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NATURE, CONSTITUTION ET MISSION DE L’ÉGLISE

 

Introduction

1. La Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Église catholique et les Églises orthodoxes orientales a été créée par les plus hautes autorités des Églises concernées. Les partenaires de ce dialogue sont, d’un côté, l’Église catholique et, de l’autre, la famille des Églises orthodoxes orientales, qui comprend l’Église copte orthodoxe, l’Église syrienne orthodoxe, l’Église arménienne apostolique (Catholicossat de tous les Arméniens, Sainte Etchmiadzine), l’Église arménienne apostolique (Catholicossat de Cilicie, Antélias), l’Église éthiopienne orthodoxe tewahido, l’Église malankare syrienne orthodoxe et l’Église érythréenne orthodoxe tewahido.

2. Le programme de travail de la Commission mixte a été établi par une Commission préparatoire, qui s’est réunie à Rome (2003). La première réunion de la Commission mixte eut lieu au Caire (2004) ; elle était consacrée au travail œcuménique important déjà réalisé entre l’Église catholique et les Églises orthodoxes orientales au cours des dernières décennies, aux différents niveaux de dialogue officiel et non officiel. Une attention particulière a été accordée aux déclarations communes signées et acceptées ensemble par les Évêques de Rome et les Chefs d’Églises orthodoxes orientales particulières en cette période. Les membres de la Commission ont également examiné les matériaux et les conclusions rendus disponibles au cours des années par un certain nombre de conférences académiques ou dialogues non officiels, tels que ceux organisés par le Conseil œcuménique des Églises, le Conseil des Églises du Moyen-Orient et la Fondation Pro Oriente. Certains éléments de base de ces sources ont été choisis pour être examinés en vue d’un approfondissement et d’un développement ultérieur.

3. Dans une première phase, la Commission mixte a centré ses activités sur des questions se rapportant à la nature, à la constitution et à la mission de l’Église. Le présent document est une synthèse de certaines idées ou conclusions de base, telles qu’elles sont ressorties des réunions du dialogue, en particulier celles qui se sont tenues sur “L’Église comme communion”, à Rome (2005), sur “L’autorité dans l’Église”, à la Sainte Etchmiadzine (2006), et sur “La mission de l’Église”, à Rome (2007). Quelques autres questions qui se rapportent à l’ecclésiologie et sont mentionnées dans le programme de travail de la Commission mixte n’ont pas encore été étudiées ni discutées et seront traitées dans une étape ultérieure.

4. Les membres de la Commission mixte remercient les autorités de leurs Églises respectives pour le mandat qu’ils ont reçu et ont l’honneur de leur soumettre, dans le présent document, quelques résultats de leurs activités communes. C’est leur fervent espoir et leur prière que ce document puisse devenir un instrument utile de même qu’un pas en avant prometteur sur le chemin vers la restauration de la pleine communion par l’accomplissement de l’unité complète dans la foi.

 

I. Le mystère de l’Église

5. Les Églises orthodoxes orientales et l’Église catholique ont en commun les éléments constitutifs de communion suivants: elles confessent la foi apostolique telle qu’elle est vécue dans la Tradition et est exprimée dans les Saintes Écritures, les trois premiers Conciles œcuméniques (Nicée 325 – Constantinople 381 – Éphèse 431) et le credo de Nicée-Constantinople [1] ; elles croient en Jésus Christ le Verbe Incarné de Dieu, le même étant en même temps vrai Dieu et vrai homme ; elles vénèrent la Sainte Vierge Marie comme la Mère de Dieu (Théotokos) ; elles célèbrent les sept sacrements (baptême, confirmation/chrismation, eucharistie, pénitence/réconciliation, ordination, mariage et onction des malades) ; elles considèrent le baptême comme essentiel pour le salut ; concernant l’eucharistie, elles croient que le pain et le vin deviennent le Corps et le Sang véritables de Jésus Christ ; elles croient que le ministère ordonné est transmis par les évêques en succession apostolique ; concernant la véritable nature de l’Église, elles confessent ensemble leur foi en “l’Église une, sainte, catholique et apostolique”, conformément au credo de Nicée-Constantinople.

 

I.a – La Sainte Trinité et l’Église comme communion

6. Le mot “Église” (ekklesia) se rapporte à l’assemblée des fidèles convoquée par Dieu le Père en Jésus Christ par le Saint-Esprit. La relation intime entre les fidèles et la Sainte Trinité comme aussi entre les fidèles eux-mêmes est exprimée dans le grec du Nouveau Testament par le terme koinonia, qui signifie “communion”. St Jean déclare à ses lecteurs : “Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi, vous soyez en communion (koinonia) avec nous. Et notre communion (koinonia) est avec le Père et avec son Fils Jésus Christ” (1 Jn 1,3). St Paul bénit les chrétiens de Corinthe avec la prière : “La grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion (koinonia) du Saint-Esprit soient avec vous tous” (2 Co 13,13) [2].

7. Le terme koinonia comprend deux dimensions essentielles : (1) la communion verticale transcendante de tous les fidèles avec Dieu le Père dans le Seigneur Jésus Christ par le Saint-Esprit et (2) la communion horizontale de tous les fidèles en tout temps et en tout lieu les uns avec les autres, dont la communion de l’Église une sur terre et dans le ciel représente un aspect particulier. Sans l’une de ces deux dimensions l’Église ne serait pas l’Église.

8. L’image johannique de la vigne et des sarments illustre bien les dimensions tant verticale qu’horizontale de la communion ecclésiale. La communion entre les membres de l’Église a pour source et modèle leur communion avec Jésus : “Demeurez en moi comme je demeure en vous” (Jn 15,4). En même temps, cette communion prend la forme de l’amour et a pour source et modèle la communion qui existe entre le Père et Jésus : “Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés ; demeurez dans mon amour” (Jn 15,9).

9. La communauté ecclésiale trouve son origine en Dieu le Père, de qui “tout don de valeur et tout cadeau parfait descendent” (Jc 1,17). Il convoque le peuple de Dieu par le moyen de la sainte Alliance. Ainsi il a établi une relation à la fois avec son peuple et entre les membres de son peuple. La mission du Fils et du Saint-Esprit pour l’Église s’enracine dans le Père. C’est le Père qui envoie son Fils unique et le Saint-Esprit dans le monde. Le Fils prie le Père pour l’unité de ses disciples à l’image de sa propre unité avec le Père : “Comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi” (Jn 17,21b). Tout dans la vie et la mission de l’Église est dirigé vers la glorification du Père pour qu’à la fin “Dieu soit tout en tous” (1 Co 15,28).

