COMMENTAIRE DU RAPPORT 
«ÉGLISE, ÉVANGÉLISATION ET LES LIENS DE LA KOINONIA»

S. Exc. MGR BASIL MEEKING [1]

 

 

REMARQUES PRÉLIMINAIRES

Une réflexion sur ce rapport présente pour moi un intérêt particulier. En 1980 j'étais l'un des deux observateurs de l'Église catholique invités à l'Assemblée générale de l'Alliance évangélique mondiale à Hoddesdon en Angleterre. Ce ne fut pas une tâche facile; la réunion avait dû être plusieurs fois ajournée pour permettre à un comité restreint d'examiner les vives objections soulevées par certains délégués contre cette minime présence catholique.

Le présent rapport donne ainsi une idée du changement considérable survenu dans les relations humaines et dans la compréhension mutuelle au cours des vingt dernières années entre l'Alliance évangélique mondiale (telle qu'elle est aujourd'hui) et l'Église catholique. Une annexe du rapport retrace les étapes de ce changement et présente un historique bref et utile du dialogue qui s'est établi par la suite. Il est peut-être bon de dire d'abord un mot sur qui sont les évangéliques. Le terme évangélique fait partie du nom de certains organismes ecclésiaux classiques, comme par exemple l'Église luthérienne évangélique d'Amérique. Dans le présent rapport, il indique que les membres appartiennent à la tradition protestante européenne. Toutefois, tel qu'il est utilisé ici, le terme «évangélique» se réfère à un mouvement entre chrétiens au sein de certaines Églises et organismes para-ecclésiaux.

Le rapport d'un précédent dialogue informel entre évangéliques et catholiques avait déjà constaté qu'il «n'est pas facile de résumer les croyances distinctes des chrétiens évangéliques, car chaque Église et chaque groupe met en relief des doctrines différentes. Cependant, tous les évangéliques partagent un noyau de convictions théologiques qui ont été redécouvertes et réaffirmées par les réformateurs du XVIe siècle» [2].

Un éminent studieux évangélique, le Dr J.I. Packer, parle de «la fraternité mondiale des congrégations et des chrétiens qui professent les croyances évangéliques et maintiennent un style évangélique de dévotion et d'activité pastorale, centré sur la conversion, la lecture de la Bible, l'évangélisation et la communion avec Dieu, avec assurance et confiance et en communauté fraternelle avec d'autres croyants, dans la joie partagée d'une vie régénérée». Le Dr Packer constate l'évolution «de l'ancienne image que les évangéliques avaient d'eux-mêmes comme étant les fidèles marginalisés au sein d'un protestantisme d'inspiration libérale, avec le sentiment d'être les gardiens de l'Église de Dieu sur terre» [3].

Les évangéliques ne constituent pas un groupe monochrome et homogène; c'est tout le contraire selon le côté de la tradition protestante extrêmement variée d'où ils proviennent. «Le mouvement évangélique embrasse un large éventail de groupements comprenant des confessions évangéliques (qui font partie ou non du Conseil œcuménique des Eglises), des fraternités évangéliques (existant au sein des confessions principales) et des organismes évangéliques para-ecclésiaux (spécialisés dans des activités telles que la traduction de la Bible, l'évangélisation, les missions interculturelles, l'aide au Tiers-monde et le développement)» [4]. Ces derniers ne se reconnaissent qu'une responsabilité à divers degrés envers quelque autorité ecclésiale que ce soit.

Il ne s'agit cependant pas d'une situation statique, mais de quelque chose à laquelle a contribué le mouvement œcuménique moderne et également, dans une mesure non négligeable, l'évolution des relations avec les catholiques et l'Église catholique. En 1928, le théologien luthérien Dietrich Bonhoeffer, à propos du terme «église», avait dit que» pour les protestants ce terme fait penser à quelque chose d'infiniment banal, plus ou moins indifférent ou superflu, auquel est très souvent associée une idée d'ennui» [5]. Cela pourrait expliquer les sentiments de bon nombre d'évangéliques jusqu'à une époque relativement récente, mais ce n'est plus vrai pour tous les évangéliques. Au contraire, l'ecclésiologie commence à émerger comme un facteur dans le dialogue évangélique/catholique. «Il s'agit de l'Église comme telle, non pas une Église invisible ni une Église de croyants authentiques qui est conceptuellement éloignée des ambiguïtés et des tragédies de l'histoire, mais l'Église qui est ce peuple identifiable à travers le temps, un peuple vulnérable au monde réel des changements historiques comme l'était, comme l'est, son Seigneur crucifié» [6].

Ainsi, la question de l'Eglise est devenue actuelle d'une nouvelle manière pour les évangéliques, en même temps qu'elle est reconnue comme étant la question centrale du mouvement œcuménique. Ce n'est donc pas une coïncidence si le sujet du rapport que nous examinons est l'Église comme koinonia, ainsi que sa mission.

Ce rapport a une préhistoire d'au moins quarante années. Grâce à de nombreux contacts personnels entre catholiques et évangéliques à l'époque du Concile Vatican II et après, surtout sur le thème de la mission, il a été possible d'avoir des conversations informelles mais significatives à ce sujet et de publier, en 1986, le Rapport sur le Dialogue catholique romain - évangélique sur la mission (ERCDOM). Ce rapport a été à l'origine de plusieurs dialogues locaux. Au niveau international également, le dialogue entre l'Alliance baptiste mondiale et l'Église catholique (1984-1988) était centré sur la mission et a produit un rapport intitulé «Appelés à rendre témoignage au Christ dans le monde d'aujourd'hui», Même avant cela, le dialogue international pentecôtiste - catholique qui avait commencé en 1972 est actuellement à sa cinquième phase et a publié quatre rapports; ses premières phases, en particulier, doivent être considérées comme faisant partie de la préhistoire du présent rapport.

Des contacts informels entre catholiques et évangéliques ont également commencé à avoir lieu aux niveaux national et local. Nous pensons par exemple au groupe des États-Unis qui, en 1994, a publié le rapport, «Évangéliques et catholiques ensemble. La mission chrétienne dans le troisième millénaire»; un autre rapport, «Le don du salut», est paru en 1998, et en 2002, «Ta parole est vérité», sur l'Ecriture et la tradition. Le projet continue avec une étude sur la communion des saints.

Le présent rapport doit donc être lu dans le contexte de qui sont les évangéliques et où ils se situent eux-mêmes aujourd'hui, en tenant compte du fait qu'ils ne trouveraient pas tous ce rapport ni ses implications acceptables; en même temps, il doit être lu à la lumière des relations de plus en plus fréquentes entre un certain nombre d'évangéliques, y compris quelques-uns parmi leurs principaux leaders et organisations, et l'Église catholique.

