La Grâce qui vous est donnée en Christ
Catholiques et méthodistes poursuivent leur réflexion sur l’Eglise

Rapport de la Commission internationale de dialogue entre l'Église catholique romaine
et le Conseil méthodiste mondial

2006

 

Préface

Nous en sommes maintenant au huitième rapport publié par le dialogue international entre l’Église catholique et le Conseil méthodiste mondial, qui débuta presque aussitôt après le Concile Vatican II. Ces rapports sont ont été publiés tous les cinq ans, et ont été présentés simultanément aux conférences quinquennales du Conseil méthodiste mondial et au Saint-Siège.

Comme le disait en 1995 l’Encyclique Ut unum sint du pape Jean Paul II, « un dialogue n’est pas seulement un échange d’idées. C’est en quelque sorte un ‘échange de dons’ » (UUS, 28). Depuis quarante ans notre dialogue a consacré une grande attention à cet « échange d’idées. » Il le fallait, étant donnée « l’importance fondamentale de la doctrine » en vue de la vérité (18). De manières différentes et informelles, un « échange de dons » a toutefois commencé entre catholiques et méthodistes. Le présent rapport offre maintenant une lecture approfondie de notre histoire, aussi bien commune que séparée, et de nos doctrines, soit propres, soit partagées, comme base de l’échange plus délibéré de dons que l’on peut envisager désormais. Des recommandations pratiques sont même proposées pour un échange immédiat de tels dons, et une perspective ouverte pour que d’autres dons puissent être échangés à plus longue échéance.

Le rapport de 2006 peut être vu comme une nouvelle étape vers l’accomplissement de la promesse contenue dans le titre du rapport de 1986, Vers une Déclaration sur l’Église. Ce rapport formulait clairement le but final comme étant « une pleine communion dans la foi, la mission, et la vie sacramentelle » (20). Dans ce but le dialogue d’idées doit continuer afin d’aboutir à ce que le rapport de 1991, La Tradition apostolique, considérait comme un « consensus doctrinal. » Ce rapport notait qu’arriver à l’unité recherchée devra « dépendre d’une initiative fraîche et nouvelle de réconciliation qui reconnaisse l’activité multiple mais une de l’Esprit-Saint à travers les âges. Cela inclura un acte commun d’obéissance à la Parole souveraine de Dieu » (94). Fruit d’un « échange d’idées », le présent rapport marque une progression vers un « consensus doctrinal ». Avec ses propositions pratiques pour un « échange de dons », il cherche aussi à préparer l’acte de « réconciliation » qui devra sceller notre unité. Le présent rapport suggère des points de la foi et de la vie de l’Église qui pourraient être des sujets d’étude pour notre Commission dans sa prochaine série de rencontres à la recherche d’un « consensus doctrinal », et encourager la préparation d’un « acte de réconciliation» décisif entre catholiques et méthodistes.

Notre dialogue a toujours été accompagné par la prière, aussi bien à l’intérieur de notre Commission que de nombreuses personnes qui sont engagées dans la rétablissement de la pleine unité visible de l’Église du Christ. Nous demandons que de semblables soins et soucis accompagnent ce rapport et la poursuite de notre travail. Entre-temps, nous espérons que ce texte suscitera la réflexion, aussi bien sur ses fondements théologiques que sur ses propositions pratiques.

Prof. Geoffrey Wainwright, Coprésident méthodiste
Mgr Michael Putney, Evêque de Townsville (Australie),
Coprésident catholique

Pentecôte 2006

 
Membres de la commission

Méthodistes

Rév. Dr Geoffrey Wainwright (USA), coprésident
Rév. Dr George Freeman (Conseil méthodiste mondial), cosecrétaire
Rév. David Chapman (Angleterre)
Rév. Pr James haire (Australie)
Evêque Scott J. Jones (USA)
Mlle Gillian Kingston (Irlande)
Rév. Pr Helmut Nausner (Autriche)
Evêque Zablon Nthamburi (Kenya)

Catholiques

Evêque Michael Putney (Australie), coprésident
Père Donald Bolen (Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens), cosecrétaire
Evêque Michael Evans (Angleterre)
Sr Dr Lorelei F. Fuchs (USA)
Père Dr Paul McPartlan (Angleterre/USA)
Père Pr Gorge Tavard (USA)
Cardinal Peter Turkson (Ghana)
Archevêque James Weisgerber (Canada)

Assistants de secretariat

Mme Roma Wyatt, Bureau du Conseil méthodiste mondial (Lake Junaluska, Caroline du Nord, USA)
Mlle Giovanna Ramon, Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens (Rome)

 
 

Statut du document

Le rapport ici publié est l’œuvre de la Commission internationale de dialogue méthodiste-catholique. Les membres de cette commission ont été nommés par le Conseil méthodiste mondial et le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens du Saint-Siège. Les autorités qui ont mandaté la commission ont autorisé la publication de ce rapport pour qu’il puisse faire l’objet d’un vaste débat. Il s’agit d’un rapport commun de cette commission, non pas d’une déclaration autorisée émanant de l’autorité de l’Eglise catholique romaine ou du Conseil méthodiste mondial qui examineront et évalueront ce document en temps utile.

Fait foi pour ce document le texte original en anglais.

Liste des abréviations

AD Ad gentes (Décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise, Concile Vatican II, 1965)
BD The Book of Discipline of the United Methodist Church (2004)
BEM Baptême, eucharistie et ministère (Commission Foi et Constitution du Conseil œcuménique des Eglises, 1982)
CLP Called to Love and Praise : The Nature of the Cristian Church in Methodist Experience and Practice (Conférence méthodiste britannique, 1999)
DS Denzinger-Schönmetzer, Enchiridion Symbolorum
DV Dei verbum (Constitution dogmatique sur la révélation divine, Concile Vatican II, 1965)
GS Gaudium et spes (Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps, Concile Vatican II, 1965)
LG Lumen gentium (Constitution dogmatique sur l’Eglise, Concile Vatican II, 1964)
SC Sacrosanctum concilium (Constitution sur la sainte liturgie, Concile Vatican II, 1963)
UR Unitatis redintegratio (Décret sur l’œcuménisme, Concile Vatican II, 1964)
UUS Ut unum sint (Lette encyclique du Pape Jean-Paul II, 1995)

 
  

Méditation Scripturaire

1 Corinthiens, 1, 1-10

« Paul, appelé à être apôtre du Christ Jésus par la volonté de Dieu, et Sosthène le frère, à l’église de Dieu qui est à Corinthe, à ceux qui ont été sanctifiés dans le Christ Jésus, appelés à être saints avec tous ceux qui invoquent en tout lieu le nom de notre Seigneur Jésus Christ, leur Seigneur et le nôtre; à vous grâce et paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ.
« Je rends grâce à Dieu sans cesse à votre sujet, pour la grâce de Dieu qui vous a été donnée dans le Christ Jésus. Car vous avez été, en lui, comblés de toutes les richesses, toutes celles de la parole et toutes celles de la connaissance. C’est que le témoignage rendu au Christ s’est affermi en vous, si bien qu’il ne vous manque aucun don, à vous qui attendez la révélation de notre Seigneur Jésus Christ. C’est aussi lui qui vous affermira jusqu’à la fin pour que vous soyez irréprochables au Jour de notre Seigneur Jésus Christ. Il est fidèle, le Dieu qui vous a appelés à la communion avec son fils Jésus Christ, notre Seigneur. »

1. L’écoute de la Parole de Dieu a accompagné les délibérations et discussions de notre Commission au cours des ans. Dans cette huitième phase de notre dialogue, notre attention a été attirée dès le début par l’introduction de la première lettre de saint Paul à l’Église de Corinthe, qui est en consonance avec ce qu’a été notre expérience.

2. S’adressant à une communauté aux prises avec les désaccords, les conflits et les divisions, les versets qui introduisent l’épître de saint Paul esquissent sa vision de l’Église, en vue de laquelle il exhorte les chrétiens de Corinthe à mettre fin à leurs divisions et à leurs désaccords. Où qu’elle soit, l’Église est appelée par Dieu à communier à son Fils Jésus Christ; elle est sanctifiée et comblée de dons spirituels pour une vie d’unité et de communion.

3. Paul adresse sa lettre à l’Église de Corinthe. Mais avant de saluer les corinthiens en invoquant sur eux la grâce et la paix de Dieu (v. 3), il signale que la communauté de Corinthe ne constitue pas toute la réalité de l’Église. Elle n’est pas seule à honorer Jésus comme Seigneur. Il en existe d’autres en d’autres lieux qui « invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ » (v. 2b).

4. Pourtant, alors que Paul invoque sur toutes les églises « grâce et paix de la part de Dieu et du Seigneur Jésus Christ » (v. 3), méthodistes et catholiques au cours de leur histoire n’ont hélas pas toujours pu se souhaiter « grâce et paix » les uns aux autres comme le montrent les chapitres un et trois de notre rapport. Le fait d’être des églises différentes ne se résume pas simplement pour nous au fait « d’invoquer le nom de Jésus en des lieux différents » (cf. v. 2b). C’est au contraire un cas de diversité sans unité, le résultat d’une division et d’une séparation, comme le montre aussi le Chapitre I de ce document. Au lieu de « grâce et paix », nos églises ont fait usage dans le passé d’un langage fâcheux et même violent l’une envers l’autre.

5. Paul déclare aux chrétiens de Corinthe que leur Eglise est appelée à être sainte (v. 2), et à communier à Jésus, le Fils de Dieu (v. 9). Nous croyons avec Paul que Dieu nous a appelés à communier à son Fils et nous a sanctifiés en lui. Ces appels divins, qui sous-tendent la réalité de l’Église, caractérisent aussi sa vie en profondeur. Ainsi méthodistes et catholiques considèrent « sainteté » et « communion » comme des traits essentiels de l’Église. Les méthodistes croient que la sainteté est la base de l’unité et de la communion de l’Église. Les catholiques, en accord avec le symbole des apôtres, placent la communion des saints juste après leur profession de foi en la sainteté de l’Église.[1] Notre Chapitre II explore, entre autres, ces aspects de l’Église.

6. Les divisions et les séparations, qui furent causées par des événements de l’histoire et les déterminations confessionnelles qui en découlèrent, ont largement affecté et mis dans l’ombre ces aspects de l’Église.

7. Pourtant, « là où le péché a proliféré la grâce a surabondé » (Rm 5,20). A travers les phases de dialogue précédentes, les membres méthodistes et catholiques de la Commission mixte ont été amenés à reconnaître toujours davantage l’existence d’éléments authentiques de l’Église chez le partenaire de dialogue. Ainsi, sur le fonds des accords que l’Esprit a amené notre commission à découvrir dans les dialogues précédents, il est désormais possible de voir à travers et au-delà du voile de la séparation, et
1) de considérer comment, seuls ou avec les autres, nous constituons l’Église;
2) de découvrir les dons spirituels qui enrichissent chacune de nos Églises.

8. C’est là ce que notre Commission cherche à montrer dans les Chapitres III et IV de ce rapport. Les catholiques découvrent et nomment les dons que Dieu a accordés aux méthodistes. Ils vont même plus loin, ils expriment leur ouverture à les partager. Les méthodistes font de même avec les catholiques. Cette découverte a réchauffé nos cœurs et nous a permis de dire avec Paul : « Nous remercions Dieu pour vous à cause de la grâce de Dieu qui vous a été donnée en Jésus Christ » (v. 4).

9. Cette capacité, que nous avons commencé à cultiver seulement dans les temps récents, à respecter notre identité ecclésiale mutuelle et à nous réjouir des qualités qui sont propres aux uns et aux autres (voire de les partager) est sûrement le fruit du mouvement œcuménique et du dialogue de notre Commission. Mais c’est davantage l’œuvre du Saint-Esprit. Dans la puissance de l’Esprit, l’Église n’a pas seulement la force de confesser que Jésus est Seigneur (1 Co 12,3), mais encore elle découvre et vit une vie de communion. Là se trouve la vocation la plus profonde de l’Église; et c’est vers cet avenir commun que notre partage de dons nous conduit.

10. Enfin, il est significatif que Paul associe cet avenir commun à l’idée de devenir « unis dans un même esprit et dans une même pensée » (v. 10). L’unité fondamentale dans la foi et dans la profession de la foi est nécessaire à l’Église pour sa vie de communion et pour son témoignage devant le monde.

 

Chapitre I

Nouvelle évaluation mutuelle

 

Un contexte nouveau pour une réconciliation mutuelle

11. La réconciliation entre méthodistes et catholiques exige une nouvelle évaluation mutuelle nécessitant elle-même une nouvelle interprétation du passé. Dès les débuts du méthodisme au XVIIIe siècle, méthodistes et catholiques se sont forgé une opinion les uns sur les autres. Certaines de ces évaluations se fondaient sur une authentique compréhension de la foi et de la vie de l’autre. Mais ils étaient plus souvent marqués par les conflits religieux, sociaux et politiques qui ont généralement caractérisé les relations entre protestants et catholiques et se nourrissaient d’ignorance réciproque, d’interprétations erronées ou d’opinions partielles les uns sur les autres. La phase actuelle de ce dialogue a été guidée par une recherche historique qui situe les développements des trois derniers siècles dans leur propre contexte.

12. Quarante ans de dialogue entre le Conseil méthodiste mondial et l’Église catholique ont renforcé aussi bien l’intention méthodiste, en tant que « partie de l’Église universelle,… de travailler pour l’unité » à tous les niveaux de la vie ecclésiale,[2] que le désir catholique, exprimé dans les documents du Concile Vatican II, de conduire à un « esprit œcuménique et à une estime mutuelle » plus grands entre tous, et de chercher « à restaurer l’unité parmi tous les chrétiens ».[3] Le but ultime n’est rien moins que « la pleine communion dans la foi, la mission et la vie sacramentelle ».[4] Nous nous réjouissons aujourd’hui que l’Esprit ait créé des conditions qui nous permettent d’être mieux informés et d’entretenir des relations plus amicales que celles du passé, et qu’il nous offre de nouvelles possibilités pour l’avenir.

13. Ni méthodistes ni catholiques ne doivent considérer leur séparation comme acceptable. Les uns peuvent penser que certaines séparations étaient autrefois nécessaires pour le bien de l’Évangile. D’autres peuvent estimer que toutes les séparations sont des échecs d’un côté comme de l’autre, voire même des deux côtés, qui ont jeté une ombre sur l’unité de l’Église du Christ. En 2003, l’Archevêque de Cantorbéry a dit au sujet de l’histoire de l’Église d’Angleterre et de l’Église méthodiste de Grande Bretagne : « Wesley en arriva au point de penser que lui et ses disciples ne pouvaient pleinement obéir à Jésus Christ qu’en courant le risque de la division. Personne ne peut aisément juger cette coûteuse décision et personne ne cherche à le faire; nous pouvons être sûrs que, sous la direction de Dieu, elle a porté des fruits de témoignage et de service du Royaume de Dieu en cette nation et bien au-delà ».[5] De même, l’histoire du méthodisme et celle de l’Église catholique romaine peuvent montrer qu’en chacun d’eux Dieu a œuvré en vue de l’accomplissement du dessein divin. Une meilleure connaissance réciproque a confirmé la conviction que «tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rm 8,28). Chacune de nos communautés a manifesté des aspects de la vie chrétienne qui ne sont pas aussi visibles chez l’autre. Il importe à chacun de reconnaître ces bonnes choses dans la vie de l’autre, de s’ouvrir à leur réception comme dons et de se préparer à les partager dans un avenir commun. Il existe entre nous un vaste champ dans lequel peut avoir lieu un « échange de dons »[6] mutuel et fructueux.

14. On ne peut excuser les séparations des cinq derniers siècles, même si elles ne peuvent être simplement condamnées et les responsables blâmés. En réponse à la question : « Pourquoi Dieu a-t-il permis les divisions des chrétiens? », le Pape Jean Paul II a dit : « Ne se peut-il que ces divisions aient été le chemin qui, sans trêve, a conduit l’Église à découvrir la richesse inexprimée contenue dans l’Évangile du Christ et dans sa rédemption ? Peut-être toute cette richesse ne pouvait-elle nous apparaître par aucun autre chemin… ».[7] L’étude du passé suggère que Dieu a conduit chacune de nos Églises sur de nouveaux chemins tracés par nos séparations. Les catholiques peuvent reconnaître que Dieu s’est servi du méthodisme, à ses débuts et dans toute son histoire, pour développer des dons qui devraient en définitive enrichir tous les chrétiens. De même, les méthodistes peuvent reconnaître que Dieu a œuvré dans la préservation par l’Église catholique de traditions importantes, et dans sa recherche de modes plus actuels de présenter l’Évangile pour le bénéfice de tous les croyants chrétiens. L’Esprit de Dieu a renouvelé nos deux Églises; et, dans le mystère de la divine providence, ceci a fait naître de nouvelles occasions de témoigner du Royaume de Dieu. Le dialogue actuel cherche à récolter ces biens et à préparer les Églises en vue de l’avenir commun vers lequel l’Esprit de Dieu les guide.

 

Naissance du méthodisme

15. Un fait historique marque les rapports mutuels entre catholiques et méthodistes: le mouvement méthodiste ne provient pas d’une rupture avec l’Église catholique. Le méthodisme a son origine dans l’Église historique d’Angleterre et d’Irlande, de laquelle il se sépara de façons diverses à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe. Puisqu’il n’y eut « aucune expérience de séparation officielle entre leurs deux Églises »[8], l’ombre d’aucun anathème ne vient peser sur les relations entre catholiques et méthodistes, comme cela fut le cas entre des chrétiens au XVIe siècle. De plus, étant donné que le méthodisme a ses origines dans l’Église d’Angleterre, il partage certains traits qui sont communs à la foi et la pratique du christianisme occidental traditionnel. Après 1795, toutefois, quand la Conférence méthodiste s’engagea sur la voie de l’indépendance par rapport à l’Église d’Angleterre, divers événements ont rapproché le méthodisme du catholicisme, d’autres ayant l’effet inverse.

16. Pour une approche correcte des relations entre méthodistes et catholiques, il est important de comprendre comment et pourquoi le méthodisme se détacha de l’Église d’Angleterre et comment il perçoit sa propre contribution à l’Église universelle. Contrairement aux divisions nées des graves querelles doctrinales de la Réforme, le méthodisme s’écarta de l’Église d’Angleterre sans graves désaccords sur l’Évangile ou sur la foi. En Amérique du Nord, la séparation fut une conséquence de l’indépendance américaine. La Conférence méthodiste de 1784 approuva la fondation de l’Église méthodiste épiscopalienne, profitant ainsi d’un moment et d’une mission historiques dans les territoires américains. En Grande-Bretagne et en Irlande, les méthodistes confièrent de plus en plus à leurs prédicateurs itinérants la responsabilité de guider le culte, de nourrir la quête spirituelle et d’assurer le service pastoral. Après la mort de John Wesley le Programme de pacification (1795) autorisa les prédicateurs itinérants à célébrer le baptême et l’eucharistie, donnant effectivement ainsi au méthodisme britannique une vie ecclésiale propre.

17. A ses origines le méthodisme était avant tout un mouvement de renouveau, soucieux de l’évangélisation du peuple et désireux de promouvoir la sainteté personnelle et collective en réponse à la proclamation de l’Évangile. Il est significatif que les méthodistes ne firent pas d’efforts particuliers pour formuler leur doctrine de l’Église. John Wesley reconnaissait l’Église d’Angleterre comme étant l’Église une, sainte, catholique et apostolique en Angleterre. Les efforts se concentraient plutôt sur la vocation du méthodisme de répandre la sainteté selon l’Ecriture. Si importante était cette mission qu’elle passait avant les questions de structure ecclésiale, encore que les méthodistes ne soient pas indifférents à de tels sujets. La sainteté devint dans la pensée méthodiste la marque décisive de l’Église, ce qui permit aux méthodistes de reconnaître les autres comme appartenant à l’Église universelle, quelle que fût leur identité ecclésiale particulière. Ainsi l’unité de l’Église fut d’abord envisagée comme unité de sainteté et seulement ensuite en termes de relations structurelles. La sainteté était le signe et le critère de la catholicité, et l’apostolicité de l’Église résidait dans la continuité de la mission apostolique de conduire les gens au Christ. Pour le méthodisme, ce sont ces caractéristiques particulières qui devaient être sauvegardées à tout prix.