10. La communion intime entre les fidèles et la Sainte Trinité de même qu’entre les fidèles eux-mêmes est le fruit de la réconciliation effectuée par le sacrifice de Jésus sur la croix : “C’est lui en effet qui est notre paix : de ce qui était divisé, il a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de séparation : la haine. Il a aboli la loi et ses commandements avec leurs observances. Il a voulu ainsi, à partir des deux, créer un seul homme nouveau, en établissant la paix, et les réconcilier avec Dieu tous les deux en un seul corps ; là, il a tué la haine” (Ep2,14-16).

11. L’image de l’Église comme corps du Christ met en lumière le lien intime existant entre le Christ et les membres de l’Église. Le Christ est la tête de l’Église, qui est son corps. En tant que tête, il l’aime et s’offre lui-même pour elle ; il la nourrit et prend tendrement soin d’elle (cf. Ep 5,22-30). Ses membres sont “en lui” et lui est “en eux” (Ga 2,20) ; ils sont baptisés “en lui” (1 Co 12,13). Ils souffrent “avec lui”, afin qu’ils puissent eux aussi être glorifiés “avec lui” (Rm 8,17). Il est la source de l’autorité, que tout le corps doit honorer et à qui il doit obéir (cf. Col 2,10). Il a aussi été donné “au sommet de tout, pour tête à l’Église qui est son corps, la plénitude de Celui que Dieu remplit lui-même totalement” (Ep 1,22-23).

12. L’ecclésiologie de communion a été développée ultérieurement par les Pères de l’Église en Orient comme en Occident. De nombreux Pères rapprochent l’unité de l’Église de l’unité des Personnes divines, de l’unité du Corps du Christ et de l’Eucharistie. St Cyrille d’Alexandrie (+444), par exemple, écrit au sujet de l’unité des membres du Christ : “Par le moyen d’un seul corps, qui est le sien, il (le Christ) bénit ceux qui croient en lui et les incorpore à lui-même et les uns aux autres. Qui pourrait diviser et écarter de cette union mutuelle […] ceux qui ont été liés ensemble dans l’unité avec le Christ par le moyen de l’unique et saint corps ? Si nous avons tous part au pain unique, nous formons tous un seul corps, car le Christ ne peut être divisé. C’est pourquoi l’Église est appelée corps du Christ, dont chacun de nous est un membre, comme Paul le comprend. Car nous sommes tous unis à l’unique Christ, par le moyen de son saint corps, puisque nous le recevons, lui l’unique et l’indivisible, dans nos propres corps […]. Si nous sommes tous incorporés les uns aux autres dans le Christ, non seulement les uns aux autres mais aussi en lui, qui vient en nous par le moyen de sa propre chair, alors sûrement est-il clair que nous sommes tous un, les uns dans les autres et dans le Christ. Car le Christ est le lien de l’unité, étant Dieu et homme en une seule et même personne” [3].

13. Le Saint-Esprit, envoyé par le Christ d’auprès du Père (Jn 15,26), donne la vie, l’unité et le mouvement à l’unique corps total du Christ (cf. Ga 4,6). C’est pourquoi les Pères de l’Église ont comparé sa tâche dans l’Église à celle qui est exercée par le principe vivifiant de l’âme dans le corps humain [4]. En demeurant en ceux qui croient et en gouvernant l’Église dans son ensemble, l’Esprit est également le principe de l’unité de l’Église. Il agit de nombreuses manières pour édifier tout le corps dans la charité, assurant l’unité de l’Église dans la diversité de ses membres et de ses ministères.

 

I.b – Les attributs de l’Église

14. L’Église est une à cause de son origine dans les trois Personnes du Dieu unique, le Père et le Fils et le Saint-Esprit. L’Église est une aussi à cause de son fondateur, Jésus Christ, qui a fondé une seule Église et non plusieurs (cf. Mt 16,18), a un seul troupeau (cf. Jn 10,16 ; 21,15), un seul corps (cf. Rm 12,5 ; 1 Co 12,27 ; Col 1,18 ; Ep 1,23) et une seule Épouse (Ep5,27). L’Église est une, enfin, parce qu’elle est le Temple de l’unique Saint-Esprit, qui édifie, anime et sanctifie l’Église. Comme l’a écrit Grégoire de Datev (1346-1409) : “L’Église est appelée une, non parce qu’elle se trouve en un seul lieu, mais elle est une dans la foi et dans sa vocation à une seule espérance, dans une unique mère, et dans sa naissance du sein de l’unique font baptismal, dans l’unique nourriture des livres divins, dans l’unique corps et sang du Sauveur, dans l’unique tête et couronne et habit que nous revêtons : le Christ” [5].

15. Les liens essentiels de l’unité dans l’Église sont assurés par la profession de la foi unique reçue des apôtres, la célébration commune des sacrements et la succession apostolique à travers le sacrement des saints Ordres. La concorde fraternelle est maintenue dans l’Église par la charité, qui “est le lien de la perfection” (Col 3,12-14), et par le partage d’une seule espérance (jamais perdu l’unité qui fait partie de son essence, même si les chrétiens ont été divisés par de nombreuses ruptures et si leur compréhension de cette unité peut être différente. C’est pourquoi les chrétiens devraient s’engager à répondre adéquatement à la prière du Seigneur Jésus “que tous soient un” (Jn 17,21) et à réparer les liens brisés de la communion entre eux.

17. L’Église est sainte, parce que le Christ aime l’Église comme son Épouse et s’est livré pour elle : “Il a voulu ainsi la rendre sainte en la purifiant avec l’eau qui lave, et cela par la Parole ; il a voulu se la présenter à lui-même splendide, sans tache ni ride, ni aucun défaut ; il a voulu son Église sainte et irréprochable” (Ep 5,25-27). L’Église est également sainte à cause du don du Saint-Esprit, l’Esprit de sainteté qui demeure en elle, pour la gloire de Dieu.

18. La sainteté de l’Église est un don de Dieu, lié à la foi et à l’enseignement doctrinal de l’Église, à la célébration des sacrements et au ministère apostolique, même si la sainteté subjective ou personnelle des membres individuels n’est pas parfaite et si quelque chose reste encore à acquérir. L’Église rassemble des pécheurs saisis par le salut dans le Christ mais encore en route vers la sainteté personnelle. C’est pourquoi St Paul s’adresse à “tous les bien-aimés de Dieu qui sont à Rome, aux saints par l’appel de Dieu” (Rm 1,7) ; il salue les Corinthiens comme “ceux qui ont été sanctifiés dans le Christ, appelés à être saints” (1 Co1,2) ; tout en reconnaissant la communauté de Corinthe comme sainte, il condamne les péchés commis par certains de ses membres (cf. 1 Co 5,6).

