LA PAROLE DE VIE

Déclaration sur la Révélation et la Foi

Rapport de la Commission mixte de dialogue
entre  l’Église catholique et le Conseil méthodiste mondial

1992-1996

 

PRÉFACE

Dans tous les pays du monde, des hommes et des femmes, jeunes et vieux, célèbrent dans les églises, les cathédrales, les chapelles et les petits groupes, et confessent dans une grande diversité de cultures et en de multiples langues que « Jésus-Christ est Seigneur ». Ils ont découvert que le Rédempteur du monde est leur Sauveur, et leur adhésion au Christ donne à leur vie son sens et son but.

En Asie et en Afrique, le nombre des chrétiens a doublé ces derniers temps. Les semences jetées antérieurement commencent à lever. Des évangélistes indigènes assurent la création et l’animation de nouvelles communautés d’Eglise. De nouvelles communautés ecclésiales naissent également en des lieux que certains jugeaient passés à une ère « post-chrétienne ». Dans les pays d’Europe de l’Est, des croyants ont vécu leur foi avec ténacité face à l’oppression et à l’athéisme ; ils témoignent à présent avec force de la manière dont la foi continue de survivre à toutes les forces qui voudraient la détruire. De nouveaux signes de vie apparaissent dans les pays occidentaux, là où des chrétiens confessent leur foi comme une alternative sensée aux valeurs matérialistes prévalentes et au sécularisme triomphant qui avait semblé être une tendance irrépressible du monde moderne.

Les catholiques et les méthodistes participent à cette persistance étonnante, à cette croissance explosive de la présence et du témoignage chrétiens dans le monde. Que ce soit dans une paroisse catholique au Zaïre ou dans une communauté méthodiste urbaine en Corée, dans la prédication de la Parole comme à la Table du Seigneur, l’acclamation commune résonne : « Christ est mort, Christ est ressuscité, Christ reviendra ». La louange conduit les fidèles, méthodistes et catholiques, à témoigner de l'Evangile et à se dévouer en allant faire connaître le Seigneur autour d’eux.

Les catholiques et les méthodistes ont fondamentalement la même foi. Mais, bien que partageant parfois la prière et le témoignage, ils suivent souvent chacun de son côté, des voies plus ou moins parallèles. La situation présente met en question la séparation dont nous avons hérité et nous presse de rechercher notre pleine communion en Christ. Le travail de cette Commission a été orienté jusqu’à présent à cette fin. Notre document précédent, La Tradition apostolique, a étudié la source de notre foi et les moyens par lesquels elle nous a été communiquée.

La Parole de Dieu, qui nous révèle Dieu, et l’Esprit de Dieu qui nous rend capables de connaître Dieu, nous ont maintenant conduits a étudier de plus près les voies dans lesquelles Dieu se donne à nous et la réponse que nous faisons. La révélation de Dieu se donne à recevoir comme parole de vie à confesser, à propager et à célébrer. Plus nous pourrons faire cela ensemble, plus nous serons en harmonie avec l'Evangile de la réconciliation, et plus crédible sera notre témoignage, à la gloire de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. C’est pourquoi nous cherchons la pleine communion dans la foi, la mission et la vie sacramentelle. Ce Rapport s’offre comme une contribution à la réalisation de l’accord doctrinal nécessaire dans ce but.

 

Les co-Présidents

Mgr James W. Malone
Eglise catholique romaine

Dr Geoffrey WAINWRIGHT 
Conseil méthodiste mondial

 

15 novembre 1995

 

INTRODUCTION

1. En continuant sa recherche de l’accord doctrinal nécessaire à la pleine communion entre catholiques et méthodistes, la Commission mixte traite à présent de ce qu’on appelle en théologie la «Révélation » et la « foi ». Nous cherchons des manières acceptables de part et d’autre d’exposer l’auto-révélation dans l’histoire et, bien sûr, l’auto-communication du Dieu un et trine, en Jésus-Christ, le Verbe fait chair, et manifestée aux générations successives de croyants par le Saint-Esprit, donné avec puissance à la Pentecôte. Nous cherchons à expliquer d’une même voix que des hommes, des femmes et des enfants, ouverts à la présence de grâce de Dieu, sont rendus capables de s’engager corps et âme, cœur et esprit et volonté, envers leur Créateur et Rédempteur et, dans la communion avec lui, sont renouvelés dans l’image divine, dans la sainteté et le bonheur que Dieu a destinés à l’humanité. La révélation de Dieu et la réponse humaine constituent la substance de la foi, de la mission et de la vie sacramentelle de l'Eglise, et plus nous pouvons rendre compte en commun de ces réalités, plus nous pourrons nous rapprocher les uns des autre dans la compréhension et la pratique que nous en avons, et serons donc plus prêts à la pleine communion entre nous.

2. Cherchant à placer son travail sous la Parole de Dieu , la Commission a réécouté les paroles qui ouvrent la Première épître de saint Jean :

« Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, - car la vie s’est manifestée, et nous avons vu et nous rendons témoignage et nous vous annonçons la vie éternelle, qui était tournée vers le Père et s’est manifestée à nous, - ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi, afin que vous aussi, vous soyez en communion avec nous. Et notre communion est communion avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ » (1 Jn 1:1-3).

Ce texte sacré part de la particularité de l’auto-révélation en Christ du Dieu d’Israël : le Verbe divin, qui était dès le commencement avec Dieu et a conduit l’histoire du peuple élu, s’est fait chair en Jésus. Cette pure auto-communication de Dieu est une parole de vie à l’humanité : Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. Dans le Christ, dans ses paroles, ses actes, son existence entière, Dieu a été révélé sous une forme audible, visible, tangible ; Dieu a été reçu par des oreilles, des yeux, des mains d’hommes. Ce que les premiers croyants en ont perçu, ils en témoignent et ils le transmettent, car le message diffuse l’offre d’une vie partagée avec Dieu. Les modes de l’annonce, naturellement, reflèteront, répercuteront et transmettront ce qui était vu, entendu et touché dans la manifestation corporelle de Dieu en Jésus-Christ. Accueillis dans la foi, les paroles, les signes et les actions de l'Evangile deviennent les moyens de la communion avec l’unique vrai Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. La vie divine dans laquelle l’Esprit introduit les croyants se veut une vie commune, chacun recevant et transmettant ce qui est toujours don de Dieu .

3. Nous trouvons déjà indiqués dans ce passage de l’Ecriture tous les principaux thèmes des travaux et du Rapport de la Commission : le don de la révélation du Dieu un et trine ; la réponse humaine de foi ; la proclamation, comme message missionnaire, de ce qui a été reçu dans la foi ; la parole et le sacrement comme les moyens de grâce intelligibles et tangibles ; la communion avec le Dieu un et trine comme étant la vie même de l'Eglise, la communauté des croyants qui offre au monde, au nom de Dieu, le salut que l'Eglise anticipe déjà dans la joie.

4. La révélation du Dieu un et trine est la source de la foi de l'Eglise, de la mission de l'Eglise et de la vie sacramentelle de l'Eglise. Ce sont là trois composantes essentielles de la pleine communion que notre commission a déclaré être le but final de notre dialogue (cf. Vers une déclaration sur l'Eglise, § 20 ; La Tradition apostolique, § 94). On trouvera ci-après une description rapide de la Révélation, de la foi, de la mission et de la vie sacramentelle. La partie principale de ce Rapport les examinera ensuite plus en détail, pour dégager leurs connexions et offrir finalement une vision de notre but, la pleine communion.

5. La Révélation est l’auto-dévoilement de Dieu aux créatures humaines. Ayant déjà laissé une marque divine sur tout ce qu’il a fait, Dieu a inauguré une auto-révélation plus directe en parlant à Abraham, qui fut appelé à la terre où résideraient ses descendants. On connut le Créateur comme « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ». Abraham et Sarah, qui reçurent la promesse de Dieu, ont été considérés comme les modèles de tous les croyants. Donnant la loi par Moïse et conduisant le peuple élu par les juges, les rois et les prophètes, Dieu fut connu du peuple d’Israël d’une manière unique parmi les nations. Et cette connaissance de Dieu et de notre condition humaine devant lui a été transmise aux âges ultérieurs par les Ecritures de l’ Ancien Testament.

6. Au sein de ce peuple élu, au temps fixé, Dieu envoya le Verbe divin qui prit chair de la Vierge Marie, Jésus, le Christ, Rédempteur et Médiateur, en qui la révélation divine fut pleinement incarnée. La première réponse à cette révélation en Christ est formulée dans les Ecritures du Nouveau Testament, qui sont ainsi normatives pour tous les âges ultérieurs.

7. Les Ecritures attestent que c’est par l’Esprit de Dieu que les êtres humains voient Dieu manifesté dans l’histoire. Leur réponse à la révélation est ainsi plus qu’une simple réaction à des événements extraordinaires ; elle est ‘foi’, c'est-à-dire une connaissance qui implique l’engagement personnel total, corps et âme, cœur et esprit, à l’auto-dévoilement divin - de Celui que Jésus appelait « Abba, Père », du Verbe dont la présence, l’action, est perçue dans les paroles et les actes de Jésus-Christ, et de l’Esprit, qui rend tout croyant capable de croire et de persévérer.

8. La révélation et la foi sont ainsi des événements, des moments corrélatifs. Ce que Dieu révèle par Jésus est saisi dans la foi par la puissance du Saint-Esprit. Dans l’ Ancien Testament, cette foi était une réponse inspirée à Dieu connu comme le Créateur et le Législateur qui parlait aussi par les prophètes ; dans le Nouveau Testament, elle est modelée par la conscience fondamentale de la trinité de Dieu dans l’unité, inscrite et vécue dans la communauté chrétienne. Le témoignage rendu à cette foi trinitaire a été transmis dans la tradition apostolique. Il a été maintenu à travers les âges par le baptême au triple Nom de Dieu, «le Père, le Fils et le Saint-Esprit », formulé dans les symboles de foi traditionnels et réfléchi dans les décisions et les exhortations des grands conciles de l'Eglise. Les catholiques et les méthodistes sont pleinement d’accord sur cette dimension christologique et trinitaire de la révélation et de la foi.

9. La révélation de Dieu vise à amener la communion entre l’humanité et Dieu. La réponse de foi au don de lui-même par Dieu est fondamentalement une réaction d’acceptation reconnaissante et d’abandon de soi dans l’amour. Tous ceux qui ont accueilli la révélation du Père, Fils et Saint-Esprit se sentent tenus de célébrer ensemble les actes merveilleux de Dieu et de les manifester au monde :

  • Les chrétiens ont toujours été prêts à rendre compte de l’espérance qui est en eux (cf. 1 P 3:15) et ont professé leur foi publiquement. Unis au Christ par le baptême et le Repas du Seigneur, ils sont appelés à faire leur la foi de toute la communauté des croyants. Dimanche après dimanche, les méthodistes et les catholiques reprennent les même affirmations de foi fondamentales durant le culte, et cet acte les pousse à travailler à l’unité de foi dans tous les aspects de la vie chrétienne.
  • Depuis le jour de la Pentecôte, les croyants sont allés dans la puissance de l’Esprit partager ce qu’ils ont vu, entendu et touché. Conscients que le don qu’ils ont reçu n’est pas pour eux seuls ; et que le Christ par son Esprit les a chargés de faire des disciples de toutes les nations. La foi s’extériorise en mission. Les catholiques et les méthodistes reconnaissent qu’ils ont à surmonter tout ce qui les empêche de rendre un seul témoignage au Dieu unique révélé en Jésus-Christ.
  • La communauté qui confesse sa foi et se lance dans la mission pour le monde éprouve la réalité de la promesse du Christ : « Je suis avec vous toujours, jusqu’à la fin des temps » (Mt 28:20). Sa communion, son culte surtout, manifestent cette grâce de Dieu. Dans sa prière, sa prédication et sa pratique sacramentelle, elle est nourrie en communion avec Dieu, offrant à l’humanité une invitation à accepter le salut offert en Jésus-Christ. Ici, également, l’Esprit du Christ nous provoque à la réconciliation autour d’une seule table, dans une unité d’adoration et de louange, pour que le monde croie.

10. Par le baptême, et la foi en Christ qu’il signifie, les catholiques et les méthodistes jouissent déjà d’une certaine communion ecclésiale. L’objet du dialogue entre nous est d’accroître et d’approfondir notre relation jusqu’à ce que nous atteignions à un accord sur la vérité chrétienne suffisamment poussé pour que notre baptême commun puisse se compléter sans équivoque par la participation mutuelle au Repas auquel l’unique Seigneur nous invite avec tous les siens. L’unité que nous cherchons à promouvoir n’est pas seulement pour notre propre satisfaction, elle commande la crédibilité du témoignage à rendre à la réconciliation que Dieu a opérée en Christ pour le monde et donc dans l’humanité. Notre unité doit nous permettre de « glorifier d’un même cœur et d’une seule voix le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ » (Rm 15:6), en anticipation du jour où tout genou fléchira, et toute langue confessera que « Jésus est Seigneur », à la gloire de Dieu le Père (cf. Ph 2:10). En tant que catholiques et méthodistes, nous sommes inspirés et soutenus par une vision du moment suprême où « il y aura une union profonde, intime, ininterrompue avec Dieu ; une communion constante avec le Père et son Fils Jésus-Christ, par l’Esprit ; une jouissance continuelle du Dieu Un et Trine, et de toutes les créatures en lui ! » (John Wesley, Sermon 64, ‘ La nouvelle Création’, 1785).