 

Evolution catholique

18. Des signes de renouveau se manifestèrent dans l’Église catholique au moment même où se formait le méthodisme. Les décrets réformateurs du Concile de Trente (1545-1563) avaient inspiré un renouveau spirituel, notamment par la formation du clergé diocésain dans des séminaires. De nouvelles communautés religieuses et des mouvements laïcs apparurent, leurs charismes étant centrés sur l’éducation, les services médicaux, le ministère auprès des pauvres, la responsabilité sociale et la recherche de la sainteté. Plusieurs dévotions ou formes de piété se popularisèrent (par exemple envers le Saint-Sacrement, le Sacré-Cœur de Jésus), tandis que des auteurs spirituels comme François de Sales et le Cardinal Pierre de Bérulle encouragèrent les croyants à approfondir leur relation personnelle au Christ. Des initiatives missionnaires furent prises dans les Amériques, en Asie et en Afrique, portant parfois au martyre ceux qui cherchaient à répandre l’Évangile. La sainteté et la mission sur lesquelles le méthodisme insistait particulièrement étaient aussi des traits dominants de l’Église catholique à cette époque.

19. Ce renouveau allait de pair avec des controverses théologiques et des tensions internes dans l’Église catholique, notamment sur la grâce (avec des interprétations rigides de la doctrine de saint Augustin sur la grâce, comme dans le jansénisme). L’autorité papale était mise en question par ceux qui réclamaient une conception plus conciliaire de l’autorité dans l’Église, alors que d’autres désiraient une concentration plus grande de l’autorité dans le siège de Rome. En réponse à la Réforme, la théologie catholique soulignait son souci d’une continuité vitale avec l’Église des apôtres et l’Église de tous les temps. Le souci de l’unité et de l’apostolicité de l’Église conduisait l’Église catholique à se définir en opposition à ceux qui s’étaient séparés d’elle, suggérant ainsi que les protestants s’étaient coupés de l’Église fondée par le Christ. En plus du contexte social et politique plus vaste qui rendait difficile l’établissement de rapports entre l’Église catholique et le mouvement méthodiste en cours de formation, ces facteurs militaient contre tout effort de la part des méthodistes et des catholiques pour s’apprécier les uns les autres.

 

Anciennes idées méthodistes au sujet de l’Église catholique

20. Jusqu’à la moitié du XXe siècle, les méthodistes ont généralement eu la même attitude anticatholique que les protestants anglais et américains et c’était également le jugement que John Wesley portait sur l’Église catholique. Prêtre anglican du XVIIIe siècle aux connaissances théologiques variées, il était convaincu que plusieurs dogmes, par exemple la transsubstantiation et le purgatoire, ainsi que diverses pratiques de l’Église catholique étaient contraires à l’Ecriture. Il croyait que les catholiques adoraient les saints et les images saintes et pratiquaient plusieurs faux sacrements. Il était opposé au refus du calice à la sainte communion et à l’emploi d’une langue liturgique que la plupart des fidèles ne pouvaient comprendre. Il considérait le recours catholique à la tradition comme une menace pour l’autorité de la Parole de Dieu dans l’écriture et le pouvoir du pape comme un abus.

21. Wesley avait une attitude ambivalente face à la tradition de l’Église. Alors qu’il éprouvait un grand respect pour la période patristique, sa vision de la période médiévale était surtout négative, encore qu’il puisât parfois dans les enseignements de l’Église occidentale. Il se référait à l’Église primitive et il désirait que le méthodisme entraînât un renouveau dans l’Église d’Angleterre en accord avec le christianisme primitif. Wesley acceptait les décisions des quatre premiers conciles œcuméniques. Il pensait toutefois qu’une décadence morale de la vie et de la doctrine chrétiennes, qu’il estimait avoir déjà commencé dans les premiers siècles de l’Église, caractérisait la longue période entre Constantin et Martin Luther.

22. Quoique fidèle à la Réforme anglaise, John Wesley était prêt à tendre la main aux catholiques de manières significatives. Dans sa Lettre à un catholique romain qu’il rédigea en 1749 en Irlande, d’un ton conciliant il affirmait sincèrement partager avec les catholiques une foi et une doctrine communes. Wesley y demandait aux catholiques et aux protestants de « réfléchir ensemble » plutôt que de se lancer dans des « querelles interminables sur des questions d’opinions. » Il reconnaissait les catholiques comme chrétiens, malgré ce qu’il pensait être les erreurs et superstitions de leur Église. Il avait lui-même une forte dette envers L’Imitation du Christ de Thomas à Kempis, dont il recommandait aux méthodistes la lecture avec celle des premiers Pères de l’Église. Il signalait aussi d’autres auteurs catholiques, tel François de Sales, comme modèles de perfection chrétienne ou guides spirituels.

23. Le plus éminent des catholiques romains du XVIIIe siècle à parler du méthodisme fut Richard Challoner (1691-1781), vicaire apostolique du district de Londres à partir de 1758. Dans A Caveat against the Methodists (1780), Challoner citait de nombreux passages bibliques pour montrer que l’Église fondée par le Christ était universelle, une, sainte, et orthodoxe dans sa doctrine, jouissant d’une succession ininterrompue de pasteurs et de docteurs sous la direction du Saint-Esprit. Il affirmait: « Les méthodistes ne sont pas le Peuple de Dieu; ils n’ont pas le véritable Évangile; et leur récente Société n’est pas la vraie Église du Christ, et n’en fait pas partie ».[9]

24. Répondant au Caveat de Challoner, Wesley reconnaissait que l’Église est universelle, une, sainte, et orthodoxe; mais il trouvait difficile de reconnaître ces mêmes caractéristiques de l’Église dans « l’Église de Rome en sa présente forme. » Pour lui, l’Église catholique fondée par le Christ est « le corps entier des hommes qui ont la foi et œuvrent dans l’amour, dispersés sur la terre entière, en Europe, en Asie, en Afrique et en Amérique ».[10] En tous temps et dans toutes les nations, l’Église est le corps du Christ. Cette Église est sainte, « car aucun homme profane ne peut en être membre ». Elle est orthodoxe en tout ce qui est nécessaire au salut, protégée de l’erreur en ce qui est essentiel par la présence perpétuelle du Christ et constamment dirigée par l’Esprit de vérité. Wesley estimait que « non pas les seuls méthodistes, » mais « tous les protestants, » avaient meilleur titre à ces caractéristiques que l’Église catholique romaine. Il admettait cependant que certains catholiques appartiennent individuellement à l’Église, malgré les déficiences de leur institution. Dans son sermon de 1785 intitulé « De l’Église », il disait de l’Église de Rome: « Il n’y a là ni prédication de ‘la pure Parole de Dieu,’ ni sacrements ‘administrés comme il faut’».’ Il était néanmoins prêt à accueillir les assemblées appartenant à l’Église catholique qui confessaient « un seul Esprit, une seule espérance, une seule foi, un seul Dieu et Père de tous ».[11] A certains moments donc, Wesley rejetait l’Église catholique romaine; il hésitait toutefois à exclure de l’Église ses membres individuels, voire des assemblées entières.

25. Lorsque l’Église méthodiste épiscopale fut fondée aux Etats-Unis en 1784, Welsey lui remit une version abrégée des Trente-neuf Articles de Religion. Plusieurs de ces articles répétaient les attaques des Réformateurs contre la doctrine catholique, fournissant ainsi une base à la critique méthodiste du catholicisme en Amérique. Après la mort de Wesley, ses disciples en Angleterre se souvinrent de son opposition au catholicisme. La Conférence méthodiste wesleyenne publia des pamphlets et des livres qui exaltaient la Réforme et attaquaient la papauté. Les relations internationales ne firent que compliquer encore davantage la situation. Pour la plupart des méthodistes des deux côtés de l’Atlantique, la loyauté au pape, souverain étranger, faisait des catholiques romains des sujets virtuellement déloyaux, dangereux pour l’ordre social.

 

Premières impressions catholiques romaines au sujet du méthodisme

26. Il y eut peu de réactions catholiques au méthodisme débutant. Celles qui s’exprimèrent reflétaient le principe que la Réforme avait été un mal absolu. Les Récusants, dont la pensée souffrait de l’assujettissement aux lois pénales contre les catholiques et leurs prêtres, rejetaient généralement comme hérétiques les Trente-neuf Articles de l’Église d’Angleterre. En France, l’influent évêque Jacques Bénigne Bossuet enseignait que la Réforme avait inauguré une série de divisions infinies et de réduplications en raison de l’absence d’un vrai magistère doctrinal et de ses interprétations incontrôlées de l’Ecriture.[12] Richard Challoner adhérait aux idées de Bossuet et assimilait le méthodisme aux sectes enthousiastes qui s’étaient séparées de l’Église d’Angleterre au cours du XVIIe siècle. Il dénonçait le méthodisme comme étant un nouvel aspect du processus de désintégration que beaucoup identifiaient comme l’héritage principal de la Réforme quant à la structure de l’Église.

27. Pour ce qui est de la doctrine, Challoner considérait que le Concile de Trente avait défendu la tradition apostolique authentique, en opposition à l’enseignement des Réformateurs. Le concile ayant condamné « la vaine confiance des hérétiques » (inanem haereticorum fiduciam) à sa sixième session (1546),[13] Challoner critiquait la doctrine méthodiste de l’assurance du salut dans laquelle il ne voyait qu’« illusion et présomption sans fondement ». Il encouragea donc parmi les catholiques à considérer le méthodisme comme un développement sectaire tardif qui répandait de fausses doctrines et des pratiques malsaines dans une Église qui était déjà schismatique et hérétique. Quand les sociétés méthodistes en vinrent à se séparer de l’Église d’Angleterre, ces jugements hostiles furent automatiquement transférés au méthodisme. Des dictionnaires théologiques publiés en France aux XVIIIe et XIXe siècles reflétaient également cette opinion négative. L’une de ces descriptions du méthodisme concluait: « On voit ici une image, un écho, non pas des hiérarchies angéliques…, mais de cet empire de confusion et de désordre où règnent les esprits mauvais».[14]

28. Certains formulèrent un jugement différent, quoique encore ambigu, mais très peu les entendirent. Dans les conférences de carême qu’il fit en 1850 à l’Oratoire de Londres, John Henry Newman déclarait à ses anciens collègues anglicans: « Si vous voulez vous faire ne serait-ce que la plus petite idée des qualités surnaturelles qui constituent la conception de ce qu’est un saint catholique, adressez-vous à Wesley et à ses semblables » (quoique, « personnellement je ne l’aime pas, ne fut-ce que pour sa profonde confiance en soi et sa suffisance »). De même, poursuivait-il, Wesley et ses compagnons, « débutant à Oxford dans le ridicule, jeûnant et priant dans l’air froid de la nuit, puis allant prêcher partout, insultés par les riches et les gens cultivés, malmenés et traînés en prison par la populace, et convertissant au service de Dieu des milliers de pécheurs, » pourraient évoquer les grands missionnaires catholiques d’autrefois, - «s'il n’était leur orgueil et leur excentricité, leur doctrine fanatique et leur dévotion tourmentée ».[15]

29. Une approche plus mesurée du méthodisme commença à prendre forme dans l’œuvre de Johann Adam Möhler (1796-1838). Dans une étude des principaux symboles et confessions de foi formulés depuis la Réforme, il classifiait le méthodisme comme « l’une des plus petites sectes protestantes »; il reconnaissait également que John Wesley se distinguait « par de grands talents, une culture classique, et (ce qui valait encore mieux) un zèle enfiévré pour le royaume de Dieu ».[16] Tout en blâmant Wesley pour – ainsi pensait-il – s’être fait évêque et avoir ordonné des prêtres, il fut le premier à suggérer l’existence d’une similitude entre l’origine du méthodisme et l’inspiration « qui conduisit à l’origine des institutions monastiques » dans l’Église catholique. Dans cette perspective le méthodisme apparaissait avant tout comme une force de renouveau. Cette évaluation positive, cependant, ne porta pas de fruit dans la pensée catholique avant le XXe siècle.

 

Convictions sous-jacentes

30. Dans ce compte-rendu de l’histoire de notre évaluation mutuelle, où il est clair que les jugements polémiques les uns sur les autres se fondaient sur un manque de connaissance réciproque, il est possible aussi de voir de chaque côté un désir de préserver l’Évangile et sa proclamation. On constate que le méthodisme voulait protéger la sainteté de l’Église en fonction de ses propres conceptions. Dans le contexte nouveau de l’industrialisation de l’Angleterre, d’une émigration massive en provenance d’Irlande, du développement des Etats-Unis comme nation et d’une ample colonisation, le méthodisme cherchait à mettre la sainteté selon l’Ecriture à la portée des gens ordinaires pris dans de vastes mutations sociales. Il adoptait de nouveaux styles de prédication et de culte pour faire connaître l’Évangile. Pour les méthodistes, c’était l’Esprit-Saint qui suscitait les vocations des chefs pour les nouvelles Églises adoptant de nouvelles structures de gouvernement. Ils se passionnaient pour la transformation des vies individuelles et une réforme des sociétés de sorte que la sainteté y soit plus visible.

31. Avec sa mémoire pluriséculaire de l’unité chrétienne, l’Église catholique cherchait à préserver l’unité du peuple de Dieu de toutes les façons qui lui étaient possibles. Les catholiques étaient troublés par les tendances au morcellement du protestantisme. L’Église catholique désirait protéger la continuité visible du ministère et de l’enseignement dans l’Église; et la catholicité était selon elle étroitement liée à ces derniers. Les séparations du XVIe siècle représentaient à ses yeux de véritables pertes pour l’Église de Dieu, et elle voyait dans les divisions qui suivirent au sein des Églises protestantes un éloignement ultérieur de l’unité, de l’apostolicité et de la catholicité.

 

Autres facteurs affectant les relations

32. Tandis que la doctrine et la théologie sont d’une importance majeure pour la vie des Églises, on ne peut séparer l’expérience religieuse des fidèles de leur contexte social. Dans toutes les sociétés la majorité tend à restreindre la liberté des minorités. Quand dans le passé les méthodistes faisaient partie d’une majorité ou d’une domination protestantes, ils avaient tendance à contribuer à la marginalisation des catholiques romains dans la société et à l’imposition de mesures contre le libre exercice de leur foi. De même, là où dominait le catholicisme, il tendait à marginaliser les protestants, y compris les méthodistes, pour entraver leur pleine participation à la société et pour limiter la libre pratique de leur foi.

33. De telles situations politiques et sociales entretenaient l’hostilité plutôt que la charité. Dans l’esprit populaire de chaque communauté, le souvenir de l’oppression ou de la discrimination étaient entretenus, engendrant incompréhension et méfiance. Les rivalités nationales entre pays majoritairement protestants ou catholiques se nourrissaient des oppositions religieuses qu’elles entretenaient à leur tour. Lorsque grâce à l’activité missionnaire de nouvelles Églises s’établirent à travers le monde, beaucoup de ces divisions et préjugés furent transmis aux nouveaux chrétiens et à leurs responsables.

 

Le mouvement œcuménique et le Concile Vatican II

34. Les méthodistes occupèrent une place importante dans le mouvement œcuménique qui commença à la fin du XIXe siècle et prit de l’ampleur dans la première moitié du XXe siècle. A l’origine, cette activité trouva sa force motrice dans l’engagement missionnaire et la prédication évangéliques universels, qui menèrent les méthodistes ainsi que d’autres à s’unir pour établir de nouveaux organismes de collaboration. Ils comprenaient que la collaboration entre chrétiens était nécessaire à la poursuite concrète de la mission. Les mots d’ordre, « évangélisation du monde en cette génération » (Mouvement bénévole étudiant) et « que tous soient uns » (Fédération mondiale des étudiants chrétiens), incitèrent les méthodistes à établir de solides relations de travail avec d’autres protestants. Ce faisant, ils cherchaient à vivre l’enseignement de John Wesley, selon lequel une personne « d’esprit catholique » est une personne qui « tend la main » à tous ceux dont « le cœur bat à l’unisson avec le sien». Une telle personne considère comme des « amis », des « frères » tous ceux qui « croient en le Seigneur Jésus Christ » et qui « aiment Dieu et l’homme ». « Elle les aide de toutes ses forces en toutes choses, spirituelles et temporelles. Elle est prête ‘à leur consacrer son temps et à se dépenser pour eux’, voire, ‘à donner sa vie’ pour eux». S’ouvrant vers l’extérieur, le cœur de cette personne « s’élargit aux dimensions de l’humanité ». « Là est l’amour catholique ou universel. Et celui qui le possède est d’esprit catholique ».[17]

35. Cet engagement en faveur d’un esprit catholique conduisit les méthodistes à approfondir leur engagement dans les organismes œcuméniques aux échelons locaux, nationaux et universels. Lorsqu’après 1910, le mouvement œcuménique commença à prendre forme dans des structures ecclésiastiques, les Églises méthodistes s’y engagèrent sans difficulté. Après plus d’un siècle d’existence autonome, les Églises méthodistes commencèrent à réfléchir sur la place qu’ils occupaient dans un monde chrétien plus vaste. L’Église méthodiste britannique, tout en réclamant une place dans « la Sainte Église Catholique qui est le Corps du Christ »,[18] estimait que les « confessions » existantes, n’étant qu’une « incarnation partielle et imparfaite de l’idéal du Nouveau Testament» ont « le devoir de faire cause commune dans la recherche de l’expression parfaite de cette unité et de cette sainteté qu’elles possèdent déjà en Christ».[19]

36. L’attitude des méthodistes vis à vis des catholiques romains commença à changer au cours du XXe siècle. Le moment décisif fut celui du Concile Vatican II (1962-1965) et de la création du Secrétariat pour la promotion de l’unité des chrétiens. L’invitation du Pape Jean XXIII faite aux Églises orthodoxes, anglicanes, et protestantes, d’envoyer des observateurs officiels au Concile Vatican II, fut accueillie avec joie par les méthodistes. Les relations que les observateurs méthodistes établirent avec les participants catholiques au Concile contribuèrent à améliorer leur compréhension mutuelle. Les méthodistes purent ainsi approfondir leur compréhension de l’enseignement catholique et ils accueillirent favorablement la nouvelle présentation de la doctrine catholique traditionnelle contenue dans les documents conciliaires, en particulier dans la constitution dogmatique sur l’Église (Lumen gentium), le décret sur l’œcuménisme (Unitatis redintegratio), le décret sur l’activité missionnaire de l’Église (Ad gentes), la constitution dogmatique sur la révélation divine (Dei verbum), la constitution sur la sainte liturgie (Sacrosanctum concilium) et la constitution pastorale sur l’Église dans le monde moderne (Gaudium et spes).[20]

37. Unitatis redintegratio propulsa l’Église catholique dans le mouvement œcuménique et devint le guide régulateur de sa participation à ce mouvement. Le décret exprimait la conviction que c’est l’Esprit-Saint qui est à l’origine du mouvement œcuménique et le guide, et que la recherche de l’unité chrétienne est intrinsèquement liée à l’identité et à la mission de l’Église. Le concile reconnaissait que des éléments de l’Église fondée par Jésus Christ sont déjà présents dans d’autres Églises et Communautés ecclésiales, et que leur relation à l’Église catholique est celle d’une communion partielle ou imparfaite qui renferme un dynamique interne tournée vers la pleine communion sous la conduite de l’Esprit-Saint (LG, 8; UR, 3). La promotion du dialogue, la collaboration en vue du bien commun et l’œcuménisme spirituel étaient présentés comme les principaux moyens d’encourager l’unité entre les chrétiens. L’enseignement conciliaire, qui veut que les relations œcuméniques nécessitent la conversion interne et le repentir pour les péchés contre l’unité (UR 7), et que cette conversion, allant de pair avec la « sainteté de la vie», soit au cœur du mouvement œcuménique (UR 8), est particulièrement proche de la conviction méthodiste selon laquelle la recherche de la perfection évangélique devrait être au centre de la vie chrétienne.