19. L’Église est catholique parce que le Christ est présent en elle et parce qu’elle a été envoyée par le Christ en mission vers toute l’humanité. Catholicité signifie donc selon la totalité ou en union avec le tout. D’après St Cyrille de Jérusalem : “On appelle l’Église ‘catholique’ en raison de son extension à l’ensemble du monde habité, d’une extrémité à l’autre de la terre. À cause aussi du fait qu’elle enseigne universellement et sans défaillance tous les dogmes qui doivent venir à la connaissance des hommes, tant sur les choses visibles que sur les invisibles, sur les célestes que sur les terrestres. Encore, parce qu’elle soumet tout le genre humain à la piété, chefs et subordonnés, savants et ignorants. Aussi parce qu’elle soigne et guérit universellement toutes les sortes de péchés que commettent l’âme et le corps, et possède en elle toutes les formes de ce qu’on appelle vertu, dans les œuvres et les paroles et dans toutes les diverses sortes de dons spirituels” [6]. Selon les paroles de Yovhan d’Otzoun (650-728), “l’Église est appelée catholique parce qu’elle rassemble tous les peuples du monde entier dans l’obéissance, illuminés par le baptême des fonts et conçus et nés dans l’héritage de Dieu par l’Esprit sanctificateur” [7].

20. L’idée de la catholicité ne signifie nullement une quelconque terne uniformité. Au contraire, en s’enracinant dans la diversité des terreaux, culturel, social et humain, l’Église assume différentes expressions théologiques de la même foi et différentes formes de disciplines ecclésiastiques, de rites liturgiques et d’héritages spirituels dans chaque partie du monde. Cette richesse montre avec d’autant plus de splendeur la catholicité de l’Église une.

21. L’Église est apostolique parce qu’elle est fondée sur “le fondement des apôtres”, les témoins choisis et envoyés en mission par le Christ lui-même (cf. Ep 2,20 ; Ac 1,8 ; 1 Co 9,1 ; 15,7-8 ; Ga 1,1). Avec l’aide du Saint-Esprit qui demeure en elle, l’Église garde et transmet l’enseignement qu’elle a reçu des apôtres (cf. Ac 2,42 ; 2 Tim 1,13-14). Tous sont exhortés par Paul : “Tenez bon et gardez fermement les traditions que nous vous avons enseignées, de vive voix ou par lettre” (2 Th 2,15). L’Église continue à être enseignée et guidée par les apôtres à travers les évêques ordonnés dans la succession apostolique, les prêtres et les diacres.

22. Le fait que les ministres ordonnés tiennent leur autorité des apôtres et les apôtres du Christ est fortement souligné par St Clément de Rome, avant la fin du premier siècle [8]. Depuis les temps les plus anciens, en effet, l’ordre sacré des évêques a été considéré créer un lien historique entre l’Église des temps apostoliques et l’Église d’aujourd’hui. C’est pour cela que l’Église enseigne que l’ordination dans la succession apostolique est à la fois un moyen et une garantie de la continuation apostolique dans l’office pastoral et dans la transmission de la grâce.

 

I.c. – Croissant vers la pleine communion

23. La pleine communion comprend et exige l’unité dans la foi, dans la vie sacramentelle et dans le ministère apostolique. L’unité de l’Église devrait être assurée par des liens visibles de communion qui incluent la profession de la foi reçue des apôtres, la célébration commune des sacrements, spécialement de l’eucharistie, et l’exercice du ministère apostolique.

24. La communion eucharistique et la communion ecclésiale sont intrinsèquement liées entre elles. C’est pourquoi, aussi longtemps que des désaccords fondamentaux en matière de foi persistent et que les liens de la communion visible n’ont pas encore été pleinement restaurés, la célébration commune de l’unique eucharistie du Seigneur n’est pas possible. Heureusement, par le dialogue œcuménique, des progrès importants ont été faits entre l’Église catholique et les Églises orthodoxes orientales vers une compréhension commune des éléments constitutifs de la foi, en particulier dans le domaine de la christologie. Bien que le plein consensus en matière de foi qui permettrait une célébration commune de l’eucharistie n’ait pas encore été obtenu, ces développements dans la compréhension doctrinale contiennent une promesse pour une convergence future et méritent une attention appropriée.

25. Tous reconnaissent que la division actuelle entre les chrétiens est un scandale pour le monde et blesse l’unité qui est don de Dieu à l’Église du Christ. La recherche de l’unité chrétienne est une réponse à l’appel du Seigneur : “ Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous aussi afin que le monde croie que tu m’as envoyé” (Jn 17,21). Tous les chrétiens ont reçu de Dieu la responsabilité de travailler pour l’unité pleine et visible entre eux. L’Église catholique et les Églises orthodoxes orientales continuent à prier pour l’unité chrétienne dans leurs offices de prière et leurs célébrations liturgiques. Le patrimoine ecclésial, en particulier celui qui provient des temps apostoliques et des premiers siècles du christianisme, devrait illuminer et inspirer leur marche commune vers la restauration de la pleine communion en accomplissant l’unité complète dans la foi.

 

I.d – Points pour étude et discussion ultérieures

26. En raison des nombreux éléments ecclésiologiques qu’elle a en commun avec d’autres chrétiens, l’Église catholique utilise à leur égard les expressions “communion réelle bien qu’imparfaite” ou “degrés de communion”. Ces expressions ecclésiologiques ont besoin d’une explication ultérieure pour les Orthodoxes orientaux. Les Églises orthodoxes orientales, étant en pleine communion entre elles dans la foi et les sacrements, se réfèrent à leur unité par le terme “famille d’Églises”. Le contenu de cette façon d’envisager la communion des Églises demandera une explication ultérieure pour les Catholiques. La pleine communion est le but ultime du travail œcuménique de toutes nos Églises.

27. Alors qu’il n’est pas encore possible de parvenir à la pleine communion, la convergence notable en matière de foi devrait permettre de conclure d’autres accords théologiques et pastoraux entre l’Église catholique et les Églises orthodoxes orientales, en particulier pour répondre aux besoins urgents de leurs communautés là où elles vivent ensemble. Dans cet effort, nos Églises devront s’occuper des questions de la reconnaissance mutuelle du baptême et des mariages chrétiens mixtes.

 

II. Les évêques dans la succession apostolique

 

II.a – Les évêques

28. Notre compréhension des évêques et de la succession apostolique est fondée sur le collège des apôtres dans le Nouveau Testament. Notre Seigneur Jésus Christ a choisi ses apôtres pour être les témoins mandatés de sa vie, de sa mission et de sa résurrection (cf. Lc24,46-48 ; Ac 1,21 ; 3,15). Ils devaient continuer son ministère et sa mission dans le monde (cf. Jn 20,21 ; Ac 1,8), et en tant que tels ils constituent les fondements de l’Église (cf. Ep2,20). Il les a envoyés proclamer la Bonne Nouvelle à toutes les nations du monde (cf. Mt28,19) et leur a donné l’autorité de “lier” et de “délier” (Mt 18,18). Leur ministère était unique et s’est achevé avec la mort du dernier apôtre. D’autre part, les apôtres ont veillé à ce que la mission qui leur avait été confiée par le Christ continue après leur départ grâce à leurs collaborateurs immédiats et à des personnes éprouvées [9].