 

SECTION I : LA RÉVÉLATION

I : L’auto-communication de Dieu

11. « Penses-tu trouver Dieu, à force de creuser ? » (Jb 11:7). La réponse de la Bible est claire : nous ne pouvons trouver Dieu par nos efforts pour le chercher. L’effort humain à lui seul ne peut percer le mystère de son Etre. Et même, bien que créés à l’image de Dieu, les hommes ont été aveugles à la lumière de ce mystère dans l’ordre créé. Notre connaissance de Dieu dépend entièrement du choix libre et gratuit du Créateur de se faire connaître, choix qu’il a maintenu à cause du but qu’il poursuit pour notre bien.

12. Nous appelons cette auto-communication de Dieu « révélation », à cause des images, fréquentes dans la Bible, de quelqu’un qui est caché et qui entreprend de se dévoiler lui-même, tout en montrant aux gens la bonne direction et ouvrant leurs yeux pour qu’ils puissent le voir véritablement. Tout n’était pas révélé, malgré tout, dans cette auto-communication. Même Jacob, qui lutta avec Dieu et le vit face à face sans mourir, y gagnant le nom nouveau d’ « Israël » (cf. Gn 32:30), ne connut pas Dieu pleinement ; le nom de Dieu lui resta caché. « Je [leur] suis apparu comme le Dieu tout-puissant », rappelait Dieu à Moïse, « mais par mon nom, le Seigneur, je ne me suis pas fait connaître d’eux » (Ex 6:3).

13. Le changement du nom de Jacob en Israël, et avant lui de celui d’Abram en Abraham, nous rappelle que lorsque Dieu est connu ou vu par révélation il y a là plus qu’un surcroît d’ information. Dans la pensée biblique un nom est plus qu’une étiquette ; il rend présent l’être et le caractère de celui qui est nommé. La connaissance de Dieu dans sa révélation entraîne ainsi une nouvelle relation, une nouvelle possibilité, et même, dans les termes de Paul, « une nouvelle création » (2 Co 5,17). Lorsque Simon reconnaît Jésus comme le Fils du Dieu vivant il devient Pierre, la pierre sur laquelle l'Eglise sera construite. Quand la lumière de la révélation atteint Saul sur le chemin de Damas il devient Paul, l’apôtre des Gentils. Ceux qui accueillent la révélation de Dieu en Jésus-Christ sont conformés à son image et reçoivent son nom.

 

II : La révélation de Dieu dans l'histoire

 

A. L’histoire du salut

14. Que Dieu se révèle dans l’histoire est un thème central de la prédication et de l’enseignement de l'Eglise car il porte sur les événements qui ont fait d’Israël un peuple par lequel toutes les nations seraient bénies. Certains événements sont plus particulièrement soulignés : la vocation d’Abraham, les événements de l’Exode et du Sinaï, l’établissement dans la Terre promise, le retour de la captivité de Babylone. On voit là des manifestations paradigmatiques de Dieu comme créateur, rédempteur, protecteur et libérateur.

15. Il importe cependant de noter deux choses :

Premièrement, que ces faits par eux-mêmes n’étaient pas nécessairement révélation. Il n’était pas toujours clair sur le moment qui était ce Dieu qui se révélait, où quelle réponse l’événement appelait de la part de ceux qui y étaient impliqués. Les Egyptiens ont-ils reconnu la main de Dieu dans l’Exode ? « Le Seigneur est-il parmi nous ou non ? » réclamait le peuple auprès de Moïse dans le désert (Ex 17:7). Comment pouvaient-ils chanter le cantique du Seigneur dans la Babylone étrangère ? Il a donc fallu, avec l’événement, la parole d’interprétation, venant parfois directement de Dieu, plus souvent par les prophètes, et spécialement dans la Torah avec ses commandements par lesquels Dieu révélait sa volonté.

Deuxièmement, l’histoire dans laquelle Dieu est révélé n’est pas limitée à ces événements spéciaux. Dieu est présent en toute histoire - présent à Israël comme juge, même quand il semble l’avoir abandonné ; Seigneur sur toutes les nations même si elles ne le reconnaissent pas ; reflété dans la création même s’il n’est pas clairement perçu ; ayant son image dans ses créatures humaines, même si elles ont déformé cette image.

16. La révélation a donc globalement avec l’histoire la relation que voici : pour ceux qui ont des yeux pour voir et des cœurs pour savoir, la destinée de tous les individus et des nations est l’affaire du Dieu Créateur et sera accomplie quand viendra son Jour, si imprévisible que soit l’échéance, comme le rappelle Amos (cf. 5:18).

 

B. Jésus-Christ, l’événement décisif de la révélation

17. Les auteurs du Nouveau Testament affirment, chacun à sa manière, que l’auto- révélation de Dieu dans l’histoire culmine en Jésus-Christ. Dans sa vie, sa mort et sa résurrection il révèle Dieu de manière unique. Jésus fait plus qu’annoncer et montrer le royaume qui vient ; dans ses actions puissantes et sa vie d’obéissance aimante au Père, le royaume est déjà présent (Luc). En tant que porteur de la Parole il est plus que le dernier d’une longue lignée de prophètes, plus même que le prophète dont la venue annoncerait les derniers jours ; il apporte la Parole de Dieu en en étant l’incarnation (Jean). Il est plus grand que les prêtres et les anges - que les prophètes ; il est le Fils éternel par qui le monde a été fondé et à qui toutes choses sont maintenant soumises (Hébreux).

18. En écho à ce thème, Paul continue l’image du « dévoilement de ce qui a été caché ». En Jésus est révélé le mystère jusqu’alors caché du dessein de Dieu, pour conduire toutes les nations à l’obéissance (cf. Rm 16,25). Et Jésus fait plus qu’annoncer simplement cette intention ; il révèle le juste dessein de Dieu en l’accomplissant, en mourant pour que même les impies soient réconciliés avec Dieu (cf. Rm 5:7-8) et que puisse commencer la remise en ordre du cosmos tout entier (cf. Co 1:18-20).

 

C. La révélation comme parole et comme acte

19. Il est clair que c’est seulement à cause de ces tout premiers témoignages rendus à Jésus que nous le connaissons comme l’auto-révélation de Dieu. Nous dépendons de ceux qui en vinrent à croire en lui sur le moment et qui répandirent la parole à son sujet, de ceux qui par la suite rapportèrent par écrit non simplement les faits mais encore leur sens et leur signification, et de ceux qui ont été depuis lors et jusqu’à nous, dans la communauté de foi, les interprètes vivants et fidèles de la tradition.

20. Il est significatif que ce lien entre l’événement et la parole qui l’interprète remonte aux actions et au discours de Jésus. En lisant les Evangiles, nous voyons que ses paroles et ses actes puissants rendaient témoignage à Jésus lui-même, invitant les gens à reconnaître en lui la puissance et l’autorité de Dieu.

21. Ainsi, par exemple, les enseignements éthiques de Jésus sur le meurtre et l’adultère n’appellent pas uniquement à renoncer à la colère et au désir : ils demandent de décider qui est celui qui revendique l’autorité d’aller plus loin que les autorités reçues, donc une décision sur le point de savoir si Jésus doit être accepté comme un authentique révélateur de Dieu. De même, les miracles de guérison de Jésus lui rendent témoignage du fait qu’ils appellent à croire non simplement qu’il va réussir, mais qu’il veut être reconnu comme exerçant le pouvoir et l’autorité de la part de nul autre que Dieu. L’acte s’accompagne donc de la parole d’interprétation. Chasser le démon, par exemple, est lié à l’autorité de Jésus comme maître (cf. Mc 1:21-28); guérir le paralytique s’accompagne du pardon qu’il proclame avec autorité (cf. Mc 2:1-12) ; ce qu’implique le fait de guérir le jour du sabbat est rendu clair par ses paroles : « le Fils de l’homme est maître même du Sabbath » (Mc 2:28). Jean montre lui aussi qu’il y a révélation lorsque la parole est jointe à l’ acte : nourrir la multitude s’accompagne de « Je suis le pain de vie » (Jn 9) ; la guérison de l’aveugle de « Je suis la lumière du monde » (Jn 9) ; la résurrection de Lazare de « Je suis la résurrection et la vie » (Jn 11). Ainsi les paroles comme les actes de Jésus prennent-ils leur pleine signification de leur source et de leur puissance en Dieu.

22. Le dessein de Dieu a été connu également à travers ceux qui en vinrent à avoir foi en Jésus. Lorsque la communauté croyante a proclamé l'Evangile de l’amour de Dieu révélé en Jésus, le Christ, et manifesté les dons de l’Esprit dans la vie de ses membres, d’autres personnes en sont venues à croire en Jésus, à connaître sa présence de ressuscité et à suivre ses traces. Cette révélation ne vient pas simplement par des paroles mais également par ce que les croyants sont devenus à travers leur appel par Jésus et dans la force que donne le Saint-Esprit. « La lumière de la connaissance de la gloire de Dieu, face au Christ ,» qui est venue à Paul et aux autres, brille à présent par eux qui ne sont que des vases de terre, afin que le pouvoir transcendant soit connu, afin que « la vie de Jésus soit manifestée » (2 Co 4 : 5-10; cf. 1 Th 1:5).

23. Ainsi en va-t-il dans la vie de l'Eglise. Lorsque l’on rend fidèlement témoignage à Jésus-Christ, les gens entendent la Parole de Dieu dans le témoignage et connaissent le Dieu d’amour à travers les actes d’amour. Tous les fidèles sont appelés à pareil témoignage en paroles et en actes, mais pas isolément les uns des autres. Etre ‘en Christ’, c’est déjà appartenir non seulement au Christ, mais appartenir aussi à toute la société des croyants qui vivent de sa grâce. Depuis le commencement de son ministère Jésus en a appelé d’autres pour être avec lui afin d’incarner le projet d’amour de Dieu pour le monde. Ainsi Paul, après la résurrection, a-t-il pu appeler l'Eglise corps du Christ et communauté du Saint-Esprit .

 

III : La révélation de Dieu : Père, Fils et Sant-Esprit

24. Les disciples de Jésus ont reconnu depuis le début que sa vie et son œuvre ne pouvaient s’expliquer humainement. La question se posait donc : quelle était sa relation au Créateur du ciel et de la terre ? Et à l’Esprit qui planait sur les eaux à la création et inspirait les paroles et les actions des prophètes ? Intégralement liées à ces questions au sujet de sa personne, il y en avait d’autres au sujet de son œuvre : Qu’a-t-il fait ? Comment sa mort et sa résurrection sont-elles l’œuvre de Dieu pour notre salut ?

25. Le témoignage biblique a conduit l'Eglise à la conviction que Père, et Fils et Esprit se donnaient eux-mêmes pour notre rédemption à tous. Sur la croix Jésus a souffert et est mort, en en appelant à la compassion du Père pour son Fils qui endurait l’aliénation humaine dans toute son ampleur, afin de la racheter. Tout comme nous voyons la relation de Jésus à celui qu’il appelait Père atteindre sa tension la plus dramatique au moment de sa mort, de même sa relation à l’Esprit se voit clairement dans le témoignage de sa vie. C’est par l’Esprit qu’il fut conçu, oint au baptême en vue de son appel comme Fils, et conduit au désert pour y affronter les autres manières d’être Fils que faisait valoir le Tentateur. Dans l’Esprit il a enseigné, par l’Esprit il a guéri et par là révélé la présence du Royaume ; avec l’Esprit il a équipé ses disciples pour leur ministère en son nom.

26. Ce témoignage rendu à la vie de Jésus, comme part de l’ histoire du Père, Fils et Saint-Esprit, est confirmé par la résurrection. Car la résurrection atteste à la fois la victoire du Père qui a ressuscité Jésus d’entre les morts et des ténèbres, et la puissance de l’Esprit qui conforme les croyants à l’image du Christ. Vivant dans la présence du Seigneur ressuscité, nous savons par la foi la puissance de transformation du Saint-Esprit et nous sommes rendus capables de vivre comme des enfants reconnaissants du Père. L’Eglise rend ainsi gloire au seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit .

 

SECTION II : LA FOI

27. La révélation de Dieu est reçue par la foi qu’elle suscite ; et l’acte de foi a été défini dans la tradition par la formule « la foi par laquelle nous croyons » (fides qua creditur). Ce qui implique que la foi croyante s’adresse à Dieu, à l’histoire de sa révélation, à ses résultats et à son accomplissement attendu ; le contenu de la foi est ‘la foi qui est crue’ (fides quae creditur). En tant que réponse vivante au Dieu vivant, la foi croît et produit des fruits, son authenticité étant testée dans un processus de discernement. Ces trois aspects de la foi sont l’objet de ce qui suit : la foi par laquelle nous croyons, la foi qui est crue, et la fécondité de la foi.

