement comportemental » (51).

Les six paragraphes consacrés à une perspective catholique sur le rôle de l’expérience dans le processus par lequel on devient chrétien, offrent, en contraste avec l’exposé davantage descriptif des pentecôtistes, une explication théologique de la grâce transmise par le baptême des nouveau-nés, la confirmation et la première communion, ou par l’initiation des adultes dans le Rite d’initiation chrétienne des adultes. Pour les catholiques, « la conversion au Christ et l’incorporation dans son Église entraînent un grand nombre d’expériences qui se manifestent par les effets intérieurs de la grâce de Dieu dans la personne, et par la médiation ecclésiale de la grâce dans la préparation, l’administration et la réception des sacrements d’initiation — baptême, confirmation et eucharistie » (158).

Alors que les catholiques peuvent parler des effets des sacrements, on ne peut absolument pas espérer faire de façon plus spectaculaire la même expérience de la grâce de Dieu qu’apportent les sacrements. C’est une nette différence entre pentecôtistes et catholiques. Les pentecôtistes parlent à partir de l’expérience réellement vécue de leur conversion et ils décrivent ce qu’ils ont éprouvé sur le plan émotionnel, intellectuel et physique. De leur côté, les catholiques parlent de l’efficacité de la grâce de Dieu et de la relation profonde qui s’établit avec Dieu par les sacrements, mais ils n’exigent pas les mêmes signes évidents ni le même compte-rendu d’expériences religieuses, bien qu’ils ne les excluent évidemment pas et qu’ils pourraient rapporter beaucoup d’histoires de conversions spectaculaires.

 

L’expérience religieuse

Le Rapport soutient que les différences concernant l’expérience religieuse ne sont qu’une question d’accent, car catholiques et pentecôtistes partagent de nombreux aspects « d’expériences spirituelles, par exemple la présence et la puissance de l’Esprit, ainsi que la contemplation et les formes mystiques et actives de la spiritualité » (138). Toute la question de l’« expérience religieuse » est un domaine très difficile pour le dialogue et également pour une réflexion théologique en général. Ce qu’offre le Rapport comme exposé concordé est ceci: «Lorsque la grâce de l’Esprit touche le cœur et l’esprit, les sentiments et la volonté de la personne, de manière telle que l’intéressé est conscient de rencontrer le Seigneur, une authentique expérience de Dieu a lieu » (140).

Le Rapport rappelle la seconde phase de ce dialogue, qui concluait que « par expérience on entend […] le processus ou l’événement par lequel quelqu’un en arrive à une conscience personnelle de Dieu » (140), et il souligne promptement que ni les catholiques ni les pentecôtistes ne considèrent cette expérience comme une fin en soi, mais uniquement comme un moyen par lequel on peut rencontrer Dieu. Encore une fois, il affirme explicitement que « nos deux traditions reconnaissent la dimension expérientielle de la foi, tout en affirmant que cette dernière ne se limite pas à l’expérience » (141).

En pratique, les pentecôtistes désirent exposer très clairement le rôle de l’expérience religieuse dans leur transformation personnelle: « Ils disent souvent qu’ils ressentent la présence du Seigneur et parlent de leur expérience de rencontres tant personnelles que collectives avec Dieu. Ils ne prennent pas ces expériences à la légère et reconnaissent le caractère gratuit de toutes les manifestations de rencontre entre le divin et l’humain » (166).

Ces expériences peuvent conduire à des réponses diverses, depuis un silence profond jusqu’à danser ou parler en langues. « Toutefois, ils sont toujours conscients du fait que leur réponse dépend d’abord et avant tout de la présence de Dieu parmi eux, qu’elle est une manifestation unilatérale de sa grâce à leur égard » (166). La plupart des pentecôtistes considèrent les dons qu’ils croient leur être accordés pour les partager avec d’autres, comme une preuve évidente que Dieu est à l’œuvre dans leur vie et même, pour certains, comme une assurance de leur salut, bien qu’ils reconnaissent les limites d’un telle ligne de raisonnement (167).

La perspective catholique sur l’expérience religieuse tracée dans le Rapport affirme très simplement: « L’expérience religieuse a été hautement appréciée dans l’Église tout au long de son histoire » (175) et évoque les grandes traditions de culte, de prière et de mysticisme, ainsi que les charismes des fondateurs d’ordres religieux, mais aussi la prudence de l’Église en voulant « tout examiner » (cf. 1 Th 5, 21) afin de discerner l’authenticité de nouveaux mouvements et de nouvelles dévotions populaires.