38. En prenant Unitatis redintegratio (1964) comme point de départ et en construisant sur l’enseignement conciliaire, un corpus de textes s’est constitué, qui guide la participation catholique romaine à la recherche de l’unité chrétienne. En font également partie les pages du code de droit canonique révisé (1983) consacrées à l’œcuménisme, un Directoire de normes réglant la participation catholique au mouvement œcuménique (première édition, 1967-1970; nouvelle édition, 1993), une encyclique pontificale (1995), et un vaste corpus d’enseignements pontificaux et d’instructions du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. Pour le Pape Jean XXIII, l’unité des chrétiens était à considérer comme l’un des buts du concile; au cours des pontificats qui suivirent, cette recherche s’est transformée en un souci pastoral toujours plus pressant. Dans son encyclique Ut unum sint, le Pape Jean-Paul II affirmait que la poursuite de l’unité chrétienne n’est pas un addendum ou un appendice ; au contraire, elle est le chemin que doit suivre l’Église et est partie intégrante de son essence et de son activité pastorale.[21]

39. Nos deux communions reconnaissent que leurs relations se modifièrent grâce au Concile Vatican II. Pendant quarante ans, notre dialogue a poursuivi dans la ligne de cette ouverture. Juste après le Concile, des mesures furent prisent pour faire démarrer le dialogue théologique entre l’Église catholique et le Conseil méthodiste mondial. Le travail commença en 1967. Catholiques et méthodistes ont aussi participé aux travaux de la Commission Foi et Constitution du Conseil œcuménique des Églises. De manières diverses, nos deux communions se sont engagées dans la prière commune, le témoignage commun, la mission commune et le dialogue au niveau local. Beaucoup de nouvelles relations ont été bâties et c’est un esprit d’amour mutuel qui a été alimenté à la place de l’indifférence ou de l’hostilité qui prévalaient auparavant entre catholiques et méthodistes. En conséquence, nous sommes passés de la polémique au dialogue, de l’accusation au respect, de l’ignorance à la confiance. Le désir de l’unité s'en est trouvé en même temps renforcé et plus vastement répandu. Nous avons appris à avoir une plus grande estime envers le caractère ecclésial de l’autre confession et celle-ci s'est manifestée concrètement dans de plus étroites relations.

 

Nouvelles perspectives herméneutiques

40. La vision que catholiques et méthodistes avaient les uns des autres était influencée par leurs interprétations respectives de la Réforme, par les critiques qu’ils formulaient à l’époque et qu’ils ont continué à formuler par la suite. La vision méthodiste de l’Église catholique a changé au cours du XXe siècle, comme a changé la manière dont les catholiques considéraient le méthodisme. Cette nouvelle évaluation mutuelle est liée en partie à notre interprétation du phénomène de séparation même.

41. Les catholiques peuvent maintenant voir que John et Charles Wesley et le mouvement méthodiste « se caractérisaient par le désir de faire connaître l’amour du Christ, de réformer la vie interne de l’Église, d’encourager la célébration de l’Eucharistie, de promouvoir l’éducation chrétienne, de servir les pauvres, de donner à ceux qui se disent chrétiens la passion d’un franc témoignage par amour du Christ ».[22] Constatant chez les méthodistes l’existence de nombreux signes de la présence du Saint-Esprit, ils peuvent voir que le méthodisme était capable de renouveler l’Église d’Angleterre de son temps. Quelles que furent autrefois leurs attitudes, les catholiques peuvent reconnaître que John Wesley tenait l’unité de l’Église en haute estime, mais qu'il sentait aussi comme un devoir d’être fidèle à sa mission de prêcher « la sainteté selon l’écriture ». Lui et ses disciples poursuivirent leur mission avec beaucoup de dévouement, malgré les conséquences tragiques entraînées par les divisions dans l’Église.

42. Que le mouvement en vint à être séparé de l’Église d’Angleterre fut le résultat de bien des facteurs, théologiques et non théologiques. La séparation est regrettable mais il est impossible à cette distance, voire même peu souhaitable, de vouloir juger les groupes concernés. Il était compréhensible que les catholiques voient dans la séparation des méthodistes de l’Église d’Angleterre un nouvel exemple de l’impulsion désintégrante de la Réforme. Le monde chrétien était déjà divisé et un mouvement inverse inspiré par le Saint-Esprit pour le rétablissement de l’unité n’était pas encore clairement identifiable. Le renouveau de l’Église par la prédication méthodiste de la « sainteté selon l’Ecriture » allait finalement servir le but de l’unité chrétienne. Malheureusement, alors que cette orientation s’assurait une base stable, la poursuite de sa mission par le méthodisme provoquait aussi une division supplémentaire. Les catholiques peuvent affirmer avec confiance qu’il est bon que ce charisme méthodiste - œuvrer dans le monde entier pour la sainteté selon l’écriture - ait survécu afin que tous y prennent part.

43. Les méthodistes ont compris que les nombreuses divisions de l’Église ont affaibli le témoignage chrétien. Ils reconnaissent la validité de l’approche catholique de l’unité dans la diversité de laquelle ils peuvent tirer des enseignements. Comme les catholiques, les méthodistes attribuent une grande importance au passé; et pourtant les catholiques ont pris davantage au sérieux que les méthodistes leur continuité avec l’Église primitive et médiévale. Wesley appréciait la compréhension catholique de la sanctification; ceci pourrait inciter les méthodistes à revoir leur vision du catholicisme également sous cet aspect. Méthodistes et catholiques sont tous deux engagés en faveur de la sainteté personnelle et sociale et ils sont devenus profondément solidaires en travaillant ensemble pour la justice sociale.

44. Les communautés chrétiennes séparées se rapprocheront nécessairement les unes des autres en se rapprochant du Christ. Elles sont formées par l’Esprit pour être une et non pas divisées. Si les méthodistes et les catholiques ne sont pas en pleine communion, c’est en raison de questions doctrinales non encore résolues qu’ils estiment les uns et les autres essentielles à l’Évangile de Jésus Christ. Toutefois, nous sommes conscients que l’Esprit-Saint nous pousse sans relâche vers une plus profonde koinonia. Toutes les séparations ne sont donc que temporaires pour ceux qui cherchent à suivre le Christ, elles ne peuvent jamais être définitives. Seul le Christ sait quand ses disciples se réuniront. Ils n’ont, quant à eux, qu’à le servir, et à répondre de tout leur cœur aux mouvements de l’Esprit unificateur.

   

Chapitre II

Ensemble dans le Christ

 

L'Église, visible et invisible

45. Qu’est-ce que l’Église? Quel est son but sur terre? Le mot « église » peut avoir diverses significations : l’édifice où l’on se réunit pour le culte, la communauté chrétienne locale, une « confession » particulière (par exemple, méthodiste ou catholique), l’ensemble des chrétiens du monde entier ou encore le leadership collectif de la communauté chrétienne. Pour la plupart des gens, l’ « Église » signifie quelque chose de tout à fait visible et tangible. Les mots grec et latin pour « église » (ekklesia, ecclesia) impliquent l’idée de rassemblement et de réunion. L’Église est l’assemblée du peuple de Dieu réunie pour écouter la Parole de Dieu et lui répondre. Le mot anglais church vient du grec kyriakè, qui signifie « ce qui appartient au Seigneur ». L’Église est le peuple que Dieu rassemble, localement et à travers le monde, le peuple qui appartient à Dieu dans le Christ par la puissance du Saint-Esprit. Se rassembler en une communauté visible, unie dans la foi et l’amour, est au centre de ce que « Église » veut dire pour la plupart des chrétiens.

46. Le dialogue entre catholiques et méthodistes est nécessaire en raison des divisions parmi les chrétiens; cet état de division porte atteinte à notre compréhension de l’Église. Cependant, méthodistes et catholiques peuvent s’exprimer d’une même voix sur de nombreux sujets concernant l’Église et sur bien des éléments de l’Église que nous pouvons reconnaître les uns chez les autres. Ce chapitre présente plusieurs aspects clés de notre compréhension commune de la nature et de la mission de l’Église.

47. On ne peut définir l’Église comme on décrirait n’importe quelle autre organisation internationale. L’Église est plus qu’une communauté visible de personnes qui partagent une même vision particulière du monde, de son origine et de sa destinée. L’Église est en effet une réalité visible; sa visibilité est essentielle à sa nature et à sa mission. Mais il y a bien plus dans l’Église que ce que l’on peut en voir à l’œil nu ; seul « l’œil de la foi » peut en discerner la réalité la plus profonde, son invisible « mystère ».

48. Le mot « mystère » qui est utilisé dans ce chapitre, apparaît plusieurs fois dans les rapports précédents de cette Commission. Il a son origine dans l’usage que fait saint Paul du mot grec mysterion pour désigner le plan divin du salut, autrefois caché, mais maintenant révélé dans le Christ incarné, l’invisible étant ainsi rendu visible. Dieu nous a fait connaître « le mystère de sa volonté » (Ep 1,9). Saint Paul reçut la grâce « d’annoncer aux païens l’impénétrable richesse du Christ, et de mettre en lumière comment Dieu réalise le mystère tenu caché depuis toujours en lui, le créateur de l’univers » (Ep 3,9). Saint Paul avait une vive conscience du lien intime, nuptial, existant entre le Christ et son épouse, l’Église. C’est là en soi « un grand mystère » (Ep 5,32) et c’est par l’Église que le mystère de la grâce salvifique de Dieu doit être révélée au monde. Le mot grec mysterion fut enfin traduit par sacramentum dans les traductions latines de la Bible et dans les écrits patristiques latins. L’Église, création de la Parole de Dieu, est « le ‘mystère’ ou ‘sacrement’ de l’amour de Dieu pour le monde ».[23] L’invisible et le visible vont de paire et le premier est manifesté à travers le second. Cette union de l’invisible et du visible est essentielle à notre compréhension de l’Église, en tant que catholiques et méthodistes. Elle s’enracine dans le Christ lui-même, Parole invisible rendue visible dans la chair, pleinement divine et pleinement humaine.

49. Quel est alors la réalité cachée la plus profonde de l’Église, le mystère qui est au cœur de sa nature et de sa mission? C’est la présence invisible du Dieu Trinité, le seul Dieu, qui est Père, Fils, et Saint-Esprit, le Dieu qui est le saint amour. Comme le dit Paul VI, « l’Église est un mystère. C’est une réalité plongée dans la présence cachée de Dieu ».[24] L’Église est le fruit de la grâce divine; sa nature et sa mission ne peuvent se comprendre en dehors du mystère du plan miséricordieux de Dieu pour le salut de toute l’humanité. Le peuple pèlerin de Dieu est « appelé à vivre de la foi en Dieu, dont la générosité non méritée demeure l’alpha et l’oméga de l’existence même de l’Église» (CLP, 5.6).

50. En tant que catholiques et méthodistes, nous confessons que la vie et les actions de l’Église pèlerine ont parfois rendu difficile de voir, au-delà de sa visibilité, la présence invisible de Dieu. L’Église est une communauté d’hommes faibles et vulnérables, qui souvent commettent des fautes et tombent, individuellement et tous ensemble. « L’Église, au cours de son pèlerinage sur la terre, est appelée par le Christ à cette réforme permanente dont elle a perpétuellement besoin en tant qu’institution humaine et terrestre» (UR, 6). L’Église est appelée à se purifier et à se renouveler et doit se repentir sur de nombreuses choses (cf. CLP, 2.2.7). Le danger existe de vouloir présenter une image idéalisée de l’Église, ressemblant peu à la réalité visible de l’Église telle qu’elle a traversé les temps et lutté au cours de l’histoire. Néanmoins nous croyons que Dieu demeure fidèlement présent dans l’Église et qu’il nous appelle à la sainteté, quels que soient notre faiblesse humaine et nos péchés. Cette foi se fonde sur la promesse de Jésus ressuscité : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (Mt 28, 20).

 

Prendre part à la vie de la Trinité

51. Le mystère de l’Église s’enracine dans le mystère de la Sainte Trinité et dans le mystère de la vie, de la mort et de la résurrection du Verbe Incarné. La vie intérieure de l’Église est une participation à la vie de Dieu et la mission de l’Église une participation à la mission du Fils de Dieu et de l’Esprit. « Parce que Dieu a tant aimé le monde, il a envoyé son Fils et le Saint-Esprit pour nous conduire à la communion avec lui. Cette participation à la vie de Dieu qui résulte de la mission du Fils et du Saint-Esprit, trouve son expression dans une koinonia visible des disciples du Christ, l’Église ».[25] La koinonia (ou communion) se trouve au cœur même de la façon dont catholiques et méthodistes comprennent la nature de l’Église.

52. L’Église naît d’une initiative de la Sainte Trinité et relève de la sphère de la grâce divine. «La révélation de Dieu Trinité est la source de la foi de l’Église, de sa mission, et de sa vie sacramentelle ».[26] L’Église n’est pas née de sa propre initiative : « Elle a pris naissance dans l’acte rédempteur de Dieu en Christ et elle vit en union avec la mort et la résurrection du Christ, réconfortée, guidée, et puissamment aidée par le Saint-Esprit ».[27] En tant que membres de l’Église du Christ aujourd’hui, et en communion avec les chrétiens de tous temps, nous croyons continuer ainsi à prendre part à la vie et au mystère pascal du Fils incarné, soutenus par l’Esprit de Dieu.

53. Le Nouveau Testament fournit une grande variété d’images et de modèles, bon nombre d’entre eux reflétant la présentation du peuple élu de Dieu dans l’Ancien Testament, pour exprimer ce que veut dire être l’Église, encore qu'« aucune ne peut exprimer de façon exhaustive ou même suffisamment exacte ce qu’est l’Église, la totalité de son mystère ».[28] Tout effort théologique de décrire l’Église devrait refléter quelque chose du mystère de la Sainte Trinité. Aussi méthodistes et catholiques affirment-ils l’Église comme peuple et famille de Dieu le Père, corps et épouse de Jésus Christ, Dieu le Fils incarné et temple vivant de Dieu le Saint-Esprit. La koinonia ou communion des disciples du Christ est un reflet visible de l’éternelle koinonia ou communion du Dieu Trinité qui est la source, le sens, le but et le destin de l’Église. De fait, « l’Église est par essence participation à la communion d’amour entre les trois Personnes de la Trinité ».[29]

 

Peuple et famille de Dieu le Père

54. « Dieu est amour » (1 Jn, 4,8.16). Le mystère de Dieu est le mystère de son amour éternel. L’amour surabondant du Père crée l’humanité pour communier à Lui et c’est ce même amour créateur qui rassemble les disciples de son Fils dans la communauté visible de l’Église. Dieu fait le don libre de son l’alliance et le peuple d’Israël devient le peuple royal, sacerdotal et prophétique de Dieu même, choisi pour être une lumière pour les nations. Par le don du Père d’une alliance nouvelle et éternelle, scellée dans le sang du Christ, Agneau de Dieu, ceux qui sont « dans le Christ » sont devenus « la race élue, la communauté sacerdotale du roi, la nation sainte, le peuple que Dieu s’est acquis », pour que soient proclamés « les hauts faits de celui qui vous a appelés des ténèbres à sa merveilleuse lumière » (1 P 2,9). Par la puissance unificatrice de son Esprit d’Amour, le Père nous introduit dans une communion de vie avec son Fils bien-aimé. En Christ nous devenons fils et filles adoptifs de Dieu le Père, membres de sa famille royale et consacrée, l’Église. Tout ceci est le fruit de l’amour créateur du Père qui nous rassemble.

 

Corps et épouse de Jésus Christ, Dieu le Fils Incarné

55. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3,16). Catholiques et méthodistes affirment ensemble leur foi en Jésus Christ, le Dieu incarné, « Dieu, né de Dieu, lumière, née de la lumière, vrai Dieu, né du vrai Dieu… de même nature que le Père ».[30] Il est le Logos, la Parole, qui est Dieu de toute éternité, qui fut chair et vécut parmi nous (cf. Jn 1,1-14). « Au commencement » (Gn 1,1), c’est par sa Parole que le Père créa tout ce qui fut (cf. Jn 1,3). C’est par sa Parole incarnée que le Père commença son œuvre de création nouvelle et rassembla les enfants de Dieu éparpillés. C’est par la Parole de Dieu s’exprimant à travers le Christ que l’Église fut et qu’elle est « le lieu où la Parole de Dieu est annoncée et entendue, crue et confessée ».[31] La Parole de Dieu nous parvient à travers les mots de la sainte écriture et c’est le Christ, par le Saint-Esprit, qui nous ouvre l’intelligence pour comprendre les écritures dans la vie, le culte et le témoignage ininterrompus de la communauté de l’Église à travers les âges (cf. Lc 24,45).

56. Les origines de l’Église sont dans le Christ lui-même : « Le christianisme est né de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus… Comme le montre le rassemblement de ceux qui marchaient avec lui et partageaient avec lui une vie commune, spécialement les Douze, le ministère de Jésus créa une communauté. Après la résurrection, cette communauté partagea la vie nouvelle conférée par l’Esprit et, très tôt, en vint à être appelée l’Église. Baptisés dans la foi et proclamant le Seigneur crucifié et ressuscité, les membres étaient unis par l’Esprit en une vie marquée par l’enseignement apostolique, la prière commune, la fraction du pain et, souvent, par une certaine communauté de biens ; et ceux qui se convertissaient et étaient attirés vers eux devenaient partie intégrante de cette koinonia ».[32] Cette communion féconde avec le Christ ressuscité est si profonde que nous appelons l’Église « épouse du Christ », et « corps du Christ». Le Christ est la vraie vigne et nous en somme les sarments qui produit du fruit car il demeure en nous et nous demeurons en lui (cf. Jn 15,1-17).

A lui, la pierre angulaire,
les pierres vivantes sont unies;
un sont le Christ et son Église,
un seul corps, une seule vigne.[33]

Si nous restons fidèles à son commandement d’amour, nous-mêmes vivons dans son amour; si nous vivons l’amour qui permet le sacrifice de soi-même, à l’exemple du Christ, alors la joie du Christ vient en nous et la nôtre est complète. Ainsi sommes-nous choisis pour aller, pour produire du fruit et que ce fruit demeure (cf. Jn 15,16). Cette union intime avec le Christ est le don de Dieu à son Église; il est conservé, approfondi et renouvelé par l’annonce de la parole et la fraction du pain.

Ô toi, qui as rompu à Emmaüs
ce pain mystérieux,
Reviens pour en nourrir nos âmes
Et parle à tes disciples.
Descelle le volume de ta grâce,
Fais-nous vivre l’Évangile,
Ouvre nos yeux pour voir ton visage,
Nos cœurs pour connaître le Père.[34]

Pour les catholiques et les méthodistes, l’appel à la sainteté et l’appel à être l’Église vont de pair; spiritualité et théologie sont inséparables.

57. Telle la première communauté des disciples du Christ et la communauté des fidèles à travers les âges, l’Église est aujourd’hui enracinée dans la Parole du Père et dans la puissance du Saint-Esprit qui nous rassemble. L’Église est appelée par le Christ ressuscité qui s’adresse à chacun de nous en disant : Viens, suis-moi et vas en mon nom. Nous sommes transformés par sa présence et nous devenons un peuple nouveau, prêt et capable de le suivre et de vivre une vie nouvelle en Christ. Il nous envoie dans le monde pour annoncer avec joie la bonne nouvelle de l’amour de Dieu pour toute l’humanité et pour « faire de toutes les nations des disciples » (Mt 28,20). L’appel de Jésus à la communion avec lui (« Viens») est inséparable de son appel à communier à sa mission (« Vas en mon nom »). Jésus savait qu’il était envoyé par le Père. Si nous sommes vraiment unis au Christ comme son épouse et son corps et comme les sarments de la vigne, nous serons aussi entraînés dans sa mission de porter au monde l’amour salvifique de Dieu et d’inviter les hommes à la fête du Royaume.

 

L’Esprit-Saint, temple vivant de Dieu

58. Sans la présence de l’Esprit-Saint qui vivifie, renforce et transforme, rien de tout cela ne serait possible à l’Église. Méthodistes et catholiques affirment ensemble leur foi en l’Esprit-Saint, « qui est Seigneur et qui donne la vie ».[35] Au commencement, l’Esprit de Dieu planait sur les eaux du chaos pour leur donner lumière et vie; et Dieu l’insuffla en Adam, sa création humaine. Le même Esprit inspirait les prophètes, promettant un commencement nouveau, une création nouvelle, une alliance nouvelle. Dans ce commencement nouveau, le Saint-Esprit planait sur l’Église en apportant la vie nouvelle promise par le Christ, le nouvel Adam. L’Esprit est le lien invisible de la communion (cf. 2 Co 13,13) qui unit les chrétiens au Christ et les uns aux autres, de même les communautés locales les unes aux autres dans l’unique Église du Christ. Dans l’Église, l’Esprit est le lien de communion et de connexion à travers l’espace et le temps. L’Esprit éternel de Dieu est le grand don eschatologique de Dieu (cf. Jl 2,28-29) qui nous donne dès maintenant un avant-goût du banquet éternel et de notre éventuelle pleine communion avec la Sainte Trinité.