En raison de la longue et profonde séparation entre évangéliques et catholiques, ce rapport est sans aucun doute remarquable. Il représente rien moins qu'une redécouverte réciproque par des chrétiens séparés, une redécouverte rendue possible du fait que de part et d'autre on a commencé à apprécier la conviction profonde et la passion avec lesquelles ceux-ci croient à certaines vérités de la foi chrétienne exprimées dans les Évangiles et dans le symbole de Nicée, et qu'ils se sentent mandatés à proclamer toute la révélation de la vérité évangélique.

Une des surprises agréables des discussions de ERCDOM a été la mesure dans laquelle les participants ont pu faire ensemble certaines déclarations sur l'Église comme partie de l'Évangile et comme agent de l'Évangile [7]. Le présent rapport va encore plus loin, du fait que les participants au dialogue ont commencé à approfondir la question de la nature de l'Église. Compte tenu de nos histoires respectives, c'est presque plus que l'on pouvait espérer. Alors qu'il faut reconnaître que d'importantes divergences subsistent, il est à présent possible, à la lumière de ce rapport, d'espérer qu'en temps opportun un dialogue fécond pourra avoir lieu à leur sujet. C'est dans cette perspective qu'une évaluation de ce texte a été faite.

Ce n'est nullement dans le but de pousser à se hâter; la composition de l'Alliance évangélique mondiale est telle qu'il faudra inévitablement du temps avant d'ob­tenir des réactions et des critiques et pour assimiler ce rapport. La patience est une vertu œcuménique nécessaire, surtout dans un dialogue à la fois aussi délicat et aussi nécessaire que celui-là.

 

LE PRÉAMBULE

Le fait que le dialogue ait pu aborder directement le thème de l'Église dans un débat sur la koinonia/communion/fraternité, représente sans aucun doute un progrès. Le concept de communion, qui a pris une nouvelle importance dans l'Église catholique à la suite du Concile Vatican Il, a été une des principales contributions catholiques au mouvement œcuménique, tant à travers le net engagement des catholiques dans le travail de la Commission Foi et Constitution du Conseil œcuménique des Églises, qu'en raison de l'implication catholique très étendue dans le dialogue bilatéral avec la plupart des Communions chrétiennes mondiales. Ce concept a permis à bon nombre de confessions chrétiennes de réexaminer la nature et la nécessité de l'Église. C'est le cas du présent dialogue. Il se peut qu'à la longue la croissante conscience ecclésiale de nombreux évangéliques sera la même que le souci de l'Église catholique pour qui le but de l'œcuménisme ne devrait être rien moins que la pleine unité dans la foi, la vie sacramentelle et le gouvernement d'une unique Église visible.

Le préambule du rapport indique que des facteurs culturels et politiques ont joué un rôle en permettant, tout d'abord, à catholiques et évangéliques de se connaître; d'importants événements, tels que le Concile Vatican Il pour les catholiques, et pour les évangéliques la Conférence de Lausanne et ensuite d'autres conférences internationales analogues, ont donné naissance à de nouveaux comportements et, dans de nombreuses situations locales, à de nouvelles formes de collaboration.

Le rapport aurait pu également observer qu'avec la connaissance réciproque, catholiques et évangéliques se sont aperçu qu'ils partageaient, d'une façon dont on trouve difficilement l'équivalent dans les relations avec beaucoup d'autres Eglises qui participent au mouvement œcuménique, un souci commun pour la transmission fidèle de la foi révélée dans un enseignement orthodoxe et pour un ferme soutien des principes moraux fondés sur l'Évangile. Sans doute, des positions et des pratiques théologiques fondamentales et distinctes continuent d'être des sources de division. Cela n'a toutefois pas empêché le développement d'un nouveau sentiment de solidarité théologique dans la foi parmi les évangéliques, au point que certains d'entre eux, y compris quelques participants à ce dialogue, n'hésitent pas à parler d'un «nouvel œcuménisme» qui est proposé comme moyen de re­découvrir la méthode œcuménique classique [8].

Ce sentiment s'est accentué, surtout dans l'actuelle situation culturelle de l'Occident, où chaque jour ap­porte de nouvelles preuves de l'emprise de l'incrédulité séculière sur la société. Selon sa doctrine sociale et morale et sa spiritualité authentiquement universelle, l'Église catholique a une tradition qui lui fait aimer le monde, mais sans jamais se fier totalement à lui. Parmi les héritiers de la Réforme, les évangéliques, par profession, ont fermement résisté à l'esprit du temps, vigilants devant le danger d'érosion du dépôt de la foi; cela s'est accompagné d'une nette évaluation de l'Écriture et d'un intérêt renouvelé pour les anciens credo de l'Église. Alors que l'Église catholique n'a aucune intention de renoncer à ses engagements œcuméniques envers une série de partenaires, sa position dans les sociétés séculières crée un lien particulier avec les autres chrétiens qui poursuivent avec zèle un œcuménisme entièrement basé sur la vérité chrétienne, qui exclut tout compromis et ne peut se réduire à une compétence de négociateurs et de gestionnaires, ni à l'action politique.

 

 

PREMIÈRE PARTIE
«CATHOLIQUES, ÉVANGÉLIQUES ET KOINONIA»

 

Le statut du rapport

Il est très utile que le statut de ce rapport ait été énoncé aussi clairement et aussi brièvement. Alors qu'il était Président du Conseil Pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens, le Cardinal Johannes Willebrands faisait remarquer que les commissions de dialogue, «même celles qui sont officiellement établies, ne sont pas des organismes du magistère et qu'une déclaration de leur part n'a pas l'autorité du magistère de l'Église». Leurs conclusions «n'engagent que la responsabilité de ceux qui les ont formulées. Le fait d'être publiées ne change rien à leur nature ni à leur autorité, même si leur publication est approuvée par le Conseil Pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens» [9].

 

A. Koinonia

Il y a plus d'un quart de siècle, le Cardinal Johannes Willebrands avait suggéré que «l'approfondissement d'une ecclésiologie de communion offre peut-être les plus grandes possibilités à l'œcuménisme de demain» [10]. C'était exact, puisque le concept de communion ou koinonia a permis de faire des progrès dans la compréhension théologique et même un certain degré d'accord dans de nombreux dialogues bilatéraux auxquels participe l'Église catholique.

Il y a longtemps, Origène écrivait: «L'Église est pleine de la Trinité» [11]. La notion de koinonia ou communion commence avec la communion qui est l'essence de Dieu, la vie partagée du Père, du Fils et de l'Esprit­Saint, une communion d'une telle profondeur qu'elle échappe à la compréhension de l'intellect humain.

