300e ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE JOHN WESLEY

HOMÉLIE DU CARDINAL WALTER KASPER

Église méthodiste de Ponte Sant’Angelo à Rome
22 juin 2003

 

C’est une grande joie pour moi d’être avec vous aujourd'hui, alors qu’avec les congrégations méthodistes du monde entier vous célébrez le 300e anniversaire de la naissance de John Wesley. Votre invitation à prêcher en cette occasion est un geste œcuménique généreux dont je vous suis très reconnaissant, et je voudrais remercier en particulier votre pasteur, le Rév. Pieter Bouman, et vous tous pour cet accueil chaleureux. J’ai aussi le plaisir et le privilège, ce matin, de vous transmettre les salutations et la bénédiction du Pape Jean-Paul II. Comme vous le savez, l’aspiration au rétablissement de la pleine communion parmi tous les chrétiens est un désir qu’il porte au plus profond de son cœur.

Il y a vingt ans, lorsque mon prédécesseur au Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens, le Cardinal Willebrands, a prononcé un discours à l’occasion du 500e anniversaire de la naissance de Martin Luther, il a cité saint Augustin sur la complexité de la personne humaine : « Grande profundum estipse homo » (la personne humaine est une grande profondeur). En fait, chaque être humain est un grand mystère, créé et soutenu par Dieu, dans un rapport avec Dieu dont nous ne pouvons comprendre la profondeur.

John Wesley était une figure complexe, et son rapport avec l'Église catholique, ainsi que l’idée qu’il en avait, étaient tout aussi complexes. Il était prêtre de l'Église d’Angleterre, encore que certaines décisions prises à la fin de sa vie anticipaient la séparation du méthodisme d’avec l’anglicanisme. Les relations actuelles entre méthodistes et catholiques ont été influencées par l’absence d’une séparation formelle entre nous, le méthodisme étant issu de la tradition anglicane ; nous ne gardons donc pas de pénibles mémoires de séparation. Alors que John Wesley considérait l'Église catholique romaine comme faisant partie de l'Église une, sainte catholique et apostolique, et qu’il reconnaissait que les catholiques pouvaient être sauvés par la foi, ses écrits et ses sermons contiennent des références hostiles au ‘papisme’ et aux ‘erreurs de l'Église de Rome’, qu’il exprimerait sans doute différemment s’il vivait aujourd'hui. Son commentaire de l’Apocalypse reflète une idée assez peu aimable de la papauté, au point qu’il est en quelque sorte osé de votre part de m’avoir invité ici aujourd'hui, et qu’il est peut-être tout aussi osé de ma part d’avoir accepté votre invitation ! Toutefois, la réponse catholique à Wesley et aux premiers méthodistes n’était pas meilleure et nous avons heureusement cessé de nous condamner les uns les autres.

La Lettre à un catholique romain de Wesley, écrite pendant la période des émeutes anti-méthodistes de Cork en 1749, était en quelque sorte une exception à tout cela. En effet, elle a été indiquée comme un classique œcuménique. Dans un plaidoyer pour une meilleure compréhension, Wesley expose les grandes lignes de ce qu’il considère comme étant les croyances essentielles d’un « christianisme primitif authentique », dont la plus grande partie pourrait aisément être souscrit par l'Église catholique. Il invite méthodistes et catholiques à « s’entraider en tout ce que, de commun accord, nous considérons comme conduisant au Royaume », et sa proposition est que « si nous ne pouvons pas, actuellement, penser de la même façon en toutes choses, nous pouvons au moins aimer de la même façon », et finalement, il exprime l’espoir qu’ils se rencontreront au paradis.

Une réflexion catholique sur John Wesley doit se débattre avec ses idées ambivalentes concernant l'Église catholique, mais elle ne peut se limiter à cela ; nous devons élargir notre champ de recherche, pour trouver ce qui a été le dynamisme du ministère de Wesley, la passion évangélique qui a orienté sa vie et le mouvement qu’il a créé. Nous le faisons d’ailleurs dans un nouveau contexte, avec un réexamen de la vie et du ministère de John Wesley à partir d’un point de départ très différent. À la suite de l’expérience et des rapports positifs des observateurs méthodistes au deuxième Concile du Vatican, un dialogue s’est instauré entre les Églises membres du Conseil méthodiste mondial et l'Église catholique. Nos 36 années de dialogue ont déjà porté beaucoup de fruits. Une réelle amitié est née entre nous, non seulement au niveau du dialogue officiel, mais également dans de nombreux contextes locaux où méthodistes et catholiques se considèrent comme des partenaires œcuméniques conscients de leur devoir de faire progresser leurs rapports et d’offrir un témoignage commun. L’hostilité appartient au passé et nous nous considérons désormais les uns et les autres comme frères et sœurs en Christ.