59. Résidant dans l’Église, le Saint-Esprit préserve la communion ecclésiale avec les apôtres et avec les fidèles à travers les temps, tout comme il guide l’Église vers la vérité tout entière. Inchangé de génération en génération, l’Esprit est la continuité vivante de l’Église qui rend possible le mémorial du Christ par lequel nous participons ici et maintenant à la vie, à la mort et à la résurrection du Seigneur, et nous attendons son retour dans la gloire. Ce même Esprit stimule le pèlerinage de l’Église. « Par la puissance et la présence de l’Esprit, les fidèles reçoivent grâce sur grâce ».[36] L’Esprit-Saint est aussi la puissance de l’amour transformant de Dieu, qui appelle tous les hommes à la sainteté et qui œuvre dans le cœur des croyants et dans leurs communautés pour obtenir le renouveau et la conversion dont ils ont toujours besoin. L’Esprit-Saint rend témoignage du Christ dans le monde (Jn 15,26), il oint tous les croyants pour l’œuvre de témoignage et pour l’annonce de la bonne nouvelle de Jésus Christ. Le don de l’Esprit à l’Église apporte bien des dons qui servent à son unité et à sa mission. « L’Esprit est le fil invisible qui court tout le long de l’action de l’Église dans le monde, permettant à nos intelligences d’entendre et de recevoir la Parole… et nous donnant des bouches pour l’exprimer (Jn 14,26 ; 16,13-14 ; Ac 4,31). En nous mettant en relation les uns avec les autres et avec le Christ, notre Chef, le Saint-Esprit donne au peuple de Dieu une forme cohérente et variée. Au sein de ce peuple tel qu’il est, et pour ce peuple tel qu’il sera, le Saint-Esprit nous invite tous à participer au service de Celui qui est venu pour servir».[37]

 

La Communion visible comme signe de la koinonia invisible

60. L’Église est par nature une « société d’interrelations », « un réseau vivant de relations interactives». Méthodistes et catholiques voient une dimension essentiellement ‘connective’ dans l’appel du Christ les invitant à sa suite, à la sainteté et à la mission qui sont toujours des dons de Dieu, enracinés dans notre participation à la koinonia invisible qui est la vie de la Sainte Trinité. Depuis le premier appel de Jésus à ses apôtres, être ‘appelés’ signifie ‘être ‘réunis’ – dans des communautés locales (Églises) et en une seule communion (l’Église). Un christianisme privé et individualiste ne saurait exister. Etre chrétiens, c'est être rassemblés dans le Christ, appartenir à la communauté réunie autour du Seigneur ressuscité par la puissance du Saint-Esprit. « La foi est toujours personnelle, mais n’est jamais privée, car elle agrège le croyant à la communauté de foi».[38] Ce principe de connexion dérive de la même compréhension que catholiques et méthodistes ont de la sainteté : la sainteté n’est jamais une affaire privée, mais un appel à un amour parfait pour Dieu et les uns pour les autres. « Et puisque l’amour est la vraie mesure de la sainteté, cette sainteté a son milieu naturel dans la fraternité chrétienne, et non en dehors» (CLP, 4.3.9). Parce que notre communion s’enracine dans le saint amour du Dieu vivant, elle signifie prendre part à une vie de sainteté et d’amour mutuel. Cette vie de communion inclut « une profonde union entre les participants, à la fois visible et invisible, qui trouve son expression dans la foi et la structure ecclésiale, dans la prière et les sacrements, dans la mission et le service ».[39]

61. Cette dynamique de connexion et de communion n’appartient pas seulement aux disciples localement rassemblés en une communauté, mais aussi à la communauté de ces communautés locales au niveau mondial, unies en une seul Église, le Corps du Christ. L’Église du Christ est vraiment présente et agissante dans toutes les assemblées locales des fidèles rassemblés par la prédication de l’Évangile et pour la célébration de l’eucharistie. Mais pour qu’elle soit vraiment ecclésiale, chaque communauté doit s’ouvrir à la communion avec les autres communautés. Les chrétiens et leurs communautés sont essentiellement liés entre eux en un réseau de relations mutuelles et interdépendantes. Chez saint Paul, l’image de l’Église comme Corps du Christ exprime puissamment cette connectivité fondamentale: « Chaque organe ou membre a une fonction distincte mais appartient à un tout vivant. De même, ni les chrétiens ni les Églises, pris individuellement, ne fonctionnent efficacement de façon isolée, mais ils dépendent d’un ensemble plus vaste. Et ce qui est vrai pour les individus et les Églises est vrai également pour les Églises régionales et nationales. L’Église du Christ est un ensemble interdépendant car il y a en définitive ‘un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous qui règne sur tous, agit par tous, et demeure en tous (Ep 4,5-6)' » (CLP, 4.3.9). Le baptême est la porte par laquelle nous accédons à la communion en Christ et à ces relations qui constituent l’Église du Christ. Cette vision connective de l’Église signifie que catholiques et méthodistes reconnaissent la nécessité de ministères pastoraux d’unité et de supervision (episcopè) tangibles dans l’Église unique du Christ. Catholiques et méthodistes croient fermement que le Christ veut l’unité visible de l’Église universelle, même s’ils peuvent avoir des avis différents sur les structures qu’ils estiment nécessaires à cette pleine communion.

62. L’Église est appelée à être pour le monde un signe concret du plan salvifique et d’unité de Dieu pour toute l’humanité, et un avant-goût de notre rassemblement final par Dieu au ciel. L’unité visible est donc essentielle à la nature et à la mission de l’Église. Toute division est contraire à la volonté du Christ pour son Église - que « tous soient un » (Jn 17,21) - et entrave gravement la mission de l’Église. En tant que catholiques et méthodistes, nous sommes engagés à suivre ensemble le chemin qui mène à l’unité pleine et visible dans la foi, la mission et la vie sacramentelle.[40]

Touchés par l'aimant de ton amour,
Que nos cœurs soient en accord,
Et toujours marchent l’un vers l’autre,
Et toujours marchent vers Toi.[41]

 

Une Communion qui s'intensifie

63. La communion est beaucoup plus qu’une coexistence, c’est une existence partagée. L’échange mutuel est au cœur d’une vie de sainteté (CLP, 3.1.8). La communion signifie avoir en commun les nombreux dons que Dieu a offerts à l’Église. Plus nous partageons ces dons, plus nous sommes en communion les uns avec les autres. Nous sommes en pleine communion quand nous partageons ensemble tous ces dons essentiels de grâce que nous croyons être donnés par Dieu à l’Église. Méthodistes et catholiques ne sont pas encore d’accord sur ce qui constitue ces dons essentiels dans les domaines de la doctrine, des sacrements et de la structure ecclésiale. Néanmoins nous réaffirmons ensemble avec joie les paroles du Pape Jean XXIII : « Ce qui nous unit est beaucoup plus fort que ce qui nous divise» ;[42]le dialogue qui se poursuit entre nous n’est pas seulement un échange d’idées, mais toujours, en quelque sorte, un « échange de dons » (UUS, 28).

64. Nous avons part ensemble au Don de l’Esprit-Saint qui est source de notre communion en Christ. Méthodistes et catholiques vivent déjà dans une communion véritable, quoique imparfaite, les uns avec les autres. Nous nous réjouissons de découvrir réciproquement dans nos communautés de nombreux éléments essentiels de l’Église du Christ. Notre communion s’intensifie quand nous apprenons à reconnaître les dons de Dieu les uns chez les autres.

 

Marqués du signe de la Sainte Trinité

65. Une communauté visible qui est en koinonia avec Dieu montre nécessairement des signes visibles, bien qu’imparfaits, de l’invisible présence du Dieu Trinité. Le mystère de l’Église porte la marque du mystère de Dieu. Méthodistes et catholiques confessent ensemble avec joie, dans le symbole de Nicée-Constantinople, « l’Église, une, sainte, catholique, et apostolique». Ces quatre marques ou caractéristiques traditionnelles de l’Église dérivent de sa création par la divine Trinité et de sa communion avec elle, qui est une dans la communion des Trois Personnes, parfaite en un saint amour, englobant tout dans son plan de réconciliation, et suprêmement généreuse dans l’envoi du Fils et de l’Esprit-Saint (CLP, 2.4).

66. Unité, sainteté, catholicité et apostolicité sont déjà des dons de Dieu à son Église, des signes de la présence ininterrompue et fidèle de Dieu. Mais nous sommes un peuple en pèlerinage; et ces marques sont à la fois des dons et des buts, déjà présents mais non encore complètement réalisés. Comme nous cherchons à nous mettre, nous et nos communautés, au service de la mission divine, nous cherchons aussi, par la grâce de Dieu, à progresser vers une pleine sanctification: « De même que l’Église aspire à l’unité de ses membres dans l’amour et prie pour cela dans la liturgie, ainsi attend-elle dans espérance les dons spirituels qui la mèneront à un plus haut degré de sainteté, une plus évidente plénitude de catholicité et une plus grande fidélité dans l’apostolicité. La recherche de la perfection dans les notes de l’Église données par Dieu implique un impératif œcuménique. Toutes les Églises chrétiennes sont tenues de prier et de travailler en vue d’une restauration éventuelle de l’unité organique ».[43]

 

Marqués par les signes de la vie, de la croix et de la résurrection du Christ

67. La vie, la mort et la résurrection de Jésus, ainsi que le don du Saint-Esprit, « déterminent l’identité, constituent le message et rendent possible la mission de l’Église » (CLP, 2.3.4). Si l’Église vit en union avec le Christ, elle portera des signes visibles de son mystère salvifique.

68. « Le royaume de Dieu est une réalité à la fois présente et future» (BD, p. 44). Le Christ a annoncé que le royaume de son Père était proche. Cette annonce était au cœur de son message; elle reste donc au cœur de la mission de son Église. Le Christ fit des miracles, en signe de la puissance du royaume de Dieu qu’il incarnait. Son Église annonce le royaume; et elle est un signe collectif vivant du règne de Dieu: « L’Église est appelée à être le lieu où sont identifiés et reconnus les premiers signes du royaume dans le monde» (BD, p. 44 ; cf. LG, 5). Au nom du Christ, et avec la puissance de son Esprit, l’Église sert le royaume de Dieu en œuvrant pour la guérison et la transformation du monde ici et maintenant.

69. Catholiques et méthodistes reconnaissent comme l’un des aspects essentiels de leur vocation l’engagement à servir les pauvres et les opprimés de notre époque. Ils voient dans l’Église un instrument pouvant servir à porter la paix et la justice de Dieu à tout le peuple de Dieu: « Le salut personnel implique toujours un engagement dans la mission et le service aux autres. En unissant le cœur et la main, nous affirmons que la religion personnelle, le témoignage évangélique et l’action sociale chrétienne sont réciproques et se renforcent mutuellement. La sainteté selon l’écriture implique plus qu’une piété personnelle; l’amour de Dieu est toujours lié à l’amour du prochain, la passion pour la justice et le renouveau de la vie» (BD, p. 47). Comme le Christ se mettait à l’écoute des réprouvés de la société de son temps afin de redonner dignité à leur existence, ainsi l’Église est-elle appelée à être attentive en son nom afin d’atteindre et transformer la vie des ‘intouchables’ et des personnes marginalisées de notre monde. Le Christ appelle ses disciples à être les serviteurs de tous (cf. Mc 9,35).

70. En tant que signe collectif dans le monde du Christ en croix, l’Église est appelée à une vie d’amour qui passe par le don de soi et cherche toujours à servir plutôt qu’à être servi, à une vie de diakoniahumble et effacée dans laquelle nous sommes disposés à laver les pieds de ceux parmi lesquels nous vivons, à partager les peines du peuple de Dieu et à souffrir avec eux en communion avec le Serviteur souffrant, qui fut conduit au supplice comme un agneau. Par le baptême en Christ nous avons été baptisés « dans sa mort » (Rm 6,3). L’Église est appelée à communier dans la mort du Christ, à mourir avec lui, crucifiée avec lui. Comme le Seigneur ressuscité lorsqu’il apparut à ses disciples, l’Église sera marquée des signes de la crucifixion, en témoignage, devant notre monde qui doute, de l’amour vivant du Seigneur ressuscité.

71. Nous avons été « baptisés en la mort du Christ » afin de participer à sa résurrection et de « mener une vie nouvelle » (Rm 6,4). Méthodistes et catholiques affirment ensemble avec joie la résurrection de Jésus Christ. La conviction profonde que « Christ est ressuscité! » est au cœur de tout ce qu’ils ont en commun. L’Église est appelée à être une communauté pascale, se distinguant par la joie de la résurrection du Seigneur. Comme Marie de Magdala et les apôtres, les chrétiens aujourd’hui ne doivent pas chercher le Christ parmi les morts, mais doivent le proclamer au monde ressuscité et vivant:

Hâtez-vous donc, âmes qui avez cru les premières,
Qui osez accueillir la parole de l’évangile,
Avec joie confessez votre foi,
Hardiment soyez témoins de Jésus.
Allez, dites aux disciples du Seigneur
Que leur Jésus est revenu à la vie.
Il vit, afin qu’ils puissent trouver sa vie.
Il vit pour réveiller l’humanité tout entière.[44]

Le Concile Vatican II résuma la mission de toute l’Église dans sa description de la vocation de chaque individu: être « devant le monde le témoin de la résurrection et de la vie du Seigneur Jésus et signe du Dieu vivant» (LG, 38).

 

Marqués du signe de la Pentecôte

72. Les apôtres, après la crucifixion, avaient naturellement peur et ils s’enfermèrent dans la chambre haute. L’Église peut être tentée de faire de même face à des sociétés et des cultures dont les attitudes vont de l’apathie envers l’enseignement et les valeurs de l’Évangile à la persécution. Le Seigneur ressuscité vint aux apôtres avec des paroles de paix pour dissiper leur crainte, et il souffla sur eux l’Esprit. L’appel qu’il leur lança est aussi son appel à toute l’Église fondée sur eux : « Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie» (Jn 20,21). Les chrétiens et leurs communautés peuvent être tentés de ne s’intéresser qu’à leur « famille de fidèles» et à leur culte, négligeant la mission et le témoignage. Comme cela a eu lieu à la Pentecôte, l’Esprit-Saint vient avec puissance enflammer les cœurs et les esprits de zèle pour le Christ et son Évangile. Il nous fait sortir de nos « chambres hautes » pour aller vers le monde annoncer la joyeuse nouvelle que le Christ est ressuscité. Notre enseignement de méthodistes et de catholiques exige que chaque communauté d’Église porte les marques de la Pentecôte, les signes du Saint-Esprit : « Dans cet Esprit, nous sommes appelés à prendre part à la mission du Christ. Dans cet Esprit, nous deviendrons le peuple de la Pentecôte, les apôtres de notre temps ».[45] Nous entendons le Seigneur qui nous dit de nouveau : « Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint-Esprit qui viendra sur vous; vous serez alors mes témoins… jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). Ainsi, nous devenons vraiment une communauté de foi et d’amour, anticipant et marchant vers notre destin final avec et en Dieu.

 

Prendre part à la mission divine

73. Prendre part à la mission du Fils et de l’Esprit dans le monde est au centre de notre compréhension commune de la nature de l’Église. La nature et la mission de l’Église sont inséparables. L’appel à une sainteté personnelle, l’appel à la communion et l’appel à la mission font partie d’un tout : « Notre connexion et communion les uns aux autres sert notre croissance vers la sainteté et notre participation à la mission de Dieu. »[46] « La foi s’extériorise en mission » ;[47] et « la communion chrétienne comme koinonia inclut nécessairement la communion dans la mission ».[48]

74. Méthodistes et catholiques professent ensemble une vision fondamentalement trinitaire de la nature et de la mission de l’Église qui est voulue par le Père, nous est confiée par le Christ et qu’enfin l’Esprit-Saint nous donne la force de réaliser. Comme le dit le Concile Vatican II : «De sa nature, l’Église, durant son pèlerinage sur terre, est missionnaire, puisqu’elle-même tire son origine de la mission du Fils et de la mission du Saint-Esprit, selon le dessein de Dieu le Père » (AG, 2). La mission de l’Église est une participation à la mission toujours active du Fils et du Saint-Esprit, qui exprime l’amour du Père pour toute l’humanité.[49] La communion au Dieu Trinité est la vie même de l’Église, la communion à la mission du Fils de Dieu et de l’Esprit est la mission même de l’Église.

75. Cette vision commune du don que le Père fait à l’Église de participer à la mission du Fils et de l’Esprit s’enracine en notre commune affirmation de la libre décision de Dieu de nous permettre de prendre part à son œuvre de salut. Ceci a lieu en vertu de sa grâce, qui nous vient tout d’abord comme don gratuit de Dieu. « L’Église, comme communauté de la nouvelle alliance, a pris part au ministère de grâce du Christ à travers les temps et dans le monde entier» (BD, p. 89).

76. Le Rapport de Brighton confirmait notre doctrine commune de ‘collaboration’ par la grâce et de ‘participation’ à l’œuvre de Dieu, qui nous permet d’appeler les chrétiens, avec saint Paul, ‘collaborateurs de Dieu’ (cf. 1 Co 3,9). « Les méthodistes et les catholiques sont (…) d’accord que Dieu œuvre à travers les hommes en tant que serviteurs, signes et instruments de sa présence et de son action. Quoiqu’il ne soit pas limité à de tels modes d’agir, nous affirmons joyeusement ensemble qu’il choisit librement d’œuvrer en se servant de communautés humaines et d’individus, rendus aptes à cela par sa grâce. L’Église entière est appelée à être un canal de la grâce de Dieu au monde; au sein de l’Église, les individus et les institutions deviennent agents du Seigneur et ainsi serviteurs de leurs frères et sœurs ».[50]

77. Cet accord entre catholiques et méthodistes sur le besoin d’une « participation libre et active, par la grâce, à l’œuvre de salut de Dieu »[51] se situe au cœur même de la possibilité d’avancer ensemble vers une conception commune de la nature et de la mission de l’Église, qui utilise des concepts associés à la ‘sacramentalité:’ « Le mystère de la Parole faite chair et le mystère sacramentel de l’eucharistie orientent vers une vision de l’Église fondée sur l’idée sacramentelle, c.-à-d. que l’Église tire sa forme de l’Incarnation dont elle provient et de l’action eucharistique par laquelle sa vie est sans cesse renouvelée ».[52] Quoique certains aient hésité à se référer à l’Église elle-même comme à un sacrement, plusieurs phases de notre dialogue ont porté sur le concept d’Église comme ‘moyen de grâce’, sujet sur lequel méthodistes et catholiques s’accordent. Emplie de l’Esprit de Dieu, l’Église «devient capable de servir comme signe, comme sacrement et comme précurseur du Royaume de Dieu dans ce temps entre le ‘déjà là’ et le ‘pas encore’ ».[53] Le Christ ressuscité est présent au cœur de la vie de son Église, œuvrant dans et par l’Église qu’il unit à soi comme signe commun et instrument de sa présence salvifique. Seule la présence du Saint-Esprit permet à l’Église d’être signe ou sacrement du Christ ressuscité pour l’univers tout entier.[54] Méthodistes et catholiques affirment ensemble que « dans toutes les situations, la vérité sous-jacente de la nature et du but de l’Église demeure la même: par sa vie et son témoignage, l’Église montre l’ultime réalité du Royaume de Dieu, qui se réalise en Jésus Christ; par sa participation et son culte, elle l’anticipe ; et par sa mission, elle en est un instrument » (CLP, 2.3.19 ; c’est nous qui soulignons).