Il affirme en outre que dans le passé l’Église catholique tendait à être excessivement prudente en ce qui concerne les dangers d’une expérience subjective, souvent sur la base théologique selon laquelle la grâce n’est pas une affaire de conscience psychologique. En même temps, les dévotions populaires ont toujours continué de prospérer (175), et dans les récentes décennies une attention renouvelée a été accordée à l’expérience religieuse, de nouveaux mouvements ecclésiaux et le renouveau charismatique mettant plus fortement l’accent sur le rôle de l’expérience dans la vie chrétienne (176). Dans les traditions spirituelles de l’Église, la compréhension de l’action de la grâce a toujours eu une dimension expérientielle, tandis que les catholiques reconnaissent toujours que « la grâce échappe à notre expérience et ne peut être connue que par la foi » (CEC 2005) (178).

Le Rapport peut présenter l’affirmation commune que « la dimension affective de l’expérience est inhérente à nos deux traditions a été important, bien que la forme et la manière de ce caractère affectif puissent également varier parmi beaucoup d’autres expériences communes » (186). Les membres du dialogue sont d’accord que l’expérience affective n’est pas une fin en soi, mais un moyen de rencontrer Dieu. Pentecôtistes et catholiques sont opposés à un formalisme purement extérieur. Les pentecôtistes font la distinction entre « suivre les motions » et une foi authentique, tandis que les catholiques mettent l’accent sur les dispositions intérieures adéquates à la réception des sacrements.

Ils ont pu dire ensemble que « l’expérience spirituelle a pour but principal la transformation, ce qui veut dire que les sentiments à eux seuls ne sont pas la mesure de l’expérience, mais que celle-ci est la foi qu’elle crée et la vie morale qu’elle nourrit. En l’absence de la perception de la présence de Dieu, on doit persévérer dans la foi. Dieu veut que le don de l’expérience de sa présence et de sa puissance nous transforme dans l’image du Christ et nous habilite à accomplir sa mission » (186). Des deux côtés on reconnaît la nécessité du discernement et, en même temps, le fait que les expériences religieuses accroissent le sentiment de la présence de Dieu dans la vie quotidienne, ou ce qui est décrit comme « la dimension religieuse de toute expérience » (187).

Le Rapport indique qu’à travers leurs discussions, pentecôtistes et catholiques sont parvenus à apprécier l’importance attribuée par les deux communautés aux charismes, à la mystique et à la liturgie. «Nous avons également appris qu’on ne peut pas simplement opposer entre elles ces deux modalités de l’expérience chrétienne. Chacun possède une certaine expérience de ce à quoi l’autre est traditionnellement attaché » (278). Il est bien clair qu’ils ne sont pas parvenus à un consensus théologique concernant le « baptême dans l’Esprit-Saint », mais le Rapport reconnaît en même temps « que la présence et la puissance de l’Esprit-Saint, y compris les charismes, n’étaient pas inconnus dans l’Église primitive et qu’ils sont une source de renouvellement pour l’Église d’aujourd’hui. Nous avons appris que si une évaluation et un jugement théologiques sont nécessaires, ils ne peuvent être réalisés que pour servir l’action de l’Esprit, et jamais pour affaiblir ou affliger l’Esprit-Saint (Ep 4, 30; 1 Th 5, 19) » (279).

Le Rapport reconnaît qu’il existe des stéréotypes dans chacune des deux traditions, qui donnent une image trop simpliste des membres de l’autre communauté. Il soutient qu’il est superficiel de dire que les pentecôtistes vivent en général selon leur cœur et leurs émotions, et que la vie catholique est uniquement déterminée par des abstractions théologiques et par des rituels extérieurs. Aucune de ces représentations ne rend justice à « l’importance capitale qu’a pour nous l’expérience religieuse, tant en ce qui concerne la foi chrétienne commune que les différences qui nous distinguent » (184).

Pour catholiques et pentecôtistes, l’interprétation de l’expérience religieuse dépend de leurs doctrines et de leurs théologies de la grâce respectives. Ils diffèrent en particulier sur la compréhension de l’assurance du salut et de sa relation avec l’expérience. «Les pentecôtistes affirment leur certitude du salut librement offert par Dieu en Christ, tandis que les catholiques envisagent cette certitude comme une question d’espérance et de prière » (189).