 

I : La foi par laquelle nous croyons

28. L’Evangile invite tous les êtres humains à se joindre aux premiers disciples pour accueillir la révélation de Dieu en Jésus-Christ. C’est dans une situation de péché que cette révélation est reçue. L’humanité entière a été infectée à tel point par le repli sur soi, la suffisance et la recherche des faux dieux que, face à la sainteté totale de Jésus, elle est vue comme ayant péché en Adam. Cette condition pécheresse fondamentale se constate de bien des manières, et spécialement dans l’insécurité et l’affliction qu’entraînent l’échec continuel à faire bien et le choix fréquent de faire ce qui est mal. Au sein de cette condition pécheresse, Jésus vient comme le seul Sauveur, la révélation de Dieu prend la dimension d’une rédemption, et la foi est offerte par l’Esprit comme foi qu sauve, par laquelle ceux qui croient à l'Evangile reçoivent le pardon, la justification, la sanctification et toutes les grâces nécessaires pour persévérer dans les voies de Dieu .

29. Les croyants professent cette foi qui sauve comme membres d’une communauté, communauté de ceux qui, comme Marie à l’Annonciation (cf. Luc 1:38), ont consenti au dessein de Dieu sur leur vie et qui, comme Pierre, ont confessé que Jésus est « le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16:16). L’Eglise, communauté du salut, regroupe en elle tous ceux qui ont été effectivement appelés « des ténèbres à la merveilleuse lumière de Dieu « (1 P 2:9). Par le partage de la Parole et la participation aux sacrements de la foi, les membres de l'Eglise sentent la main guérissante du Christ quand ils luttent avec les nombreux obstacles que l’Ecriture appelle le monde, la chair et le diable (cf. 1 Jn 2:13-16) ; et ils ont déjà un avant-goût de la victoire du Christ sur la mort (cf. He 6:4-5).

30. Ce n’est pas par le pouvoir humain que les croyants perçoivent la Parole qui leur est adressée par le Christ, qu’ils la croient et accèdent au salut (cf. Mt 16:17). La foi est le don de Dieu, qu’ils acceptent. Trouvant en Jésus « l’initiateur de leur foi, celui qui la mène à son accomplissement, et qui, renonçant à la joie qui lui revenait, endura la croix » (He 12:2), les fidèles font une conversion, apprennent la fidélité et rendent témoignage à Celui en qui ils mettent leur confiance. Ils s’efforcent de pratiquer une obéissance aimante et de bon cœur. Parce qu’ils croient au Christ ils lui obéissent. Parce qu’ils entendent et confessent la vérité de sa révélation, ils cherchent à en vivre. Parce qu’ils ont foi en ses promesses ils s’abandonnent à Dieu et travaillent à la perfection à laquelle ils sont appelés. Dans leur vie de fidélité et d’obéissance ils sont conduits par l’inspiration du Saint-Esprit .

31. Tout en étant entièrement don de Dieu, la foi est inséparablement un acte libre et une attitude de réception reconnaissante de la grâce et de la révélation de Dieu, ainsi qu’un acte d’engagement personnel envers le Seigneur vivant qui, du début à la fin, est le guide des fidèles par l’action du Saint-Esprit (cf.1 Co 12:3). Donnée librement, elle est acceptée librement. En transformant la vie humaine, elle rend l’esprit capable de discerner le plan divin du salut tel qu’il est décrit dans les Ecritures et repris dans les symboles de foi, par lesquels l'Eglise a de temps à autre formulé sa foi dans l’unanimité des esprits et des cœurs (cf. Ac 4:32). Dans cette fidélité l’intellect se trouve alimenté, par la révélation, de convictions ressenties du fond du cœur.

 

II : La foi qui est crue

32. Parler, du même souffle, de la foi « qui transforme la vie humaine » et « qui rend l’esprit capable de discerner le plan de Dieu » : de « conviction ressentie du fond du cœur » et de « nourrir l’intellect », de « l’unanimité des esprits et des cœurs », confirme qu’on ne peut séparer la vie de foi des déclarations de foi. La foi qui reçoit la révélation de Dieu, la foi par laquelle nous croyons, est plus qu’une forme de sentiment humain, même si elle ne va pas sans gratitude, assurance et joie. Elle est une réponse qui reçoit sa forme de la nature et de l’être de Dieu qui se donne lui-même dans la révélation. Ainsi, ce qui est cru est partie intégrante de la foi, c’est ce qui donne contenu à cette vie de fidélité et d’obéissance à laquelle les fidèles sont conduits sous la motion du Saint-Esprit .

33. Déjà le Nouveau Testament fait clairement le lien entre la foi par laquelle nous croyons, la foi qui est crue et l’action animée par la foi qui en est la suite logique. Dans la lettre aux Philippiens (2:6-8) Paul insère un hymne ancien au sujet de Jésus-Christ « qui, bien qu’étant de condition divine, n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu, mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Et par son aspect il était reconnu comme un homme, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, la mort sur une croix. » Il s’agissait par là non seulement de permettre à Paul et à la communauté de formuler leur foi d’une même voix mais en outre de les munir du modèle de leur vie comme corps du Christ, dans l’imitation de son exemple vivant. Aussi cette affirmation de foi est-elle introduite par les mots : « Comportez-vous entre vous comme vous êtes dans le Christ Jésus. » La foi par laquelle nous croyons et la foi qui est crue convergent dans la vie d’obéissance dans la foi.

34. Historiquement, l'Eglise a toujours exprimé cette foi sous la forme de confessions de foi. Comme on le notait plus haut, les affirmations de l’Epître aux Philippiens sont dans le contexte du don de la vie au croyant. Que l'Eglise primitive ait compris de la même manière ses propres déclarations de foi, formellement plus élaborées, apparaît à l’emploi généralisé du terme de « symbole » pour désigner la confession de foi. On s’inspirait là d’une pratique habituelle pour la conclusion des contrats. Chaque partie prenait un tesson de poterie et le rapprochement de ces éclats d’argile servait le cas échéant à vérifier l’identité des contractants. On appelait de tels fragments ’symboles’ (du grec symbolon, mettre ensemble). Appeler la confession de foi ‘symbole’, c’était donc souligner la manière dont elle réunit le don de Dieu et la réponse de l'Eglise, les croyants étant eux aussi réunis par l’affirmation de ce signe de la foi qui sauve. C’est pourquoi, lors des rites de l’initiation, l’évêque remettait le credo aux futurs baptisés en signe de leur participation active à la communauté croyante : ils auraient ensuite à entériner ce geste en s’unissant à la récitation du credo au cours de l’office.

35. Les symboles sont ainsi, avec les sacrements et l’autorité, une composante de ce que saint Augustin considérait comme la manière universellement reconnue (catholica) de faire nôtre l’auto-communication de Dieu en Christ. C’est donc une erreur que de les considérer comme de simples collections d’articles de foi qui ne requièrent que l’assentiment intellectuel. Ils transmettent le message de l'Evangile d’une manière que catholiques et méthodistes considèrent comme normative et source de vie, comme on le voit par leur emploi régulier dans la liturgie. Pour nos deux Eglises, donc, ce qui est cru est matière à assurance joyeuse, conduisant à suivre la voie de la foi.

36. Dans sa Lettre à un catholique romain, John Wesley définit la foi à laquelle souscrivent les vrais protestants et les vrais catholiques, la foi qui croit et la foi par laquelle nous croyons, et qui mène à agir avec foi. Il suit le plan du Credo de Nicée : Dieu le Père de tous, qui « par pure bonté créa le ciel et la terre et tout ce qu’ils renferment » ; Jésus-Christ, « conçu par la seule opération du Saint-Esprit et né de la Bienheureuse Vierge Marie », unissant « la nature humaine à la nature divine en une personne ; mourant sur la croix, ressuscité et élevé » comme « Médiateur jusqu’à la fin du monde » ; l’Esprit éternel et infini de Dieu, égal au Père et au Fils, ... non seulement parfaitement saint en lui-même mais cause immédiate de sainteté en nous » ; la sainte Eglise catholique rassemblée par le Christ à travers ses apôtres; le pardon, la justification et la résurrection des fidèles. Wesley poursuit en insistant sur la mise en pratique d’une telle foi par ceux qui croient. Ainsi, l’appel à l’unité, l’idée que protestants et catholiques doivent « s’entr’aider en tout ce qui, d’un commun accord, conduit au Royaume, » se base-t-il sur la conviction que ce qui est cru et affirmé en commun doit s’incarner dans la vie du croyant comme dans celle de la communauté de foi. C’est avec cette conviction que catholiques et méthodistes continuent à dialoguer, « pour ne pas démériter de la religion d’amour et n’être pas condamnés par cela même que nous confessons ». La foi se juge à ses fruits.

 

III : La fécondité de la foi

A. La croissance de la foi

37. La réponse vivante au Dieu vivant révélé dans la Bible engage toute la personne et nous pouvons ainsi parler d’une diversité de voies dans lesquelles la réponse est vécue et s’exprime dans l'Eglise. Nous répondons à l’auto-dévoilement de Dieu non seulement par le simple assentiment à ce qu’il a fait pour nous en Christ, mais encore en revenant à notre vocation originelle, par une vie de foi vécue dans l’ histoire. La révélation est transmise par des gens de chair et de sang, dans des situations diverses. De là une fécondité créatrice et dynamique, et telle, que l'Eglise, comme un corps vivant, développe toujours de nouvelles expressions de foi, d’espérance et d’amour.

1. Histoire et développement

38. Au cours de son développement la communauté chrétienne a saisi des aspects nouveaux de la révélation déjà reçue. La tradition démontre sa fécondité dans l’expression richement diversifiée de ces acquis. Puisqu’il y a là un processus historique, nous sommes en dialogue non seulement avec nos contemporains mais également avec nos prédécesseurs dans la foi. Il nous faut écouter ce qui a déjà été dit et, ce faisant, nous prenons conscience du caractère dynamique de la révélation, le passé entrant dans le présent et préparant l’avenir. La cohérence du développement illustre la fécondité de la révélation.

39. L'Eglise elle-même, comme une graine qui pousse avec le soutien du Saint-Esprit et en réponse à Dieu, a sa dynamique. On ne comprend la fécondité de la révélation que dans la communauté de foi. Le développement est un processus ecclésial basé sur l’expérience et la sainteté des fidèles. Catholiques et méthodistes le voient comme un phénomène plus large que le développement doctrinal. L'Evangile de Jean évoque la fécondité dans une perspective ecclésiale : le Père est le vigneron, le Christ est la vigne et nous sommes les sarments; et c’est le Saint-Esprit qui conduit la communauté à la plénitude de la vérité. Puisque le Saint-Esprit montre la voie on ne peut fixer de limite à l’assistance divine dans ce processus. Le développement, pour être interprétation toujours fraîche de la foi, requiert que nous laissions nos esprits, à chaque génération, se modeler sur l’esprit qui était dans le Christ Jésus.

2. L’Eglise et son environnement

40. Puisque l'Eglise est faite d’êtres humains, sa croissance dans la compréhension se fait par interaction humaine. Les chrétiens exercent leur liberté en dialogue créateur avec le monde. La fécondité en découle non seulement comme résultat de la propre réflexion de l'Eglise sur son origine et sa destinée, mais encore en réponse à des stimuli externes. La perception de la vérité grandit et est vérifiée par les défis des âges successifs.

41. Vivre l'Evangile implique de relever ces défis, dans la certitude que Jésus-Christ est le Seigneur de l’ histoire et en sachant que l’Esprit de Dieu est actif dans la vie humaine, qu’il l’inspire et la conduit dans la quête pour la justice, la liberté, la paix et la dignité humaine. L’Eglise, qui participe à cet effort humain, sous la direction du Saint-Esprit et en étant attentive à la Parole de Dieu manifestée dans les Ecritures et dans sa propre expérience historique, essaie d’identifier ce qui est bon et doit être défendu et promu, et elle s’efforce de rendre attentif et d’éveiller la résistance aux idées et aux actions contraires à l'Evangile et nocives pour la vie humaine. Ce processus, qui a toujours été présent dans la vie des Eglises, a été parfois appelé « discernement des signes des temps ».

42. L’Eglise entre souvent en discussion avec différentes écoles de pensée lorsqu’elle examine de nouvelles théories, questions ou découvertes. Elle prête l’oreille aux amis, comme aux adversaires et aux ennemis. Mais il arrive qu’elle doive résister à des idées opposées à l'Evangile. La révélation fournit elle-même la motivation et la lumière pour ce ministère de la Parole.

 

B. Les fruits de la foi

43. La fécondité a beaucoup de formes. Parmi lesquelles, à coup sûr, les suivantes :

1. La confession

Des gens ont témoigné de leur foi en Jésus-Christ, Verbe incarné, jusqu’au martyre. Au baptême, cette même foi a été confessée au sein de la communauté croyante. Quand il en a été besoin, l'Eglise a formulé sa foi par le credo de Nicée-Constantinople. De temps à autre, au cours des siècles suivants, synodes et conciles ont à nouveau confessé la foi dans des formules adaptées à de nouvelles circonstances et dans de nouveaux langages.

44. En se développant, la fécondité de la foi a parfois conduit à un recentrage de la compréhension de l'Evangile. Cela a été notablement le cas avec les confessions produites au temps de la Réforme, qui centraient sur l’expérience d’être justifié par grâce, moyennant la foi. Dans ces confessions et ensuite dans l’enseignement du Concile de Trente, le cœur christique et trinitaire de la foi fut mis dans le contexte de l’action souveraine de Dieu qui seule amène les pécheurs à la justification et au salut.