Sur cette base, un document publié en 1990 par le Groupe mixte de travail entre l'Église catholique et le Conseil œcuménique des Églises déclare: «L'Église est l'icône de la Trinité, et la Trinité est le principe intérieur de la communion ecclésiale. De la résurrection à la parousie, la communion est voulue par le Père, réalisée dans le Fils, et produite par l'Esprit dans et à travers une communauté. Toute communauté chrétienne authentique participe à cette communion et fait partie du mystère de Dieu révélé dans le Christ et l'Esprit. Ainsi, la réalité eschatologique est déjà présente, et la communion ecclésiale exprime la communion de l'Esprit-Saint. En même temps, l'Église possède un dynamisme intérieur tendant vers cette unité qui réside dans l'Esprit-Saint. Selon les paroles de saint Cyprien: L'Église est un peuple qui tire son unité de l'unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit» [12].

Il s'agit d'un concept profondément spirituel, mais cette koinonia ou communion est toujours sur le modèle du Fils de Dieu fait homme. Le cœur de la réalité divine est toujours exprimé dans une forme visible. Dans la doctrine catholique, c'est une «communio hierarchica». Il n'y a pas d'autre Église que l'Église institutionnelle, c'est-à-dire l'Église qui reflète la divinité et l'humanité de son Seigneur. C'est nécessairement implicite lorsqu'il est dit que l'Église est koinonia/communion. C'est pourquoi l'étude du Groupe mixte de travail déclare que «le don de la communion de la part de Dieu n'est pas une réalité amorphe, mais une unité organique qui nécessite une expression de forme canonique» [13]. On a fait remarquer en outre que «les éléments ecclésiaux requis pour la pleine communion au sein d'une Église visiblement unie - objectif du mouvement œcuménique - sont la communion dans la plénitude de la foi apostolique, dans la vie sacramentelle, dans un ministère véritablement unique et mutuellement reconnu, dans des structures de relations et de prises de décision conciliaires, et dans un témoignage et un service communs dans le monde» [14].

En raison de cette compréhension catholique, et de plus en plus œcuménique, de la koinonia/communion, il est à présent possible de voir de plus près ce que dit le rapport à ce sujet. Tout d'abord, évidemment, il est significatif que l'on puisse en parler; ce n'est pas un concept que l'on aborde facilement dans les propos des évangéliques sur l'Église, même de la part d' œcuménistes évangéliques expérimentés qui ont une attitude bienveillante à l'égard de l'Église catholique [15]. En fait, le rapport mentionne un certain nombre d'éléments qui constituent la communion, et cela est important. Il ne parvient toutefois pas à les expliciter de façon cohérente et logique. L'usage du terme koinonia dans le Nouveau Testament (1-9) est examiné de manière limitée. On se réfère aux racines de la koinonia dans la vie divine (2, 4) et une référence est faite à la Trinité (2). Quelques-uns des témoignages bibliques sont interprétés différemment par les partenaires du dialogue. Pour les catholiques le terme koinonia contient plus de connotations sacramentelles (6, 8) que ce qui est reflété dans le terme communauté, qui est préféré par les évangéliques. Un dialogue futur qui reprendrait le thème de l'Église pourrait continuer d'étudier ces points en examinant de manière approfondie la nature trinitaire de l'Église comme communion. La notion catholique de l'Église comme sacrement est reprise plus tard au n° 38. Mais un futur dialogue pourrait poursuivre la réflexion sur l'Église en allant plus à fond dans ce thème également. Cela pourrait introduire d'autres thèmes, tels que la question de savoir pourquoi l'Église est nécessaire et quel est son rôle dans la médiation du salut.

Non pas que des évangéliques ne puissent le faire. Au cours du dialogue informel en Amérique, «Évangéliques et catholiques ensemble», un rapport récent a pu parler de leur souci commun concernant la sainteté et a déclaré: «La sainteté c'est être en communion, c'est-à-dire en communion avec le Père, le Fils et l'Esprit-Saint demeurant ensemble dans l'amour». Les participants ont pu alors continuer en parlant de l'Église comme «signe et instrument de la grâce, institué par l'unique médiateur entre Dieu et l'homme, Jésus Christ, et transmettant sa grâce au monde par l'Évangile. Nous sommes d'accord pour dire qu'il n'y a pas de salut en dehors de l'Église, car être lié au Christ c'est être lié, pleinement ou partiellement, à l'Église qui est son corps. «Tous ceux qui sont personnellement unis au Christ par la foi appartiennent à ce corps et ils sont unis par l'Esprit à tous les autres véritables croyants en Jésus» (Congrès d'Amsterdam, 2000)» [16].

Ce qui est dit sur la koinonia dans cette section met l'accent sur la communion de l'ensemble des croyants, et non simplement celle d'une personne individuelle, avec le Christ (1, 2, 3, 4, 7). Sur ce point, catholiques et évangéliques se trouvent d'accord. Mais l'expression commune utilisée ici est importante, car le Rapport ERCDOM avait observé que «les évangéliques, en raison de leur insistance sur la valeur de l'individu, ont traditionnellement négligé la doctrine de l'Église» [17].

Les catholiques peuvent certainement se réjouir avec les évangéliques en reconnaissant que dans l'Église les rapports entre les membres sont basés sur le rapport avec les personnes divines de la Trinité. C'est un rapport mystique, une certaine communion dans la nature divine, sans que le participant ne devienne Dieu, qui est le fruit de la grâce rédemptrice. Quatre-vingt catholiques et évangéliques l'affirmeraient, avec des accents différents. Cette union transformatrice d'un être humain en la nature divine est une nouvelle création qui le conduit à sa perfection dans le Règne futur. Quelques-uns de ces éléments sont présents dans le rapport, mais celui-ci ne parvient toutefois pas à une description complète de la communion de l'Église. Pas plus qu'il ne devient possible de parler de l'Église comme mystère, qui serait le résultat logique de ce qui commence à être dit sur la notion de koinonia. Les catholiques ont un sens très marqué de la koinonia comme participation à la vie et à la nature divines (5) [18]. Il est dit, très justement (6), que pour les catholiques la koinonia a des connotations sacramentelles, mais on a manqué l'occasion de dire que c'est précisément ce qui est affirmé de l'Église elle-même comme mystère et communion; c'est dans le contexte de l'Église comme sacrement universel de salut que les catholiques comprennent et utilisent les sept sacrements.

Ainsi, le fait d'avoir pu aborder la notion de koinonia/communion n'est qu'un premier pas. Le rapport aurait peut-être pu faire théologiquement un pas de plus si le débat avait pris comme point de départ un thème tel que le salut (dans une de ses discussions, le dialogue américain «Évangéliques et catholiques ensemble», est passé de la justification par la foi à l'Eglise comme pilier et fondement de la vérité), ou l'Écriture et la Tradition, avant d'aborder la discussion sur l'Église. On peut trouver quelques allusions à une telle possibilité dans ce qui est dit au point 8, encore qu'on eût espéré, à la lumière du dialogue international luthérien - catholique et de ce qui est dit dans le Catéchisme de l'Église catholique [19], qu'à cette occasion on aurait dit quelque chose de plus.