78. Au cours de notre dialogue, chacun de nous a progressé dans sa compréhension et sa reconnaissance des ‘moyens de grâce’ dont l’autre est si richement doué. Nous ne sommes pas encore arrivés à un accord complet sur la nature sacramentelle de ces moyens de grâce mais nous avons constaté une convergence substantielle : « Nous sommes d’accord que Dieu a promis d’être avec son Église jusqu’à la fin des temps (cf. Mt 28,20), et que tous les moyens de grâce, qu’il s’agisse des sacrements ou des sacramentaux, des moyens prudentiels ou institués de grâce, sont des canaux de la fidélité de Dieu à sa promesse ».[55] Catholiques et méthodistes reconnaissent pleinement leurs célébrations du sacrement du baptême. Notre baptême commun au nom de la Trinité est notre lien sacramentel d’unité, le fondement visible de la profonde communion qui existe déjà entre nous et qui nous pousse à une unité toujours plus profonde les uns avec les autres ainsi qu’à participer toujours davantage à la vie et à la mission du Christ lui-même.

79. Tandis que nous affirmons avec joie la participation de l’Église à la mission divine, nous devons avoir humblement conscience « de [nous] appuyer sur la primauté de grâce de Dieu, qui l’emporte sur toutes les faiblesses et limitations humaines, et sur la présence invisible, active et puissante du Saint-Esprit qui souffle où il veut ».[56] Nous rendons grâce ensemble au Père de ce que la puissance de son Fils peut briller à travers notre faiblesse humaine : « Tu choisis les faibles et les rends forts dans le témoignage qu’ils te portent par Jésus Christ, Notre Seigneur ».[57]

80. La réalité la plus profonde de l’Église est sa communion invisible avec le Seigneur ressuscité, par la puissance du Saint-Esprit. Le Fils de Dieu est ‘l’Envoyé’ et être entraîné dans la vie du Christ impliquera toujours être entraîné dans la mission qu’il a reçue du Père. La communion avec la Personne du Christ nous engage dans la communion à la mission du Christ. «Pareille participation à la mission du Christ n’est possible qu’à cause de l’effusion du Saint-Esprit. (…) Dans l’Esprit la communauté de la proclamation devient elle-même un évangile vivant adressé à tous ».[58] C’est précisément le Saint-Esprit qui donne la force à tout le peuple prophétique de Dieu, laïcs et ministres réunis, de lui rendre témoignage et de prendre part à sa mission ; par sa puissance, il nous attire vers une profonde communion avec le Christ lui-même.

81. Partager la mission du Fils de Dieu et de l’Esprit-Saint ne saurait être une option pour les chrétiens et leurs communautés: « Il ne peut y avoir ni échappatoire, ni délégation de cette responsabilité; ou l’Église est fidèle en tant que communauté dans le témoignage et le service aux autres, ou bien elle perd sa vitalité et son emprise sur un monde incroyant » (BD, p. 90). L’évangélisation, annonce véritable de la bonne nouvelle de Jésus Christ dans notre monde, est « la grâce et la vocation propre de l’Église, son identité la plus profonde».[59] C’est là le sens le plus riche du mot ‘tradition’ : l’Église doit poursuivre dans l’espace et dans le temps, pour tous les peuples et toutes les générations, la mission rédemptrice du Christ accomplie une fois pour toutes.[60]

 

Communion avec le passé et l'avenir

82. Les dimensions passée, présente et future de l’œuvre salvifique de Dieu doivent être conservées ensemble. Le Verbe incarné parle par l’Église, poursuivant et transmettant son œuvre de salut de génération en génération. A ce service du Christ, la communion dynamique, la connectivité et la continuité de son Église pèlerine avec l’Église du passé et de l’avenir sont aujourd’hui essentielles: « La communion signifie donc communion aussi avec l’Église de ceux qui nous ont précédés dans la foi à travers les âges ».[61]

Allons, rejoignons là-haut nos amis
Qui ont été récompensés
Et sur les ailes d’aigle de l’amour
montons vers les joies célestes :
Que tous les saints de la terre chantent
Avec ceux qui sont dans la gloire:
Car tous les serviteurs du Roi
Sont un sur la terre et au ciel.

En lui nous sommes une famille,
Une église en haut et en bas,
Encore que séparés par le fleuve,
Le mince fleuve de la mort:
Une seule armée du Dieu vivant,
Nous nous inclinons à son ordre;
Une légion a traversé les eaux,
Une autre les traverse maintenant.[62]

83. Le Saint-Esprit est la source de notre communion avec les apôtres et avec l’Église à travers les temps; par lui, l’Église transmet à son tour la foi apostolique au monde d’aujourd’hui et de demain. L’Église ne vit pas dans le passé et nous ne pouvons simplement répéter ce que les générations passées ont fait et ont dit. L’Esprit de Vérité fonctionne dans une dynamique de continuité et de changement, formant et enrichissant la mémoire de la communauté, parlant à l’Église des choses à venir et la conduisant vers l’avenir avec espérance.[63]. L’Esprit est la puissance de communion vitale qui rend possible notre participation ici et maintenant aux événements salvifiques de la vie, de la mort et de la résurrection du Christ en anticipation de son retour: « C’est cette permanence en Christ et dans l’Esprit qui donne à l’Église son identité et la compréhension de celle-ci, et qui la maintient dans la fidélité à l’Évangile qu’elle a pour mission de proclamer au monde ».[64]

 

Conduits par l’Esprit du Seigneur

84. Préserver la tradition apostolique a parfois été pour l’Église un combat. Catholiques et méthodistes diffèrent dans leur évaluation de certains des signes de fidélité et de persévérance du passé ; mais « nous sommes certainement d’accord que la fidélité de Dieu a préservé son Église, en dépit des fautes, des erreurs et des manques évidents de son histoire ».[65] Toute la communauté de foi a reçu le sceau du don du Saint-Esprit, qui « préserve dans l’Église la vérité de l’Évangile proclamé par le Christ et les apôtres ».[66] Parce que l’Église a reçu la promesse de la présence de l’Esprit, elle est « ointe dans la vérité », « elle demeure dans la vérité» et elle est « préservée dans la vérité, » de telle façon que les chrétiens ensemble peuvent être « coopérateurs dans la vérité », sous la conduite de l’Esprit de Vérité.[67] Avec des accents divers, méthodistes et catholiques affirment « à la fois la fragilité humaine et l’indéfectibilité, donnée par Dieu, de l’Église du Christ. Le trésor du mystère du Christ est contenu dans les vases de terre de l’existence quotidienne de l’Église pérégrinante, qui est une communauté en besoin constant de purification et de réforme ».[68]

85. Tout renouvellement, toute réforme véritable dans l’Église est l’œuvre du Saint-Esprit, qui dispose la communauté des fidèles à l’écoute de la parole de Dieu et leur permet d’avancer ensemble dans la vie, la foi et le témoignage. Nous affirmons ensemble la nature essentiellement dynamique de l’Église pèlerine, qui n’a pas seulement un besoin permanent de renouvellement mais est toujours en route vers la sainteté et la vérité, conduite par l’Esprit infaillible de Sainteté et de Vérité.[69] Ce processus sous-entend une évolution dans la compréhension qu’a l’Église de sa doctrine, mais plus encore: « Il doit y avoir croissance dans l’amour pour arriver à une connaissance encore plus intime des richesses de la foi. En d’autres termes, il doit y avoir croissance en sainteté ».[70]

 

Don et dons de l’Esprit

86. Le don du Saint-Esprit, la présence transformante de l’Esprit d’amour parfait sont au centre de notre vision commune de l’Église. Cette nature fondamentale de l’Église en tant que don porte son fruit dans l’abondance des dons et des grâces confiés par Dieu à l’Église qu’avec joie, pour beaucoup d’entre eux, nous reconnaissons et confirmons dans les communautés des uns et des autres. Une telle affirmation mutuelle est une dimension vitale de notre désir « de reconnaissance mutuelle du caractère ecclésial de nos communautés ».[71] « Même dans notre état de séparation, bien des dons divers se sont développés dans nos traditions. Bien que nous partagions déjà quelques-unes de nos richesses, nous aspirons à un plus grand partage à mesure que nous nous rapprochons davantage de la pleine unité ».[72]

87. Tous ces dons réunis sont des éléments et des biens qui construisent et vivifient l’Église (cf. UR, 3). Ils ont pour but de servir la communion et la mission de l’Église. Ils comprennent « la parole de Dieu écrite, la vie de la grâce, la foi, l’espérance et la charité, d’autres dons intérieurs du Saint-Esprit et d’autres éléments visibles» (UR,3). Parmi les éléments visibles figurent les moyens de grâce qui sont déterminants dans la vie de nos deux traditions, en particulier le baptême et l’eucharistie, de même que d’autres rites dont on peut dire qu’ils ont une qualité sacramentelle.[73] Autre don essentiel est le ministère apostolique, qui comprend un ministère spécifique de ‘supervision’ (episcopè). Pour les catholiques, ces dons de l’Esprit incluent l’épiscopat dans la succession apostolique et le ministère pétrinien de l’Évêque de Rome. Les méthodistes quant à eux y incluent la ‘Conférence chrétienne’.

88. Le même Esprit est à l’œuvre chez tous les baptisés à travers les générations et dans l’univers entier. La communauté entière a reçu l’onction du Saint-Esprit qui lui donne sa force. Cette confiance que l’Esprit nous comble de dons ne signifie pas que nous sommes aveugles devant l’incapacité des chrétiens, seuls ou réunis, à répondre à sa présence et à faire usage de ses dons: « Il y a, bien sûr, des périodes où les chrétiens ne suivent pas les orientations de l’Esprit comme ils devraient le faire. Ils manquent de fidélité envers le Christ ; ils sont tièdes dans le culte de Dieu ; ils ne montrent que peu d’amour les uns pour les autres et leur action missionnaire s’affaiblit ».[74] Mais l’Esprit de Dieu demeure avec l’Église comme sa source de vie et d’espérance.

 

Ministère au service de la communion et de la mission

89. Catholiques et méthodistes affirment ensemble que dans le service apostolique de toute la communauté, « il y a eu depuis le commencement un ministère uniquement appelé et habilité pour édifier le corps du Christ dans l’amour ».[75] Catholiques et méthodistes considèrent ce ministère comme un don de Dieu à l’Église, un service dans la grâce de la communion vivante de l’Église avec le Christ à travers le monde et à travers les temps. « L’Église est comme une cellule vivante dont le Christ est le noyau ; la communauté, tout en croissant et en se multipliant, garde son dessin initial. Les communautés apostoliques ont besoin de gens pour faire à leur époque ce que les apôtres ont fait en leur temps : paître, enseigner et servir sous l’autorité du Bon Pasteur et Maître, le Seigneur Serviteur ».[76]

90. Au cours de notre dialogue, nos visions réciproques du ministère ordonné se sont considérablement rapprochées ; nous le considérons en fait comme un moyen de grâce par lequel le Christ continue à guider et servir ses disciples: «Nous reconnaissons ensemble que le Christ, le Bon Pasteur, partage sa charge pastorale avec d’autres »,[77] et que « dans le service pastoral dont ils sont l’objet, les fidèles ont conscience d’être guidés par le Bon Pasteur qui a donné sa vie pour ses brebis ».[78] Un tel langage a ouvert la possibilité à une compréhension sacramentelle commune du ministère ordonné comme participation dans la grâce à la conduite pastorale permanente du Christ lui-même.[79]

91. Un ministère ordonné compris de cette manière est l’un des ‘éléments ecclésiaux’ que nous cherchons lorsque nous désirons affirmer autant que cela est possible le caractère ecclésial de nos deux communautés de foi. Plusieurs rapports précédents de cette commission ont traité la question du ministère ordonné et de l’autorité. Nous sommes d’accord sur de nombreuses questions que nous classons parmi les éléments ecclésiaux que nous reconnaissons les uns chez les autres. « Nous affirmons ensemble avec joie que les ministères et les institutions de nos deux communions sont des moyens de grâce par lesquels le Christ ressuscité conduit, guide, enseigne et sanctifie en personne son Église sur la route de son pèlerinage ».[80] Nous sommes également d’accord en ce qui concerne plus particulièrement le ministère doctrinal normatif, important pour la mission : «Les catholiques romains et les méthodistes affirment qu’en appelant des personnes à être agents de discernement de ce qui est vraiment l’Évangile, Dieu se sert d’elles comme moyens de grâce, comme canaux crédibles. Toutes les formes du ministère sont communes et collégiales. Elles cherchent à préserver et à renforcer toute la communauté de foi dans la vérité et l’amour, dans le culte et la mission. Dans les deux Églises, le gouvernement est exercé d’une manière qui comporte la sollicitude pastorale, l’enseignement et la prédication faisant autorité. Les méthodistes et les catholiques peuvent se réjouir que le Saint-Esprit se serve des ministères et des structures des deux Églises comme moyens de grâce pour conduire le peuple à la vérité de l’Évangile du Christ ».[81]

92. Il est clair que notre compréhension mutuelle croissante et notre niveau d’accord toujours plus grand sur des questions de ministère n’excluent pas le fait qu’il reste entre nous des domaines de forte divergence qui nécessitent encore une étude et une discussion ultérieures. La ‘conférence chrétienne’, dans laquelle les laïcs, en conjonction avec les ministres ordonnés, discernent avec autorité la volonté de Dieu et la vérité de l’Évangile, occupe un rôle central dans l’enseignement méthodiste. Les catholiques considèrent comme essentiels certains aspects de doctrine ainsi que certains éléments ecclésiaux qui pour eux devraient donc figurer parmi ce que nous devons partager pour être en pleine communion et pour être pleinement l’Église du Christ. Ces éléments comprennent une interprétation précise de la nature sacramentelle de l’ordination, le rôle magistériel de l’épiscopat dans la succession apostolique, la ‘certitude’ affirmée de certains actes normatifs d’enseignement et le rôle du ministère pétrinien.

 

Reconnu à la fraction du pain

93. Les premières communautés chrétiennes étaient caractérisées par leur dévotion « à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Ac 2,42). Se rassembler pour la fraction du pain (la sainte Cène, l’Eucharistie, la Messe) était alors, et demeure encore pour nos deux communions un signe et instrument essentiel, un sacrement de ce que nous sommes en tant qu’Église du Christ. C’est précisément au moment de l’eucharistie, quand nous accomplissons ce que le Christ nous a dit de faire en mémoire de lui, que nous célébrons le mystère de la foi.

94. Certes des questions d’importance majeure restent à résoudre avant que catholiques et méthodistes puissent s’accorder mutuellement la pleine reconnaissance de leurs célébrations respectives de l’eucharistie. Ces questions portent sur la nature et la validité du ministère de ceux qui président l’eucharistie, la signification exacte de l’eucharistie comme ‘mémorial’ sacramentel de la mort et de la résurrection salvatrices du Christ, la manière particulière dont le Christ est présent dans la sainte communion et le lien entre communion eucharistique et communion ecclésiale. Il est essentiel d’approfondir l’étude de ces questions. Méthodistes et catholiques sont néanmoins déjà d’accord que lorsque nous célébrons l’eucharistie, nous entendons d’une manière renouvelée la Parole de Dieu qui nous est adressée ; nous pénétrons ensemble plus profondément dans le mystère salvifique du Christ; nous rencontrons a nouveau le Christ d’une façon qui garantit sa présence vivante au cœur de l’Église; nous recevons l’onction de l’amour transformant qu’est le Saint-Esprit de Dieu, et devenons plus réellement le Corps du Christ; nous sommes envoyés ensemble, dans le Christ, pour participer plus profondément à l’œuvre de Dieu dans le monde et nous partageons cet avant-goût du banquet céleste. Quand, appelés ensemble par le Père, nous célébrons l’eucharistie, le Seigneur ressuscité, par la puissance du Saint-Esprit, fait de nous plus pleinement ce qu’il veut que soit son Église. Ensemble, ces affirmations constituent déjà une ample base à partir de laquelle nous pouvons faire face aux questions qui restent en suspens, dans l’espoir qu’un jour catholiques et méthodistes pourront se rassembler dans la pleine communion autour de la table du Seigneur.

 

Le voyage continue

95. L’Église du Christ est une communauté en pèlerinage, qui chemine du péché vers la sainteté selon que Dieu nous mène par sa grâce. Bien que nous soyons encore un peuple errant, ayant un besoin constant de repentir et de renouveau, nous faisons confiance aux promesses du Christ et à la présence transformante de l’Esprit-Saint. Nous mettons notre confiance dans le Christ qui dit à son Église: « Ma grâce te suffit; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse » (2 Co 12,9).

96. Sur la route qui les mènera à la plénitude du Royaume de Dieu, méthodistes et catholiques affirment leur commune conviction que « la communauté entière des croyants est appelée ensemble par Dieu notre Père, placée sous la Seigneurie du Christ ressuscité, unie au Christ comme son Corps, et [qu'elle] a le Saint-Esprit comme source de son unité de vie, de culte et de témoignage. Dans le dessein du Père pour l’Église, chacun des croyants doit participer à la mission du Fils et du Saint-Esprit, apportant à toute l'humanité l’effusion de Dieu, qui embrasse tout et transforme tout ».[82]

 
 

Chapitre III

Approfondir et élargir notre reconnaissance mutuelle

 

97. Déjà à un stade plus ancien de notre dialogue, catholiques et méthodistes reconnaissaient avoir besoin « de découvrir les réalités sous-jacentes sur lesquelles nos Églises se fondent et dont témoignent les caractéristiques communes de notre héritage ».[83] Le premier chapitre de ce présent rapport a sondé l’histoire de nos relations dans le but de mettre en lumière quelques-unes des principales convictions sur la nature et le but de l’Église qui ont conduit catholiques et méthodistes à s’apprécier, mais plus souvent à se critiquer les uns les autres. Les polémiques permettent d’identifier quelles sont les priorités bien qu’elles puissent rejeter dans l’ombre ce qui nous est commun. Le niveau d’accord considérable que notre récent dialogue a atteint en quelques années, et que nous avons résumé rapidement au deuxième chapitre, montre qu’en fait catholiques et méthodistes ont en commun, sur le sujet de l’Église, bien des convictions et des priorités. Il est temps désormais de revenir à la réalité concrète de chacun de nous, de se regarder dans les yeux et de reconnaître avec amour et estime ce que nous voyons l’un chez l’autre comme étant vraiment du Christ et de l’évangile, et donc de l’Église. Ceci devrait mettre en lumière les dons que nous pouvons nous offrir les uns aux autres au service du Christ dans le monde, et permettre un échange de dons que tout dialogue œcuménique est toujours en quelque sorte (cf. UUS, 28). Dans nos efforts pour parvenir à la pleine communion, « nous ne devons pas perdre un seul des dons dont le Saint-Esprit a enrichi nos communautés dans leur séparation ».[84] L’Esprit-Saint est le véritable dispensateur des dons que nous cherchons à échanger. Le présent chapitre met en lumière de quelle manière méthodistes et catholiques sont principalement en mesure de reconnaître le caractère ecclésial du partenaire ; une description est ensuite faite de ces éléments et dons que chacun, de façon appropriée, peut recevoir de l’autre et donner à l’autre. On trouvera au Chapitre IV des propositions pratiques pour un tel échange.

98. Avant de rendre compte de la vision que nous avons respectivement les uns des autres, il sera utile d’indiquer certains aspects qui, en ce temps de grâce, sont en train d’évoluer, au bénéfice de notre évaluation mutuelle. En premier lieu, le but ultime du dialogue entre catholiques et méthodistes a été défini comme « la pleine communion dans la foi, la mission et la vie sacramentelle ».[85] Ce ne sont pas là des compartiments étanches. Au contraire, la foi et la vie sacramentelle, à commencer par elles, sont intimement liées, en accord avec l’ancien principe lex orandi, lex credendi (« nous croyons comme nous prions »). En réalité, une grande partie de la foi méthodiste s’exprime dans la liturgie et dans les hymnes (cf. British Methodist Church, A Catechism for the use of the people called Methodists [CM], 68;Called to Love and Praise [CLP], 4,3,2) et n’a pas été plus amplement traduite sous d’autres formes. Dans certains cas, cela reste implicite. Par contre, l’une des caractéristiques de la théologie scolastique médiévale est qu’elle s’est éloignée de ses attaches liturgiques. Vatican II a sensiblement renforcé les liens de la théologie catholique, aussi bien avec la liturgie (SC, 16) qu’avec la bible (DV, 24-26), puisque les sacrements sont des « sacrements de la foi et que celle-ci a besoin de la Parole pour naître et se nourrir» (PO, 4 ; cf. SC, 24). Le mouvement liturgique a profondément influencé l’ensemble de la famille chrétienne au cours du XXe siècle, en particulier nos deux communions, et nous nous réjouissons maintenant de partager une méthodologie fortement liturgique dans la formulation de nos professions de foi et dans l’enseignement de la doctrine. En outre, dans aucune de nos traditions la foi et la mission ne peuvent être séparées, et ce lien est une des principales raisons qui expliquent pourquoi catholiques et méthodistes sentent souvent une même résonance dans la vie ecclésiale de leurs communautés respectives, une résonance que nous cherchons maintenant à explorer et à formuler. Les catholiques et les méthodistes croient ensemble que l’Église sur terre « de sa nature est missionnaire» (Vatican II, AG, 2) ; elle est « une communauté de culte et de mission » (CLP, 1.4.1). « La mission de l’Église est de faire des disciples de Jésus Christ » (The Book of Discipline of the United Methodist Church, 2004, §120, p. 87).