À présent, nous regardons John Wesley avec des yeux informés, tout au moins en partie, par notre dialogue et par l’expérience que nous avons du méthodisme aujourd'hui. Une étude récente sur John Wesley note qu’il a laissé une empreinte durable sur le méthodisme, plus ou moins comme Ignace de Loyola l’a laissée sur les futurs jésuites. De même, en continuant de chercher une inspiration et une orientation dans le ministère de John Wesley, nous pouvons essayer de voir et de trouver chez lui le zèle évangélique, la poursuite de la sainteté, la sollicitude envers les pauvres, les vertus et la bonté que nous avons appris à connaître et à respecter en vous. Pour toutes ces choses nous pouvons tous être profondément reconnaissants.

Les lectures de ce matin, en particulier le texte de la Deuxième Épître aux Corinthiens, nous fournit un cadre de réflexion sur la vocation de disciple, sur l’appel à diffuser l’Évangile de Jésus Christ et sur la vocation à la sainteté personnelle. De cette manière, nous pouvons faire le rapport avec la vie et le ministère de John Wesley et écouter quelques-unes de ses paroles qui résonnent encore en nous aujourd'hui.

Après un éloquent récit de ce que Paul et ses compagnons ont vécu et enduré pour apporter l’Évangile au peuple de Corinthe, l’apôtre remarque : « Nous nous sommes librement adressés à vous, Corinthiens ; notre cœur s’est grand ouvert. Vous n’êtes pas à l’étroit chez nous... » (6, 11-12). L’esprit missionnaire que nous trouvons chez saint Paul est certainement celui dont s’est inspiré John Wesley, et que l’on voit dans le désir de Paul de se donner entièrement au Christ. Wesley note que, jeune homme, la lecture de Thomas à Kempis éveillait en lui une dimension intérieure de la foi, « la religion du coeur ». Il écrivait : « Je compris que même donner ma vie entière à Dieu... ne me serait d’aucun profit, à moins de donner mon cœur, c'est-à-dire tout mon cœur à Lui ». De même, son expérience de Dieu lors de la réunion d’Aldersgate Street en 1738 lui apporta la conviction que le pardon et la grâce de Dieu lui étaient accordés sans condition, et cela le projeta dans la mission. Pour lui, il n’était pas question d’être chrétien à demi. Le don reçu invitait une réponse de toute la personne, avec son intelligence et son cœur, ses connaissances et sa dévotion généreusement placés au service de l’Évangile et mis en œuvre afin que la qualité de disciple chrétien affectât tous les aspects de la vie du croyant. Wesley disait à ses prédicateurs itinérants : « Vous ne devez rien faire d’autre que sauver des âmes ; par conséquent, dépensez et dépensez-vous dans cette tâche ». L’expérience des disciples relatée à la fin de l’Évangile d’aujourd'hui, le sentiment de crainte révérencielle et d’admiration devant la manière dont Jésus avait apaisé les vents et la mer, étaient repris par Wesley dans le but de convertir ses auditeurs à une intense vie de disciple du Christ.

Le texte de saint Paul choisi pour aujourd'hui indique également l'exigence de répandre la Bonne Nouvelle de ce que Dieu a fait pour nous en Jésus Christ. « Voici maintenant le moment tout à fait favorable. Voici maintenant le jour du salut » (2 Co 6, 2). En tant que théologien populaire et prédicateur itinérant parcourant la Grande Bretagne, Wesley était animé de ce même sentiment de la nécessité d’annoncer patiemment mais continuellement l’heureuse nouvelle du salut, de prêcher la Parole en tout temps. Sa mission était fondée sur l’Écriture, sur sa compréhension de l’Écriture comme témoignage fondamental et durable de l’œuvre rédemptrice de Dieu en Jésus Christ. Il pensait que sa mission était de « propager la sainteté scripturaire dans le pays ». Au cœur du message était la grâce et l’amour infinis de Dieu, reprenant ainsi les paroles adressées à Dieu dans le psaume 9, 11 d’aujourd'hui : « Car tu n’abandonne pas ceux qui te cherchent ». En tant que leader d’un mouvement de revival, Wesley organisait des tournées et des circuits que devaient effectuer une équipe de prédicateurs itinérants. Le style pastoral qu’il enseignait et qu’il encourageait était caractérisé par le désir de faire connaître l’amour du Christ, de réformer la vie intérieure de l'Église, de stimuler la participation à la célébration de l’Eucharistie, de promouvoir l’éducation chrétienne, d’être au service des pauvres, de susciter chez les chrétiens déclarés la passion d’un témoignage articulé au nom du Christ.