 

B. Nos compréhensions respectives de l'Église et des autres chrétiens

Bien que dans cette section l'accent soit mis sur de «récents développements », un point faible, du côté catholique (10, 11), est de mentionner les développements dus au Concile Vatican II sans aucune allusion au fait qu'ils ont leurs racines dans la tradition de l'Église, de sorte que l'on pourrait se demander si le Concile fut une rupture avec le passé. C'est regrettable car l'herméneutique de la discontinuité appliquée par certains aux documents de Vatican II ne contribue pas à un œcuménisme authentique [20].

Ici aussi, il y a lieu de se demander si la «reconnaissance» est réciproque. Pour les catholiques, elle comporte une certaine reconnaissance d'autres «communautés» chrétiennes. Les évangéliques «reconnaissent la présence de vrais croyants parmi les catholiques», mais on ne voit pas clairement s'ils étendent cette reconnaissance à l'Église catholique comme telle. Cela a des implications très pratiques qu'il serait utile d'examiner lorsque sera soulevée la question du prosélytisme.

Le contenu de la section «Vues catholiques» est important pour la compréhension catholique de l'Église et pour les principes catholiques de l'œcuménisme. Tout d'abord le titre «Vues catholiques» est faible et induit en erreur. Il s'agit de doctrine catholique appartenant à la tradition, résumée dans Vatican II, confirmée et expliquée depuis lors par les papes et par l'enseignement synodal comme faisant partie du magistère ordinaire de l'Église. Les citations de Vatican II exposent les affirmations de l'Église catholique concernant son caractère unique comme Église, mais cela exige d'autres explications afin d'éviter toute surprise et déception ultérieures. Après tout, les évangéliques font des affirmations nettes et claires sur leur position, et c'est ce qui donne au dialogue ses perspectives et son intérêt. C'est pourquoi il eut été utile d'expliquer de manière un peu plus exhaustive que, lorsque le Concile déclarait que «l'unique Église du Christ subsiste dans l'Église catholique», c'était à la fois une affirmation de l'Église catholique pour elle-même et la reconnaissance que des éléments de l'Église peuvent se trouver dans d'autres communautés chrétiennes, et que ces communautés peuvent être en communion réelle bien qu'imparfaite avec l'Église catholique.

Depuis Vatican II l'Église a continué de dire clairement que s'il est vrai que certains éléments de l'Église existent dans d'autres communautés chrétiennes, par quoi leurs membres sont en une certaine communion, bien qu'imparfaite, avec l'Église catholique, l'Église du Christ a sa subsistance dans l'Église catholique et ne peut subsister en aucun autre lieu. Dans ce sens, l'unique Église catholique est l'Église Une. C'est pourquoi l'Église est toujours la question au centre des rapports entre l'Église catholique et les Églises issues de la tradition réformée.

Il est très bien dit que l'Écriture et le baptême créent des liens de communion entre catholiques et évangéliques (15). Par souci de franchise et dans l'intérêt de relations durables, le point 3 du Décret sur l'œcuménisme a été précédemment cité pour rappeler que si la plénitude des dons du Christ à son Église est absente dans une communauté ecclésiale particulière, la communion de cette communauté avec l'Église catholique est par conséquent imparfaite. Alors que l'affirmation: «le degré de communion ne peut pas se mesurer seulement par des moyens extérieurs et visibles, car la communion dépend de la réalité de la vie dans l'Esprit» (16), est une doctrine catholique authentique, il est clair que la vie dans l'Esprit est transmise par des dons, y compris l'Église, accordés par le Christ et qui sont nécessairement extérieurs et visibles.

Dans la description des «Vues évangéliques», on voit autant l'espoir et les promesses que les difficultés du dialogue. Il est précisé que pour les évangéliques, l'Église est une conséquence du rapport établi entre chaque croyant et Dieu. Ce qui compte est le lien personnel qui est la vie de l'Esprit découlant de l'union avec le Christ. Cela peut se manifester aussi bien «entre Églises et confessions organisées que parmi les nombreuses initiatives transconfessionnelles créées en coopération par des chrétiens» (17). J.I. Packer suggère que l'accent mis par les évangéliques sur la centralité du salut «a conduit à une habitude théologique centrée sur l'homme, qui met les êtres humains et leurs besoins au centre, pour ainsi dire, et fait intervenir le Père, le Fils et l'Esprit-Saint uniquement en raison de leur rôle salvifique». Ce qui veut dire ramener la Trinité à un concept théologique et «considérer alors l'Église comme un organisme de soutien de la vie spirituelle» [21].

C'est beaucoup moins que n'a su dire ERCDOM en reconnaissant que «le dessein rédempteur de Dieu a été depuis le commencement d'appeler un peuple à lui». «La Bonne Nouvelle englobe le dessein de Dieu de créer pour lui-même, par le Christ, un peuple nouveau, sauvé, uni, qui sera le sien ... :L'Église comme corps du Christ fait partie de l'Évangile». Cette Église est un «signe de la puissance et de la présence de Jésus», «une incarnation de l'Évangile», «un agent de l'Évangile»."

Étant donné l'accord limité sur la nature de l'Église et les hésitations du rapport pour expliquer plus nettement cette limitation, il est inévitable que dire «ce que chacun de nous reconnaît dans l'autre» (20-21) n'est nullement satisfaisant. En fait, c'est une énumération de certains éléments ecclésiaux (vestigia ecclesiae) qu'évangéliques et catholiques ont en commun. Compte tenu du genre de séparation qui a existé entre catholiques et évangéliques, le fait d'avoir pu dresser cette liste n'est pas un moindre exploit. Il reste néanmoins qu'en raison de la compréhension limitée de la koinonia manifestée dans le rapport, et par conséquent de ce qu'est l'Église, «une reconnaissance accrue du statut ecclésial des autres communautés chrétiennes» (21) ne donnera inévitablement aucun résultat ecclésiologique substantiel

Il reste beaucoup à faire pour exposer systématiquement une compréhension de l'Église qui ait une réelle dimension communautaire si l'on veut que catholiques et évangéliques puissent passer «à une union vécue entre nous» (22). En fait, une certaine reconnaissance mutuelle et une certaine coopération sont possibles à partir des éléments indiqués, et cela est généreusement affirmé; mais on remarquera que ces éléments sont loin d'être les constituants nécessaires pour une réalité ecclésiale adéquate. On reste sur l'impression que l'identification affirmée «de la koinonia avec la vie de la Trinité dont jouissent nos deux communautés» (22) est basée sur une compréhension évangélique plutôt que sur une compréhension qui reconnaîtrait l'Église uniquement comme signe et instrument de salut, ce qui est pertinemment catholique. Lorsqu'un accord théologique est établi au plus petit commun dénominateur, la déclaration qui en résulte semble exclure toute ultérieure déclaration plus adéquate qu'exigerait la croyance catholique.