Le Rapport exprime la surprise de constater que catholiques et pentecôtistes ont plus en commun dans leur expérience de la vie spirituelle qu’ils ne l’avaient pensé. Que le dialogue ait pu parvenir à un considérable degré de consensus est vraiment extraordinaire, compte tenu du fait qu’il s’agit d’un dialogue entre, d’un côté, un mouvement chrétien avec une communauté très variée qui se définit en termes d’expérience religieuse, et de l’autre côté, l’Église catholique qui s’oppose à toute définition de l’action de la grâce qui exigerait une validation expérientielle. La théologie catholique de l’expérience religieuse se trouve dans ses grandes traditions spirituelles et ascétiques plutôt que dans l’enseignement du Magistère. Il n’est pas clair si l’on a eu recours à ces traditions dans ce dialogue, ou seulement au témoignage patristique. Si on ne l’a pas fait, celles-ci resteraient une ressource précieuse pour la poursuite du dialogue, et seraient utiles pour étudier plus à fond la relation entre expérience pentecôtiste et tradition spirituelle chrétienne en général.

 

Sacrements ou ordonnances

Parmi les sujets recommandés pour un débat ultérieur dans la conclusion du Rapport, on signale « la nature et le rôle du baptême par l’eau, à quoi on pourrait ajouter les autres actes rituels que les catholiques appellent sacrements et que certains pentecôtistes appellent ordonnances ». Alors qu’il existe un certain degré de convergence sur ce point dans le Rapport, il reste finalement toujours la question de savoir « ce qui est normatif pour devenir chrétien et/ou pour l’initiation chrétienne » (281).

Compte tenu du thème du Rapport, celui-ci concentre son attention sur le processus par lequel on devient chrétien, et par conséquent sur les sacrements d’initiation plutôt que sur le rôle des sacrements et surtout de l’eucharistie dans la continuité de la vie chrétienne. En même temps, il atteste que la louange en commun dans les églises pentecôtistes et la célébration sacramentelle et liturgique dans les églises catholiques sont la source et le sommet des vies spirituelles (136).

La différence entre catholiques et pentecôtistes qui sous-tend en grande partie la discussion est définie comme étant « l’importance et la relativité du sens normatif de l’approche tant sacramentelle que non sacramentelle de l’initiation, y compris la conversion » (52). Une nette différence concerne la relation entre les aspects visibles et invisibles de tout le chemin qui mène à la communauté chrétienne, contenus dans le Rite d’initiation chrétienne des adultes (RICA). En termes simples, « les catholiques croient que le rite est un signe visible de la grâce invisible, c’est-à-dire un sacrement. Parmi les pentecôtistes, les opinions sur le baptême varient entre ceux qui considèrent ce rite comme une affirmation publique de la foi en Christ et ceux pour qui le baptême a un effet substantiel, un affermissement de la foi » (50).

Malgré des textes clé tels que Actes 2, 37-38 et autres concernant le baptême, il n’y a pas d’accord entre pentecôtistes et catholiques sur les effets du baptême. Par exemple, les pentecôtistes reconnaissent que pour eux Ga 3, 26-28 et 1 Co 12, 13 se réfèrent à un « baptême ‘spirituel’ dans le Corps du Christ, dont le témoignage public est donné par le baptême dans l’eau », qui est loin de la pleine compréhension sacramentelle du baptême par les catholiques (76). Pour les pentecôtistes, le passage Jn 3, 1-8, que plusieurs Pères ont traité, se réfère « plus généralement à la conversion et non pas explicitement au baptême, comme les catholiques auraient tendance à le faire » (47).

D’une manière analogue, le Rapport reconnaît que les catholiques comprennent des textes tels que Jn 3, 3-6 et Tt 3, 5, Rm 6, 1-7, Col 2, 11-12, et Jn 6, en un sens sacramentel. D’autre part, les pentecôtistes « considèrent que le Nouveau Testament accorde une importance primordiale à la foi et à la confession de la foi, qui comprennent également le baptême, engendrées par la Parole reçue à travers la puissance de l’Esprit. Cette confession publique de foi et d’obéissance est puissamment soutenue par l’Esprit de Dieu qui transmet également les réalités mêmes signifiées par le baptême » (77). Étant donné l’importance qu’ils accordent à la confession de foi et à la foi, plutôt qu’à l’initiation sacramentelle, les pentecôtistes n’acceptent pas le baptême des nouveau-nés (78).

Pour certains pentecôtistes, le baptême est un signe extérieur mais nécessaire, accompli en obéissance à Jésus, mais en soi c’est « un témoignage public d’une transformation qui a déjà eu lieu par la grâce à travers la foi » (88). D’autres pentecôtistes attribueraient plus d’efficacité au baptême même, en le considérant non seulement comme un signe ou un témoignage, mais également comme une « ordonnance pour communiquer la grâce qui pardonne, la puissance libératrice et la vie salvifique, opérées par le pouvoir de l’Esprit » (88).