45. La fécondité de la foi fait qu’elle est exposée aux influences diverses des cultures et des philosophies qu’elle rencontre. Le désir d’augmenter la foi par la compréhension et de la protéger des variations et des déviations a conduit à la formulation de doctrines. Certaines ont servi à leur tour de règles de foi et d’orthodoxie (comme les crédos traditionnels), tandis que d’autres ont servi à construire des systèmes théologiques destinés à satisfaire l’intelligence et à fournir des arguments apologétiques pour la défense de la foi et en vue de la prédication. Différents accents doctrinaux et diverses synthèses théologiques ont cependant été parmi les nombreux facteurs qui ont éloigné les Eglises les unes aux autres, jusqu’à conduire à des doctrines et à des confessions antagonistes. L’effort pour surmonter de telles ruptures par l’œcuménisme est lui-même fruit de la poursuite du développement de la foi.

2. La vie spirituelle

46. La fécondité multiple de la foi s’est manifestée au plan de la pensée, dans le soin apporté à l’élaboration doctrinale, et aussi au plan de l’expérience personnelle. Les vérités contenues dans l'Evangile ont été perçues comme étant des vérités vivantes conduisant à la nouveauté de vie et à une profonde expérience de Dieu dans le Christ, présent dans le cœur par le témoignage de l’Esprit. On a exploré et décrit des voies de vie spirituelle. Les écrits des Pères syriaques, grecs et latins, les règles monastiques et la théologie du haut Moyen Age, les descriptions savantes des voies de la montée vers Dieu, les documents de la Dévotion moderne au temps de la Renaissance, sont des monuments et des instruments de la fécondité de la foi. En découvrant et en suivant les exemples des grands saints, les fidèles ont exploré des voies nouvelles pour aller à Dieu et trouvé de nouvelles preuves de la présence divine dans leur vie, dans la communauté et dans le monde autour d’eux. Par exemple, la Vierge Marie, la Theotokos, en est venue à être vue, spécialement par la tradition catholique et orthodoxe, comme une icône de l'Eglise et de l’âme chrétienne, un modèle de sainteté et une compagnie pour notre pèlerinage. La ferveur pour une vie disciplinée de prière et d’engagement dans les œuvres de miséricorde fut à l’origine du mouvement méthodiste. Les efforts inlassables de John Wesley pour annoncer l'Evangile à tous, spécialement aux exclus et aux pauvres, et pour les appeler à une vie de sainteté et au désir de la perfection, furent eux-mêmes une preuve précieuse de la fécondité de la foi.

47. La dévotion est la forme que prend la foi dans la prière. Elle inspire une nouveauté de vie et manifeste comment l’Esprit rend la faible volonté humaine capable de bien faire. Elle conduit à la discipline quand le désir de suivre le Seigneur organise la vie personnelle, règle l’usage des ressources et met l’enthousiasme personnel et la passion au service de l'Evangile.

48. Dans la recherche de la perfection les chrétiens ont trouvé aide hors de la tradition chrétienne, autrefois dans le néo-platonisme et récemment, par exemple, dans des écoles asiatiques de sagesse. Cela a ses dangers. Mais on a toujours disposé dans l'Ecriture, spécialement dans le Nouveau Testament et les psaumes, de sources de vie spirituelle et de dévotion pour contrebalancer le danger de déviation. La vie personnelle et la dévotion trouvent leur place à la lumière de la Parole fidèlement prêchée et des sacrements administrés conformément à l'Evangile. La foi, la dévotion et la discipline ont de la sorte leur lieu dans le culte et la liturgie de la communauté.

3. Le culte

49. En présence du Dieu qui se révèle lui-même, les gens éprouvent crainte et joie et sont poussés à exprimer cela en louange, prière, confession et engagement. Ils souhaitent rappeler le message de grâce qu’ils ont entendu ; célébrer les actes de Dieu par des paroles, des gestes et des chants ; exprimer dans la prière leurs peurs, leurs besoins et leurs espoirs ; et reproduire l’histoire du salut dans la liturgie et le drame.

50. Les Ecritures attestent amplement l’importance centrale du culte public et privé dans le peuple de Dieu. Lorsque la révélation de Lui-même par Dieu s’est pleinement accomplie en Jésus-Christ, le peuple de la Nouvelle alliance a continué sa tradition religieuse sous une autre forme. Les psaumes sont devenus l’hymnaire de l'Eglise chrétienne ; le repas pascal a pris une signification plus plénière comme sacrement du salut en Jésus-Christ. En outre, de nouveaux hymnes ont été composés (cf. Ph 2:6-11; Col 1:15-20), et le baptême au nom du Dieu un et trine est devenu le signe de la nouvelle création en Christ et de l’agrégation à son corps.

51. A mesure que l'Evangile se répand et entre dans de nouvelles cultures, d’autres langages et expressions apparaissent, et le culte de l'Eglise s’enrichit et se diversifie. L’Eglise accueille les développements dans les traditions liturgiques, ainsi que les expressions nouvelles et spontanées de foi et d’adoration, comme des signes de la fécondité du message de Dieu et de l’action toujours présente du Saint-Esprit. Elle veille en même temps à ce qu’il y ait là d’authentiques manifestations de l’Esprit, qui reflètent et proclament fidèlement l'Evangile.

4. Le service

52. La communauté de foi prétend suivre Celui qui est venu non pour être servi mais pour servir (cf. Mc 10 : 45). Le modèle de tout ministère se trouve dans le Seigneur lui-même. Dans son ministère terrestre il proclamait le Royaume qui vient, il « passait en faisant le bien » (Ac 10:38) - guérissant les malades, appelant les pauvres et les marginaux, réclamant la justice et redonnant la vie. De diverses manières l'Eglise non seulement proclame le message en paroles, mais elle pourvoie aux besoins matériels et spirituels de tous - en s’occupant des pauvres, des étrangers et des laissés pour compte. Ce service de la charité a été une part essentielle de sa mission. Ayant éprouvé l’amour miséricordieux de Dieu, l'Eglise se sent tenue de dénoncer l’injustice et l’oppression, de travailler pour la paix et d’énoncer les conséquences éthiques de l’amour de Dieu pour l’humanité. L’Eglise offre à toutes les cultures le « levain » de l'Evangile.

 

C. Le discernement de foi

53. C’est le Saint-Esprit qui rend la révélation, donnée dans la personne même de Jésus-Christ, fructueuse pour l’édification de l'Eglise comme telle et pour le parcours spirituel de chacun de ses membres. Le Saint-Esprit est la source de tout discernement authentique. « N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les dons de prophétie ; examinez tout avec discernement ; retenez ce qui est bon; tenez-vous à l’écart de toute espèce de mal » (1 Th 5:19-22). Il y a plusieurs façons de ‘vérifier’ toutes choses, il y a une diversité de principes de discernement fournis par l’Esprit.

i) Les critères de discernement
1. La fidélité à l'Ecriture

54. Du fait que les Ecritures sont le témoin normatif de la révélation en Christ, elles ont une importance centrale pour le discernement chrétien. Le croyant chrétien doit se familiariser avec leur contenu, réfléchir à leur sens et appliquer leur enseignement à la vie quotidienne. « Depuis ta tendre enfance, tu connais les saintes Ecritures; elles ont le pouvoir de te communiquer la sagesse qui conduit au salut par la foi qui est dans le Christ Jésus. Toute Ecriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, pour réfuter, pour redresser, pour éduquer dans la justice, afin que l’homme de Dieu soit accompli, équipé pour toute œuvre bonne » (2 Tm 3:15-17).

55. La fidélité à la parole biblique incombe aussi à ceux qui, en vertu de leur ministère, assistent les fidèles dans ce discernement scripturaire. C’est ainsi que le Deuxième Concile du Vatican a déclaré que le « Magistère n’est pas au-dessus de la Parole de Dieu mais il la sert, n’enseignant que ce qui fut transmis, puisque par mandat de Dieu, avec l’assistance de l’Esprit-Saint, il écoute cette Parole avec amour, la garde saintement et l’expose aussi avec fidélité » (Constitution dogmatique sur la Révélation divine, Dei Verbum, § 10). Wesley a pu étendre la sainteté biblique dans tout le pays parce qu’il a nourri la vérité scripturaire de l’huile du Saint-Esprit et l’a fait brûler de son feu.

2. Sentire cum Ecclesia

56. Cette expression latine est souvent utilisée en théologie catholique romaine pour exprimer l’harmonie intime entre la conviction de foi individuelle et l’enseignement de l'Eglise. Le mot qui désigne la conviction est sentir (sentire) plutôt que penser, car il s’agit d’une sorte d’instinct spirituel, préalable à toute réflexion discursive sur la vérité à laquelle il adhère, ou sur la preuve rationnelle de cette vérité. Il ne dérive pas seulement de la capacité intellectuelle mais aussi de la droiture morale et de la bonté spirituelle reçue par grâce.

57. Wesley était très conscient de l’importance capitale d’une telle conviction pour le témoignage vivant à rendre aux doctrines chrétiennes de base transmises de génération en génération par l'Eglise. Les théologiens de l’époque l’accusaient souvent d’irresponsabilité parce qu’il faisait prêcher des hommes qu’ils jugeaient ignares en théologie. Il répliquait qu’un marchand ayant une rectitude morale et qui pratique les Ecritures dans la prière peut atteindre plus facilement le degré de conviction indispensable pour un témoignage et une prédication efficaces, qu’un clerc menant une vie dissolue et qui s’appuie seulement sur une compétence biblique et théologique purement académiques. Wesley savait que dans l’esprit et le cœur des croyants chrétiens profondément convaincus, le Saint-Esprit est toujours à l’œuvre, opérant l’unité des dons spirituels particuliers et des dons complémentaires de tous les autres membres du corps du Christ, l'Eglise .

58. Dans la perspective de Vatican II, cette action de l’Esprit entraîne une interdépendance dans la communion entre l’instinct spirituel de tous le corps des fidèles et ceux qui sont chargés de faire des actes normatifs de discernement de ce qui est ou n’est pas fidèle à la tradition chrétienne. « Ainsi la remarquable harmonie entre les évêques et les fidèles se concrétise dans la préservation, la pratique et la confession de la foi traditionnelle » (Dei Verbum, § 10). Le latin dit con-spiratio pour ‘harmonie ’, c'est-à-dire une ‘convergence d’inspiration’, due au Saint-Esprit, entre le sentire des fidèles et le discernement par le Magistère.

3. La réception

59. Un critère qui permet de juger de la conformité à l'Evangile des nouveaux développements dans la vie et l’enseignement chrétiens est leur réception, à la longue, par l’ensemble de l'Eglise. Cette réception a lieu tantôt dans la discussion théologique et tantôt dans la pratique des Eglises locales ou du croyant individuel. En tous les cas la réception de ce qui est vrai est un processus spirituel. La conviction profonde d’avoir la vérité peut être cependant une occasion de lutte et de séparation, quand les opinions en conflit revendiquent d’être seules vraies. Le processus de réception appelle en conséquence une écoute attentive des vues des autres. Seule la vérité elle-même produit la conformité au Christ dans l’Esprit. Etre oint de la vérité scripturaire par l’Esprit de Jésus ( cf. 1 Jn 2:20-21), c’est laisser sa vérité s’infiltrer dans tous les secteurs de la vie chrétienne. C’est l’assimiler dans l’être même de l'Eglise et de ses membres, la recevoir dans le sens le plus fort du terme. Ceux qui sont enracinés dans la vérité biblique par l’œuvre de l’Esprit, non seulement connaissent la vérité mais ils savent qu’ils la connaissent.

4. Par leurs fruits

60. La conformité, profondément convaincue, à la vérité doctrinale et morale du christianisme porte des fruits de sainteté. Elle produit cette sainteté spirituelle que Wesley dans ses descriptions successives du caractère méthodiste a si souvent décrite comme un « marcher au pas du Christ ». Ce lien vital entre la vérité et la sainteté fait de la sainteté un critère de l’existence de la vérité dans le processus d’interprétation et de développement de la doctrine. Ce processus n’implique pas qu’un unique individu mais des générations entières se succédant l’une l’autre. Vers la fin de sa vie, Wesley tenta plusieurs fois une histoire du mouvement méthodiste. Il considérait que la vérité des intuitions les plus précieuses du méthodisme était démontrée par l’efflorescence de la sainteté biblique dans tout le pays. La qualité des fruits du méthodisme prouvait la santé de l’arbre originel.