99. Pour ce qui est de la relation entre individu et communauté, habituellement le point de départ choisi par les catholiques et les méthodistes diffère de manière substantielle. De leur côté, les catholiques partent de la communauté, de l’Église tout entière, l’épouse du Christ, à la vie de laquelle l’individu participe. Autrement dit, l’ecclésiologie catholique va de la communauté vers l’individu et attribue plus d’importance à l’ensemble plutôt qu’à la somme de ses parties. La grâce et le salut dont jouit chaque chrétien sont une participation à la grâce et au salut que le Christ a voulu pour l’Église (Ep 5,25-27). Chaque individu est sauvé par son incorporation en ce tout plus vaste, tout comme chaque Église locale participe au mystère de l’Église universelle. L’Église n’est pas une fédération d’Églises locales préexistantes tout comme la communauté n’est pas non plus le rassemblement d’individus chrétiens déjà existants. Le méthodisme, pour sa part, a plutôt tendance à mettre l’accent sur l’individu, ce qui est caractéristique de ses racines protestantes, et à affirmer que l’Église est un rassemblement particulier d’individus croyants. En d’autres termes, l’ecclésiologie méthodiste part de l’individu pour aller vers la communauté et fondamentalement considère l’ensemble, tout du moins dans la manière dont il se manifeste sur la terre, comme la somme de ses parties. Cette approche, plus existentielle et épisodique, de par sa nature se soucie moins que ne le font les catholiques de considérations structurelles fondamentales, telles la continuité historique et la succession apostolique, encore que le fort accent que les méthodistes mettent sur le principe connectif ne doive pas être oublié. Bien des structures et pratiques méthodistes « sont nées de questions pratiques concernant la façon de vivre et de faire connaître l’Évangile » et les méthodistes pensent que « les structures ecclésiales sont toujours au service de la mission ».[86] Les catholiques ont le sens du tout et mettent l’accent sur les actions confiantes de l’Église en tant qu’Église, alors que les méthodistes ont naturellement tendance à privilégier l’individu et soulignent l’assurance du salut de chaque fidèle. Loin d’être en conflit, ces deux aspects sur lesquels chacun insiste de son côté devraient être perçus comme nécessairement complémentaires. L’Église a précisément besoin de ces structures qui permettent à chaque chrétien et chaque Église locale de trouver sa propre identité dans et à travers la communion. L’individuel et le collectif, l’individu et la communauté, accèdent simultanément à leur identité dans une vie qui est modelée sur la Trinité.

100. Le fait que les méthodistes et les catholiques aient eu tendance à adopter des voies différentes pour définir l’Église est en relation avec le point qui précède. Les méthodistes imposent peu de conditions et sont peu enclins à déclarer « non-Églises » d’autres groupes chrétiens (CLP, 2.4.9 ; 3.1.12 ; cf. § 24 ci-dessus), alors que les catholiques ont tendance à ressentir plus clairement quelles sont les caractéristiques ecclésiales manquant aux autres groupes de chrétiens par rapport à ce qu’eux-mêmes possèdent. Récemment, on a pu remarquer un net abandon de ces deux positions. Vatican II avait une vision claire de ce qui est essentiel à la plénitude de l’Église (LG, 14) et enseignait que cette plénitude a été confiée à l’Église catholique (UR, 3). Pourtant, le concile a aussi adopté l’idée « d’éléments et de biens » d’Église qui peuvent exister dans de nombreuses communautés chrétiennes (UR, 3; LG, 8). En outre, il a attribué une fécondité non seulement à ces éléments et biens en tant que tels, mais aussi aux « Églises et communautés séparées [ipsae] » dans lesquelles on peut les identifier et qui « ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut » (UR, 3). De fait, le Pape Jean-Paul II enseignait que « dans la mesure où ces éléments se trouvent dans les autres Communautés chrétiennes, il y a une présence active de l'unique Église du Christ en elles» (UUS, 11). Il répétait également, ce qui est particulièrement significatif pour l’objectif que s’est fixé notre présent rapport, qu’«il est nécessaire que les catholiques reconnaissent avec joie et apprécient les valeurs réellement chrétiennes qui proviennent du patrimoine commun et qui se trouvent chez nos frères séparés» (USS, 47; cf. UR, 4) et qui peuvent contribuer à l’édification des catholiques eux-mêmes (UUS, 48 ; cf. UR, 4). Les méthodistes seraient heureux de faire une déclaration réciproque dans le même sens. De plus, gardant à l’esprit les différences existant entre nos communions et qui ont été mentionnées ci-dessus, bien des méthodistes ressentent aujourd’hui le besoin d’une définition plus substantielle de l’Église. Par exemple, « les Méthodistes Unis reconnaissent la nécessité d’une plus grande valorisation des dimensions sacramentelles de leurs propres structures et pratiques, qui ne sont pas simplement de nature fonctionnelle».[87]

101. Un des traits marquants de la doctrine catholique sur l’Église est l’intérêt accordé aux structures essentielles visibles tandis que le méthodisme a mis l’accent sur la dimension spirituelle, notamment la sainteté, plutôt que sur des structures permanentes. Lorsqu’ils réfléchissent sur l’apostolicité en tant que caractéristique de l’Église, les catholiques ont tendance à penser d’abord à la succession apostolique et les méthodistes à la mission. Malgré cette différence d’accentuation, on note là une nette progression vers une convergence. En fait les Églises catholique et méthodiste se soucient aujourd’hui des structures ainsi que de la sainteté et de la mission, et en particulier de la relation existant entre elles. Nous sommes d’accord que les structures de l’Église doivent effectivement servir et la sainteté de ses membres et la mission de l’Église (CLP, 4.7.10).[88]

102. La notion de ‘sacrement’ est idéale pour maintenir ensemble ce qui est intérieur et ce qui est extérieur, le visible et le spirituel et les catholiques et les méthodistes ont les uns et les autres commencé à parler de l’Église de façon sacramentelle. Le Christ est lui-même « le premier sacrement».[89] Société de ceux qui ont été incorporés au Christ et nourris par le Saint-Esprit qui donne la vie, « l’Église peut être pensée de façon analogue en termes sacramentels ».[90] « A la fois les méthodistes unis et les catholiques proclament que l’Église est elle-même sacramentelle car elle est le moyen et le signe de la présence du Christ dans le monde d’aujourd’hui ».[91] Cette terminologie tient une place importante dans Vatican II (LG, 1,9,48 ; GS, 42,45) et elle est aussi abondamment utilisée dans la déclaration du méthodisme britannique, Called to Love and Praise : l’Église est « à la fois la création de la Parole de Dieu, et aussi le ‘mystère’ ou ‘sacrement’ de l’amour de Dieu pour le monde » (CLP 3.1.10) ; elle est « un sacrement ou signe de la présence immuable du Christ dans le monde » (CLP 2.1.1). En outre, les méthodistes et les catholiques sont d’accord sur les dimensions constitutives de la sacramentalité : « En tant qu’agent de la mission de Dieu, l’Église est signe, avant-goût et instrument du royaume » (CLP, 1.4.1; voir 3.1.7; 3.2.1).

103. Ici sur terre, l’Église en pèlerinage vit de la grâce qui nous attire avec toute l’humanité vers notre destinée ; déjà elle « préfigure et représente la vie du royaume de Dieu », en particulier quand elle se réunit pour célébrer l’eucharistie (CLP, 2.4.8 ; cf. SC, 8). Tout au long de leur pèlerinage, les membres de l’Église sur terre sont appelés à rendre témoignage de l’unité, de la paix et de la réconciliation auxquelles Dieu appelle tous les hommes. Nous ne devons pas seulement être des exemples mais aussi des ministres de ces dons offerts au monde. Les chrétiens et leurs communautés sont appelés « à manifester la koinonia comme étant le signe et l’avant-goût du dessein de Dieu concernant le monde» (CLP, 3.1.7), et aussi à servir pour que s’accomplisse cette volonté dans le monde. Autrement dit, « l’Église comme communion est un sacrement pour le salut du monde ».[92] On peut considérer non seulement l’eucharistie et le baptême, mais aussi les autres rites d’Église que les catholiques tiennent pour des sacrements, comme intimement liés à la sacramentalité globale de l’Église. Notre accord sur ce point nous fournirait une base très prometteuse pour une discussion féconde sur les sacrements outre ceux du baptême et de l’eucharistie, sur leur nature et leur nombre.

104. L’attention portée aux sacrements suggère immédiatement à notre réflexion un autre sujet, celui de la relation entre la parole et le sacrement dans l’Église. Ici encore, nous constatons dans le christianisme une polarisation qu’il serait bon de surmonter. Avant tout, catholiques et méthodistes sont unis dans la foi trinitaire. Le Dieu très-saint en qui nous croyons est Père, Fils, et Saint-Esprit. Jésus Christ Notre-Seigneur est le Fils de Dieu. Parole incarnée, il est « l’image du Dieu invisible » (Col 1,15), « le mystère de la piété » (1 Tm 3,16), « le sacrement primordial ».[93] On ne saurait envisager par conséquent la parole et le sacrement comme appartenant à des catégories séparées, ainsi que les protestants et les catholiques ont eu tendance à le faire, ce qui donna lieu par la suite à bien des disputes et des divisions, malgré la profonde unité qu’ils trouvaient en la personne du Christ. Nous croyons que le Verbe incarné est sacramentel, que les écritures sont sacramentelles, et que les sacrements, qui sont « des cas particuliers de révélation du Mystère divin et de son effectivité dans la vie des fidèles »[94] sont tous des proclamations de la Parole (cf. 1 Co 11,26). Dans la célébration liturgique des sacrements, la parole et l’action vont toujours de pair. « Le mystère de la Parole faite chair et le mystère sacramentel de l’eucharistie orientent vers une vision de l’Église fondée sur l’idée sacramentelle ».[95]

105. Au cours de ces années de dialogue, catholiques et méthodistes ont progressé dans leur connaissance et leur estime réciproques. Nous nous sommes expliqués les uns aux autres et avons découvert tout ce que nous pouvons professer ensemble. Ce processus se poursuit et contemple aussi la possibilité de découvrir que nous avons des façons différentes d’affirmer la même chose. Un exemple remarquable de cela est que, dans et à travers des structures ecclésiales extrêmement différentes, les catholiques et les méthodistes sont profondément engagés à vivre et à manifester la cohérence, la communion et l’interconnexion de l’Église. « Les méthodistes unis et les catholiques conçoivent l’amour divin comme étant au centre de la nature et du but de l’Église. Cet amour mène le croyant à entrer en association, en connexion ou en communion avec d’autres croyants. La signification de cette communion ou connexion s’exprime à travers les structures de l’Église ».[96] Nous définir face à l’autre nous aide à nous reconnaître les uns les autres et cette importante notion a ici deux significations. En ces temps d’œcuménisme, la ‘reconnaissance’ intervient lorsqu’une Église accepte la vérité chrétienne de l’enseignement et des actions d’une autre Église, comme par exemple quand une Église ‘reconnaît’ un baptême non célébré en son sein. Mais ceci a une autre signification, plus fondamentale. Lorsque catholiques et méthodistes expliquent de quelle façon leurs structures respectives sont liées au caractère interconnectif de l’Église, nous sommes alors capables de ‘reconnaître’ ce que signifient la terminologie et les titres des uns et des autres. ‘Maintenant je comprends’ est la réaction qui suit ce genre de reconnaissance ; elle est le prélude indispensable à une reconnaissance plus officielle, lorsque la question qui est maintenant comprise est soumise à une évaluation.

106. Catholiques et méthodistes désirent faire en sorte que ce qu’ils croient soit plus facilement reconnaissable de part et d’autre, et bien évidemment aux yeux du monde en général. Ceci implique une détermination à modifier éventuellement certaines de leurs manières de faire et de s’exprimer. L’Église catholique en a manifesté une tel désir dans son enseignement sur la collégialité épiscopale lors du Concile Vatican II (LG, 22). Ceci a d’immenses conséquences structurelles et a été un moyen vital d’exprimer la nature de l’Église comme communion, qu’une compréhension monarchique de la papauté avait auparavant reléguée dans l’ombre. De leur côté, les méthodistes ont admis le besoin de réfléchir de manière plus approfondie sur leurs propres structures, tout d’abord en raison de l’histoire très particulière du méthodisme et de la façon assez peu commune dont il a pris forme à travers une autonomie ecclésiale croissante par rapport à l’Église d’Angleterre. « La structure ecclésiale et la discipline » du méthodisme « naquirent en grande partie des résultats d’une série d’expériences ad hoc» ;[97] certaines de ses formes primitives étaient clairement considérées comme ‘extraordinaires’ (CLP. 4.2.4; 4.2.6; 4/2/12). Les méthodistes affirment, et les catholiques reconnaissent volontiers, la grâce et la fécondité dont le ministère méthodiste fut imprégné dès ses débuts. Cependant de part et d’autre, nous estimons que se présente aujourd’hui dans la poursuite de notre but, qui est la communion pleine et visible de nos Églises, une occasion de situer le ministère méthodiste dans un cadre plus reconnaissable de succession apostolique. Par exemple, plusieurs Églises méthodistes se sont déclarées prêtes à prendre sérieusement en considération « l’épiscopat historique» ainsi que la primauté dans l’Église.[98] De fait, les méthodistes n’excluent aucun développement pouvant être «compatible avec [leur] caractère et capable de renforcer l’unité et l’efficacité de la mission de l’Église » (CLP, 4.6.11; cf. 4.6.9).

 

L’échange de dons : perspective méthodiste

107. Les méthodistes reconnaissent les catholiques romains comme leurs frères chrétiens, qui partagent avec eux les symboles historiques et une foi trinitaire commune, à un bien plus haut degré que cela n’était souvent admis dans le passé. De manière caractéristique, les méthodistes définissent l’Église comme suit: « L’Église est la communauté de tous les vrais croyants qui se placent sous la seigneurie du Christ. Elle est la fraternité sauvée et salvatrice au sein de laquelle la Parole est annoncée par des personnes qui ont été appelées par Dieu, et où les sacrements sont dûment administrés selon l’enseignement du Christ » (The Book of Discipline of the United Methodist Church, 2004, p. 21, Préambule à la constitution ; cf. CLP 2.4.9). En accord avec cette définition, les méthodistes peuvent désormais reconnaître l’Église catholique comme une Église véritable. Aussi évident que cela puisse paraître, il est nécessaire de bien le souligner car les méthodistes n’ont pas toujours reconnu l’Église catholique romaine de façon aussi positive. « Alors que Wesley et les premiers méthodistes reconnaissaient que la foi chrétienne pouvait être présente dans la vie des catholiques pris individuellement, ce n’est que depuis peu que les méthodistes sont plus enclins à reconnaître l’Église catholique comme une institution pour le bien spirituel de ses membres ».[99] Ainsi, les méthodistes reconnaissent que l’Église catholique elle-même est un moyen de grâce en vue du salut.

108. Corrélativement, les méthodistes reconnaissent que les ministres ordonnés de l’Église catholique sont agents de Dieu et exercent, dans la grâce, un ministère fécond. Plus précisément, ils reconnaissent les prêtres catholiques comme des presbytres de l’Église une, sainte, catholique et apostolique, exerçant un ministère authentique de la parole et des sacrements. De même, ils reconnaissent que les diacres catholiques exercent un ministère diaconal dans l’Église, quoiqu’un dialogue plus poussé soit nécessaire concernant la nature du diaconat. À l’heure actuelle, les méthodistes ne reconnaissent pas un ministère épiscopal distinct du presbytérat, bien que certaines Églises méthodistes choisissent des presbytres pour faire office d’évêques et que d’autres se soient déclarées prêtes à accepter le ministère épiscopal dans l’intérêt de l’unité chrétienne. Néanmoins, les méthodistes reconnaissent que les évêques catholiques exercent l’episcopè d’une façon qui correspond aux formes individuelles et collectives de supervision dans le méthodisme.

109. En ce qui concerne les sacrements, les méthodistes reconnaissent le baptême dans l’Église catholique comme une entrée dans l’Église une, sainte, catholique et apostolique et n’administrent ni baptême ni « baptême conditionnel » aux catholiques qui choisissent de devenir méthodistes. Les méthodistes reconnaissent aussi que lorsque les catholiques célèbrent l’eucharistie, le Christ lui-même est objectivement présent. De plus, les méthodistes trouvent dans la doctrine catholique sur l’eucharistie une similitude avec leur propre enseignement dans les hymnes des frères Wesley. Ils reconnaissent en outre que lorsque les catholiques célèbrent d’autres rites et ordonnances, Dieu est présent et opérant dans ces moyens de grâce. « Les méthodistes, tout en n’employant le mot ‘sacrement’ que pour les deux rites dont les évangiles rapportent l’institution par le Christ, ne nient pas pour autant le caractère sacramentel d’autres rites ».[100]

110. Au-delà de ces affirmations fondamentales sur la nature ecclésiale de l’Église catholique, les méthodistes reconnaissent que les catholiques attachent une importance à des éléments et des dons ecclésiaux particuliers auxquels les méthodistes accordent une valeur similaire : fréquentation régulière du culte, moyens de grâce institués ou prudentiels, participation fréquente à la sainte communion, le baptême en tant que relation d’alliance impliquant un engagement dans la communauté de foi, une grande estime pour le ministère ordonné, la sainteté personnelle comme don et œuvre du Saint-Esprit. En outre, méthodistes et catholiques ont une même compréhension de la sainteté en termes de sanctification ou de participation à la nature divine (2 P 1,4). Comme l’écrivit Charles Wesley, les chrétiens « sont transformés de gloire en gloire, jusqu'à ce qu’au ciel [ils prennent] place ».[101] Parallèlement à la sainteté personnelle, les catholiques montrent leur souci de la justice et de la paix, ce que les méthodistes reconnaissent comme un élément de sainteté sociale.

111. Grâce au dialogue bilatéral, les méthodistes sont maintenant plus en mesure d’apprécier certains autres éléments et dons ecclésiaux de l’Église catholique qui ont été au cours de l’histoire source de disputes entre catholiques et protestants. Dans certains cas, les méthodistes sont de plus en plus ouverts à une réception de ces éléments ecclésiaux comme dons de l’Église catholique, qui approfondiraient et rendraient plus visible leur communion, réelle, mais imparfaite, avec les catholiques. Fondamentalement, la diversité dans l’unité de l’Église catholique représente un de ces éléments; un autre est son expression concrète de l’universalité de l’Église. Tout en attachant une grande valeur à l’insistance de Wesley sur le sacrement de la Sainte Cène, les méthodistes gagneraient à avoir une théologie de l’eucharistie plus élaborée, telle celle que l’on trouve dans la doctrine catholique.[102] Certaines formes de dévotion présentes dans l’Église catholique sont absentes du méthodisme en raison des querelles héritées de la Réforme. En reconnaissant que certains questionnements protestants ont été résolus par de récentes réformes dans le catholicisme, et en vertu d’une meilleure compréhension grâce au dialogue théologique, les méthodistes pourraient à l’avenir désirer adopter certaines de ces dévotions pratiques (par exemple le Chemin de Croix). La vénération catholique de Marie est un autre exemple, moyennant la continuation du dialogue sur les dogmes mariaux récents. Une conscience accrue de la communion des saints et de la continuité de l’Église dans le temps, l’usage sacramentel des choses matérielles, et le ministère sacramentel auprès des malades et des mourants sont autant d’éléments et de dons ecclésiaux que les méthodistes pourraient recevoir avec profit des catholiques.