29. À l’époque apostolique, le service pastoral et l’autorité étaient exercés à travers une variété de charismes et de ministères (cf. Rm 12,4-8 ; Ep 4,11 ; Ph 1,1 ; He 13,7 ; Tt 1,5-8). Cette variété a progressivement convergé dans le triple ministère des évêques, des presbytres (prêtres) et des diacres. Au début du deuxième siècle, St Ignace d’Antioche est témoin de ce triple ministère qu’il considère comme irremplaçable pour l’Église [10]. L’Église catholique et les Églises orthodoxes orientales ont conservé le triple ordre des évêques, des presbytres (prêtres) et des diacres comme essentiel à la structure apostolique et au ministère du sacerdoce ordonné dans l’Église.

30. Les évêques sont les successeurs des apôtres dans l’exercice de la charge pastorale pour les Églises. En tant que tels, ils ont la responsabilité de rendre témoignage à la Tradition apostolique et de la sauvegarder dans leurs Églises en préservant la communion dans la foi apostolique et en étant fidèles aux exigences de la vie chrétienne, suivant les enseignements des apôtres.

31. Les évêques reçoivent leur ministère dans le sacrement de l’ordre, par la prière et l’imposition des mains dans la communauté eucharistique. Par son ordination, l’évêque est établi chef d’une Église locale/diocésaine de même que représentant de cette Église locale/diocésaine dans la communion universelle des Églises. En principe, au moins trois évêques devraient participer à la consécration d’un nouvel évêque, avec le consentement de la plus haute autorité de leur Église [11]. Ceci pour assurer que le nouvel évêque est ordonné dans la succession apostolique et pour illustrer qu’il est introduit dans le collège des évêques, qui est la continuation du collège des apôtres. L’office de l’évêque dans l’Église est collégial de par sa nature.

32. Le ministère de l’évêque (episkopos) est un ministère de supervision (episkopè) et consiste à enseigner, à sanctifier et à gouverner la communauté des fidèles. Dans sa première lettre, St Pierre écrit au sujet du Seigneur Jésus Christ : “Maintenant vous vous êtes tournés vers le berger et le gardien (episkopos, superviseur) de vos âmes” (1 P 2,25). Nous sommes d’accord pour reconnaître que la source du sacerdoce de l’évêque est le sacerdoce du Seigneur Jésus Christ en tant que Grand Prêtre éminent (cf. He 4,14-16). L’évêque est l’icône du Christ serviteur au milieu de ses frères. Dans la puissance du Saint-Esprit, il continue de prêcher l’Évangile, d’administrer les sacrements et de conduire la communauté chrétienne dans une communion grandissante avec Dieu. C’est dans la présidence de l’assemblée eucharistique que ce rôle multiple de l’évêque trouve sa pleine expression.

33. Le ministère de l’évêque, en tant que chef de son diocèse, est essentiel pour la vie et la structure de l’Église, de même que pour son unité. Parmi tous les charismes et ministères suscités par l’Esprit, il est un ministère de présidence pour rassembler la communauté dans l’unité. Selon St Ignace d’Antioche, l’évêque et les fidèles vont essentiellement de pair ; il exhorte les Smyrniotes : “Suivez tous l’évêque, comme Jésus-Christ suit son Père, et le presbytérium comme les apôtres ; quant aux diacres, respectez-les comme la loi de Dieu. Que personne ne fasse en dehors de l’évêque rien de ce qui regarde l’Église. Que cette eucharistie seule soit regardée comme légitime, qui se fait sous la présidence de l’évêque ou de celui qu’il en aura chargé. Là où paraît l’évêque, que là soit aussi la communauté, de même que là où est le Christ Jésus, là est l’Église catholique” [12]. L’Église locale est centrée autour de l’évêque, qui édifie l’unité de tous et garantit la présence de la plénitude de l’Église en elle. En particulier, c’est quand elle est rassemblée autour de son évêque pour la célébration de l’eucharistie, que l’Église locale rend manifeste l’Église une, sainte, catholique et apostolique du Christ.

 

II.b – La succession apostolique

34. La succession apostolique trouve sa signification au sein du mystère de l’Église comme communion. La succession apostolique des évêques ne peut donc se limiter à une question de ministres individuels, vus isolément de la communauté des fidèles. Tout ministère dans l’Église est fondé à l’origine sur le ministère apostolique, c’est-à-dire sur la vocation et l’autorité des témoins oculaires du Christ ressuscité. Les évêques, ordonnés par l’imposition des mains, sont le signe et l’instrument de la succession apostolique, qui est conçue principalement comme se tenant dans la fidélité à la foi apostolique et à la pratique transmise par les apôtres.

35. Dans chaque Église locale, l’évêque est le premier garant de l’apostolicité. Par son ordination, il devient un successeur des apôtres dans son Église, quels que soient le rang ou les prérogatives de son Église parmi les autres Églises. Sa tâche est de transmettre l’enseignement des apôtres en matière de foi et de vie chrétienne, et d’y conformer toute sa vie [13]. Par l’Esprit Saint, il doit préserver la foi des apôtres et guider son Église dans le témoignage qu’elle lui rend.

36. La succession apostolique des évêques a une signification à la fois historique et eschatologique, reliant chaque communauté tant à la communauté d’origine qu’à la communauté eschatologique des fidèles. Dans la perspective historique, les évêques ordonnés dans la succession apostolique sont une garantie que l’Église demeure fidèle à l’héritage apostolique, à ce que les apôtres ont transmis au sujet de ce que Jésus a fait et enseigné (cf. Ep 2,20). Dans la perspective eschatologique, ils représentent les apôtres en tant que collège indivisible entourant le Christ dans sa gloire, représentant la convocation finale de tous les peuples et nations dans la nouvelle Jérusalem, la communauté des derniers jours (cf. Mt 19,28 ; Ap 21,14). Une pleine compréhension de la succession apostolique des évêques implique à la fois les deux perspectives, historique et eschatologique, telles qu’elles convergent dans la célébration liturgique des sacrements de l’Église, en particulier de l’eucharistie.