En général, la plupart des pentecôtistes ne considèrent toutefois pas le baptême comme un moyen de régénération. Celle-ci s’accomplit « lorsque, par la foi, la Parole et l’Esprit engendrent une vie nouvelle chez le croyant. Le baptême, à part cette dynamique, ne peut pas créer une vie nouvelle » (88). Pour les pentecôtistes, le début de la vie chrétienne n’inclut pas nécessairement le « baptême de l’eau » comme base primordiale pour entrer dans la vie chrétienne, encore qu’à leurs yeux il a une grande importance (27). C’est ainsi que certains pentecôtistes négligent le baptême, bien que ce ne soit pas une position partagée par ceux qui participaient au dialogue.

Le Rapport pose une question encourageante, celle de savoir si le témoignage patristique concernant le rôle de l’Esprit-Saint dans l’efficacité des sacrements du baptême et de l’eucharistie ne pourrait pas devenir une « ressource commune » entre pentecôtistes et catholiques pour une réflexion sur la nature sacramentelle du baptême et de l’eucharistie. «En particulier, le lien entre les sacrements et l’Esprit pourrait permettre à pentecôtistes et catholiques d’affirmer ensemble qu’à travers la réception du baptême, une importante action divine a lieu dans la vie du baptisé. Devenir chrétien exige une transformation de vie, ce qui signifie également un effort important pour coopérer avec la grâce de Dieu de façon à vivre réellement une vie vertueuse et sainte » (91).

 En résumant le témoignage patristique, le dialogue conclut: «La Bible et la littérature patristique affirment qu’il existe une relation étroite entre la foi et la suite d’événements à travers lesquels on devient chrétien » (86). Le Rapport soutient que catholiques et pentecôtistes apprécient « la dimension expérientielle de la foi, que l’on trouve dans les écrits des Pères de l’Église », mais que la façon dont ils en parlent est influencée par leurs perspectives théologiques (151). Encore une fois, ces perspectives théologiques se réfèrent à une compréhension sacramentelle ou non sacramentelle de l’initiation.

La différence presque totale dans la compréhension du baptême et des sacrements en général n’est pas sans rapport avec la différence plus fondamentale déjà observée entre les partenaires de ce dialogue. L’identité pentecôtiste gravite autour d’une expérience de conversion qui n’est pas un rituel, tandis que les catholiques, sans exclure l’expérience religieuse, mettent l’accent sur les sacrements reçus dans la foi. Si le dialogue veut progresser sur ce point, il ne pourra le faire qu’en affrontant de manière plus fondamentale la question de la grâce divine et la façon dont elle est communiquée.

 

Le baptême dans l'Esprit-Saint

Il n’est pas surprenant que le Rapport consacre la plus grande attention à la question du « baptême dans l’Esprit-Saint et [de] l’initiation chrétienne », et qu’il passe en revue les précédentes discussions du dialogue sur ce point. Il commence par un présupposé: «Nous partageons la conviction que l’Esprit-Saint a toujours été présent dans l’Église à travers la grâce, les signes et les dons. Nous affirmons et accueillons les charismes comme une dimension importante dans la vie de l’Église » (193). Toutefois, il indique immédiatement une différence essentielle: «Nos deux traditions identifient deux moments principaux pour la réception de l’Esprit. Pour les pentecôtistes ces moments sont ceux de la conversion et du baptême dans l’Esprit-Saint. Pour les catholiques, ce sont ceux des sacrements du baptême et de la confirmation » (194).

Le Rapport conclut néanmoins qu’existent la « convergence fondamentalement la plus importante » et la « conviction commune » que « le baptême dans l’Esprit-Saint est une puissante action de la grâce que Dieu accorde aux croyants dans l’Église » (260). Une autre conclusion, qualifiée de « frappante », est qu’on constate une diversité substantielle entre nos communautés et à l’intérieur de chacune d’elles dans l’interprétation du « baptême dans l’Esprit-Saint ». Un consensus est impossible, même pour les catholiques. Si cette diversité est compatible avec une unité fondamentale dans la foi concernant le baptême dans l’Esprit- Saint, tant à l’intérieur des communautés qu’entre celles-ci demeure un point à éclaircir. En même temps, il est fait remarquer que l’expérience du baptême dans l’Esprit-Saint a « un certain degré de similitude parmi ceux qui le reçoivent », malgré la différence substantielle de compréhension de cette expérience et de sa place dans la série d’événements par lesquels on devient chrétien (261).