 

C. Quelques dimensions de l'Église

Toutes les promesses de ce dialogue sont contenues dans l'affirmation commune sur l'Église à partir des textes du Nouveau Testament (23). Cependant, quelque chose doit être dit, à présent ou un peu plus tard, sur la compréhension catholique du rôle de l'apôtre et, par conséquent, de l'évêque local, y compris sa responsabilité envers toute l'Église. Dans sa personne l'apôtre était l'expression de l'Eglise universelle et un missionnaire de l'Église tout entière. Comme successeur des apôtres, et parce que l'Église est apostolique, la charge pastorale de l'évêque va au-delà de l'église particulière. Dans sa fonction apostolique, l'évêque représente l'Église universelle dans l'église locale de même qu'il maintient l'église locale en rapport avec toute l'Église. Il est important de préciser que tandis que l'évêque est au service de l'unité de son diocèse, la communion des évêques garantit l'unité de l'Église catholique. Cette conception a son origine dans la compréhension catholique de la koinonia/communion.

Dans la ligne des convictions catholiques sur la manière dont l'Esprit-Saint est à l'origine de développements significatifs dans l'Église primitive (25), un dialogue ultérieur pourrait aborder la question de la primauté de Pierre dans le Nouveau Testament. Cela nous mène directement à ce qu'affirme l'Église de Rome lorsqu'elle dit être dans la succession de cette primauté, que la primauté est le critère de la foi apostolique authentique, et que son rôle dans la formation de la tradition est déterminant pour la genèse du Nouveau Testament en tant que Bible. C'est le fondement de «la reconnaissance graduelle de la direction effective de toute l'Église par l'évêque de Rome» (25). Selon la doctrine de la foi catholique le ministère pétrinien occupe une place essentielle dans les mystères salvifiques du Christ et dans l'édification de l'Église. Les évangéliques ont exprimé la conviction contraire, selon laquelle la koinonia peut être extériorisée de manière acceptable dans une variété de structures ecclésiales créées pour des raisons historiques ou pragmatiques (26). Dans leur perspective, l'universalité devient une «communauté universelle» qui peut se concrétiser dans des «réseaux lâches, formés d'associations mondiales» (28). Il s'ensuit qu'étant donné que l'Église n'a pas de dimension sacramentelle, son gouvernement et son ministère n'en ont pas non plus. La koinonia, qui est participation à la vie trinitaire, n'a pas de manifestation ecclésiale incarnée. Dans cette compréhension évangélique, l'Église est l'assemblée de ceux qui sont déjà en communion personnelle avec Dieu [23], tandis que pour les catholiques, c'est dans l'Église que l'on participe à cette communion.

En parlant de l'Église, locale et universelle, les catholiques indiquent en termes sacramentels les liens de communion qui unissent ces différents niveaux de la vie de l'Église (29). Ce point est ultérieurement développé (31) avec la description contenue dans la Constitution sur l'Église de Vatican II, qui parle de l'interprétation de l'universel et du local dans la nature de l'Eglise. Chaque Église individuelle ou particulière est formée sur le modèle de l'Église universelle, et c'est «dans toutes ces Églises particulières et par elles qu'est constituée l'Église catholique, une et unique» [24]. Le rapport de l'Église locale avec l'Église universelle est un rapport «d'intériorité mutuelle avec le tout, c'est-à-dire avec l'Église universelle» [25]. Toutefois, au n. 29 où il est dit que «les catholiques parlent de l'Église universelle, ainsi que de l'Église régionale, comme d'une communion d'Églises particulières sous la direction de leurs évêques respectifs et en communion avec l'évêque de Rome», aucune explication n'est malheureusement fournie sur ce que l'on entend par «Église régionale». S'agit-il de la conférence épiscopale nationale ou d'une conférence épiscopale régionale? Dans ce cas, il serait nécessaire de dire un mot sur la signification ecclésiale de cette expression.

Une question doit être posée concernant la façon dont est présentée la déclaration selon laquelle «l'Église du Christ ne s'identifie pas exclusivement avec l'Église catholique», avec une référence entre parenthèses à la Constitution sur l'Église, 8, de Vatican II (29). Toutefois, la Constitution dit beaucoup plus que ne le fait l'audacieuse déclaration contenue dans le rapport lui-même (12). Une référence au point 12 du rapport devrait au moins être faite afin d'écarter tout malentendu. Il est vrai qu'on y indique que certains éléments de l'Église peuvent exister «hors de cet ensemble» visible qui est l'Église catholique. Ce n'est pas correct de donner la simple impression «que le Concile, en déclarant que l'Église du Christ 'subsiste' dans l'Église catholique, laissait entendre que celle-là est plus grande et plus globale que celle-ci» [26].

La section sur les convergences et les différences entre catholiques et évangéliques concernant leur compréhension de l'Église est potentiellement significative. On y souligne une nette volonté des participants au dialogue en faveur d'une reconnaissance mutuelle et de quelques expressions pratiques de celle-ci dans la prière et la collaboration. On aurait cependant préféré une formulation plus directe de l'important sujet qui est en jeu. Pour les évangéliques, dans ce dialogue l'Église est d'abord une communauté invisible et elle l'est essentiellement dans sa dimension universelle; elle n'est visible que dans les Églises locales avec leurs «manifestations structurelles et organisationnelles visibles» dans l'histoire (34). L'Eglise catholique affirme que par sa nature elle est à la fois invisible et visible dans le dessein et le don de Dieu. Par conséquent, pour les catholiques, «universel» signifie essentiellement quelque chose de plus que ce qu'indiquent les évangéliques, pour qui des «congrégations peuvent chercher à s'unir en fédérations et en alliances comme moyens d'expression de l'universalité de la nature et de la mission de l'Église» (33).

On aurait pu s'attendre, dans cette section, à trouver quelque mention de l'Église comme koinonia/communion: Est-ce une indication du fait que les participants évangéliques ne se sentaient pas suffisamment a l'aise avec ce concept? L'ecclésiologie catholique souligne que la structure et la communauté invisible sont inséparables. Peut-être eut-il été préférable d'intégrer cette section dans celle qui suit, sur «le personnel et l'institutionnel dans la koinonia». On aurait pu nuancer la déclaration selon laquelle catholiques et évangéliques, nous «affirmons tous que l'ordre et la discipline forment le cadre de la communion ecclésiale». Telle qu'elle est formulée, elle est suffisamment exacte, sauf que pour les catholiques, elle doit avoir un poids et une signification différents de ce qu'elle a pour les évangéliques. En fait, cela est expliqué en partie dans les paragraphes (38) et (39).