37. Puisque les évêques sont les successeurs des “apôtres”, héritant le ministère apostolique des “Douze”, le ministère épiscopal dans l’Église est collégial par sa nature. Le Seigneur Jésus a appelé et mandaté “les Douze” comme une unité, comme un symbole du nouveau peuple de Dieu groupé autour du Messie, comme un reste rassemblé des douze tribus, comme le commencement du nouvel Israël qui doit rester pour toujours. Chaque membre individuel du collège apostolique ne trouve sa signification qu’en tant que constituant avec les autres le groupe des “Douze”.

38. Les apôtres étaient les garants du lien d’unité entre les Églises locales dispersées dans les différentes villes et régions. Cela est apparu le plus clairement lors du concile de Jérusalem (cf. Ac 15). Par conséquent, une partie essentielle de l’exercice de l’autorité collégiale des évêques est de préserver et de rechercher l’unité dans l’Église.

 

III. Synodalité/conciliarité et primautés

 

III.a – Les Églises locales/diocésaines et leurs évêques

39. L’Église en tant que peuple de Dieu, corps du Christ et temple du Saint-Esprit est appelée à vivre la liturgie (leiturgia), le témoignage (martyria) et le service (diakonia). Pour cette mission, l’Église implore et reçoit de la Sainte Trinité tous les moyens de grâce nécessaires en lisant les Saintes Écritures, en célébrant les Sacrements et en demeurant dans la Tradition vivante de l’Église. Tous ces dons et devoirs s’actualisent dans l’Église locale/diocésaine. Par le baptême dans une Église locale/diocésaine, chaque fidèle est initié dans l’Église une, sainte, catholique et apostolique. En particulier, c’est quand elle est rassemblée pour la célébration de l’eucharistie, sous la présidence de son propre évêque, que chaque Église locale/diocésaine est réellement et pleinement Église.

40. Chaque Église locale/diocésaine en communion avec son propre évêque est une réalisation concrète du mystère de l’Église, dotée de toutes les qualités que le Christ accorde à son Église, à travers l’Esprit Saint. Par son propre évêque, chaque Église locale/diocésaine demeure aussi en communion avec les évêques et les fidèles des autres Églises locales/diocésaines, tant synchroniquement avec toutes les Églises d’aujourd’hui que diachroniquement avec les Églises de tous les âges. Nulle Église locale/diocésaine, en effet, ne peut exister en elle-même et par elle-même. C’est seulement en communion avec toutes les autres Églises locales/diocésaines qu’elle constitue la plénitude de l’unique corps ecclésial du Christ.

41. Au cours de l’histoire, la communion entre les évêques s’est exprimée, sacramentellement, par la célébration commune de l’eucharistie et l’assistance à l’ordination épiscopale les uns des autres, de même que, fraternellement, par l’échange de lettres et de visites entre l’une et l’autre Église et par la réunion de synodes/conciles épiscopaux. Toute l’histoire de l’Église est ponctuée de conciles et de synodes qui ont modelé concrètement la communion entre les évêques aux niveaux local, régional et universel.

42. La communion de foi et de vie sacramentelle entre les Églises locales/diocésaines exige et sauvegarde le maintien de leur caractère particulier. L’unité que nous envisageons ne signifie d’aucune manière l’absorption d’une Église par l’autre ni la domination de l’une sur l’autre. Cette unité est au service de chacune afin d’aider chacune à mieux vivre les dons propres qu’elle a reçus du Saint-Esprit.

 

III.b – Relations entre synodalité/conciliarité et primautés

43. La communion entre les évêques est exprimée et réalisée grâce à l’exercice tant de la synodalité/conciliarité que des primautés dans l’Église. Dès les premiers siècles une distinction et une hiérarchie ont été établies entre Églises de fondation plus ancienne et Églises de fondation plus récente, entre Églises mères et Églises filles, entre Églises des villes capitales et Églises des régions rurales. Dans certaines régions géographiques, cette distinction et cette hiérarchie ont trouvé une expression dans les canons définis par les premiers conciles [14]. Des régulations canoniques ont attribué à des évêques occupant certains sièges majeurs ou métropolitains une place et des prérogatives reconnues dans l’organisation de la vie synodale de l’Église. Ainsi sont apparus au cours de l’histoire les sièges des archevêques, des métropolitains, des primats, des catholicoï ou patriarches, qui étaient dotés d’une primauté particulière parmi les évêques de leur région [15].

44. La synodalité/conciliarité et les primautés sont essentiellement reliées entre elles. Cette interrelation est bien exprimée dans la tradition commune de l’Église, par exemple dans le canon 34 des Apôtres : “Il faut que les évêques de chaque nation sachent lequel d’entre eux est le premier, qu’ils le considèrent comme leur chef et ne fassent rien d’important sans son accord ; chacun ne s’occupera que de ce qui concerne son district et les territoires qui en dépendent ; mais que le chef ne fasse rien non plus sans l’accord de tous ; ainsi la concorde régnera-t-elle et Dieu sera-t-il glorifié, par le Christ, dans l’Esprit-Saint” [16]. Ce canon indique l’interrelation à la fois collégiale et hiérarchique entre les évêques d’une région et celui qui est le “premier” (protos) entre eux. Le canon 6 du Concile de Nicée illustre cette interrelation [17].

45. Les évêques qui sont les “primats” dans leur région sont dotés d’un rôle d’exécution, de supervision et de juridiction parmi leurs collègues évêques pour la cause de l’unité. Leur rôle est essentiellement requis pour la préservation et la promotion de l’unité entre les Églises locales/diocésaines d’une région et entre leurs évêques. Aucun “primat” ne devrait cependant agir comme un chef isolé, indépendant en quelque sorte du corps plus large des évêques et des fidèles auquel il appartient. Il fait partie du peuple de Dieu et du synode qu’il préside.

46. La synodalité/conciliarité et les primautés s’expriment de manières différentes aux différents niveaux de la vie de l’Église. Ces manières et ces niveaux se sont articulés différemment dans les traditions catholiques et orthodoxes orientales, tant dans le passé que dans le présent.

 

III.c – La signification ecclésiologique des synodes/conciles

47. Les synodes/conciles ont des racines profondes dans le Nouveau Testament (cf. Ac 15) et dans la vie des premières communautés chrétiennes. Ils découlent de l’essence même de l’Église comme communion. La synodalité/conciliarité est une dimension permanente de la vie de l’Église, même durant les périodes où ne se tient aucun synode. Toujours et partout, l’Église devrait exister comme une communion vivante d’Églises locales avec leurs chefs s’embrassant les uns les autres dans la foi et la charité.