En résumant les précédents rapports sur ce point, le Rapport actuel met à notre disposition une description du « baptême dans l’Esprit » faite par les pentecôtistes dans la première phase du dialogue (1972-1976): «Dans le mouvement pentecôtiste, ‘être baptisé dans l’Esprit’, ‘être rempli du Saint-Esprit’ et ‘recevoir le Saint-Esprit’ sont compris comme se produisant au cours d’une expérience décisive, distincte de la conversion, au cours de laquelle le Saint-Esprit se manifeste, remplit de puissance et transforme la vie de quelqu’un, et l’illumine quant à la totalité du mystère chrétien (Ac 2, 4; 8, 17; 10, 44; 19, 6) ».

Dans ce même rapport, tous les participants précisaient que les chrétiens qui n’avaient pas vécu cette expérience avaient néanmoins reçu l’Esprit-Saint. La différence entre un chrétien convaincu qui n’a pas eu cette expérience, et celui qui l’a vécue n’était en général « pas seulement une question de focalisation théologique mais aussi d’ouverture et d’une attente plus grandes à l’égard du Saint-Esprit et de ses dons » (198). On reconnaissait également que l’expression « baptême dans l’Esprit-Saint » n’est pas utilisée dans le Nouveau Testament, bien qu’on y trouve la forme verbale, « baptiser d’Esprit-Saint » (Mc 1, 8) (199).

Le Rapport reconnaît que le premier Rapport n’a pas résolu toutes les ambiguïtés concernant le « baptême dans l’Esprit-Saint » et en cite une en particulier en demandant « s’il y a une réception ultérieure du Saint-Esprit en vue d’un ministère charismatique, ou si le baptême dans le Saint-Esprit n’est pas plutôt une sorte de manifestation d’un certain don de l’Esprit déjà reçu » (200). Dans sa propre discussion sur les perspectives bibliques du « baptême dans l’Esprit- Saint », le Rapport constate qu’il existe un problème dans l’interprétation de certains textes bibliques (203). Il propose un nouveau résumé du « baptême dans l’Esprit-Saint » comme suit: «Être baptisé dans l’Esprit-Saint (cf. Actes 1, 5), être rempli de l’Esprit- Saint (cf. Actes 2, 4) ou recevoir l’Esprit-Saint (cf. Actes 2, 38) est considéré comme un don de Dieu ancré dans la propre promesse de Jésus dans Actes 1, 8, et dans la déclaration de Pierre dans Actes 2, 38- 39. C’est par la réception de ce don ou de cette grâce de Dieu, que celui-ci se révèle au croyant d’une manière personnelle et transformatrice de la vie » (207).

La question clé de la section patristique sur le « baptême dans l’Esprit-Saint » est de savoir si l’on peut penser que les sources patristiques décrivent ce qui est connu aujourd’hui comme « baptême dans l’Esprit-Saint ». On reconnaît que tandis que certains spécialistes les interprètent effectivement de cette façon, d’autres sont convaincus qu’elles ne se réfèrent pas à ce qui est actuellement appelé baptême dans l’Esprit-Saint (208). C’est ici que le travail de Killian McDonnell a joué un rôle important dans les discussions du dialogue, parce qu’il a parlé en faveur de certains textes patristiques considérés comme reflétant ce qu’on appelle aujourd’hui « baptême dans l’Esprit-Saint ».

Il est clairement dit qu’il n’existe pas de doctrine catholique officielle sur le baptême dans l’Esprit- Saint (218) et que pour les catholiques, « le “ baptême dans l’Esprit-Saint ” charismatique ne peut pas être considéré comme un sacrement supplémentaire », ni qu’il « communique une grâce sacramentelle dont seraient privés ceux qui ne l’ont pas reçu » (218). Pour les catholiques, c’est par les deux sacrements du baptême et de la confirmation qu’ils reçoivent une vie nouvelle, ainsi que la grâce et la puissance de l’Esprit- Saint pour croître en sainteté et s’engager dans la mission avec tous les dons et les charismes qu’impartit l’Esprit-Saint (222).

Lorsque le renouveau charismatique a pris naissance parmi les catholiques, il n’a pas simplement repris la doctrine pentecôtiste du « baptême dans l’Esprit-Saint » (226). Le Rapport indique qu’il y a actuellement deux écoles d’interprétation théologique dans la réflexion catholique sur le « baptême dans l’Esprit-Saint », représentées par le Document de Malines (1974) et par L’Esprit donne la vie de la Conférence épiscopale allemande (1987).