En outre, lors de l'examen de l'aspect personnel et institutionnel de la koinonia par les partenaires du dialogue, les catholiques ont illustré l'évolution, de Vatican I à Vatican II, d'une ecclésiologie plus collégiale. Alors que Vatican I parlait de la juridiction exercée par le pape sur les autres évêques, Vatican II précise cette doctrine antérieure en disant que les évêques doivent être en 'communion hiérarchique' avec le pape afin d'exercer leur devoir qui est d'enseigner [27] et de garder leurs troupeaux (LG 22, CD 5). Le commentaire catholique l'explique en disant que ce concept de «communion hiérarchique» n'élimine pas l'aspect juridique mais requiert que le gouvernement s'exerce par le dialogue et le consensus plutôt que par le commandement. Toutefois, la question est de savoir si l'expression «par le dialogue et le consensus plutôt que par le commandement» reflète correctement non seulement l'autorité des évêques [28], mais également l'autorité déterminante du pape dans le cadre de la communion universelle. Les termes «consensus plutôt que commandement» sont-ils suffisamment clairs pour l'expliquer convenablement?

La présentation évangélique de cette même question (40) montre des divergences de vues concernant l'importance de l'aspect institutionnel de l'Église, bien qu'il soit dit que «la plupart des évangéliques ... soulignent la dimension institutionnelle de la vie ecclésiale». Néanmoins, même avec une certaine convergence sur ce point, l'aspect institutionnel et son rapport avec l'être même de l'Église sera l'une des questions ecclésiologiques qui devraient être réexaminées dans un futur dialogue.

Il est dit très justement qu'un esprit de metanoia est nécessaire pour étudier les questions qui subsistent entre catholiques et évangéliques (44) et leur faire face, et que dès à présent, une expression pratique de l'unité qui existe déjà devrait être manifestée et approfondie par la prière mutuelle.

 

 

DEUXIÈME PARTIE
«CATHOLIQUES, ÉVANGÉLIQUES ET ÉVANGÉLISATION À LA LUMIÈRE DE LA KOINONIA»

 

A. Nos vues respectives sur l'évangélisation et l'évangélisme

Il y a quelques années, un document du Conseil Pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens faisait remarquer que «la question de la mission, lorsque les chrétiens sont divisés, est souvent centrée sur des problèmes tels que le droit à la liberté religieuse, le droit d'évangéliser, le prosélytisme des uns au détriment des autres, ou la possibilité d'un témoignage commun rendu par des chrétiens séparés» [29]. C'est effectivement de cela que s'occupe le rapport ,de manière très adéquate, bien que la tentative méritoire de le faire «à la lumière de la koinonia» est moins convaincante étant donné les limitations de ce qu'il pouvait dire à ce sujet. Il y a en effet, comme les participants en conviendraient probablement, «un lien profond entre le Christ, l'Église et l'évangélisation» [30]. Le rapport a abordé ce point, mars il reste encore beaucoup à faire. En exposant la doctrine catholique sur la mission (49-51), il eut fallu dire beaucoup plus sur la conviction catholique que la mission comporte «[l']implantation et [le] développement de l'Église» [31], ce qui serait également un sujet d'intérêt pour les évangéliques, bien qu'exprimé de manière différente.

Il est curieux de voir que les «vues évangéliques» ne contiennent que de brèves références à la mission chrétienne comme étant enracinée «dans la mission du Dieu trin» (54). Ce point aurait sans doute pu être élaboré de commun accord avec profit et aurait même pu fournir un autre moyen d'accéder au concept de koinonia/communion. La compréhension catholique comporte le sentiment que la mission commence lorsque Dieu envoie son Fils dans le monde, et l'envoi de l'Esprit-Saint participe à l'envoi du Fils afin que Dieu soit présent dans le monde dans le nouvel ordre de salut, la communication de Dieu par lui-même dans l'histoire. Dans cette perspective, la mission est une initiative divine, «le dessein de Dieu pour l'univers» (54) auquel participent l'Église et les chrétiens. Cela s'accorde sans aucun doute avec la Déclaration de Lausanne des évangéliques, ainsi qu'avec la représentation d'Irénée, montrant le Fils et l'Esprit-Saint comme les deux mains du Père dans une image qui illustre la «mission conjointe» de l'Esprit et du Fils, tandis que le Pape Jean-Paul II parle de salut qui «consiste à croire et à accueillir le mystère du Père et de son amour, qui se manifeste et se donne en Jésus par l'Esprit» [32]. Nous devons donc dire que «la mission de l'Église, comme celle de Jésus, est l'œuvre de Dieu ou - comme le dit fréquemment Luc - l'œuvre de l'Esprit» [33].

Une allusion, mais très rapide, est faite à ce qui précède là où il est très justement dit que «le cœur de la mission de l'Esprit est la koinonia, une communion de personnes dans la communion de Dieu, Père, Fils et Esprit-Saint» (55). En suivant la pensée du pape Jean-Paul II, on aurait pu dire ensemble beaucoup plus sur le rapport étroit entre communion et mission. «Elles se compénètrent et s'impliquent mutuellement, au point que la communion représente la source et tout à la fois le fruit de la mission» [34]. La double mission du Fils et de l'Esprit-Saint est à l'œuvre dans l'Église en rassemblant toute la famille humaine dans la communauté qui participe à la communion entre le Père, le Fils et l'Esprit-Saint. «Le but dernier de la mission est de faire participer à la communion qui existe entre le Père et le Fils» [35]. La mission de l'Église est toujours «mission pour la communion» [36]. Dans l'Église «l'amour et la vie du Père, du Fils et de l'Esprit-Saint sont le don absolument gratuit offert à tous ceux qui sont nés de l'eau et de l'Esprit (cf. Jn 3, 5), appelés à vivre la communion même de Dieu, à la manifester et à la communiquer dans l'histoire» [37].

La mission conjointe du Fils et de l'Esprit continue dans l'organisme social qui est à la fois le corps ecclésial du Fils et le temple de l'Esprit. C'est dans ce sens que les catholiques représentent l'Église comme une sorte de sacrement, comme un signe et un instrument de la mission conjointe du Fils et de l'Esprit. Unie par l'Esprit, l'Église existe en annonçant l'œuvre du Fils et en lui rendant témoignage afin de diffuser partout le mystère de la participation à la vie trinitaire. C'est à partir de là que doit se poursuivre la discussion entre catholiques et évangéliques sur la koinonia/communion incarnée dans l'Église.