48. Les synodes/conciles sont des signes de la présence dynamique du Saint-Esprit dans l’Église. À la fin du concile de Jérusalem, les apôtres écrivirent dans leur lettre aux chrétiens d’Antioche : “L’Esprit Saint et nous-mêmes, nous avons décidé de ne vous imposer aucune autre charge que ces exigences inévitables” (Ac 15,28). Toutes les fois que les évêques se réunissent en synodes/conciles pour délibérer et légiférer en tant que pasteurs responsables, ils rendent manifeste la nature de l’Église, qui est édifiée par l’Esprit Saint comme une communion. Toutefois, puisque les synodes/conciles ont également une dimension humaine, ils exigent des règles pratiques pour leur convocation, leur organisation et leur présidence.

49. La dimension synodale/conciliaire de l’activité épiscopale s’est manifestée spécialement dans des questions qui concernaient plusieurs Églises locales ou toutes les Églises locales dans leur ensemble. Depuis les temps les plus anciens, différents types de synodes/conciles locaux ou régionaux ont été organisés dans chaque région. Ils pouvaient être convoqués pour des raisons différentes et en des circonstances différentes ; leurs formes pouvaient changer suivant les lieux et les temps. Plus récemment, dans l’Église catholique, les conférences épiscopales ont été organisées aux niveaux national et régional. Toutefois, le principe conducteur a toujours été le même, à savoir rendre efficace le mystère de l’Église comme communion par l’action conjointe des évêques, sous la présidence de celui qu’ils reconnaissent comme le premier parmi eux.

50. Les synodes/conciles (locaux, régionaux et universels) ont pour but de sauvegarder la foi de l’Église et d’édifier l’Église comme communion à tous les niveaux et dans tous les domaines (foi, discipline, sacrements, liturgie, théologie, annonce et diakonia). Ils assurent aussi le consensus dans l’enseignement et la discipline. Ce consensus a deux dimensions : diachronique, avec la tradition ininterrompue de l’Église, et synchronique, avec la communauté de toutes les Églises à un moment donné.

51. Les synodes/conciles sont principalement des assemblées d’évêques. L’évêque qui préside à la célébration de l’eucharistie préside aussi à la vie de la communauté locale et pour cela représente son Église dans la réunion des synodes/conciles. Les prêtres, les diacres et les laïcs peuvent aussi jouer leur rôle spécifique dans la vie synodale/conciliaire de l’Église et dans le processus de la prise des décisions. Les décisions finales reviennent cependant aux évêques, qui approuvent les actes des synodes/conciles.

52. Dans les conciles œcuméniques, rassemblés dans le Saint-Esprit en temps de crise, les évêques ont décidé ensemble des questions de foi et de discipline. Ils ont promulgué des canons pour affirmer la Tradition des apôtres dans des circonstances qui menaçaient la foi, l’unité et le travail sanctificateur de toute l’Église et mettaient en danger l’existence même de l’Église ainsi que sa fidélité à Jésus Christ. Nos Églises sont d’accord sur l’autorité suprême des conciles œcuméniques. Ils représentent une instance finale dans la prise de décision et dans l’enseignement en matière de foi et de discipline.

 

III.d – Points pour étude et discussion ultérieures

53. Alors que nos Églises sont fondamentalement d’accord sur le fonctionnement de la primauté et de la synodalité/conciliarité aux niveaux local et régional, elles diffèrent sur la manière dont ces concepts peuvent être appliqués au niveau universel. L’Église catholique maintient le besoin d’un ministère pétrinien dans l’Église, exercé par l’Évêque de Rome, pour assurer la communion des Églises particulières à travers le monde. Les Églises orthodoxes orientales, pour leur part, n’ont pas de centre unique de la communion universelle, mais fonctionnent sur la base d’un modèle indépendant et universel, avec une commune doctrine de foi. Notre commission a l’intention d’examiner plus pleinement ces deux modèles, afin de déterminer ce que nous avons en commun et quelles différences doivent encore être résolues.

54. L’Église catholique et les Églises orthodoxes orientales acceptent ensemble les définitions et les décrets des trois premiers Conciles œcuméniques (Nicée 325, Constantinople 381, Éphèse 431). Certaines définitions doctrinales ou certains décrets disciplinaires de conciles tenus des deux côtés ultérieurement appartiennent de fait à l’enseignement commun de nos Églises (par exemple, la condamnation de l’hérésie d’Eutychès), d’autres non. Sur certaines définitions conciliaires qui ont traditionnellement divisé nos Églises, des accords communs ont été signés ces derniers temps entre l’Église catholique et certaines Églises orthodoxes orientales individuelles [18]. Dans le but de clarifier les questions concernant les conciles œcuméniques, notre commission prévoit des études ultérieures sur des questions comme les critères permettant d’identifier les conciles œcuméniques, le nombre des conciles œcuméniques, l’autorité des conciles pour les Églises qui n’y ont pas pris part, le caractère contraignant des canons et des anathèmes provenant des conciles anciens (y compris les conciles locaux et régionaux), la manière de résoudre les points de désaccord sur les définitions conciliaires qui nous ont divisés traditionnellement.

55. La réception des décisions conciliaires fait partie du processus synodal/conciliaire qui vise à associer la communauté chrétienne tout entière à l’élaboration du consensus. La réception des décisions et des définitions rend ce processus complet, même s’il est reconnu que les évêques rassemblés en synodes/conciles enseignent avec autorité, en vertu de leur mission et de leur autorité apostolique, même avant que le processus de réception soit achevé. Le processus de réception ne peut être accompli par des individus ou des autorités isolément ; il doit être un acte de communion, incluant toute la communauté chrétienne avec ses pasteurs. Notre commission envisage une réflexion et une discussion ultérieures sur les questions concernant le concept de réception. Peut-on faire la différence, dans le processus de réception, entre l’essence de la foi et ses expressions par différentes traditions ecclésiales ou écoles de théologie, entre dogme et théologoumena ? Comment pouvons-nous définir et recevoir ensemble notre foi commune, comprise comme “ce qui a été cru partout, toujours et par tous”, selon la formule de Vincent de Lérins [19]? Quel est le rôle du Saint-Esprit dans le processus de réception ?

 

IV. La mission de l’Église

 

56. L’Église est missionnaire de par sa nature même. Sa mission découle du commandement par lequel se termine l’évangile de St Matthieu : “Allez donc : de toutes les nations faites des disciples” (Mt 28,19). Comme le Seigneur Jésus Christ a été envoyé pour proclamer et inaugurer le royaume de Dieu, il a envoyé l’Église proclamer la bonne nouvelle du royaume de Dieu à tous les peuples. Le Seigneur lui-même, qui demeure avec ses disciples, travaille avec eux et à travers eux (Mc 16,20) pour l’accomplissement de sa mission parmi les peuples jusqu’à la fin du monde.