Pour le document de Malines, le « baptême dans l’Esprit-Saint » fait intégralement partie de l’initiation chrétienne. Il est considéré comme « partie intégrante de la vie chrétienne », comme une « partie de la plénitude de l’initiation chrétienne ». Pour le document de Malines, il « appartient à l’Église à un niveau fondamental » (230). Pour ce document, avec le « baptême dans l’Esprit-Saint », l’Esprit-Saint qui nous a été donné lors de notre initiation chrétienne se manifeste à notre conscience et « il est fréquent que l’on en ressente la présence concrète (228).

De son côté, le texte allemand voit le « baptême dans l’Esprit-Saint » comme un nouveau genre d’expérience de l’Esprit, qui intervient sans cesse dans la vie des chrétiens, tout en demeurant continuellement en eux par le baptême et la confirmation. «Ainsi, les expériences de l’Esprit peuvent s’expliquer comme étant une nouvelle réception de l’Esprit-Saint, sans démentir la référence aux sacrements du baptême, de la confirmation et de l’eucharistie » (232). La concession de la grâce et des dons charismatiques divins ne doit pas se limiter seulement aux sacrements, bien que les sacrements d’initiation gardent une importance fondamentale (233).

Alors que les deux écoles de pensée sont d’accord sur l’importance des charismes et de l’expérience spirituelle, et que le « baptême dans l’Esprit-Saint » fait partie d’une vie ecclésiale normale, elles diffèrent cependant très nettement sur la question de savoir si le « baptême dans l’Esprit-Saint » constitue une expérience spirituelle particulière ou un élément normatif du processus d’initiation chrétienne (234).

Pour les pentecôtistes, par le « baptême dans l’Esprit- Saint », « le chrétien rencontre l’Esprit-Saint de manière à être habilité à devenir le témoin convaincant proclamé par Jésus dans Ac 1, 8 », et sans lequel « la vie et le témoignage du chrétien sont considérablement appauvris » (240). Mais il y a eu, et on constate aujourd’hui encore des différences d’interprétations parmi les pentecôtistes au sujet du « baptême dans l’Esprit-Saint », dont certaines peuvent remonter à deux courants originels de la vie pentecôtiste, le mouvement Wesleyen-Holiness et, en Angleterre, le mouvement Keswick, qui n’était pas wesleyen (241-242).

Les premiers pentecôtistes habituellement n’étaient pas de nouveaux convertis au christianisme, mais étaient venus au pentecôtisme après avoir fait l’expérience d’autres communautés chrétiennes (248). Tous croyaient avoir reçu l’Esprit-Saint au moment de la conversion (249), mais ils différaient, et diffèrent encore aujourd’hui, sur le lieu de la réception du « baptême dans l’Esprit-Saint ». Toutefois, la plupart des pentecôtistes croient que le « baptême dans l’Esprit-Saint » a lieu après la conversion, mais ils acceptent également que des personnes sont parfois baptisées dans l’Esprit au moment de leur conversion, s’il existe un témoignage approprié à ce sujet. S’il n’est pas reçu à ce moment-là, le «“ baptême dans l’Esprit-Saint ” est si essentiel pour la plénitude de la vie chrétienne qu’on devrait chercher à l’administrer au plus tôt » (253).

Dans le Rapport, les participants pentecôtistes reconnaissent qu’ils ont une vision restaurationniste de l’histoire; ils croient en outre qu’ils participent à la « pluie d’automne » prophétisée dans Joël 2, 23 et qu’ils vivent les « derniers jours » d’Ac 2, 17 (169). Ils pensent qu’il est important pour les croyants de rechercher le baptême dans l’Esprit-Saint. Pour certains d’entre eux, cet événement « est précédé d’une expérience de sanctification, une percée ou une action précise de Dieu pour leur permettre de vivre une vie sainte et les préparer au baptême dans l’Esprit- Saint » (170). La plupart des communautés pentecôtistes n’enseignent pas qu’il s’agit d’une expérience séparée, mais toutes conviennent que la croissance en sainteté est un processus important qui dure toute la vie et sont prêtes à témoigner d’une «merveilleuse expérience de parler en langues lorsqu’ils furent baptisés dans l’Esprit-Saint » (170). Tous sont encouragés à attester qu’ils ont rendu témoignage de ce que le Seigneur a accompli dans leurs vies pour l’édification de la communauté.

Les pentecôtistes s’attendent à ce qu’il y ait un témoignage, et même une « preuve biblique », de la réception du « baptême dans l’Esprit-Saint » par le croyant (256), mais aujourd’hui, moins de pentecôtistes que dans le passé reçoivent le « baptême dans l’Esprit-Saint » accompagné du parler en langues, ce qui a soulevé de profondes interrogations pastorales et théologiques pour les pentecôtistes (258). Naturellement, un débat a également lieu sur la glossolalie, pour savoir s’il s’agit d’un don ou d’un genre de prière particulier, ou d’un don des langues pour un usage public et qui requiert une interprétation (259).