61. Le Deuxième Concile du Vatican parle d’une croissance dans la compréhension de ce qui est véhiculé par la tradition chrétienne, croissance qui se produit par une réflexion qui unit le cœur et la tête d’une manière caractéristique du sentire cun ecclesia dont il a été question plus haut. La croissance dans la compréhension « vient par la contemplation et l’étude des croyants qui méditent ces choses en leur cœur (cf. Luc 2:19 et 51) » (Dei Verbum, § 8). Il doit y avoir croissance dans l’amour pour arriver à une connaissance encore plus intime des richesses de la foi. En d’autres termes, il doit y avoir croissance en sainteté. C’est pourquoi la sainteté n’est pas seulement critère de la justesse du développement dans la doctrine et la vie de l'Eglise, elle est source d’un tel développement en formant les convictions et les perceptions des croyants et leur interaction les uns sur les autres.

ii) Les agents du discernement

62. Les critères par lesquels l'Eglise discerne la volonté de Dieu ont été appliqués de plusieurs manières et à plusieurs niveaux de la vie du Peuple de Dieu. On peut énumérer ce qui suit :

1. Le discernement par le Peuple de Dieu

63. Selon l’Ecriture le discernement de la volonté de Dieu est la tâche du peuple de Dieu tout entier. L’exhortation à vérifier et à approuver (dokimazein) ce qui est bon aux yeux de Dieu est un thème majeur dans les lettres des Apôtres (cf. Rm 12 : 2; Ep 5 : 10.17; Ph 1 : 9 s.; 1 Th 5 : 21; 1 Jn 4: 1s.). Paul prie pour l'Eglise qui est à Philippes, « que votre amour abonde encore, et de plus en plus, en clairvoyance et en vraie sensibilité pour discerner ce qui convient le mieux. Ainsi serez-vous purs et irréprochables pour le jour de Christ, comblés du fruit de justice qui nous vient par Jésus-Christ, à la gloire et à la louange de Dieu » (Ph 1 : 9). Le peuple de Dieu dans sa vie quotidienne doit « apprendre ce qui plaît au Seigneur » (Ep 5 : 10) et ce qui répond aux besoins de son prochain. Dans ce discernement l’amour de Dieu est le moteur, tandis que les besoins de la communauté des fidèles et les souffrances des gens autour d’eux indiquent la bonne direction. Une telle ouverture active, dans l’amour, à la vérité même qui est en Jésus et aux déshérités de leur époque, a conduit beaucoup de saints dans nos deux communions à des formes nouvelles de piété et de service dans le monde. En vertu de cette sorte de discernement Wesley enseignait qu’il ne suffisait pas que les maîtres traitent leurs esclaves avec justice et équité, mais que la volonté de Dieu était qu’on abolisse l’esclavage.

2. Le discernement prophétique

64. A certaines époques dans l’histoire du peuple de Dieu les pasteurs et le troupeau se sont égarés. Par les prophètes Dieu ramenait son peuple dans le droit chemin. Ce fut vrai non seulement d’Israël mais encore de l'Eglise du Nouveau Testament. Les Lettres aux sept Eglises rendent témoignage au Seigneur ressuscité en disant à son Eglise ce qu’elle avait à faire et ce dont elle devait s’abstenir (cf. Ap 1 : 4-3 : 22). Dans l’histoire de l'Eglise des voix prophétiques se sont élevées pour avertir et exhorter. Certaines furent aussitôt écoutées, d’autres non. L’appel du prophète ne se fonde pas sur l’approbation des autorités officielles ou sur la réception par l’ensemble du peuple de Dieu. Il se réclame directement de l’autorité de Dieu.

65. Parce qu’il y a eu de faux prophètes, saint Paul parle de la nécessité de ‘discerner les esprits’, de distinguer entre les esprits (cf. 1 Co 12 : 10) et de peser ce que disent les prophètes (cf. 1 Co 14 : 29). Le don de prophétie doit être exercé selon l’analogie de la foi (cf. Rm 12 : 6), en accord avec la vérité première du message apostolique. Wesley voyait une telle « analogie de la foi » dans les grands sujets de la prédication biblique : péché originel, justification par la foi et salut actuel intérieur. Cela peut se relier au critère christologique : « Tout esprit qui confesse que Jésus-Christ est venu dans la chair est de Dieu , et tout esprit qui ne confesse pas Jésus n’est pas de Dieu » (1 Jn 4 : 2-3). L’acte sauveur et rédempteur de Dieu a en fait atteint la créature et l’existence humaines dans leur intégralité. C’est ce qui lie la foi dans l’incarnation du Christ au message de la justification et de la sanctification des pécheurs, moyennant la foi, par la grâce salvatrice de Dieu. Tel est le critère, telle est l’ ‘analogie de la foi’, d’après laquelle on doit exercer et vérifier le don de prophétie.

66. Il faut admettre la difficulté de ‘peser’ ou même de ‘discerner’ les paroles des prophètes, mais cela n’enlève rien au fait qu’on a à prêter l’oreille aux voix prophétiques. Cette difficulté a parfois provoqué des divisions et c’est seulement après coup que ceux qui se sont divisés de cette manière ont pu commencer à distinguer le vrai du faux dans ce qui faisait problème.

3. Le discernement pastoral

67. Il est des fois où l'Eglise a besoin d’une décision formelle pour dire si une doctrine est vraie ou fausse, ou quelles actions répondent aux besoins de l’heure et à la vocation de l'Eglise. Déjà les Actes des Apôtres nous disent que les « apôtres et les anciens se réunirent pour examiner cette question » (15 : 6). C’est la croyance commune de nos Eglises que certains sont habilités à parler au nom de l'Eglise et peuvent dire, après avoir soigneusement écouté l’Ecriture et la Tradition, ainsi que l’expérience des croyants qui essaient de mettre l'Evangile en pratique, et après un temps raisonnable de discussion dans la prière : « Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous » (Ac 15 : 28a ; cf. 1 Co 7 : 40b).

68. L’Eglise catholique romaine et les Eglises méthodistes estiment que les premiers conciles œcuméniques ont défini une formulation et une interprétation fondamentales, authentiques et valides de la foi apostolique.

69. Dans l'Eglise catholique romaine la charge d’enseignement des évêques en union avec l’Evêque de Rome s’exerce au nom de Jésus-Christ. Leur magistère « n’est pas supérieur à la Parole de Dieu, mais à son service » (Vatican II, Constitution dogmatique sur la Révélation divine, Dei Verbum, § 10), mais les évêques « ont reçu le charisme certain de la vérité », qui les autorise à définir les doctrines tirées de la révélation divine.

70. Dans le méthodisme, la charge de l’enseignement est exercée par les Conférences. Quand Wesley rencontra pour la première fois quelques uns de ses prédicateurs en 1744 pour une telle conférence, il leur demanda de répondre aux questions suivantes : (1) Qu’enseigner ? (2) Comment enseigner ? (3) Que faire ? Leur décision devait se baser sur le témoignage de l’Ecriture, mais ils tenaient compte également des trésors de la tradition chrétienne, spécialement des temps primitifs, ils étaient à l’écoute de l’expérience de ceux engagés dans l’œuvre d’évangélisation et ils appliquaient la réflexion rationnelle aux questions qui se posaient à eux. Sur cette base et avec ces indications, les Conférences méthodistes discernent ce que Dieu veut que l’on prêche et que l’on fasse dans le monde d’aujourd’hui.

71. Les différences entre ces approches et leurs implications pour la communion de foi devront être étudiées à un stade ultérieur du dialogue entre les méthodistes et les catholiques.

4. La convergence dans le discernement

72. Saint Paul lui-même écrit à l'Eglise de Corinthe avec laquelle il a un différend concernant l’interprétation de l'Evangile : « Ce n’est pas que nous régentions votre foi, mais nous coopérons à votre joie car, pour la foi, vous tenez bon » (2 Co 1 : 24). Toute expression formelle d’autorité pastorale, qu’il s’agisse du magistère des évêques ou du pouvoir des conciles, des synodes et conférences, et toute expression de l’interpellation prophétique, doivent servir l’édification de tout le peuple de Dieu sous la seigneurie du Christ lui-même. Cela devrait conduire à une interdépendance croissante et à la reconnaissance mutuelle de ceux qui exercent l’autorité pastorale dans l'Eglise, ceux qui offrent la vision prophétique et tous ceux qui, par leur réponse à la révélation et leur inspiration par l’amour créateur de Dieu, participent à la tradition active de l'Evangile et au discernement compatissant de la volonté de Dieu pour son Eglise et pour le monde.

 

SECTION III : LA MISSION

 

I : La mission de l'Église vient de Dieu

 

A. La source de la mission

73. L’activité missionnaire de l'Eglise prend de nombreuses formes mais elle n’a en définitive qu’une seule source. La mission naît du dessein d’amour du Dieu un et trine pour toute l’humanité. L’acte créateur de Dieu et sa providence ne font qu’exprimer son amour débordant. Quand le Père décida de se faire connaître, quand il révéla et inaugura son dessein d’amour pour un monde marqué par le péché, il le fit en envoyant son Fils et le Saint-Esprit. « Quand la plénitude des temps fut venue, Dieu envoya son Fils » et « l’Esprit de son Fils » (Ga 4 : 4-6). En beaucoup d’endroits de l'Evangile de saint Jean, Jésus est désigné comme celui que « le Père a envoyé », et lui-même promet que le Père et lui enverront l’Esprit. Aussi, une conviction chrétienne fondamentale est-elle que l'Eglise est missionnaire par sa nature même, et que la mission de l'Eglise n’est qu’une participation à la mission du Fils et du Saint-Esprit par laquelle s’exprime l’amour du Père pour toute l’humanité.

 

B. Le mandat du Christ

74. Le Christ Ressuscité lui-même appelle ceux qui le suivent à prendre part à sa mission. S’adressant à ses disciples, il leur dit : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20 : 21). Ils auront à poursuivre dans l’espace et dans le temps, pour tous les peuples et toutes les générations, sa mission rédemptrice accomplie une fois pour toutes. Il prie également « pour tous ceux qui croiront en [lui] par leur parole » (Jn 17 : 20-23). Tous doivent être sanctifiés par sa vérité, fidèles à ce que le Verbe lui-même leur a donné (Jn 17 : 17 ; 17 : 14). En proclamant Jésus-Christ, dont la personne et la mission étaient totalement une, ceux qui le suivent se donnent jusqu’à sacrifier leur vie pour l'Evangile.

 

C. Par la puissance du Saint-Esprit

75. Pareille participation à la mission du Christ n’est possible qu’à cause de l’effusion du Saint-Esprit. L’Eglise encore dans l’enfance, assemblée toutes portes closes, ne reçut le pouvoir de sortir et de parler efficacement des actions puissantes que Dieu avait faites par Jésus-Christ, qu’après avoir reçu le Saint-Esprit à la Pentecôte (Ac 2 ; cf. Lc 24 : 48-49 ; cf. aussi Jn 20 : 22). Ce qui est arrivé en Jésus-Christ, dans un temps et un lieu particuliers, est désormais communiqué à des gens de toutes langues et de toutes cultures. Dans l’Esprit, la communauté de la proclamation devient elle-même un évangile vivant adressé à tous.

 

D. Les baptisés et la mission

76. Le grand envoi à la fin de l'Evangile de saint Matthieu concerne les apôtres et tous ceux qui partageront leur foi (Mt 28 : 16-20). Toutes les nations doivent venir à la plénitude de vie dans le Dieu un et trine, au nom de qui elles seront baptisées. Ceux qui acceptent l'Evangile deviendront membres du corps du Christ, temples du Saint-Esprit, ils connaîtront et aimeront Dieu comme leur Père. Unis au Christ, ils sont aussi associés à sa mission. Tous les aspects de leur vie commune servent à édifier le corps et ses membres dans la sainteté. Ils deviennent par là capables d’atteindre par la parole et le témoignage tous ceux qui n’ont pas encore entendu l'Evangile.

 

II : La mission : parole et acte 

77. La mission de Jésus était de proclamer les actes sauveurs de Dieu : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté, proclamer une année d’accueil par le Seigneur » (Lc 4 : 18-19). Jésus fut envoyé annoncer que Dieu allait venir libérer le peuple de la captivité des pouvoirs du mal, du péché et de la mort, et guérir leurs maux et leurs blessures. Jésus joignait les actes aux paroles. Il libérait ceux qui étaient possédés par des esprits mauvais, ceux qui souffraient de culpabilité et d’aliénation. D’autre part, sa prédication dépassait l’instant présent. En bénissant les pauvres il leur donnait l’assurance que Dieu était avec eux et que son royaume leur appartiendrait.

78. Parce que le ministère de l'Eglise dérive de la mission de Jésus, le ministère de Jésus doit servir de paradigme de la mission de l'Eglise. L’Eglise proclame ce que Dieu a fait pour sauver les hommes par la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Il est la Parole de vie que Dieu a dite ; il est témoin devant tous les êtres humains que Dieu est venu et qu’il a, du sein même de leur condition limitée, partagé l’abondance de son amour. Prenant sur lui le fardeau et la malédiction de la loi, il nous a réconciliés avec Dieu et a enlevé nos péchés, faisant la paix par le sang de sa croix. Proclamer l’amour de Dieu en Jésus-Christ est plus que rappeler et raconter l’histoire de Jésus et ce qu’il a fait pour nous : partout où l’on raconte cette histoire, les auditeurs deviennent capables, par le Saint-Esprit d’ouvrir leurs cœurs à l’amour de Dieu, de manière à pouvoir vivre en communauté d’amour, de réconciliation et de paix.