57. Au cœur du commandement du Seigneur se trouve le mandat de baptiser “au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit” (Mt 28,19). Par la foi et le baptême le chrétien est initié au mystère de la mort et de la résurrection du Christ : “Par le baptême, en sa mort, nous avons donc été ensevelis avec lui, afin que, comme Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous menions nous aussi une vie nouvelle” (Rm 6,4). Ce qui a commencé dans le baptême se développe graduellement dans et au travers de la célébration des autres sacrements de l’Église. Ceux-ci confèrent ultérieurement la grâce de l’Esprit Saint tant au croyant singulier qu’à l’ensemble de la communauté des croyants.

58. Tous les membres de l’Église sont appelés à prendre part à la mission que Dieu lui a confiée, suivant la situation propre à chacun. Bien que la proclamation officielle de l’Évangile ait été confiée aux évêques, aux prêtres et aux diacres, tous les chrétiens sont appelés à collaborer avec eux dans cette mission. Les laïcs chrétiens ont la responsabilité spéciale de rendre témoignage au Christ dans leur vie familiale, dans leur engagement social ou professionnel, dans leurs initiatives culturelles ou politiques.

59. La vie liturgique de l’Église est également orientée vers la proclamation et la propagation du royaume de Dieu. L’Église n’est pas moins au service du royaume par son intercession, puisque le royaume de Dieu est par sa nature même un don de Dieu, comme nous le rappellent les paraboles et la prière que Jésus nous a enseignée (cf. Mt 6,10).

60. Tout comme le Seigneur Jésus Christ a lavé les pieds de ses disciples à la dernière Cène, de même la liturgie et le service vont de pair. Il demande à tous ses disciples qu’ils suivent son exemple : “Car c’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi” (Jn 13,15). Le Seigneur a inclus nombre d’activités dans le service : donner à manger et à boire, offrir un abri, procurer des habits et visiter les malades et les prisonniers, etc. La notion de service recouvre tout le sens profond de l’amour chrétien actif pour les autres : “En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous l’avez fait à l’un des ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait” (Mt 25,40). Sans ces actes de service et de charité, il ne peut y avoir de proclamation de l’Évangile de Jésus Christ.

61. En dépit de la joie inhérente à la proclamation de l’Évangile, rendre témoignage comporte souvent aussi douleur et souffrance, comme cela est signifié par le mot même de martyria. Le Seigneur Jésus Christ n’a pas caché le prix à payer pour être disciple, quand il a chargé ses disciples de lui rendre témoignage (cf. Mt 10,16-42). Non seulement en des temps éloignés mais encore récemment, à travers le monde, des chrétiens ont vécu des situations des plus dramatiques, donnant leur vie pour le Christ, jusqu’à verser leur sang. L’histoire de nombreuses Églises a été écrite dans la couleur rouge du martyre. Le rayonnement du martyre non seulement est une preuve de la victoire de Dieu sur les forces de la haine et du mal, mais porte aussi en lui la promesse de vie nouvelle et de fécondité pour l’Église tout entière. La martyria reçoit sa force de la croix du Christ, puisque “si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais si au contraire il meurt, il porte du fruit en abondance (Jn 12,24). Les martyrs de tous les temps et de tous les lieux, se tenant devant le trône de l’Agneau, seront encore la gloire de l’Église dans le Royaume éternel de Dieu (cf. Ap 7,13-17).

62. L’engagement œcuménique fait partie intégrante de la mission de toute l’Église et de tous ses membres. Le fait que la Bonne Nouvelle de la réconciliation est prêchée par des chrétiens qui sont encore divisés entre eux affaiblit leur témoignage. Il est urgent de travailler à l’unité chrétienne, en sorte que notre témoignage chrétien et notre activité missionnaire puissent être plus efficaces. En outre, les efforts faits en vue de l’unité sont en eux-mêmes déjà un signe de l’œuvre de réconciliation que Dieu est en train de réaliser au milieu de nous. C’est pourquoi les chrétiens doivent persévérer pour trouver de nouvelles voies et de nouveaux moyens de collaborer plus étroitement dans l’accomplissement de leur commune mission d’évangélisation, selon que les circonstances de temps, de lieu et de culture le permettent.

63. Il est regrettable que le prosélytisme ait blessé la mission chrétienne. Au lieu de témoigner de l’amour de Dieu pour tous les peuples conformément au mandat missionnaire, des tentatives ont été faites pour recruter d’autres chrétiens par des moyens contraires à l’amour. Au lieu de renforcer la solidarité chrétienne, le prosélytisme lui porte atteinte en utilisant des moyens malhonnêtes pour pousser des membres d’autres Églises à changer d’appartenance. Au lieu de devenir réalité et d’être constamment rehaussé, le témoignage commun est mis en danger et défiguré : “Nous rejetons toute forme de prosélytisme, dans le sens d’actes par lesquels des personnes tentent de troubler la communauté des autres, en y recrutant de nouveaux membres, par des méthodes ou à cause d’attitudes d’esprit qui sont contraires à l’amour chrétien ou à ce qui devait caractériser les relations entre les Églises. Que ces procédés cessent, partout où ils peuvent exister. Catholiques et orthodoxes devraient s’efforcer d’approfondir la charité et de promouvoir la consultation, la réflexion et la coopération mutuelles dans les domaines social et intellectuel” [20].

64. L’activité missionnaire de l’Église présuppose le droit pour toute personne de suivre sa conscience et de jouir de la liberté religieuse entendue comme “le droit de toutes les personnes de rechercher la vérité et de témoigner de cette vérité selon leur conscience. Elle inclut la liberté de reconnaître Jésus Christ comme Seigneur et Sauveur et la liberté des chrétiens de témoigner de leur foi en lui par la parole et par l’action. La liberté religieuse inclut le droit d’adopter une religion ou d’en changer librement et de ‘l’exprimer par l’enseignement, la pratique, le culte et l’observance’ sans aucune contrainte qui porterait atteinte à cette liberté” [21].

65. Si un chrétien, pour des raisons de conscience, convaincu de la vérité et libre de toute pression, demande à entrer en pleine communion avec une autre Église, cela doit être respecté comme une expression de la liberté religieuse. Dans un tel cas, ce ne serait pas nécessairement une question de prosélytisme au sens négatif du mot, qui doit toujours être rejeté. Toutefois, il ne faudrait pas abuser de la notion de liberté religieuse pour justifier des activités de prosélytisme.

66. Il ne suffit pas de dénoncer le prosélytisme. Les pasteurs et les fidèles de nos Églises doivent continuer à se préparer à un témoignage chrétien commun authentique par la prière commune, l’éducation religieuse partagée, le respect les uns pour les autres dans le discours religieux, les activités pastorales coordonnées et un service commun (diakonia) dans les domaines humanitaire et social. Il est pour cela particulièrement important qu’il y ait des contacts fréquents et réguliers des évêques et autres supérieurs religieux catholiques avec ceux des Églises orthodoxes orientales.