Un dernier aspect du ministère de John Wesley mérite d’être commenté plus longuement ; il s’agit de son concept de la sanctification, de la vocation à la sainteté. Reprenons de nouveau le texte de saint Paul d’aujourd'hui, où il décrit la manière dont lui-même et ses compagnons de mission ont cherché de vivre : par « la pureté, la science, la patience, la bonté, par l'Esprit Saint, l’amour sans feinte, la parole de vérité, la puissance de Dieu, par les armes offensives et défensives de la justice... » (2, Co 6, 6-7). Selon l’esprit de cette brève litanie de saint Paul, Wesley concevait la vocation à la sainteté comme intensément personnelle et fortement ecclésiale en même temps. Il encourageait ses auditeurs à rechercher une vie de sainteté, une vie simple et rangée, libérée des plaisirs mondains, et il indiquait les exercices spirituels comme des moyens de progresser dans le rapport personnel avec Dieu. Le même Seigneur qui a calmé les vents et la mer peut apporter le silence et le calme dans nos cœurs si nous mettons notre confiance en lui. L’« alliance personnelle » suivante, qui date de 1780, traduit très bien le désir qu’avait Wesley d’inviter ses auditeurs à établir un tel rapport de confiance avec Dieu :

Seigneur je viens, Seigneur je crois.
Je m’en remets à ta grâce et à ta miséricorde;
ne me repousse pas!
Je n’ai aucun autre lieu où aller;
Je resterai ici, je ne bougerai pas de ta porte;
En toi je mettrai ma confiance et mon repos
et je m’efforcerai de demeurer en toi.
En toi je mets mon espoir de pardon, de vie, de salut.
Si je péris, je périrai sur ton épaule;
si je sombre, je sombrerai dans ton vaisseau;
si je meurs, je mourrai à ta porte...

En même temps, Wesley a vu clairement l’importance de la communauté chrétienne et a cherché d’entretenir un sens profond d’identité ecclésiale, désireux de laisser derrière lui, par sa prédication itinérante, une assemblée d’hommes et de femmes étroitement unis dans une vie communautaire. Il est intéressant d’écouter le témoignage de George Whitefield, un prédicateur itinérant qui avait débuté avec le groupe de Wesley et avait fini par prendre son propre chemin. Whitefield remarquait qu’en réunissant des personnes en petites communautés, Wesley « préservait les fruits de son travail. J’ai négligé cet aspect », écrit Whitefield, « et à présent mes gens ne sont plus qu’un tas de sable ».

Nos réflexions ont commencé avec les paroles de saint Paul, notre cœur s’est grand ouvert. Le texte d’aujourd'hui se termine par son plaidoyer, ouvrez tout grand votre cœur, vous aussi (v. 13). C’est un signe de l'action de l'Esprit Saint parmi nous qu’aujourd'hui, méthodistes et catholiques peuvent de plus en plus entendre ensemble cet appel et s’efforcer d’y répondre ensemble, soucieux de notre baptême commun et dans le contexte d’un rapport sans cesse croissant qui nous invite à partager, dans la mesure actuellement possible, la mission du Christ dans le monde. Le plus récent rapport du dialogue international entre méthodistes et catholiques a pour titre, « Dire la vérité dans l’amour », et sa préface observe que cette expression de saint Paul (Ep 4, 15) « exprime à la fois l’esprit dans lequel le dialogue s’est déroulé et le résultat qu’on en attend ». Puissions-nous tenir fermement à la vérité comme à la charité, recherchant simultanément l’une et l’autre en sachant qu’à cette condition, l'Esprit Saint nous rapprochera toujours plus les uns des autres.

La tradition méthodiste des hymnes a enrichi l'Église catholique et de nombreuses autres traditions chrétiennes. L’hymne de Charles Wesley, Amour divin, qui surpasse tous les amours, est très connu des chrétiens d’expression anglaise du monde entier. Soucieux du principe selon lequel notre prière exprime notre foi (lex orandi, lex credendi), prenons la dernière strophe de cet hymne comme notre prière commune adressée au Seigneur aujourd'hui :

Parachève donc ta nouvelle création,
fais-nous purs et sans tache ;
et, parfaitement rétablis en toi,
montre-nous ton salut infini !

Transformés par la gloire dans la gloire,
jusqu'au moment de prendre notre place au ciel,
jusqu'à ce que nous déposions nos couronnes à tes pieds,
éperdus d’admiration, d’amour et de louange.

 

Service d’information 114 (2003/IV), pp.196-198.