79. Les gens qui ont connu la fidélité et la justice de Dieu partagent ce qu’ils ont reçu en s’adonnant aux œuvres de miséricorde et de justice. Ils cherchent en outre à façonner la société sur le modèle du royaume de Dieu. Leur société est celle de la nouvelle création dont ils ont reçu un avant-goût par le don du Saint-Esprit. N’ayant jamais la prétention de construire le royaume par leurs propres efforts, ils rendent toute gloire à Dieu.

80. La mission de l'Eglise est parole et acte en tous ses aspects - témoignage, service et culte :

  • Le témoignage requiert la proclamation publique de l'Evangile : le message, l’appel à y répondre et à l’accepter. Il implique le témoignage de personne à personne et la fidélité silencieuse, mais parlante, de ceux qui souffrent et même meurent pour leur Seigneur et son amour.
  • Le service s’exprime par la prise en charge des malades et des nécessiteux, de tous ceux qui attendent une guérison, par le soutien aux consciences troublées, par la défense des pauvres, par le travail pour la paix, la justice et la sauvegarde de la création.
  • Dans le culte, les multiples dons de la grâce de Dieu sont célébrés au sein du corps du Christ. La communauté rassemblée autour de la parole et du sacrement amène à la communion des gens de différentes origines, de dons et de talents divers, et les fait un en Jésus-Christ.

Rien de tout ceci n’a échappé à nos deux traditions. Mais la pratique, bien souvent, n’est pas à la hauteur de ce qui est acquis en principe. C’est une raison pour se repentir et pour une conversion du cœur, car l’intégrité de l'Evangile exige que l’on se donne totalement au témoignage, au service et au culte.

 

III : La mission et la communauté

81. Puisque l'Eglise est missionnaire par sa nature même, la mission, par nature, est ecclésiale. Constituée par le Saint-Esprit, la communauté est l’instrument de la proclamation et de la mise en œuvre de l'Evangile, le lieu où les gens grandissent dans la foi et la sainteté, et un paradigme de la vie nouvelle de joie, de paix, de solidarité et de service que Jésus-Christ offre à tous les hommes.

82. La mission de l'Eglise inclut le service prophétique et sacerdotal. Son message relaie les exigences de miséricorde, de justice et de paix que Dieu adresse à la société humaine, particulièrement par rapport aux plus faibles et aux moins privilégiés. Dans un monde de rupture et d’aliénation, la communion chrétienne comme communauté d’acceptation, de pardon, de liberté et d’amour peut fonctionner comme sacrement de la présence du Christ qui vient pour guérir.

83. L’existence d’une telle communauté est le fruit de l’Esprit qui rassemble, soutient, nourrit et dote les fidèles des dons divers qui les rendent capables de témoigner de l'Evangile. Ceci requiert que la communauté et ses membres fassent constamment usage des moyens de grâce que Dieu a fournis, les moindres n’étant pas le partage, la fraternité et la coopération œcuméniques. Par ces moyens tous sont appelés à la repentance chaque jour, au renouveau continuel et à la recherche de la sainteté. Ainsi fortifiés par l’Esprit, les fidèles rendent témoignage au Christ par la parole, l’exemple et l’action, même dispersés dans le monde pour leur vie et leurs obligations quotidiennes. En retour, leur témoignage, partagé dans la fraternité, la prière et la louange, édifie, fortifie et approfondit la communauté.

 

IV : La mission apostolique

84. Le peuple de Dieu tout entier a été envoyé par le Christ dans le monde pour témoigner de l’amour du Père, dans la puissance du Saint-Esprit. En ce sens, ce peuple est apostolique. Tous ses membres reçoivent les dons de l’Esprit et il n’est aucun don sans le service correspondant. Dans le cadre de ce service de l’ensemble, il y a eu depuis le commencement un ministère uniquement appelé et habilité pour édifier le corps du Christ dans l’amour. Ce ministère est ‘apostolique’ dans le sens spécifique du terme parce qu’il a commencé avec le choix par le Christ, parmi ses disciples, des douze « qu’il appela apôtres » (Lc 6 :13). Il s’est continué à travers les âges en ceux qui leur succèdent dans ce ministère. Après sa mort et sa résurrection, le Christ confirma la mission des apôtres et les envoya comme messagers par qui l'Evangile, parlé et vécu, serait préservé et proclamé dans le monde entier (cf. Mt 28 : 19-20). Leur témoignage constant, en obéissance à l’Esprit, devait être signe de la présence continuée du Christ (cf. Ac 1 : 8). Dans la mission de l'Eglise, on s’est rappelé et on a reconnu leur place spéciale. La première histoire de la diffusion de l’enseignement du Christ est intitulée « Actes des Apôtres » ; la confession de foi baptismale est appelée « Symbole des Apôtres » ; la transmission de cette foi, de génération en génération, est connue comme « la Tradition Apostolique ».

85. Dans leurs imperfections, leur lenteur à comprendre et leur foi vacillante, aussi bien que dans leur fidélité ultime, les apôtres sont représentatifs de l’humanité que le Christ est venu sauver. Leur vie avec lui est devenue un modèle pour la vie de l'Eglise : ils furent les premiers à saisir la révélation ; ils furent unis par l’écoute en commun de la Parole ; ils furent envoyés avec un but commun qui était de permette à toutes les nations d’entendre, de croire et de vivre la Parole. Dans la fidélité à l’enseignement apostolique, la vie de l'Eglise montre la persistance du modèle reconnaissable de leur communion (Ac 2 : 41-47).

86. L’Eglise est comme une cellule vivante dont le Christ est le noyau ; la communauté, tout en croissant et en se multipliant, garde son dessin initial. Les communautés apostoliques ont besoin de gens pour faire à leur époque ce que les apôtres ont fait en leur temps : paître, enseigner et servir sous l’autorité du Bon Pasteur et Maître, le Seigneur Serviteur.

87. Tous ceux auxquels les apôtres transmettent leur foi ont part à leur apostolat. Tous sont appelés à témoigner. Tous sont appelés à glorifier Dieu et à intercéder pour le monde. Tous sont appelés à servir leur prochain.

88. Dans les Eglises catholique et méthodistes certains reçoivent par ordination un appel spécial : ils sont consacrés et habilités à proclamer et enseigner l'Evangile de l’amour de Dieu en Jésus-Christ, à conduire la communauté en prière au trône de la grâce et à administrer les dons sacramentels de Dieu ; ils ont à guider la vie de l'Eglise, son action en faveur des nécessiteux et son expansion missionnaire. Dans la tradition catholique ces tâches sont confiées aux évêques ordonnés dans la succession apostolique, avec leurs prêtres et leurs diacres. Dans la tradition méthodiste, d’après Wesley, on croit que le ministère ordonné est dans la succession des apôtres quoique ne dépendant pas de la même manière de la succession des évêques.

 

V : Mission et oecuménisme 

89. L’Evangile de la réconciliation requiert une communauté réconciliée et qui réconcilie. Les Eglises chrétiennes ne sont pas encore en mesure de remplir dans l’unité la mission reçue de Dieu et il y a là un obstacle sérieux à la mission. Nous reconnaissons avec gratitude l’apport de notre relation œcuménique à la sensibilisation de nos communautés à la mission et à l’activité missionnaire de nos Eglises. Nos Eglises devraient saisir toute occasion de coopération et travailler et prier pour surmonter toutes les difficultés qui font obstacle. Nous devrions explorer toutes les possibilités de coopération dans le service et chaque fois que possible dans la prédication. Plus nous surmonterons les différences dans la doctrine et l’organisation, et plus fort sera notre témoignage, plus il sera facile d’éviter jusqu’à la suggestion de prosélytisme. Près de trente ans de dialogue entre catholiques et méthodistes ont révélé assez d’accord dans la foi pour que nos Eglises reconnaissent l’intégrité et la fidélité de la proclamation évangélique l’une de l’autre. De grandes zones d’accord entre les catholiques romains et les méthodistes sur nos responsabilités dans la société rendent possibles une grande part d’action commune. Des différences demeurent concernant les questions d’éthique personnelle et sociale. Un dialogue prudent et responsable sur ces différences serait fructueux, et pas seulement pour nos Eglises mais également pour notre mission dans la société.

 

VI : La mission et les cultures 

90. Pour les méthodistes et les catholiques le message de l'Evangile est pour tous les temps. Il transcende toutes les cultures. Cependant, l'Evangile - né dans une matrice palestinienne - a été annoncé dans les langages de nombreuses cultures. Puisque le salut est pour les gens là où ils sont, il a sa place dans toute culture et devrait être proclamé de manière adaptée à chacune. L’évangélisation, en tant que proclamation de l'Evangile, est clairement distincte du dialogue interreligieux, dans lequel des chrétiens qualifiés rencontrent les membres d’autres religions en vue d’une meilleure compréhension mutuelle. Le dialogue interreligieux cependant fait lui-même partie du processus de la mission et de l’inculturation de l'Evangile, puisque l’évangélisation met les chrétiens en contact avec des cultures qui ont été largement façonnées par d’autres religions.

91. On peut voir une certaine analogie entre le mystère de l’incarnation et l’inculturation de l'Evangile. La culture que l'Evangile doit pénétrer et transformer a, pour ainsi dire, un corps et une âme. Le corps d’une culture comprend le réseau des structures sociales, économiques et politiques qui procurent la stabilité sans laquelle les formes supérieures de créativité ne pourraient se développer. Ces formes, - intellectuelles, artistiques, religieuses, - sont comme l’âme d’une culture, la réponse à l’attraction du vrai, du beau et du bien sur l’esprit humain. Elles viennent d’une soif de plénitude spirituelle qu’aucune valeur purement humaine ne peut combler.

92. Les évangélistes chrétiens et les convertis venant de religions non-chrétiennes sont confrontés à un processus inévitable de discernement. Dans les valeurs culturelles enracinées dans les aspirations religieuses, qu’est-ce qui est expression authentique du mouvement de transcendance vers la vérité et la bonté absolues de Dieu ? Qu’est-ce qui est déviations, limitations, allant jusqu’à blesser certaines des plus profondes aspirations du cœur humain ?

93. L’évangéliste ne doit jamais chercher à imposer la réponse à cette question. Il doit avoir avec ses auditeurs la patience que Dieu montrait pour son peuple dans l’Ancien Testament. Par les prophètes, Dieu donna une révélation partielle de son dessein de salut pour la race humaine, avant de finir par communiquer la plénitude de ce projet dans le don de son Fils unique (He 1 : 1-2 ; Jn 3 : 16). La proclamation directe du message ne saurait, en tout cas, être abandonnée. Le dialogue interreligieux n’est pas un substitut à l’évangélisation, laquelle reste un impératif de l'Evangile.

 

SECTION IV : LA VIE SACRAMENTELLE

 

94. Dans son Rapport de 1991 sur La Tradition apostolique, la Commission a senti le besoin d’une réflexion commune plus profonde sur la nature du sacrement, à partir de l’idée du Christ comme « sacrement primordial » (§ 89). Si l’on songe qu’un des noms les plus anciens du sacrement est ‘mystère’ (mysterion), les chrétiens trouvent une raison biblique directe de voir le Christ sous cet angle en 1 Timothée 3 :16, où l’on parle du Christ comme du « mystère de notre religion :

Il a été manifesté dans la chair,
justifié par l’Esprit,
contemplé par les anges,
proclamé chez les païens,
cru dans le monde
exalté dans la gloire .»

95. Le ‘mystère’ de Dieu est le dessein éternel de Dieu qui a maintenant été révélé dans la personne et l’œuvre de Jésus-Christ, un dessein de salut qui embrasse les païens aussi bien que les Juifs dans la bonté du royaume définitif de Dieu ( Mc 4 : 11 ; Rm 16 : 25-27 ; 1 Co 2 : 7-10 ; Ep 3 : 1-20 ; Col 1 : 25-27 ; 2 : 2-3). Le Christ est « l’image du Dieu invisible » (Col 1 : 15), le Fils du Père sur lequel repose toujours le Saint-Esprit (Jn 1 : 33). Ayant pris notre humanité dans sa propre personne, le Fils est à la fois le signe de notre salut et l’instrument de sa réalisation.

96. Société de ceux qui ont été incorporés dans le Christ et nourris par le Saint-Esprit qui donne la vie (1 Co 12 : 13), l'Eglise peut être pensée de façon analogue en termes sacramentels. Précisément comme corps du Christ et communauté du Saint-Esprit, on peut parler d’elle « comme d’un sacrement à la fois manifestant la grâce de Dieu parmi nous et signifiant d’une certaine manière grâce et appel au salut adressé par Dieu à toute l’humanité. »[1] Constituée par la grâce salvifique de Dieu, l'Eglise devient instrument d’une extension de l’offre divine aussi vaste que le dessein éternel de Dieu pour l’humanité.

97. Dans une telle approche, les sacrements de l'Eglise peuvent être considérés comme des cas particuliers de révélation du Mystère divin et de son effectivité dans la vie des fidèles. Institués par le Christ et rendus efficaces par l’Esprit, les sacrements font pénétrer le Mystère en ceux en qui il plaît à Dieu d’habiter.