112. Les méthodistes ont eu tendance à prendre en considération l’histoire de l’Église de manière épisodique, en se fixant sur certaines occasions extraordinaires où l’action de l’Esprit-Saint s’est manifestée au cours d’événements particuliers. En conséquence, les méthodistes ont souvent négligé de longues périodes de l’histoire chrétienne où le Saint-Esprit a guidé l’Église par des moyens plus ordinaires. Les méthodistes reconnaissent maintenant que les quinze siècles antérieurs à la Réforme constituent une histoire commune avec les catholiques. Par ailleurs, les méthodistes admettent l’importance de redécouvrir au bénéfice du temps présent la providence de Dieu pour l’Église dans des temps plus anciens et la recherche historique les aide à apprécier ces aspects de la tradition catholique qui ont été négligés et que les querelles de la Réforme et leurs séquelles ont longtemps gardés dans l’ombre. D’où le fait que les méthodistes reconnaissent que le collège épiscopal et la succession historique des évêques dans l’Église catholique sont des signes (mais non nécessairement une garantie) de l’unité de l’Église dans l’espace et dans le temps. Pour servir l’unité dans l’Église, les méthodistes britanniques, en envisageant d’adopter l’épiscopat, acceptent « de recevoir le signe de la succession épiscopale à condition que leurs partenaires œcuméniques qui partagent ce signe avec l’Église méthodiste, (a) reconnaissent que cette dernière a fait et fait partie de l’Église une, sainte, catholique et apostolique, et (b) qu’ils admettent qu’existent diverses interprétations du sens exact de ce signe ».[103] D’un point de vue historique, l’episcopè dans le méthodisme a été exercé surtout de manière collective, même dans les régions du monde où le méthodisme possède des évêques. Néanmoins, les méthodistes reconnaissent de plus en plus la valeur de l’episcopè exercé de manière adéquate par des personnes individuelles dans le contexte d’un ministère collégial de supervision. Ainsi les méthodistes sont-ils prêts à accueillir des points de vue pour eux nouveaux provenant de la tradition catholique et concernant l’exercice de formes individuelles d’episcopè en vue de l’édification du Corps du Christ.

113. Dans une certaine mesure, le ministère pétrinien de l’Évêque de Rome constitue moins un obstacle à l’unité entre méthodistes et catholiques romains qu’il ne l‘était autrefois. « Les méthodistes acceptent que tout ce qui est requis à juste titre pour l’unité de toute l’Église du Christ doit être, de ce fait même, la volonté de Dieu pour son Église. Une primauté universelle pourrait bien être foyer et ministère de l’unité de toute l’Église ».[104] D’un côté, « les méthodistes ne pourraient accepter tous les aspects du ministère pontifical tel qu’il s’exerce actuellement; mais ils seraient mieux disposés à l’égard d’une primauté universelle conçue surtout comme un ministère de service et d’unité, plutôt que comme un siège où s’exercerait l’autorité » (CLP, 4.6.11). Les méthodistes du monde entier ont répondu de façon positive à l’invitation de Jean-Paul II d’engager un dialogue sur l’exercice du ministère pétrinien de l’Évêque de Rome (UUS, 96). Face à la situation de crise actuelle concernant l’autorité dans l’Église chrétienne, les méthodistes pourraient reconnaitre l’importance d’un ministère pétrinien au service de l’unité. En particulier, ils se pourrait qu’ils soient prêts à accueillir, avec des garanties adéquates, un ministère pétrinien qui serait collégialement exercé par le collège des évêques et qui représenterait une autorité finale de décision dans l’Église, au moins pour ce qui concerne les questions essentielles de la foi.

114. Pour John Wesley, le mouvement méthodiste a été suscité par Dieu pour « répandre la sainteté de l’Ecriture à travers le pays» et les méthodistes se considèrent comme « faisant partie de l’Église universelle du Christ » (The Book of Discipline of the United Methodist Church, 2004, § 101, p. 43, ‘Basic Christian Affirmations;’ cf. British Methodist Deed of Union, §4, ainsi que The Constitutional Practice and Discipline of the Methodist Church, 2005). Dans la providence divine, la mission historique du méthodisme a été possible grâce à des éléments et des dons ecclésiaux qui, bien que n’appartenant pas exclusivement aux méthodistes, sont toutefois caractéristiques de leur système et de leur discipline. Encouragés par la description du dialogue œcuménique comme « échange de dons » par Jean-Paul II (UUS, 28), les méthodistes invitent les catholiques à accueillir de nouveau de leur héritage commun certains éléments et dons ecclésiaux qui actuellement sont plus facilement identifiables dans le méthodisme que dans l’Église catholique.

115. Certains de ces éléments et dons ecclésiaux proviennent des origines « corporatives » du méthodisme. Par exemple, le méthodisme est doté d’un principe ‘connectif’ par lequel les assemblées ou Églises locales sont visiblement unies en une communion, veillant les unes sur les autres dans l’amour à travers leur Conférence. Les méthodistes restent liés à la ‘conférence chrétienne’ comprise comme instrument de discernement de la volonté de Dieu sur l’Église, à la fois comme agent de l’autorité et comme signe initial de réception. Une autre conséquence des origines corporatives du méthodisme est le rôle prééminent que jouent les laïcs dans l’Église. Le méthodisme a toujours dépendu de la contribution de prêcheurs laïcs qualifiés, et le rôle exercé par les laïcs aux postes de responsabilité demeure un trait caractéristique des Églises méthodistes locales. Par ailleurs, par leur baptême ils sont habilités à prendre une part active, au côté des ministres ordonnés, à l’exercice de l’autorité dans l’Église. D’un point de vue théologique, la confiance que les méthodistes ont dans la contribution apportée par les laïcs se fonde sur la conviction que le Saint-Esprit distribue généreusement ses dons sur tout le peuple de Dieu pour le bien du ministère et de la mission de l’Église. Par obéissance au Saint-Esprit, la communauté chrétienne est appelée par Dieu à utiliser les dons spirituels des laïcs. Les méthodistes invitent les catholiques à se demander si l’expérience méthodiste, qui de manière féconde reconnaît le ministère et la mission des laïcs habilités par le Saint-Esprit dans leur service, ne pourrait enrichir leur propre vison et appréciation des dons spirituels accordés aux laïcs.

116. Tout en reconnaissant la contribution des laïcs à la vie de l’Église, le méthodisme britannique ordonne par la prière et l’imposition des mains ceux qu’il reconnaît être appelés par le Christ au ministère comme « intendants de la maison de Dieu et pasteurs de son troupeau » (British Methodist Deed of Union, §4). Dans le ministère de tous les baptisés, l’Église méthodiste unie ordonne aussi des hommes et des femmes à un ministère de la parole et des sacrements (cf. The Book of Discipline of the United Methodist Church, 2005, §125, p. 89 ; §305, p. 198 ; §332, p. 230). La réflexion théologique a conduit les méthodistes à conclure que la mission de l’Église est l’œuvre de tout le peuple de Dieu, laïcs et ordonnés ensemble. Dans les premières années du mouvement, et encore plus récemment, les femmes ont apporté leur pleine contribution à la mission et au ministère du méthodisme. Aujourd’hui les méthodistes ne limitent aux hommes ou aux femmes aucun ministère ni aucune fonction dans l’Église, certains que cela serait contraire à la volonté de Dieu telle qu’ils la discernent dans les écritures. Les méthodistes invitent les catholiques romains à considérer comment l’expérience et la pratique méthodistes du ministère ordonné pourraient contribuer à leur interprétation du ministère de l’Église.

117. Les méthodistes sont particulièrement sensibles à la nécessité de trouver des expressions nouvelles de la foi apostolique, afin d’adapter l’évangélisation à une société en mutation. En conséquence de cette perspective missionnaire, les méthodistes adoptent une attitude souple et pragmatique vis-à-vis des structures ecclésiastiques. C'est pourquoi l’histoire du méthodisme témoigne de la conviction qu’à chaque génération Dieu peut inspirer, et de fait inspire, des formes diverses de ministère en vue de buts particuliers. Les méthodistes invitent les catholiques à considérer si leur propre activité missionnaire ne pourrait tirer profit d’une souplesse et d’un pragmatisme plus grands.

118. De même, un aspect significatif de la mission historique du méthodisme a été son insistance sur l’importance cruciale de l’expérience personnelle de Jésus Christ et de son amour rédempteur. De quelque autre façon on puisse la décrire, l’Église est une communauté de chrétiens que l’expérience personnelle de Jésus Christ oblige à se joindre à d’autres chrétiens pour le culte, la fraternité, la mission et le service dans le monde. Les méthodistes invitent les catholiques à considérer comment ce même souci, et les formes qu’il prend, pourraient contribuer à leur propre ministère pastoral et à leur mission.

119. La vision missionnaire et sotériologique du méthodisme le conduit à ressentir sans cesse un élan intérieur qui l'incite à rechercher une communion toujours plus grande avec les autres chrétiens. De par leur désir d’unité, les méthodistes sont doués d’une volonté ferme d’engagement dans l’œcuménisme et d’une capacité à dialoguer et à collaborer patiemment avec leurs frères chrétiens. Les méthodistes sont partenaires d'autres chrétiens au sein d'Églises unies et ‘unifiantes’, notamment en Australie, en Belgique, au Canada, en Inde, aux Etats-Unis et en Zambie ; ceci reflète leur volonté de sacrifier leur identité ecclésiale particulière, quoique chérie depuis longtemps, à la recherche de l’unité chrétienne. Les méthodistes invitent les catholiques à considérer comment leur propre engagement en faveur de l’unité des chrétiens pourrait influencer d'une façon similaire leur conception de leur identité particulière et leur disposition à établir une distinction entre ce qui est modifiable et ce qui reste essentiel.

120. Le culte et la spiritualité des méthodistes possèdent un trait caractéristique. Malgré la valeur qu'ils attachent à la sainte communion, les méthodistes dans leur culte mettent un fort accent sur le ministère de la Parole. Ils écoutent la lecture des Saintes Ecritures et la proclamation de l’Évangile avec le vif sentiment que Dieu est présent et opère en eux aujourd’hui. Ainsi la lecture des Écritures et la prédication évangélique demeurent des aspects marquants du culte méthodiste. L’usage liturgique du chant collectif est également caractéristique du méthodisme et les hymnes de Charles Wesley forment un corpus de théologie pratique pour le peuple méthodiste. D'autres formes de culte utilisées par les méthodistes ont leur origine dans l’agape des Frères moraves et dans les formes de renouvellement de l'Alliance propres aux Puritains. Ces dernières années, le mouvement liturgique a exercé une influence sur la forme et le contenu du culte méthodiste selon des lignes œcuméniques convergentes. La vie dévotionnelle des méthodistes est de même caractérisée par certains aspects historiques qui l’ont rendue très féconde. Une attention particulière est accordée à la lecture et à l’étude de la Bible, ainsi qu'aux rencontres avec d’autres croyants en petits groupes fraternels de prière spontanée et d’entraide pastorale mutuelle. L’expérience de ‘l’assurance du salut’ est un aspect précieux de la piété méthodiste ; elle n'est pas nécessairement vue comme une garantie de persévérance qui supprimerait le besoin d’espérer, mais comme un don accordé par le Saint-Esprit d'une conviction intérieure d’avoir reçu la grâce salvifique. Les méthodistes invitent les catholiques à étudier comment ces mêmes éléments et dons ecclésiaux pourraient enrichir leur propre culte et leur spiritualité.

 

L’Echange de dons: perspective catholique

121. En harmonie avec l’enseignement du Concile Vatican II dans son décret sur l’œcuménisme (UR, 3; cf. plus haut, n° 4), les catholiques reconnaissent avec joie le rôle et l’importance des Églises méthodistes dans le mystère du salut. Ils estiment que l’Esprit du Christ les a utilisées, et continue de le faire, comme des moyens de salut puisant leur efficacité dans la plénitude de la grâce et de la vérité qui, d’après les catholiques, ont été confiées à l’Église catholique. Ils apprécient bien des aspects de la foi et de la pratique méthodistes et ils sont proches des méthodistes dans leur recherche de la sainteté, leur engagement dans la mission et leur conviction que la communion et la relation aux autres est le signe d’une vie véritable en Christ. Ces points assument un caractère central pour le méthodisme et ils sont également précieux pour les catholiques. D’une certaine manière, ils esquissent le modèle de notre unité à venir.

122. Les catholiques voient chez les méthodistes une foi trinitaire vigoureuse et un fort attachement à la personne du Verbe incarné, qui nous appelle à une sainteté qui soit ‘amour parfait’ et donc ‘social’, modelé sur la vie trinitaire de Dieu. L’unité de l’Église a donc la forme d’une connectivité, fort bien rendue chez les méthodistes par l’expression « se protéger les uns les autres dans l’amour». La sainteté, comprise comme une vie conforme à l’Evangile, est intimement liée à l’unité et l’unité prend la forme de la communion. Les méthodistes sont visiblement unis en une communion, signe de la vie divine et de l’amour divin. Le méthodisme, depuis ses origines, insiste sur l’importance de former de petits groupes en vue de l’exercice du service mutuel et de la discipline commune, ce qui trouve un écho dans l’Église catholique qui attribue une valeur croissante à la formation de petites communautés chrétiennes en son sein. En outre, les méthodistes ont une forte vocation à la mission et à la responsabilité sociale et mettent en pratique l’amour de Dieu d’une façon concrète, manifestant une réelle sollicitude envers les nécessiteux de ce monde. La communion s’exprime aussi par une conception collégiale du ministère, qui ressemble à celle de l’Église catholique où les prêtres forment un presbyterium autour de leur évêque dans une Église locale (SC, 41 ; LG, 28) et où les évêques constituent un collège avec le Pape (LG, 22). De bien des façons les ministres méthodistes œuvrent ensemble pour accomplir leur mission, à travers des circuits, districts et conseils d’évêques. Les méthodistes ont la ferme conviction qu’un chrétien baptisé n’est jamais seul, qu’un ministre n’est jamais seul, qu’un évêque n’est jamais seul.

123. Les catholiques sont entièrement d’accord avec les méthodistes dans leur conviction que la sainteté implique la conversion et la transformation, étant « changés de gloire en gloire». Étant donnée la controverse du temps de la Réforme entre catholiques et protestants au sujet de la coopération à la grâce, il est immensément significatif que catholiques et méthodistes soient parfaitement en accord sur cette question. Les méthodistes croient, comme les catholiques, que nous coopérons vraiment avec la grâce et avons part à la vie de Dieu. Dieu œuvre à travers la communauté de l’Église et les personnes qui en font partie, ministres et laïcs. Ceci pourrait fournir la base d’une réflexion commune approfondie sur le concept de sacramentalité. De plus, tout en ne reconnaissant que le baptême et l’eucharistie comme sacrements, les méthodistes considéreraient les autres rites dans lesquels les catholiques reconnaissent des sacrements, comme étant, d’une certaine façon, de nature sacramentelle. Il est saisissant que les catholiques chantent avec conviction des hymnes méthodistes qui expriment une foi eucharistique ; ceci indique l’étendue de notre compréhension commune de l’eucharistie. Ensemble nous croyons que la réception pieuse de la sainte communion est au centre de la vie de la foi.

124. Dieu œuvre dans le monde à travers nous. L’Église est essentiellement missionnaire en tant qu’agent de la mission d’amour de Dieu. L’engagement méthodiste dans l’évangélisme et l’histoire des missions méthodistes suscitent l’admiration des catholiques, qui ont eux-mêmes un engagement missionnaire et une histoire analogues. Les méthodistes s’engagent avec zèle pour le salut de tous. On se souvient de la célèbre phrase de John Wesley disant : « Je considère le monde entier comme ma paroisse ».[105] Un des premiers pionniers du renouveau de la théologie catholique au Concile Vatican II et de l’engagement œcuménique de l’Église catholique, le Pére Yves Congar, O.P., s’inspira de ces paroles pour le titre d’un de ses livres sur la nature et l’ampleur du salut qu’il intitula Vaste monde, ma paroisse.[106]

125. Jésus a prié pour que ses disciples soient un afin que le monde puisse croire (cf. Jn 17,21). Un des traits marquants du méthodisme au cours des cent dernières années a été son unité interne croissante, sans doute influencée par les nécessités de la mission. Les catholiques y voient, ainsi que dans le profond désir des méthodistes d’une guérison des blessures du passé, de remarquables signes de grâce et d’authenticité. En outre, dès leur origine les méthodistes ont été à l’avant-garde du mouvement œcuménique moderne. Le travail de pionnier que réalisa John R. Mott mérite tout particulièrement d’être cité ; il est lui aussi un signe de la grâce. L’Église catholique est entrée dans le mouvement œcuménique au cours du Concile Vatican II et s’est engagée de manière irréversible à rechercher l’unité des chrétiens (cf.UUS, 3); ce choix n’est pas un appendice quelconque, mais un aspect intrinsèque de la réalisation de la plénitude de la catholicité (cf. UR, 4). Catholiques et méthodistes, par cet engagement, atteignent à une profonde harmonie.

126. Dans tous ces domaines qui son cruciaux pour la vie de l’Église, catholiques et méthodistes ne manqueraient pas de s’affermir les uns les autres dans la pleine communion de nos Églises. Nous contribuerions à notre édification réciproque en nous construisant les uns les autres dans le Christ par la puissance du Saint-Esprit. Les catholiques peuvent dire sans hésiter qu’ils tireraient profit d’une telle communion. Nous pouvons aussi identifier d’autres points spécifiques qui potentiellement pourraient être d’un apport fructueux. Les catholiques peuvent apprendre quelque chose de l’amour et de l’assiduité avec lesquels les méthodistes se consacrent à la lecture des Ecritures, de leur sentiment profond que Dieu nous parle alors personnellement. Ils pourraient aussi profiter de la ferveur avec laquelle les méthodistes chantent leur foi dans des hymnes joyeux qui expriment ce qui est au cœur même de la foi chrétienne. Par ailleurs, les catholiques ont beaucoup à apprendre de l’interprétation et de la pratique méthodistes du ministère des laïcs, fondé sur le baptême et le sacerdoce de tous les fidèles; ils ont aussi beaucoup à réfléchir sur la place des laïcs dans la gouvernance de l’Église. La perception du baptême comme ‘alliance’ pouvant être régulièrement renouvelée, comme c’est le cas chez les méthodistes, est valable et conforme aux Ecritures.

127. Le don de Jean et Charles Wesley eux-mêmes, hommes hors du commun et proches de Dieu, honorés ensemble comme des héros de la foi chrétienne, serait motif de joie et d’action de grâce. Les Wesleyens ‘vivent’ aujourd’hui, pour ainsi dire, à travers l’Église méthodiste et c’est à travers elle que leurs dons sont transmis à l’Église tout entière. Prêcher de façon à ‘réchauffer le cœur,’ comme le faisaient les Wesleyens, peut servir d’exemple pour les catholiques, tout comme peut être profondément édifiante pour eux l’importance que les Wesleyens attribuent à la réception fréquente de la sainte communion. Lors d’une célébration méthodiste du tricentenaire de la naissance de John Wesley, le Président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité chrétienne, le Cardinal Walter Kasper, déclarait : « Tout comme vous continuez à vous tourner vers le ministère de John Wesley pour y trouver inspiration et orientation, nous pouvons chercher et trouver en lui le zèle évangélique, la recherche de la sainteté, le souci des pauvres, les vertus et la bonté que nous avons appris à reconnaître et à respecter en vous. Nous avons tous de quoi être profondément reconnaissants pour tout cela ».[107]

128. Les catholiques qui reconnaissent volontiers les dons qu’ils désireraient recevoir des méthodistes, aimeraient à leur tour savoir s’ils possèdent eux-mêmes des dons que les méthodistes désireraient accueillir. En premier lieu, l’Église catholique possède une ecclésiologie développée, riche d’une longue tradition de réflexion ecclésiologique et tire avantage des documents du Concile Vatican II sur l’Église. Au centre de cette ecclésiologie se trouvent la manifestation visible de deux dimensions de la communion, c’est-à-dire la communion à travers l’espace qui s’exprime dans la collégialité des évêques, et la communion à travers l’histoire, qui a bénéficié d’une continuité dans le temps et a pu se réaliser grâce à la succession apostolique des évêques. On peut y voir deux dimensions de connexion et la tradition catholique aime à considérer les évêques comme les points nodaux de la toile de la communion ecclésiale dans le Christ, qui englobe temps et espace. Les catholiques invitent les méthodistes n’ayant pas d’évêques à réfléchir à ce mode traditionnel d’exprimer la connexion, et seraient heureux d’examiner avec les méthodistes qui prévoient le ministère épiscopal comment ils perçoivent la responsabilité collégiale que leurs évêques assument déjà.