 

Conclusion

67. Les membres de la Commission mixte rendent grâces à Dieu pour avoir été capables de préparer ce document, qui présente une large base d’accord dans des matières fondamentales de l’ecclésiologie entre l’Église catholique et les Églises orthodoxes orientales. Ils espèrent et sont confiants que sur le fond solide de ce document des études et des discussions ultérieures seront possibles sur d’autres questions qui sont au programme de la Commission. Certaines de ces questions figurent dans le plan de travail original de la Commission mixte ; d’autres ont été spécifiées dans le présent document. La Commission a l’intention de continuer son travail sur l’ensemble de ces questions suivant un ordre qui facilite au mieux l’approfondissement de la compréhension mutuelle et le témoignage commun dans notre marche vers la pleine communion en parvenant à l’unité complète dans la foi. Dans cet effort, nous comptons sur la grâce de Dieu, et nous soumettons ce document aux autorités de nos Églises pour leur réflexion et leur action.

 

Rome, 29 janvier 2009.

 

[1] Dans sa version grecque originale.

[2] Les citations bibliques sont généralement prises de la Traduction œcuménique de la Bible (TOB).

[3] Cyrille d’Alexandrie, Commentaire sur St Jean, 17, 20-21 ; livre XI, chapitre 11.

[4] Augustin, Serm. 268, 2 ; Jean Chrysostome, In Eph., hom. 9, 3; Didyme l’Aveugle, Trin. 2,1.

[5] Gregory of Datev, Book of Questions, “Why the Church is one ?”, Jerusalem, St. James Printing House, 1993, p. 533.

[6] Cyrille de Jérusalem, Les catéchèses baptismales et mystagogiques, catéchèse 18, 23, traduction de Jean Bouvet, revue et actualisée, collection “Les Pères dans la foi” n. 53-54, Paris, Migne, 1993, p. 310.

[7] Yovhan of Otzoun, Armenian Classical Authors, volume VII, Catholicossat arménien de Cilicie, Antélias, Liban, p. 96.

[8] Cf. 1 Clément 44.

[9] Cf. Ac 20,28 ; La lettre des Romains aux Corinthiens (1 Clément), 42-44.

[10] “Pareillement, que tous révèrent les diacres comme Jésus-Christ, comme aussi l’évêque, qui est l’image du Père, et les presbytres comme le sénat de Dieu et comme l’assemblée des apôtres : sans eux on ne peut parler d’Église” (Ignace d’Antioche, Lettre aux Tralliens III,1 ; trad. fr. par P.-Th. Camelot “Sources chrétiennes” 10bis, p. 113).

[11] Premier concile de Nicée, can. 4 : “Le plus convenable est qu’un évêque soit établi par tous les évêques de l’éparchie ; si la chose s’avérait difficile, soit en raison d’une nécessité urgente, soit à cause de la longueur de la route, il faut de toute façon que trois évêques se réunissent au même endroit – les absents donnant leur suffrage et exprimant leur consentement par écrit –, et fassent alors l’ordination. Que l’autorité sur ce qui se fait revienne dans chaque éparchie à l’évêque métropolitain” (trad. fr. dans Les conciles œcuméniques, 2. Les décrets, Paris, Éd. du Cerf, 1994, p. 39).

[12] Ignace d’Antioche, Lettre au Smyrniotes VIII, 1-2 (trad. fr. par P.-Th. Camelot, “Sources chrétiennes”10bis, 4e édition 1998, p. 139).

[13] Irénée de Lyon, Adversus Haereses, IV, 26, 5 : “C’est en effet là où furent déposés les charismes de Dieu qu’il faut s’instruire de la vérité, c’est-à-dire auprès de ceux en qui se trouvent réunies la succession apostolique dans l’Église depuis les apôtres, l’intégrité inattaquable de la conduite et la pureté incorruptible de la parole” (trad. fr. dans Irénée de Lyon, Contre les Hérésies, Livre IV, Tome II, coll. “Sources chrétiennes” 100, Paris, Éd. du Cerf, 1965, p. 729).

[14] Par exemple, Premier Concile de Nicée, can. 6 : “Que les anciennes coutumes en usage en Égypte, dans la Libye et la Pentapole soient maintenues, en sorte que l’évêque d’Alexandrie ait le pouvoir sur toutes ces éparchies, puisqu’une coutume de ce genre existe aussi pour l’évêque de Rome. De même pour Antioche et dans les autres éparchies, que leurs prérogatives soient conservées aux Églises” (trad. fr. dans Les conciles œcuméniques, 2. Les décrets, Paris, Éd. du Cerf, 1994, p. 41).

[15] Aux premiers siècles de l’Église, des primautés régionales ont été fondées dans l’Empire romain (par exemple, Rome, Alexandrie, Antioche) comme en dehors des limites de l’Empire romain (par exemple, en Arménie, en Géorgie, et en Albanie caucasienne) ; plus récemment des primautés régionales ont été fondées en différents pays (par exemple en Ethiopie et en Inde).

[16] Canones Apostolorum, VIII, 47, 34 ; éd. F.X. Funk, I, pp. 572-574; trad. fr. dans Les Constitutions apostoliques, Tome III, Livres VII et VIII. Introduction, texte critique, traduction et notes par M. Metzger, coll. “Sources chrétiennes” 336, Paris, Éd. du Cerf, 1987, p. 285.

[17] Premier Concile de Nicée, can. 6 : “Voici, d’autre part, un point tout à fait évident : si quelqu’un est devenu évêque sans l’assentiment du métropolitain, le grand concile a décidé qu’il n’est même pas évêque. Mais au cas où, l’élection ayant été faite par le vote commun de tous, de manière raisonnable et selon la règle ecclésiastique, deux ou trois feraient opposition par animosité, que le vote de la majorité l’emporte (trad. fr. dans Les conciles œcuméniques, 2. Les décrets, Paris, Éd. du Cerf, 1994, p. 43).

[18] Par exemple, les accords christologiques signés entre l’Église catholique et l’Église copte orthodoxe, l’Église syrienne orthodoxe, l’Église malankare syrienne orthodoxe, l’Église malankare orthodoxe syrienne.

[19] Commonitorium ch. II, n. 6 (Saint Vincent de Lérins, Le Commonitorium, traduit et présenté par Michel Meslin, Namur, Éd. du Soleil levant, 1959, p. 39).

[20] Cf. la déclaration commune signée par le Pape Paul VI et le Pape Shenouda III, le 10 mai 1973.

[21] Groupe mixte de travail entre l’Église catholique et le Conseil œcuménique des Églises, Le défi du prosélytisme et l’appel au témoignage commun, 1995, n. 15.