Malgré tout, le Rapport est en mesure de faire cette affirmation très importante: «Les membres de ce dialogue sont convaincus que l’expérience du baptême dans l’Esprit-Saint n’est pas nécessairement un motif de division entre nos communautés » (195). Il le fait après avoir affirmé la présence de cette grâce dans le Renouveau charismatique catholique et voit la chaleureuse réception « réservée à ce renouveau par les responsables de l’Église catholique comme ‘un signe de la reconnaissance officielle de cette grâce’» (195). Beaucoup de choses sont ici en jeu. Le chaleureux accueil réservé au Renouveau charismatique catholique est évident et important du point de vue pastoral pour les diocèses désireux d’offrir une alternative catholique au pentecôtisme. Cet accueil implique clairement l’acceptation de ce que même les catholiques du Renouveau qualifient parfois de « baptême dans l’Esprit-Saint ». Toutefois, aucun accord n’a été trouvé sur une interprétation théologique du phénomène, en tout cas aucune qui ait été souscrite par le Magistère à ses plus hauts niveaux. Les participants au dialogue se trouvent ainsi dans une situation plutôt difficile. Ils ont bien travaillé, compte tenu des circonstances, mais seules les futures discussions qui ont été recommandées, concernant l’expérience religieuse et la communication de la grâce divine, fourniront un cadre plus large pour une étude ultérieure de cette expérience et de cette grâce particulières.

 

Restaurationisme

Le pentecôtisme a été fortement influencé par la tendance restauratrice de la pensée protestante/ évangélique à l’époque aux États-Unis, selon laquelle l’Église était en déclin déjà depuis la période post-apostolique, et ne pouvait être restaurée que par un retour à l’idée de simplicité et de pureté du Nouveau Testament (244).

Le restaurationisme s’appuyait sur une perspective fortement eschatologique pour les pentecôtistes qui croyaient que la restauration comprendrait les charismes indiqués en 1 Co 12, 8-10 — que beaucoup de chrétiens pensaient n’être plus nécessaires ou disponibles — et qu’en particulier, selon nombre d’entre eux, le don des langues serait rétabli pour promouvoir le travail missionnaire (246).

Compte tenu de la valeur accordée à la restauration par le pentecôtisme dès ses débuts, le Rapport reconnaît que catholiques et pentecôtistes ne sont pas d’accord dans leur évaluation de l’histoire, et recommandent par conséquent un dialogue futur qui « devrait aborder la question cruciale de connaître nos différentes façons d’interpréter l’histoire et de comprendre pourquoi nous le faisons de la sorte » (280).

En réfléchissant à l’utilisation précédente des sources patristiques, le Rapport conclut: «Cette étude des premiers textes chrétiens post-bibliques, bon nombre desquels ont été écrits au cours des premiers siècles que certains appellent l’époque constantinienne, peut être un premier pas dans notre dialogue sur des questions historiques qui sont à la racine de certains points de vue pentecôtistes sur la théorie de la restauration. Cette importante question attend une autre phase du dialogue international » (270).

La question en jeu ici n’est peut-être pas uniquement une vision particulière de l’histoire, mais également une convinction existant à l’origine parmi les pentecôtistes et qui continue à exister chez certains d’entre eux, à savoir que d’autres communautés chrétiennes, y compris et peut-être surtout l’Église catholique, ne sont pas vraiment chrétiennes parce qu’elles ne manifestent pas suffisamment de signes significant la présence et l’activité de l’Esprit-Saint. Concentrer plus directement notre attention sur l’Église d’aujourd’hui et sur les critères employés pour décider si elle est réellement chrétienne ou non pourrait aider à situer l’étude du restaurationnisme et des différentes lectures de l’histoire dans une perspective nouvelle.

 

Réflexions conclusives

Le Rapport résume les questions qui doivent nécessairement être abordées dans de futurs dialogues: «Une vision de l’histoire chrétienne dans le sens d’une restauration, la nature des sacrements ou ordonnances et l’exercice de l’autorité dans l’Église, sans oublier nos différents principes d’interprétation de l’Écriture » (283). Ces différents points méritent effectivement d’être étudiés de même que l’interprétation de l’expérience pentecôtiste dans le cadre général de la tradition spirituelle chrétienne ainsi que toute la question de la communication de la grâce divine.