98. Les sacrements particuliers découlent de la nature sacramentelle de l’auto-communication de Dieu aux hommes dans le Christ. Ce sont des voies spécifiques, par lesquelles, par la puissance du Saint-Esprit, le Christ Ressuscité rend sa présence salvatrice et son action efficaces parmi nous. Ainsi, dans sa vie publique, Jésus n’a pas communiqué la bonne nouvelle de notre salut seulement en paroles ; il s’est adressé lui-même en signes et en actions à ceux qui venaient à lui dans la foi. De plus, ces signes et ces actions concernaient le corps et l’âme. C’est ainsi qu’il guérit le paralytique et lui pardonna ses péchés. Après la passion, la mort et la résurrection du Christ, le Sauveur continue ses paroles et ses actions parmi nous au moyen des signes sacramentels.

99. Il y a une relation dans les deux sens entre l'Eglise et les sacrements. Les sacrements édifient l'Eglise comme corps du Christ jusqu’à ce que ses membres atteignent leur pleine stature ; l'Eglise est à l’œuvre par les sacrements en vertu de la mission reçue du Saint-Esprit .

100. En vertu de leur nature ecclésiale, les sacrements ont un lien organique les uns avec les autres. Dans la célébration de l’eucharistie, comme parole et table, l'Eglise est édifiée comme corps du Christ. On est introduit dans la communauté eucharistique par le baptême, qui identifie le croyant à la mort et à la résurrection du Christ. Les méthodistes et les catholiques soulignent de façons différentes mais analogues cette connexion vitale entre la communion ecclésiale et les sacrements de baptême et d’eucharistie. Les méthodistes enseignent la pleine nature sacramentelle des rites de baptême et d’eucharistie en attribuant au Christ leur institution directe. Et ils considèrent d’autres pratiques chrétiennes, avec Wesley lui-même, comme des moyens de grâce particuliers. Les catholiques accordent la primauté au baptême et à l’eucharistie parmi les sept rites sacramentels qui sous-tendent la vie de foi.

101. C’est notre conviction commune que le baptême est une action de Dieu par laquelle les baptisés commencent leur vie avec le Christ Rédempteur et participent à sa mort et à sa résurrection. Lorsque le Christ est reçu dans la foi, le péché originel est effacé, les péchés sont pardonnés, les baptisés sont justifiés aux yeux de Dieu et deviennent une nouvelle création ; avec tous les croyants ils ont part à la communion de l’Esprit ; et ils sont appelés à chercher la perfection dans l’espérance et dans l’amour par la réponse dans la foi aux dons de grâce incessants venant de Dieu. Par le ministère de l'Eglise le baptême est donné avec l’eau « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». Le baptême est irrévocable et n’est pas réitéré. Il est reçu dans le cadre d’une Eglise locale et dans une communauté chrétienne particulière, mais il introduit le baptisé dans l'Eglise universelle du Christ et dans l’assemblée des saints.

102. Avec toute la tradition chrétienne, les méthodistes et les catholiques trouvent dans le Nouveau Testament la preuve que le baptême est le sacrement de base de l'Evangile. Ils sont aussi d’accord que Jésus-Christ a institué l’eucharistie comme un repas saint, mémorial de son sacrifice. En le partageant, les baptisés ont part au sacrement de son corps donné pour eux et de son sang versé pour eux ; ils présentent et offrent son sacrifice devant Dieu le Père, et ils en reçoivent les fruits dans la foi. Proclamant, en présence du Ressuscité, la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne, l’assemblée eucharistique anticipe l’avènement final du Christ et a un avant-goût du banquet céleste préparé pour tous les peuples. Dans les termes des Hymnes de Wesley sur le Repas du Seigneur :

« Il nous ordonne de manger et de boire
la nourriture impérissable,
Il nous donne sa chair à manger,
et nous dit de boire son sang :
Tout ce que le Tout-puissant
peut donner à des pécheurs pardonnés,
la plénitude de notre Dieu fait homme
nous la recevons ici avec le Christ . » [2]

103. Comme croyants, nous cherchons par ailleurs à faire passer dans nos vies ce que nous célébrons dans les sacrements. Les prières du Missel romain demandent en ce sens que les sacrements reçus à Pâques « vivent pour toujours dans nos esprits et nos cœurs » et que « nous qui avons célébré les cérémonies pascales y restions fidèles dans notre conduite et notre vie. »[3]

104. Le baptême, reçu une fois pour toutes, et la sainte communion, reçue régulièrement dans les célébrations liturgiques de l'Eglise, sont au cœur de la vie de sainteté à laquelle les fidèles sont appelés. Ils sont les deux sacrements bibliques reconnus par la tradition méthodiste, mais la tradition catholique considère que d’autres actions saintes de l'Eglise sont également des sacrements de l'Evangile institués par le Sauveur : en eux aussi la grâce de Dieu atteint le fidèle, conformément à certains des actes et des paroles de Jésus attestés dans le Nouveau Testament.

105. Les catholiques croient que dans la confirmation le don de l’Esprit confirme ce qui a été fait au baptême. Les fidèles qui ont la conscience et la contrition de leur péché ont accès à la guérison et au pardon du Christ dans le sacrement de la réconciliation. Quand ils sont malades, ils reçoivent aussi par l’onction le toucher du Christ guérisseur. Quand ils se marient, ils se marient dans le Seigneur par un sacrement de communion mutuelle dans lequel leur est donnée une image de la communion de tous les saints dans le Christ et la promesse des grâces dont ils ont besoin pour la fidélité que les époux se vouent l’un à l’autre. Dans le sacrement de l’ordre, des croyants sont choisis et habilités à agir pour le Christ dans la conduite spirituelle des fidèles par la prédication de la Parole et l’administration des sacrements. Dans tous les sacrements la puissance de l’Esprit est à l’œuvre, invitant les croyants à une union plus étroite avec leur Rédempteur, à la gloire de Dieu le père.

106. Quoique les méthodistes ne reconnaissent pas ces rites comme des sacrements de l'Evangile, eux aussi affirment la présence active du Saint-Esprit dans la vie des fidèles, la nécessité du repentir pour les péchés, le pouvoir de guérison de la prière, la sainteté du mariage et le pouvoir donné par l’Esprit à ceux qui sont appelés et ordonnés pour les tâches du ministère.

107. Les catholiques et les méthodistes admettent d’autres ‘moyens de grâce’ que ceux qu’ils considèrent comme des sacrements. Entre autres, la prière privée et publique, la lecture de l’Ecriture, le chant des hymnes, le jeûne et ce que les méthodistes appellent « la conversation chrétienne ». Dans la même catégorie on peut mettre les œuvres traditionnelles de miséricorde telles que la visite des malades et le service des pauvres. En rencontrant l’image du Christ dans leur prochain, les fidèles acquièrent et développent un sens de la sacramentalité de la vie de foi.

 

SECTION V : KOINONIA - LA COMMUNION

 

I : La communion par le témoignage apostolique 

108. Le début de la Première Epître de saint Jean, déjà cité pour indiquer ce qu’on entend par révélation (voir Introduction n. 2), constitue également la déclaration la plus complète de ce que les écrivains du Nouveau Testament comprennent par le terme grec de koinonia (communion). Le début du passage décrit en termes poignants le privilège accordé aux apôtres d’un contact intime avec le Fils incarné de Dieu. Saint Jean veut que nous saisissions, dans les limites inhérentes à la condition humaine, quelque chose de la richesse de l’amour infini et source de vie que le Père a répandu sur nous en envoyant son Fils et le Saint-Esprit pour notre rédemption et notre sanctification. Il s’adresse alors directement à ceux que l’adhésion au Christ amènera, au long des âges et en union avec les apôtres, au partage intime dans la communion d’amour avec les trois Personnes de la Trinité : « ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi, afin que vous aussi, vous soyez en communion [koinonia]avec nous. Et notre communion [koinonia] est communion avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ » (1 Jn 1: 3).

109. L’Eglise est par essence participation à la communion d’amour entre les trois Personnes de la Trinité. Les mots « communion avec nous » soulignent que notre propre partage personnel de cet amour est inséparable de notre communion les uns avec les autres, parce qu’il est de la nature de cet amour d’amener une relation mutuelle entre personnes créées à l’image et à la ressemblance du Dieu un et trine. Le « nous » désigne ici ceux qui ont la responsabilité d’amener à l’existence la communauté chrétienne visible, par une prédication apostolique qui inclut la Parole et le Sacrement. L’existence même de l'Eglise comme institution visible en ce monde devient manifestation de la communion avec les personnes de la Trinité. La Koinonia est ainsi communion visible et invisible dans l’ amour.

110. Entrer dans cette koinonia implique que l’on suive les traces de celui que les apôtres ont entendu, vu et touché. Cela signifie, pour reprendre d’autres termes de la Lettre de saint Jean que John Wesley ne se lassait jamais de répéter dans ses sermons, demeurer dans le Christ et donc dans la Trinité, en allant comme allait le Christ (cf. 1 Jn 2 : 6). Cela signifie entrer dans la gloire de l’amour trinitaire par la voie de la souffrance qui caractérise le mystère pascal. Nous pouvons devenir, par le Saint-Esprit , cohéritiers de Dieu avec le Christ, dit saint Paul, « si nous souffrons avec lui afin de pouvoir être glorifiés avec lui » (Rm 8 :17). En d’autres termes, le mystère de la communion trinitaire dans l’amour, quand il touche nos vies, amène notre manière de vivre à la conformité avec le Christ. Le changement doit pénétrer tous les secteurs de nos vies, et en particulier les formes concrètes du service du prochain, par qui le Christ nous reste visible : « ce que vous avez fait au moindre de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25 : 40).

 

II. Les grandes expressions de la communion dans nos Églises

111. Notre vie avec le Dieu un et trine et les uns avec les autres s’exprime sous diverses formes concrètes de communion dans nos Eglises. Jusqu’à un certain point, cette communion est restreinte à la vie encore séparée de nos communautés catholiques et méthodistes. Notre but ultime est qu’il y ait pleine communion ecclésiale entre nous. Un progrès en ce sens serait de mieux prendre conscience de certains des éléments vitaux de la communion partielle qui est déjà nôtre, tout en cernant quelques unes des différences qui posent problème et sur lesquelles il faudra encore travailler.

 

A. La foi

112. Comme catholiques romains et comme méthodistes nous vivons du même évangile, le message apostolique des actions salvifiques de Dieu en Jésus-Christ, et nous partageons la même foi. Cette foi s’enracine dans les Ecritures, qui sont la base commune de notre prédication et de notre enseignement d’Eglises chrétiennes. Elle est résumée dans les symboles de l’Eglise ancienne, spécialement le Symbole des Apôtres et le Symbole de Nicée, que nous confessons régulièrement dans notre culte.

113. Mais nous n’avons pas seulement une racine, une source commune de notre foi ; nous nous reconnaissons mutuellement la même disposition à répondre à la proclamation de l'Evangile. Dans le passé, les méthodistes avaient tendance à voir la foi des catholiques romains comme une simple adhésion à l’enseignement de l'Eglise. Les catholiques, de leur côté, pensaient parfois que la croyance, chez les méthodistes, n’est qu’une conviction personnelle purement émotionnelle. On a dépassé de tels préjugés. La foi est toujours personnelle, mais jamais privée, car elle agrège le croyant à la communauté de foi. Sa foi est donc en même temps conviction personnelle et participation à ce que tient la ‘communauté des croyants’. Mais croire en Dieu et dans le salut qu’il a opéré pour nous, c’est la réponse vivante de toute la vie du croyant et cela change nos vies à tous égards ; c’est une foi vivante, personnelle. Il arrive que nos traditions ne valorisent pas de la même façon les aspects individuels et communautaires de la foi, mais le débat est le même de part et d’autre.

114. Tout en admettant l’existence d’une foi commune entre nous (cf. ci-dessus, Section II, II), des problèmes apparaissent lorsque nous cherchons à définir les doctrines nécessaires à la pleine communion de foi qui unirait nos Eglises.

115. Les méthodistes ont appris de John Wesley à discerner entre, d’un côté, les « opinions » sur les formes de culte, l’organisation ecclésiastique, voire l’exposé de certaines vérités scripturaires et, de l’autre, les doctrines essentielles de l'Evangile. Les « opinions » différentes ne sont nullement sans importance, et au moins au sein du méthodisme, on cherche à se mettre le plus possible d’accord sur elles. Mais pour la communion de foi avec d’autres chrétiens, le décisif est l’unité sur les choses « essentielles » et non les différences d’ « opinions ». Les doctrines essentielles sont : le Dieu un et trine, la création du monde par Dieu et la vocation de l’humanité à la sainteté et au bonheur ; l’incarnation et l’œuvre de réconciliation de Dieu le Fils; l’œuvre de l’Esprit comme source de toute vérité, de renouveau et de communion ; le besoin de conversion de l’humanité déchue et la nécessité de croire l'Evangile ; la diffusion divine de la grâce par la parole et le sacrement, et par l’institution et le rassemblement de l'Eglise ; le commandement d’aimer Dieu et le prochain ; la promesse du jugement dernier et de la victoire par laquelle tous les rachetés ensemble glorifieront Dieu et trouveront en lui leur bonheur éternel. Les Eglises méthodistes n’ont pas établi un ‘canon’ fixe de ces données essentielles de la foi chrétienne ; mais chaque fois que se pose la question de la communion de foi avec d’autres Eglises, ces éléments commandent de façon vitale la discussion.

