ASSEMBLÉ PLÉNIÈRE 2016
RAPPORT DU SECRÉTAIRE DE LA CRRJ

 

COMMISSION POUR LES RELATIONS RELIGIEUSES AVEC LE JUDAISME

P. Norbert Hofmann, SDB

 

1. Le 50e anniversaire de la promulgation de Nostra Ætate (n° 4)

Pour le 50e anniversaire de la promulgation de la Déclaration Nostra Ætate (n° 4), document approuvé par le Concile Vatican II, le 28 octobre 1965, diverses initiatives ont été organisées. Le 28 octobre 2015 sur la Place Saint-Pierre, dans le cadre d’une audience générale consacrée à la Déclaration conciliaire, le Pape François a officiellement lancé la commémoration de Nostra Ætate, en invitant aussi les différents représentants des religions mondiales à participer à cet événement. En cette occasion, le Pape a exhorté les représentants des différentes religions à prier et œuvrer ensemble pour résoudre les problèmes qui affligent l’humanité. La priorité commune à toutes les religions mondiales devra être tout particulièrement la promotion de la justice et de la paix, de même que l’engagement en faveur des pauvres, des malades et de ceux qui sont exclus. En ce qui concerne le dialogue avec le judaïsme, le Pape François a observé ce qui suit : « Dieu mérite une gratitude particulière pour la véritable transformation qu’a subie, au cours de ces 50 années, la relation entre chrétiens et juifs. L’indifférence et l’opposition se sont transformées en collaboration et bienveillance. D’ennemis et étrangers, nous sommes devenus amis et frères. Le Concile, avec la déclaration Nostra Ætate, a tracé la route : ‘oui’ à la redécouverte des racines juives du christianisme ; ‘non’ à toute forme d’antisémitisme et condamnation de toute injure, discrimination et persécution qui en découlent ». Cette audience générale faisait partie du programme des célébrations prévues à Rome et organisées par la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme, le Conseil pontifical pour le dialogue inter-religieux et l’Université pontificale Grégorienne. Le colloque organisé en cette circonstance a réuni plus de 250 représentants de toutes les religions mondiales et s’est principalement penché sur trois thèmes : « La violence et l’engagement des religions pour la paix », « Le défi de la liberté religieuse » et « L’éducation et la transmission des valeurs ».

En dehors de Rome, diverses manifestations se sont tenues dans d’autres pays pour célébrer le document Nostra Ætate. À Washington, au mois de mai 2015, la Conférence épiscopale des États-Unis et la Catholic University of America ont organisé une importante manifestation à laquelle ont pris part le président et le secrétaire de la Commission. À Tel Aviv, en décembre 2015, le président et le secrétaire de la Commission ont participé à une conférence ayant pour thème « À notre époque : documents et articles sur l’Église catholique et le peuple juif dans le sillage de la Shoah ». Outre Israël et les États-Unis qui sont les principaux pays prenant part au dialogue avec le judaïsme en raison de la présence majeure de personnes juives au sein de leur population, le président et le secrétaire de la Commission ont également participé à d’autres célébrations commémoratives à Sao Paolo, Rio de Janeiro, Bales et Francfort.

 

2. Visite du Pape François à la synagogue de Rome et à Auschwitz-Birkenau

Durant cette année de célébration du document conciliaire, le Pape François est intervenu à maintes reprises en posant des gestes et prononçant des paroles significatives. À Rome, le 17 janvier dernier, le Pape a visité la synagogue. Avant lui s’y étaient rendus le Pape Jean-Paul II (13 avril 1986) et le Pape Benoît XVI (17 janvier 2010) ; le Pape François a donc poursuivi « une bonne tradition ». Dans le discours prononcé en cette circonstance, il a souligné le lien spirituel unissant juifs et chrétiens et le fait que nous sommes tous frères et sœurs devant Dieu : « Au fil du temps, un lien spirituel s’est créé, et a favorisé la naissance d’authen-tiques relations d’amitié et aussi inspiré un engagement commun. Dans le dialogue inter-religieux, il est fondamental que nous nous rencontrions en tant que frères et sœurs devant notre Créateur et nous Le louions, que nous nous respections et apprécions mutuellement, et que nous essayions de collaborer. Et dans le dialogue entre judaïsme et christianisme, il existe un lien unique et particulier, en vertu des racines juives du christianisme : juifs et chrétiens doivent donc se sentir frères, unis par le même Dieu et par un riche patrimoine spirituel commun (cf. Nostra Ætate, n° 4), sur lequel se baser et continuer de construire l’avenir ».

Le 29 juillet 2016, le Pape François s’est rendu à Auschwitz-Birkenau. Ce fut une visite intéressante et significative ; le recueillement du Pape sur le lieu où tant de juifs ont été humiliés et tués pendant la Shoah a été profondément émouvant. En un tel endroit, les paroles peuvent souvent être mal comprises mais la prière confie la douleur à Dieu-même pour qu’il puisse l’accueillir et la transformer.