Au cours du séminaire sur « La recherche de l’unité des chrétiens: où en sommes-nous aujourd’hui » organisé par le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, la Conférence épiscopale des Philippines et la Fédération des Conférences épiscopales d’Asie en janvier 2007, le Cardinal Walter Kasper, Président du Conseil pontifical, déclarait:

« Ces observations nous disent que seuls les aspects sociologiques ne peuvent expliquer le succès de l’énorme mouvement pentecôtiste. Derrière l’apparition de ce phénomène se trouvent des raisons spirituelles ou, pour être plus clair, des besoins et des désirs spirituels fondamentaux. L’un des éléments théologiques qui sont à la base du Pentecôtisme est la possibilité donnée à chaque individu de vivre immédiatement l’expérience de l’Esprit- Saint. Cette expérience immédiate de l’Esprit- Saint est la marque distinctive de tous les groupes pentecôtistes et de tous les mouvement charismatiques. Par conséquent, le problème théologique et pastoral fondamental que le mouvement pentecôtiste soulève est celui du renouvellement spirituel des Églises traditionnelles qui doivent être en mesure de répondre aux besoins spirituels de notre temps, de remplir ce vide spirituel. Il existe un besoin de profond renouvellement de la théologie de l’Esprit-Saint, en particulier en ce qui concerne les dons (charismes) de l’Esprit, l’expérience spirituelle et le discernement des esprits. Mais les règles du discernement de l’Esprit, que l’on trouve dans le Nouveau Testament (cf. 1 Co 12, 3.10.38; 1 Th 5, 21; 1 Jn 4, 1-3) et qui seront développées plus tard dans la tradition spirituelle (en particulier par Saint Ignace de Loyola), deviennent elles aussi importantes et cruciales.

La recommandation du Cardinal Kasper correspond à celles du Rapport. Alors que le Président du CPPUC se souciait de la réflexion théologique dans l’Église catholique, ce qu’il dit se rapporte très particulièrement à ce dialogue. Il est très difficile pour les participants catholiques du dialogue de représenter l’Église lorsque les questions qui sont traitées n’ont pas été adéquatement examinées au plan théologique par l’Église catholique elle-même. Ils ne peuvent se référer à des définitions doctrinales ni à des déclarations d’importance majeure du Magistère comme cela peut se faire dans d’autres dialogues à participation catholique. Néanmoins, la tâche à laquelle ils sont confrontés est importante pour les Conférences épiscopales dans le monde entier, lesquelles doivent faire face au phénomène d’un croissant défi pentecôtiste pour la communauté des fidèles de l’Église. Les participants catholiques de ce dialogue peuvent poursuivre le type de réflexion que le Cardinal Walter Kasper recommande pour l’Église, mais ils seraient aidés par une réflexion plus large et pourraient à leur tour y contribuer.

Le recours aux Pères de l’Église comme matériel de discussion dans le dialogue a été une tentative courageuse d’amener celui-ci à une plus ample réflexion sur l’« expérience » pentecôtiste dans les cadres plus généraux de l’histoire, d’une plus large tradition spirituelle chrétienne et de la Tradition apostolique elle-même. Il se peut que l’on soit ainsi parvenu parfois à des déclarations plus qualifiées et, on l’espère, à une nouvelle conscience de la nécessité de poursuivre le dialogue sur l’importance de l’histoire et de la Tradition apostolique. En même temps, l’étude des Pères elle-même, et en particulier l’étude du « baptême dans l’Esprit-Saint », sont ouverts à un débat entre experts étant donné qu’il ne peut y avoir aucune interprétation définitive des textes historiques. C’est une difficulté particulière à laquelle ce dialogue doit faire face, qui nuance un peu l’autorité à attribuer aux perspectives catholiques exposées en grandes lignes dans le Rapport. Malgré cette limitation, et d’autres déjà mentionnées, le Rapport représente très clairement le fruit d’un dialogue intense, spécialisé et consciencieux. Il est à souhaiter qu’il se poursuivra dans cette direction et continuera ainsi à porter des fruits en abondance.

 

 

 NOTES

[1] CPPUC, Service d’information 123 (2006/III-IV), 119.

[2] Ibid.

[3] Cardinal Kasper, « L’état actuel du dialogue œcuménique », Origins 37-28 (20 décembre 2007) 453.

[4] «Évangélisation, prosélytisme et témoignage commun. Rapport de la quatrième phase du dialogue international 1990-1997 entre l’Église catholique romaine et quelques Églises pentecôtistes et responsables pentecôtistes classiques, Service d’information 97 (1998/1-2) 38-58.

[5] Kilian McDonnell et George T. Montague, Christian Initiation and Baptism in the Holy Spirit: Evidence from the First Eight Centuries. Collegeville: Liturgical Press, 1991, 2eEdition révisée, 1994.