116. L’Eglise catholique romaine est d’accord avec les méthodistes sur ces doctrines essentielles ; mais elle souligne que l’enseignement de l'Eglise est un tout. Ses membres sont donc appelés à croire le plein enseignement de l'Eglise. Dans le dialogue œcuménique également la « ’hiérarchie des vérités’ de la doctrine catholique devrait toujours être respectée ; ces vérités exigent toutes l’assentiment de foi qui leur est dû, mais n’ont pas pour autant toutes la même place centrale dans le mystère révélé en Jésus-Christ, parce qu’elles sont différemment liées à ce qui est le fondement de la foi chrétienne »[4]. Ceci s’avère utile quand nous discutons de doctrines importantes pour l’enseignement et la spiritualité de l'Eglise catholique, mais qui ne sont pas facilement acceptées par les méthodistes, par exemple l’enseignement sur Marie en relation avec le Christ et l'Eglise. Nous arrivons à traiter les questions controversées sans occulter ni diminuer ce qui a déjà été accompli pour la compréhension commune de l'Evangile, en dépit des quelques différences qui demeurent et qui devront faire l’objet d’autres recherches.

 

B. Le culte

117. La communion avec Dieu et entre nous est vécue et ressentie par la parole et le sacrement dans le culte de la communauté chrétienne. Dans la louange et la prière nous partageons les merveilleux dons de Dieu, ainsi que toutes les joies humaines et les besoins qui surgissent parmi nous. Ecouter la Parole de Dieu nous rassemble comme communauté de ceux qui se tournent vers la Parole créatrice et rédemptrice de Dieu pour tous leurs besoins.

118. La vie sacramentelle de l'Eglise exprime de manière profonde cette communion avec Dieu et entre nous. Les sacrements sont tout à la fois les signes efficaces de la communion de Dieu avec son peuple et de la communion des membres du peuple de Dieu entre eux. Le baptême et l’eucharistie, les sacrements qui sont communs à presque toutes les Eglises chrétiennes, le montrent très clairement. Ceux qui sont baptisés ont part à la mort de l’unique Seigneur Jésus-Christ et à la puissance de sa résurrection ; en même temps, ils sont baptisés dans l’unique corps, le corps du Christ avec ses nombreux membres qui souffrent et se réjouissent ensemble. A la table du Repas du Seigneur, la « coupe de bénédiction » est « une participation au sang du Christ » et « le pain que nous rompons » est « une participation au corps du Christ » ; c’est pourquoi « nous qui sommes nombreux ne sommes qu’un seul corps, car nous tous nous avons part à un seul pain » (1 Co 10 : 16-17). « Discerner le corps » (1 Co 11 : 29) veut dire reconnaître la réalité de notre communion avec le Christ et être responsable de la communion avec les frères et les sœurs dans le Seigneur.

119. Nous encourageons la poursuite de la discussion par les instances compétentes partout où la reconnaissance mutuelle formelle du baptême entre nos Eglises fait encore défaut. Nous sommes heureux que cette reconnaissance ait déjà eu lieu en de nombreuses régions. Les méthodistes accueillent les catholiques romains à leur célébration du Repas du Seigneur, mais ils doivent respecter le fait que la participation à la communion n’est toujours pas autorisée pour les catholiques romains. Dans certaines circonstances pastorales les catholiques peuvent inviter les méthodistes à partager leur eucharistie[5]. Ce désir de beaucoup de personnes de prendre part à la table du Seigneur avec des chrétiens d’autres Eglises est un signe de la fraternité qui aspire à la pleine communion encore à atteindre.

120. Les catholiques romains et les méthodistes sont d’accord sur la présence d’un ministère ordonné au sein de la communion de l'Eglise, chargé de préserver et promouvoir sa vie commune. Nous reconnaissons ensemble que le Christ, le Bon Pasteur, partage sa charge pastorale avec d’autres. Ceux qui sont appelés à exercer cette charge dans le ministère ordonné reçoivent de lui leur responsabilité particulière. Ils sont institués comme témoins de la vérité vivante du message qui leur est confié, comme guides de la communauté qui répond à l'Evangile qu’ils proclament, comme chargés de susciter le culte qui devrait être célébré en commun par toute l'Eglise. Cependant la communion que nous cherchons à établir entre les catholiques romains et les méthodistes trouve sur ce point son obstacle le plus visible : nous ne pouvons partager la communion eucharistique parce que nous n’avons pas la même conception des ministres qui portent ensemble cette responsabilité dans l’espace et le temps, ni de la sorte de magistère qui leur est confiée. Le progrès vers la pleine communion dépend des résultats qui peuvent être obtenus de l’étude de ce sujet.

121. Nous confessons avec gratitude que nous pouvons voir une base commune derrière nos différences: toute notre vie sacramentelle est enracinée en Jésus-Christ le « sacrement primordial », dont l’incarnation et la mort est le signe le plus profond de la communion de Dieu avec toutes les aspirations et les besoins de l’humanité, et dont la vie et la résurrection est le modèle et la source de notre capacité de vivre ensemble dans l’amour et la compassion mutuelle.

122. La religion chrétienne ne comporte pas seulement la parole et le sacrement, mais encore le souci mutuel de frères et de sœurs les uns pour les autres et pour ceux qui sont dans le besoin. « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit » (Rm 5 : 5) et cet amour nous lie entre nous et nous rend capables d’aimer notre prochain comme nous-mêmes. Cet aspect de la communion chrétienne a été spécialement important pour le mouvement méthodiste depuis les jours de John Wesley. Les méthodistes ont essayé de réaliser cela dans de petits groupes se réunissant régulièrement pour la confession mutuelle, l’exhortation, l’encouragement et la prière. Les formes ont changé avec le temps, mais le défi de vivre cette dimension de la fraternité chrétienne est aussi urgent que jamais. Nous sommes heureux de voir que dans nos deux Eglises l’importance de cette tâche a été reconnue et que des efforts ont été faits, quelquefois ensemble, pour répondre au besoin d’une telle démarche religieuse dans notre vie de tous les jours.

 

C. La mission

123. La communion chrétienne comme koinonia inclut nécessairement la communion dans la mission. Elle est communion avec Dieu qui a envoyé son Fils réconcilier le monde et envoyé son Esprit pour restaurer en l’homme l’image de Dieu. La communion dans la mission est aussi la communion de ceux qui sont envoyés par leur Seigneur ressuscité et qui reçoivent de son Esprit le pouvoir de témoigner de l’amour et de la paix de Dieu dans le monde entier. Notre proclamation de l’amour de Dieu inclut le témoignage en paroles et en actes, par la prédication et le service, par la lutte pour la justice et par la souffrance avec les opprimés. Nous attirons l’attention sur ce qui a été dit ci-dessus, dans la section III.

124. Nous sommes prêts à admettre que dans le passé nous avons trop souvent travaillé les uns sans les autres ou même les uns contre les autres. Cela a affaibli notre témoignage et paralysé la mission de Dieu. Nous demandons pardon à Dieu pour nos fautes et nos manques.

125. Nous avons trouvé une convergence considérable dans notre compréhension de la mission de l'Eglise dans le monde, au point que méthodistes et catholiques sont de plus en plus capables de travailler ensemble pour ceux qu’ils sont appelés à servir. Et nous espérons que la communion dans la mission favorisera aussi notre communion dans le culte et dans la foi. Nous travaillons et nous prions pour une communion croissante entre nos Eglises, non parce que cette unité est une fin en soi, qui nous rendrait la vie plus confortable, plus facile. Ses buts sont « que le monde croie » (Jn 17 : 21) et « qu’ensemble [nous] puissions d’une seule voix glorifier le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ « (Rm 15 : 6).

 

III : L’Église universelle 

 

126. La communion chrétienne est plus que la fraternité des membres de la même assemblée ou de la même communauté locale. L’Eglise de Dieu a des dimensions universelles dans l’espace et le temps. La prière de notre Seigneur pour ses disciples : « qu’ils soient un » (Jn 17 : 11) ne visait pas seulement l’unité des disciples vivant ensemble au même moment. Quand Jésus priait « pour ceux qui croient en moi par leur parole » (Jn 17 : 20) il parlait de l’unité et de la continuité de l'Eglise à travers les générations. La communion signifie donc communion aussi avec l'Eglise de ceux qui nous ont précédés dans la foi à travers les âges.

127. Bien que nous puissions différer dans l’évaluation de ce qui a été signe de fidélité et de persévérance dans l’ histoire de l'Eglise, nous sommes certainement d’accord que la fidélité de Dieu a préservé son Eglise en dépit des fautes, des erreurs et des manques évidents de son histoire.

128. De la même manière, nous reconnaissons l’importance d’une structure qui relie les Eglises locales, de manière à attester la nature globale de l'Evangile et de l'Eglise universelle. Mais nous avons des perceptions différentes de la nature et du poids théologique de telles structures.

129. L’Eglise catholique romaine se fonde sur la promesse qu’elle croit avoir été faite à saint Pierre et aux Apôtres (voir par ex. Mt 16 : 18), et accomplie dans l’histoire par la succession apostolique et le collège épiscopal, avec sa tête l’Evêque de Rome, comme successeur de Pierre. La structure hiérarchique de l'Eglise est un moyen important et une garantie donnés par la grâce de Dieu pour préserver la continuité et l’universalité de l'Eglise catholique .

130. Les Eglises méthodistes voient la continuité de la tradition apostolique préservée par la fidélité à l’enseignement apostolique. Le magistère qui décide ce qui est ou non conforme à la foi est aux mains de corps conciliaires, les Conférences. Toutes les Eglises méthodistes reconnaissent la nécessité d’un ministère d’épiscopè, de ‘surveillant’, et dans beaucoup d’Eglises méthodistes ce sont des évêques qui exercent ce ministère (cf. Vers une déclaration sur l'Eglise, §§ 31-34). Les Eglises locales sont reliées par des structures de connexion qui doivent assurer le lien entre les besoins des Eglises locales et de l'Eglise comme corps. Les méthodistes pensent que davantage d’unité et une communion croissante entre les Eglises de traditions différentes pourraient être réalisées par de nouvelles structures conciliaires. A l’évidence les catholiques romains et les méthodistes partagent la même préoccupation concernant l'Eglise universelle comme expression de la communion dans le Christ . Mais ils diffèrent largement dans leurs conceptions des moyens que Dieu a donnés pour atteindre ou préserver ce but. Ces différences sont peut-être les plus grands empêchements sur la voie de la pleine communion.

 

CONCLUSION

 

131. La Commission mixte entre l'Eglise catholique romaine et le Conseil méthodiste mondial a trente ans d’existence. Son travail a traversé au moins deux générations. Le premier besoin était de se connaître mutuellement, et pendant plus ou moins dix ans la Commission s’est engagée en ce sens : on se présentait soi-même, on s’attaquait ensemble à des questions doctrinales, éthiques et pastorales qui occupaient alors la scène œcuménique. Une seconde phase se développa lorsque l’on tenta d’esquisser de larges perspectives théologiques acceptables aux catholiques romains comme aux méthodistes, dans lesquelles il finirait par devenir possible de traiter les matières qui nous divisent. La Commission croit qu’une considérable communauté de vues a été établie dans les domaines de la Pneumatologie (Rapport 1981), de l’Ecclésiologie (Rapport de 1986), de la Tradition apostolique (Rapport de 1991), et maintenant de la Révélation et de la foi (Rapport de 1996).

132. Le temps est peut-être venu de se concentrer, dans les directions ainsi montrées, sur certaines de ces questions plus détaillées qui n’ont cessé de faire difficulté entre nous. En particulier, l’étude pourrait concerner à l’avenir les questions apparentées de l’autorité doctrinale et pastorale, de la charge de surveillance dans l'Eglise et de la succession dans cette charge, de la proposition faite par Rome d’un ministère pétrinien au service de l’unité et de la communion. Nous serions ainsi encouragés à poursuivre, de façon plus immédiate et à un plan plus profond, la compréhension que nous avons chacun de nous mêmes et de notre partenaire par rapport à l’unique Eglise de Jésus-Christ et à la communion qui appartient au corps du Christ.

 

 

 

[1] Commission mixte Eglise catholique romaine et Conseil méthodiste mondial, Vers une déclaration sur l'Eglise , 1986, § 9, citant la Constitution dogmatique sur l'Eglise, Lumen Gentium, § 1, de Vatican II.

[2] John et Charles Wesley, Hymns on the Lord’s Supper (1745), n° 81.

[3] Voyez la prière après la communion pour le deuxième dimanche de Pâques ( « ut paschalis perceptio sacramenti continua in nostris mentibus perseveret »), et la prière d’ouverture du samedi dans la septième semaine de Pâques ( « ut qui paschalia festa peregimus haec moribus et vita teneamus »).

[4] Conseil Pontifical pour la promotion de l’unité chrétienne, Directoire pour l’application des principes et des normes sur l’œcuménisme (1993) § 75, cf. Unitatis Redintegratio § 11.

[5] Voir les principes et les normes que les évêques catholiques appliquent sur cette question, dans : Conseil Pontifical pour la promotion de l’Unité chrétienne, Directoire pour l’application des principes et des normes sur l’œcuménisme (1993), §§ 104-107 ; 129-131.