 

3.  Nouveau document de la Commission pour les relations avec le judaïsme

L’idée de rédiger et publier un document de la Commission pour les relations avec le judaïsme avait déjà été évoquée pour le 40e anniversaire de la promulgation de Nostra Ætate, en 2005. Cette intention, pour diverses raisons, ne fut jamais réalisée pour cette occasion. En y repensant aujourd’hui, nous pouvons dire que cette attente s’est révélée bénéfique car les questions théologiques évoquées dans le document ont été débattues en détail et avec passion surtout au cours des dix dernières années.

Sous le titre « Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables » (Rm 11,29) a été publié, le 10 décembre 2015, le nouveau document à l’occasion du 50anniversaire de Nostra Ætate (n° 4). Cette réflexion avait pour but de reconnaître avec gratitude tout ce qu’il a été possible de réaliser dans les relations judéo-catholiques au cours des dernières décennies et, en même temps, de leur donner un nouvel élan pour le futur. Étant donné que les relations judéo-catholiques jouissent d’un statut particulier dans le plus vaste contexte du dialogue inter-religieux, certaines questions théologiques sont affrontées comme par exemple l’importance de la révélation, le rapport entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance, la relation entre l’universalité du salut en Jésus Christ et la conviction que l’alliance de Dieu avec Israël n’a jamais été révoquée, de même que la tâche évangélisatrice de l’Église en référence au judaïsme.

Ce document n’a aucunement l’intention de mettre un point final à ces discussions. Au contraire, il désire être un encouragement à la poursuite et à l’approfon-dissement de la dimension théologique du dialogue judéo-catholique. La Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme a le même objectif que celui que le Pape François s’est posé, à savoir faire en sorte que le dialogue judéo-catholique gagne en profondeur et ampleur du point de vue théologique. Ce document n’a pas seulement été élaboré sur la base des affirmations de foi catholique mais aussi en tenant compte des positions de nos partenaires de dialogue. En effet, à un certain point de la rédaction du texte, des consulteurs juifs ont été consultés afin de recueillir leur avis sur la justesse de ce qui avait été exposé au sujet du judaïsme. Dans ce document, il est fait référence non seulement à l’Ancien et au Nouveau Testament mais aussi à la Mishna et au Talmud. La rédaction du document a duré globalement deux ans et demi car les premières ébauches remontent à 2013. Le Pape Benoît XVI s’était déjà déclaré favorable à l’établisse-ment d’un tel texte mais ce n’est qu’avec le « placet » donné par le Pape François peu après son élection, que le travail a véritablement pu commencer.

Le nouveau document de la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme a reçu dans l’ensemble un accueil très positif, surtout en ce qui concerne nos partenaires de dialogue juifs. Sur la base de ce document, le Woolf Institute de Cambridge a lancé en mai 2016 de nouvelles conversations théologiques auxquelles prend également part notre Commission. Un des objectifs de cette initiative est de promouvoir plus amplement le dialogue théologique.

 

4. Le dialogue avec le Comité juif international pour les consultations inter-religieuses (IJCIC)

Le Comité juif international pour les consultations inter-religieuses (IJCIC) représente à ce jour le partenaire juif officiel de la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme. Il regroupe pratiquement toutes les principales organisations juives dont un grand nombre ont leur siège aux États-Unis. Les activités de l’IJCIC ont débuté en 1970. Dès l’année suivante fut organisée la première conférence commune à Paris. Les rencontres, qui depuis  lors ont régulièrement eu lieu tous les deux ans, sont l’expression du travail du Comité de liaison catholique-juif international (ILC) et donnent corps à la collaboration entre l’IJCIC et notre Commission.

La dernière conférence commune a été organisée en collaboration avec la Conférence épiscopale de Varsovie, du 4 au 7 avril 2016. Elle s’est concentrée sur les défis que la religion doit affronter face à l’actuelle crise des réfugiés qui arrivent en Europe (« The ‘Other’ in Jewish and Catholic Tradition : Refugees in Today’s World » [L’"autre" dans la Tradition juive et catholique : les réfugiés dans le monde d’aujourd’hui]), en réfléchissant au patrimoine commun que partagent juifs et chrétiens, à la nécessité et au devoir d’aider ceux qui sont dans le besoin, aux persécutions grandissantes endurées par les chrétiens et à l’antisémitisme croissant. Notre prise de position, qui a été rendue publique en fin de réunion, témoigne du fait que nous pouvons nous ranger du même côté face à des phénomènes sociaux spécifiques, sur la base des valeurs que nous partageons. La collaboration avec l’IJCIC s’est révélée très fructueuse au cours des années et elle ne s’est pas limitée aux conférences communes. En fait, il s’agit d’une collaboration permanente, d’un échange régulier et d’un contact constant afin de préparer et de porter à bien des projets communs.