 

B. Anciennes tensions dans un nouveau contexte de koinonia

Des points de tension entre les catholiques et certains chrétiens, surtout les évangéliques, portaient sur la liberté religieuse et le prosélytisme, qui sont des problèmes liés entre eux. Ils doivent être abordés dans le contexte du vrai sens de l'évangélisation (sur laquelle le dialogue actuel pourrait travailler davantage) et de la possibilité d'un témoignage commun au Christ. Ce que le rapport suggère d'abord est une commune spiritualité de repentir pour les habitudes de l'esprit et du cœur qui sont à l'origine de divisions, une conversion morale, intellectuelle et religieuse dans notre approche de la vérité évangélique, et la volonté de cultiver l'engagement commun à proclamer l'Évangile, en complétant et en soutenant les efforts des uns et des autres (55-59).

Beaucoup de choses pleines de bon sens et très utiles sont dites concernant le prosélytisme ou «vol de brebis» confessionnel. Il est intéressant de noter que le premier document œcuménique important consacré à ce sujet délicat, rédigé avec une pleine participation catholique, a été produit par le Groupe mixte de travail entre l'Église catholique et le Conseil œcuménique des Églises en 1971. Une bonne partie de son contenu conserve sa validité et son importance. Une déclaration conjointe sur la coopération dans la mission, faite par le Groupe en 1980, contenait la décision de ne pas mentionner le prosélytisme d'une manière particulière, étant donné que le problème n'avait plus de caractère d'urgence; toutefois, le dernier document du Groupe mixte de travail, daté de 1995, avait pour titre «Le défi du prosélytisme et l'appel au témoignage commun». La difficulté demeure; aujourd'hui, elle est d'actualité par exemple dans certaines régions des États-Unis, ainsi que dans un certain nombre d'autres régions, de sorte que le présent rapport trouve une application pratique.

Une faiblesse que l'on rencontre dans certains comptes rendus sur le travail œcuménique est de ne pas tenir proprement compte du travail fait dans le passé à ce sujet. On peut voir aux points 61-69 que le présent rapport a tenu compte d'autres études sur le prosélytisme. On pense néanmoins que le traitement plutôt diffus du prosélytisme aurait tiré profit d'une comparaison avec le document de 1971 du Groupe mixte de travail, avant d'être mis dans sa forme définitive.

Bien que l'idée maîtresse du débat soit d'explorer et de mettre en question la notion de prosélytisme, il doit être dit clairement que pour des raisons œcuméniques il n'y a aucun contraste entre l'œcuménisme et l'admission à la pleine communion de ceux qui le demandent en toute conscience. Comme l'a déclaré le Concile Vatican II, «il est évident que l'œuvre de préparation et de réconciliation des personnes individuelles qui désirent la pleine communion avec l'Église catholique, se distingue, par sa nature, du dessein œcuménique; mais il n'y a, entre elles, aucune opposition puisque l'une et l'autre procèdent d'une disposition admirable de Dieu» [38].

La question réellement controversée dans le débat sur le prosélytisme est en premier lieu la nécessité d'exclure toute forme indigne ou mensongère de persuasion visant à induire d'autres chrétiens à changer leur appartenance confessionnelle. Ainsi, le rapport fait très bien remarquer que «si un chrétien, après avoir entendu une présentation de l'Évangile faite de manière responsable, choisit librement d'adhérer à une autre communauté chrétienne» (63), cela ne peut pas être taxé de prosélytisme. Cette section du rapport sur le prosélytisme est très bien faite.

Toutefois, le rapport a perdu une occasion en ne parlant pas du dialogue sur la mission. Il est vrai que le sujet a été traité de façon plus approfondie dans l'Eglise catholique. Il n'est cependant pas étranger à la réflexion évangélique sur la mission. Tout comme les catholiques, les évangéliques doivent relever le défi d'une juste relation entre dialogue et proclamation dans la mission. Les catholiques reconnaissent plus facilement l'existence de cette relation; en outre, les principes sous-jacents ont été traités dans l'enseignement catholique officiel et sont très bien synthétisés dans le document publié par la Congrégation pour l'évangélisation des peuples et par le Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux [39]. Il est moins facile d'appliquer ces principes, comme l'ont montré quelques-unes des plus récentes sessions régionales extraordinaires du Synode romain des évêques. L'attitude de la personne qui proclame l'Évangile doit tendre à s'efforcer de comprendre les aspirations religieuses de ceux à qui la mission s'adresse et en même temps d'être prêt à partager des idées religieuses avec eux sans être tenté de remplacer la proclamation de Jésus Christ comme seul et unique Sauveur par le dialogue tout simplement. Les évangéliques seraient pleinement d'accord avec l'enseignement catholique pour dire que la proclamation doit être maintenue au cœur même de la mission. Il semblerait que sur ce point catholiques et évangéliques pourraient travailler ensemble pour approfondir leur compréhension de la question et promouvoir l'interaction entre dialogue et proclamation comme étant l'un et l'autre nécessaires à la mission chrétienne.

La section du rapport sur le sens de la conversion commence par un retour à la notion de koinonia (71- 73). On discute sur l'importante question des relations des «chrétiens des Églises établies avec les autres chrétiens» en matière de droits civils, qui est une question œcuménique du moment. Et le rapport se sert de la phrase suivante: «Les évangéliques croient que leur Église est catholique et ... les catholiques croient que leur Église est évangélique», qui indique que sur ces termes une certaine base commune a été trouvée. Mais du fait que de chaque côté on comprend les termes catholique et évangélique de façon différente, ce point devra également être traité dans la poursuite du dialogue.

La section sur la liberté religieuse (72-77) contient des points importants. La position actuelle de l'Église catholique et des évangéliques est très bien exposée à partir des principales déclarations faites de part et d'autre. Il est frappant que les évangéliques trouvent leur position très bien exposée dans certaines parties du Décret sur la liberté religieuse de Vatican II. On y voit un accord essentiel sur la foi basé sur la liberté religieuse (77). S'il est vrai que «sur cette position, évangéliques et catholiques romains diffèrent quelque peu dans le raisonnement théologique et anthropologique» (78), il s'agit d'une différence dans l'approche du problème plutôt qu'une question de division des positions.

Il est regrettable que le paragraphe 74 ne reflète pas le traitement plus substantiel de la liberté religieuse contenu dans les sources citées et qu'il donne l'impression que la liberté religieuse est simplement la principale valeur que l'on doit rechercher. Compte tenu de la complexité de la question, il est peut-être ambigu d'affirmer «le droit des personnes d'adopter ou de changer librement leur communauté religieuse sans aucune contrainte», à moins d'ajouter une explication qui tienne compte des affirmations concernant la vérité révélée et d'une conscience informée.