 

5. Participation des générations futures au dialogue

Depuis sept ans est en cours une initiative conjointe avec l’IJCIC pour favoriser le renouvellement générationnel dans les relations judéo-chrétiennes. De part et d’autre, on est en effet convaincu de l’importance de former et d’impliquer dans le dialogue les jeunes générations afin d’assurer l’avenir du dialogue judéo-chrétien.

C’est ce qui a inspiré l’apparition des « Emerging Leadership Conferences » pour les jeunes (Conférences pour un leadership émergent) qui ont pu être organisées grâce au soutien financier de grands sponsors. La première de ces conférences a eu lieu en juin 2009 à Castel Gandolfo, en collaboration avec le Mouvement des Focolari. En cette occasion, une cinquantaine de jeunes juifs et catholiques du monde entier se sont réunis pendant quatre jours pour réfléchir sur le thème « Discovering Common Values » (Découvrir nos valeurs communes). Étant donné le succès rencontré, il a été décidé d’organiser des réunions de ce genre tous les deux ans, en alternance avec les sessions de l’ILC. La seconde conférence des jeunes juifs et catholiques a ainsi eu lieu en juin 2012, dans les environs de New York, sur le thème « Catholics and Jews : Our Common Values, Our Common Roots » (Catholiques et juifs : nos valeurs communes, nos racines communes), et la troisième à Berlin, au début du mois de juillet 2014, sur le thème « Challenges to Faith in Contemporary Society » (La foi face à des défis dans la société contemporaine). À la fin du mois de juin de cette année s’est tenue la quatrième « Emerging Leadership Conference » à Jérusalem sur le thème « Religion and Politics – Faith in a Time of Turmoil » (Religion et politique – La foi en une période de troubles). Globalement, les jeunes se sont déclarés enthousiastes des expériences faites durant ces conférences. Fondamentalement, il s’agit de leur fournir des éléments de réflexion et l’élan qui ensuite les pousseront à promouvoir concrètement les relations judéo-catholiques là où ils vivent.

 

6. Le dialogue avec le Grand Rabbinat d’Israël

Parallèlement au dialogue avec l’IJCIC, il convient de mentionner les conversations institutionnelle avec le Grand Rabbinat d’Israël qui peuvent être considérées comme le fruit de la rencontre du Pape Jean-Paul II et des Grands Rabbins d’Israel à l’occasion de la visite du Souverain Pontife en Israël, en mars 2000. La première réunion a eu lieu en juin 2002 et depuis lors, treize rencontres semblables ont eu lieu en alternance à Rome et Jérusalem. Deux nouveaux Grands Rabbins d’Israël ayant pris leurs fonctions en juillet 2013 et un nouveau Secrétaire général du Grand Rabbinat ayant été nommé durant l’été 2014, aucune rencontre n’a été convoquée cette année-là. Ce n’est qu’en décembre 2015 qu’une nouvelle réunion s’est tenue à Jérusalem pour réfléchir sur le thème « And You Should Love the Stranger as Yourself – Migrants and Refugees : Threat or Opportunity ? » (Et tu aimeras l’immigré comme toi-même – Migrants et réfugiés : menace ou opportunité ?). La prochaine rencontre se déroulera à la fin du mois de novembre 2016 à Rome et aura pour thème « Promoting Peace in the Face of Violence in the Name of Religion » (Promouvoir la paix face à la violence au nom de la religion).

Les deux délégations sont relativement petites et comptent globalement environ quinze participants, ce qui permet d’avoir des échanges personnels et intenses sur différents sujets. Le dialogue avec le Grand Rabbinat d’Israël a ainsi donné lieu à une ouverture majeure du judaïsme orthodoxe vis-à-vis de l’Église catholique au niveau mondial. Au terme de chaque réunion est rédigée puis publiée une déclaration commune. Si nous considérons les quatorze années d’existence de ce dialogue, nous constatons avec gratitude que se sont développées une intense collaboration et une amitié fraternelle entre tous les participants.

 

7. Perspectives futures pour le dialogue avec les juifs

Le travail réalisé durant ces années et la réflexion qui en a découlé indiquent des perspectives futures vers lesquelles nous orienter. En premier lieu, le dialogue avec l’IJCIC devrait être résolument poursuivi, avec patience et persévérance, en lui instillant de nouvelles énergies et en élargissant les horizons, faisant progresser dans le même esprit et la même régularité le dialogue avec le Grand Rabbinat.

Selon le Pape François, le dialogue a actuellement trois objectifs principaux : la formation des générations futures au dialogue, l’approfondissement du dialogue théologique et la collaboration dans le domaine de l’action humanitaire. Il ne s’agit donc pas de simples conversations et conférences : juifs et chrétiens doivent s’engager aux côtés des laissés pour compte, des pauvres, de ceux qui sont dans le besoin, des malades. Le dialogue doit donc être intensifié et mené avec conviction, élan et enthousiasme. En dialoguant et collaborant dans ces sentiments et animées par ces inspirations, les deux communautés peuvent devenir ensemble une bénédiction pour l’humanité.