On a manqué l'occasion de parler de la persécution des chrétiens dans plusieurs régions du monde. Catholiques et évangéliques ont l'opportunité de faire ensemble des démarches auprès des gouvernements et des organisations internationales en faveur du droit fondamental à la liberté religieuse. Le pape Jean-Paul Il a observé que les chrétiens divisés se trouvent déjà en communion dans le martyre. «Bien que de manière invisible, la communion encore imparfaite de nos communautés est en vérité solidement soudée par la pleine communion des saints» [40]. Le témoignage sacrificiel des chrétiens de diverses confessions face aux persécutions est un terrain sur lequel les chrétiens peuvent parvenir à s'entendre et à rendre ensemble témoignage au Christ.

Le rapport accepte «la perspective de notre témoignage commun» (79-81) comme un espoir et un défi. Il pourrait difficilement faire moins, car c'est ce qui a été fait de manière assez détaillée dans des dialogues moins officiels entre catholiques et évangéliques. Le sujet n'est qu'évoqué et il reste énormément à faire à ce propos au cours du présent dialogue. Un point de départ pourrait être évidemment le substantiel début que l'on trouve dans le rapport ERCDOM où un chapitre est consacré aux fondements d'un témoignage commun entre catholiques et évangéliques, avec des propositions pratiques et soigneusement élaborées pour les régions où ce témoignage est possible. Il fait également preuve de réalisme lorsqu'il observe que le témoignage commun dans l'évangélisation semble être prématuré, même si une proclamation commune a pu avoir lieu en certains endroits, parce que, comme le fait remarquer le rapport ERCDOM, les évangéliques affirment être «des gens de l'Évangile» mais, par implication, ils estiment souvent ne pas pouvoir en dire autant des catholiques dans leurs efforts d'évangélisation. En conscience, les catholiques ont à dire que «des aspects importants de l'Évangile» sont absents du message prêché par les évangéliques. Cela est dit bien qu'au cours de ce dialogue on ait découvert de réels points d'accord et la croissante conviction que «nous devons respecter mutuellement notre intégrité» [41].

 

CONCLUSION

Ce dialogue entre le Conseil Pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens et l'Alliance évangélique mondiale est en soi une réalisation d'une grande importance et le témoignage du développement d'une relation qui n'existait pas il y a vingt ans. Sa signification dépasse celle des rencontres précédentes et actuelles, moins officielles, entre catholiques et évangéliques, pour importantes qu'elles soient. S'il faut admettre que ce dialogue n'a pas encore réalisé la conviction et la cohérence théologique de quelques-unes de ces autres initiatives, un début sérieux et prometteur a été fait. Ce rapport est l'expression d'un travail qui progresse et sa signification est déjà considérable.

 

 

NOTES

 

[1] S. Exc. Mgr Basil Meeking, Évêque émérite de Christchurch (Nouvelle-Zélande), a travaillé au CPPUC de 1970 à 1987. Il a été le cosecrétaire catholique des Discussions catholiques-évangéliques qui ont produit le rapport «Le dialogue catholique romain-évangélique sur la mission (ERCDOM)».

[2] Dialogue catholique romain/évangélique sur la mission (ERCDOM), A Report. Éd. Basil Meeking, John Stott (1986), p. 8.

[3] JAMES 1. PACKER, «A Stunted Ecclesiology?» dans Touchstone, septembre 2002, pp. 37-41. 4 ERCDOM, pp. 7-8.

[5] EBERHARD BETHGE, Dietrich Bonhoeffer (1970), p. 42.

[6] RICHARD JOHN NEUHAUS, «Evangelicals and Catholics together: Towards a Common Mission» dans First Things, octobre 1994, pp. 191-192.

[7] ERCDOM, pp. 63-68.

[8] THOMAS ODEN, The Rebirth of Orthodoxy (2003), ch. 5 & II. 
Voir également CHRISTOPHER R. SEITZ, Nicene Christianity: The Future for a New Ecumenism (2001).

[9] Cardinal JOHANNES WILLEBRANDS, «Discours d'ouverture de l'As­semblée plénière du Conseil Pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens» (1973) dans Service d'information 23 (1974), p.S.

[10] Cardinal JOHANNES WILLEBRANDS, «The Future of Ecumenism. dans One in Christ, 11 (1975), p. 303.

[11] ORIGÈNE, Extraits sur les Psaumes 32, 1.

[12] GROUPE MIXTE DE TRAVAIL ENTRE L'ÉGLISE CATHOLIQUE ET LE CONSEIL ŒCUMÉNIQUE DES ÉGLISES, «L'Église: locale et universelle» (1990), 1.

[13] Ibid., 42.

[14] Ibid., 25.

[15] On pense aux écrits actuels de James I. Packer et Thomas Oden.

[16] «Evangelicals Together: The Communion of Saints» dans First Things, mars 2003, pp. 28, 30.

[17] ERCDOM, p. 25.

[18] Catéchisme de l'Église catholique (1997), 1997, 1999.

[19] Ibid., 1987-1995. Voir également le commentaire du Cardinal Walter Kasper: «Enthusiasm for Ecumenism» dans Priests and People, janvier 2003, pp. 7, 3.

[20] Cardinal Avery Dulles, «Vatican II: The Myth and the Reality», America, 24 février 2003, p. 8.

[21] JAMES 1. PACKER, A Stunted Ecclesiology? dans Touchstone, septembre 2002, p. 40.

[22] ERCDOM, pp. 65-68.

[23] JAMES I. PACKER, op. cit., p. 40.

[24] VATICAN II: Lumen Gentium 23.

[25] CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, «Sur quelques aspects de l'Église comme communion» (1992) 9.

[26] Cardinal AVERY DULLES, op. cit., p. 10.

[27] Code de Droit canon 91983, canon 129.

[28] Cf. VATICAN II, Lumen Gentium 27.

[29] Service d'information 101 (1999), p.174.

[30] JEAN-PAUL II, Redemptoris Missio (1990) 19.

[31] Ibid., 49.

[32] Ibid., 12.

[33] Ibid., 24.

[34] JEAN-PAUL II, Christifideles Laici (1988), 32.

[35] JEAN-PAUL II, Redemptoris Missio, 23.

[36] JEAN-PAUL II, Christifideles Laici, 32.

[37] Ibid., 8.

[38] VATICAN II, Unitatis Redintegratio 4.

[39] CONSEIL PONTIFICAL POUR LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX - CONGRÉGATION POUR L'ÉVANGÉLISATION DES PEUPLES, Dialogue et proclamation (1991).

[40] JEAN-PAUL II, Ut unum sint (1995) 84. Voir également Cardinal Walter Kasper, op. cit., p. 2.

[41] ERCDOM, p. 89.