129. Dans le cadre du collège épiscopal, les catholiques invitent aussi les méthodistes à prendre en considération une éventuelle acceptation du ministère pétrinien. À ce sujet, ils aimeraient pouvoir discuter avec les méthodistes, conformément à l’invitation du Pape Jean-Paul II lorsqu’il proposa un dialogue avec les responsables ecclésiaux et les théologiens des autres Églises sur les formes que le ministère pétrinien pourrait prendre afin d’être reconnu comme « service d’amour » par tous les chrétiens (UUS, 95-96). Les catholiques sont convaincus que l’Église a besoin d’un point de convergence universel pour son service pastoral et que le Christ institua lui-même un tel ministère dans la primauté de Pierre parmi les apôtres. Comme beaucoup de chrétiens aujourd’hui, les méthodistes commencent à comprendre l’importance d’une cohésion globale plus vaste et de son expression. Les catholiques invitent les méthodistes à réfléchir sur les possibilités qu’aurait le ministère pétrinien de remplir un tel but. Il peut être utile d’affronter la question de l’exercice personnel du ministère pétrinien par le Pape à travers la compréhension de l’exercice collectif de la gouvernance par l’ensemble du collège des évêques, dont il est le centre et le chef.

130. Les catholiques invitent les méthodistes à examiner de nouveau les doctrines qui, dans la période tourmentée de la Réforme, furent rayées de la pensée et de la vie protestantes, au lieu d’être simplement réformées et débarrassées de leurs excès. De première importance seraient en effet la prise en examen de l’aspect sacrificiel de l’eucharistie et l’interprétation comme sacerdoce du ministère ordonné. Au cours du Concile Vatican II et dans les années qui suivirent, l’Église catholique a tenté de formuler sa doctrine sur ces questions de façon claire et sur la base des textes bibliques, tout en ayant conscience des incompréhensions et disputes du passé et dans le désir d’instaurer un dialogue constructif avec les chrétiens des autres traditions. Une partie du don que les catholiques aimeraient offrir aux méthodistes quant à ces questions n’est autre que cette nouvelle formulation de la doctrine catholique.

131. Vatican II enseigne que, par les sacrements, et plus spécialement par le baptême et l’eucharistie, nous sommes « unis, d’une manière mystérieuse et réelle, au Christ souffrant et glorifié» (LG, 7). Autrement dit, nous sommes sacramentellement unis au Christ, en tant que son corps, dans l’acte éminent et unique de son sacrifice par lequel il est entré dans la gloire.[108] Il ne saurait y avoir répétition de cet acte, qui a eu lieu une fois pour toutes (He 10,10). Néanmoins, l’eucharistie a un caractère sacrificiel car le Christ y est réellement présent dans l’acte même du don suprême de soi à son Père. La présence sacramentelle du Christ lui-même est en même temps présence sacramentelle de son sacrifice car le Christ qui est présent est celui-même qui est entré dans le sanctuaire une fois pour toutes, offrant son propre sang pour une libération définitive (He 9,12).[109] Il demeure pour l’éternité, possède un sacerdoce exclusif et intercède pour nous (He 7,24-25). Les catholiques regrettent toute impression désagréable qu’ils pourraient avoir suscitée par la répétition du sacrifice du Christ au cours de la messe; cependant, ils rejettent aussi toute réaction excessive niant tout caractère sacrificiel à l’eucharistie. Dans le sens de ce qui est indiqué plus haut, ils approuvent la déclaration du texte de Lima, de Foi et Constitution, selon laquelle l’eucharistie est « le sacrement du sacrifice unique du Christ, qui vit à jamais pour intercéder pour nous ».[110]

132. À partir du même fondement biblique, les catholiques affirment qu’il n’y a qu’un seul sacerdoce dans le plan divin de salut, celui de Jésus-Christ lui-même, qui est confié à toute l’Église qui est son corps. Vatican II enseigne que toute célébration liturgique est « une œuvre du Christ prêtre et de son Corps » (SC, 7), et qu’il existe dans l’Église deux participations à cet unique sacerdoce qui sont «dépendantes l’une de l’autre » : le sacerdoce royal de tous les fidèles et le ministère sacerdotal de ceux qui sont appelés et ordonnés pour représenter le Christ au milieu de son peuple, agissant au nom et en la personne du Christ pour préparer le sacrifice eucharistique et l’offrir à Dieu au nom de tout le peuple (LG, 10). Cette formulation plus récente comporte un ré-ancrage important du concept de sacerdoce qui va bien au-delà des disputes de la Réforme, lesquelles si souvent privilégiaient ou le ministère sacerdotal ou le sacerdoce des laïcs. Les doutes de la Réforme à propos du ministère sacerdotal étaient étroitement liés à leurs réticences par rapport à l’aspect sacrificiel de l’eucharistie, puisque c’est le prêtre qui offre le sacrifice. Ces deux questions doivent donc être abordées ensemble. Les catholiques croient que, puisqu’il n’y a qu’un seul sacrifice, il n’y a aussi qu’un seul prêtre, le Christ. Ceux que l’on appelle des ‘prêtres’ ne sont jamais que des représentants du Christ-prêtre au milieu du peuple sacerdotal. À travers eux, le Christ-prêtre est sacramentellement présent pour servir son peuple. Les catholiques accueillent volontiers l’affirmation du texte de Lima qui dit que les ministres ordonnés « sont les représentants de Jésus Christ devant la communauté» et ils apprécient cette autre affirmation, selon laquelle il est « approprié d’appeler les ministres ordonnés des prêtre car ils accomplissent un service sacerdotal particulier en consolidant et construisant, par la parole et les sacrements, le sacerdoce royal et prophétique des fidèles ».[111] Les catholiques croient que « lorsque quelqu’un baptise, c’est le Christ lui-même qui baptise, » et également que « c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Église les Saintes Écritures» (SC,7). La personne qui agit véritablement pour notre salut par la puissance du Saint-Esprit est toujours le Christ, conformément à son ultime promesse: « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (Mt 28.20). La confiance que les catholiques placent dans le pouvoir agissant de tous les sacrements est en fin de compte ancrée dans cette promesse qui, de fait, donne naissance à tout un ensemble sacramentel. Même si le Seigneur n’est plus présent de manière visible, il est véritablement présent en d’innombrables façons et les actes clé au cours desquels on proclame et on s’abandonne à sa présence sont appelés des ‘sacrements’. Les catholiques croient que lorsque l’Église ordonne ceux qui agiront officiellement au nom du Christ parmi son peuple, ces ordinations sont d’une importance si décisive qu’elles sont, elles-mêmes, des sacrements, des temps de prière et de confiance absolue en la présence agissante du Christ qui est fidèle à sa promesse.

133. Les catholiques et les méthodistes s’accordent à reconnaître que « le ministère dans l’Église chrétienne dérive du ministère du Christ » (Book of Discipline of the United Methodist Church, 2004, §301, p. 194); ils reconnaissent aussi le souci profond avec lequel les méthodistes traitent la question du ‘sacerdoce’ (cf. CLP, 4.5.1; 4.5.6; 4.5.9; 4.5.11). La formule du Deed of Union des méthodistes de Grande-Bretagne : « L’Église méthodiste professe la doctrine du sacerdoce de tous les croyants et par conséquent, elle croit qu’il n’existe pas de sacerdoce appartenant exclusivement à un ordre particulier ou à une classe» semble aux yeux des catholiques conserver la marque de la ‘rivalité’ que la Réforme voyait entre le sacerdoce royal et le ministère sacerdotal. Cependant, la récente déclaration des méthodistes britanniques, selon laquelle l’office d’un ministre ordonné « consiste à permettre à l’ensemble du ministère de l’Église de rendre la présence du Christ effective dans la prédication, les sacrements, la discipline ecclésiale et l’activité pastorale» (CLP, 4.5.11), reflète l’enracinement du sacerdoce dans le Christ, condition que les catholiques aimeraient pouvoir placer comme base de tout rapprochement œcuménique.

134. Les catholiques aimeraient aussi pouvoir partager avec les méthodistes leur confiance absolue dans l’action du Christ à travers le ministère de la parole et du sacrement. Quels que soient la faiblesse et l’état de péché du ministre, l’action salvifique de Dieu à travers le Christ, par la puissance du Saint-Esprit, n’en est jamais annulée. Quand le Christ dit lui-même à ses disciples : « Je suis avec vous tous les jours», il offre une garantie sur laquelle nous pouvons compter. Nous devons être vigilants et jamais présomptueux, mais la vigilance ne doit pas faire diminuer notre espérance, notre certitude et notre confiance. Les catholiques invitent les méthodistes à se demander si leur confiance traditionnelle dans le don par le Saint-Esprit d’une assurance de salut (CM, 18) ne pourrait s’appliquer à l’Église dans son ensemble. L’Église ne peut-elle avoir une assurance collective, particulièrement en ce qui concerne les actions liturgiques de ses ministres ordonnés, et les ministres ordonnés ne pourraient-ils avoir aussi un rôle à jouer dans la formulation de l’assurance de l’Église? Ces questions ont été posées déjà il y a vingt ans, lorsque catholiques et méthodistes s’accordèrent « sur le besoin d’une forme d’autorité pour avoir une certitude au-delà de tout doute concernant l’action de Dieu dans la mesure où cela est décisif pour notre salut » ;[112] elles se représentent maintenant avec une certaine urgence.

135. En outre, les catholiques voudraient suggérer aux méthodistes que la question controversée de ‘l’infaillibilité’ peut être envisagée à partir de cette même confiance en l’action propre du Christ dans la parole et le sacrement. Tout comme les catholiques croient que le Christ de manière infaillible purifie, nourrit son peuple et lui pardonne à travers les administrations sacramentelles de son Église et de ses ministres, ils croient de même qu’il peut offrir un enseignement infaillible à son peuple. Non seulement il le fait lorsque les Écritures sont proclamées (cf. SC, 7, dans n. 33 ci-dessus), car une telle proclamation est toujours en vérité infaillible, mais il peut encore le faire par l’enseignement de l’Église sur une question d’importance vitale. Tout comme existent des conditions clairement spécifiées pour une célébration correcte du baptême, de l’eucharistie et des autres sacrements, qui, une fois accomplis, permettent à l’Église de croire sans aucun doute que le Christ est présent et agit en elle, de même doivent nécessairement exister des conditions particulières à la reconnaissance de sa présence et de son action en des moments décisifs de l’enseignement. Une lecture attentive de la définition de l’infaillibilité pontificale par le Concile Vatican I montre que des conditions tout à fait spécifiques furent précisées pour l’exercice par le Pape de « l’infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que soit pourvue son Église lorsqu’elle définit la doctrine sur la foi et la morale » (DS, 3074). Le Pape doit parler ex cathedra, en tant que « pasteur et docteur de tous les chrétiens, » et définir, « en vertu de sa suprême autorité apostolique qu’une doctrine en matière de foi ou de morale doit être tenue par toute l’Église» (DS, 3074). Il ressort clairement des termes de la définition ci-dessus, que l’assurance fondamentale ainsi exprimée porte sur l’infaillibilité donnée par Dieu à l’Église elle-même qui est « colonne et soutien de la vérité » (1 Tm 3,15).

 

Conclusion

136. Le chapitre précédent indiquait cinq ‘domaines d’importante divergence’ (§ 92) entre catholiques et méthodistes, à savoir : 1) le rôle des laïcs dans l’enseignement normatif, 2) la nature sacramentelle de l’ordination, 3) l’épiscopat dans la succession apostolique, 4) ‘l’assurance’ de certains actes normatifs d’enseignement (p. e. l'infaillibilité), et 5) la place et le rôle du ministère pétrinien. La Commission de dialogue estime qu'une approche sacramentelle de l'Église, thème déjà abordé par le rapport de Nairobi (voir plus haut, § 104) et développé de manière plus exhaustive dans les rapports qui suivirent et aujourd'hui dans le présent rapport, ouvre de vastes perspectives de progrès sur toutes ces questions.

137. Pour ce qui est des quatre ‘marques’ ou attributs traditionnels de l’Église, le présent chapitre a tenté de montrer qu’une réconciliation des méthodistes et des catholiques comporte de grands avantages potentiels pour les deux communautés:

a) Il est important de remarquer que deux églises qui s’unissent s’apportent l’une à l’autre le don de l’unité. Dans le cas présent, deux différents aspects de l’unité s'associeraient de manière féconde, le premier, structurel et historique, et le second, spirituel et eschatologique. L’église catholique croit que l’unité que le Christ a conférée dès le début à son Église « subsiste dans l’Église catholique » (UR, 4; cf.UUS, 11), notamment en vertu de la permanence en elle du ministère pétrinien. En un sens, donc, à travers ce signe essentiel d’unité visible, l’Église catholique peut offrir le don de l’unité à l’Église méthodiste. D'autre part, les méthodistes conçoivent l’unité avant tout comme une unité spirituelle du corps du Christ, que les chrétiens doivent s’efforcer de rendre plus visible dans le monde, mais qui restera imparfaitement réalisée jusqu’au dernier jour. Cette insistance eschatologique est importante ; elle rappelle aux catholiques que l’unité est aussi une vocation, qui doit nous inspirer et nous pousser à la réaliser toujours plus chaque jour.

b) L’importance que méthodistes et catholiques accordent à la sainteté signifie que nous serions très solidaires les uns des autres et que nous nous encouragerions dans notre façon de vivre ce trait distinctif de l‘Église et dans notre effort en vue de son accomplissement. Nous aurions aussi la joie de partager l’exemple riche d’inspiration de nos saints.

c) Les divisions des chrétiens empêchent l’Église de réaliser « la plénitude de la catholicité qui lui est propre » (UR, 4, - c'est nous qui soulignons -; cf. ci-dessus, § 29). Le ferme engagement des méthodistes et des catholiques dans l’œcuménisme montre notre désir commun d’une catholicité toujours plus grande et cet engagement et ce désir se trouveraient renforcés par notre unité. En harmonie avec sa double signification, la catholicité des catholiques et des méthodistes serait rehaussée par notre unité : elle atteindrait une plus grande profondeur et cohérence de foi et jouirait d'une nouvelle vigueur et d'une plus ample envergure.

d) Les méthodistes peuvent recevoir des catholiques un signe vital d'apostolicité : la succession apostolique des évêques. Cependant les catholiques ont beaucoup à gagner de l’engagement dans la mission apostolique qui est une caractéristique précise de l’identité méthodiste.

La mise en valeur réciproque de l’unité, de la sainteté, de la catholicité et de l’apostolicité de chacun à travers l’unité catholique-méthodiste serait la réalisation la plus aboutie de la célèbre déclaration de John Wesley qui affirmait que protestants et catholiques devraient « s’aider les uns les l’autres pour tout ce qui, de notre avis commun, mène au Royaume ».[113]

138. Les membres de notre Commission, tant les catholiques que les méthodistes, sont profondément conscients de puiser dans l’héritage commun précédemment mentionné (ci-dessus, §100), et de vouloir rappeler les uns aux autres les éléments de ce patrimoine qui est nôtre et que, tous, nous avons négligés. Personne ne possède ce trésor : nous en avons la garde les uns pour les autres et pour le monde entier. Puisque tout nous vient de Dieu qui est amour (1 Jn 4,8) et qui dans le Christ a répandu son amour pour nous, il est impératif que nous nous convertissions tous à une égale générosité avec les dons de Dieu, ce qui n’est autre qu’une participation à sa propre générosité. Nous espérons que ce rapport pourra participer à la générosité de Dieu et qu’il saura inspirer une vaste et mutuelle générosité entre nos Églises dans leur tentative commune de participer toujours plus aux dons divins: Dieu veut que son peuple en jouisse et qu’il les porte au monde. Ensemble, nous faisons volontiers nôtre la vision de l’unité que le Pape Jean-Paul II décrivait ainsi: « La pleine unité se réalisera lorsque tous participeront à la plénitude des moyens du salut que le Christ a confiés à son Église» (UUS, 86).


 

Chapitre IV

Principes et propositions pour le développement futur
des relations entre catholiques et méthodistes

 

139. Au début de son pontificat, le Pape Benoît XVI a annoncé clairement son engagement à reconstruire la pleine unité visible de l’Eglise :

Nourris et soutenus par l'Eucharistie, les catholiques ne peuvent que se sentir incités à tendre vers cette pleine unité que le Christ a ardemment souhaitée au Cénacle. Le Successeur de Pierre sait qu'il doit de manière toute particulière prendre en charge cette aspiration suprême du Divin Maître. C'est à Lui, en effet, qu'a été confiée la tâche de confirmer ses frères (cf. Lc 22, 32).[114]

C'est donc pleinement conscient, au début de son ministère dans l'Eglise de Rome que Pierre a baigné de son sang, que son Successeur actuel prend comme premier engagement de travailler sans épargner ses forces à la reconstruction de l'unité pleine et visible de tous les fidèles du Christ. Telle est son ambition, tel son devoir pressant. Il est conscient que dans ce but, les manifestations de bons sentiments ne suffisent pas. Des gestes concrets sont nécessaires, qui pénètrent les âmes et remuent les consciences, appelant chacun à cette conversion intérieure qui est le présupposé de tout progrès sur la voie de l'œcuménisme.[115]

Les méthodistes n’ont que trop bien appris de leur propre expérience œcuménique que seules les bonnes intentions ne suffisent pas pour faire avancer la cause de l’unité chrétienne. Ils font donc écho à la conviction du Pape Benoît que « des gestes concrets sont nécessaires, qui pénètrent les âmes et remuent les consciences» pour que des progrès aient vraiment lieu dans le domaine de l’œcuménisme.

140. Afin que les relations entre catholiques et méthodistes se développent ultérieurement, nos deux communions doivent accomplir des gestes à la fois réalistes et appropriés à notre époque. Bien que lescatholiques et les méthodistes, en route vers la pleine communion, aient encore à résoudre certaines questions doctrinales, il est maintenant possible, en prenant pour base les chapitres précédents de ce présent rapport, d’identifier une série de gestes concrets qui faciliteront un approfondissement de la communion entre nous. Le principe de ‘l’unité par étapes’ peut être adopté. Catholiques et méthodistes sont appelés à accomplir ensemble, pas à pas, ce voyage œcuménique, vivant aussi pleinement que possible le degré d’unité qu’ils partagent déjà, tout en prenant les mesures appropriées pour atteindre l’étape suivante.

141. Catholiques et méthodistes ont désormais franchi les étapes initiales de leurs relations et constatent aujourd’hui qu’ils ont un nombre considérable d’éléments en commun ; du point de vue ecclésial, ils ne vivent plus isolés les uns des autres. Le Chapitre II de ce présent rapport analyse l’ample accord qui nous unit au sujet de la nature et de la mission de l’Eglise. Le Chapitre III marque un progrès significatif de notre dialogue, puisque nous avons pu énumérer, pour la première fois, ce que nous reconnaissons les uns chez les autres comme étant véritablement de nature ecclésiale. En outre, il nous a été possible d’identifier divers éléments et valeurs ecclésiaux qui pourraient être inclus dans un échange fructueux de dons entre nos deux communions. En nous appuyant sur les bases établies dans les Chapitres II et III, il nous est maintenant possible d’émettre un certain nombre de recommandations spécifiques pour nous aider à parvenir à l’étape suivante sur le chemin de la pleine unité visible de l’Eglise.

142. Les recommandations contenues dans les prochains paragraphes de ce chapitre intéressent catholiques et méthodistes à tous les niveaux de la vie ecclésiale, mais elles s’adressent spécialement aux groupes suivants:

(1) conférences épiscopales régionales et nationales, et chaque Eglise méthodiste autonome;
(2) évêques catholiques et méthodistes et leurs équivalents;
(3) théologiens de nos deux communions;
(4) personnes qui dans nos deux communions sont directement responsables de la formation des ministres;
(5) commissions nationales de dialogue catholique-méthodiste en Grande Bretagne, Nouvelle Zélande, aux États-Unis d’Amérique et autres commissions de dialogue.

Ces recommandations ne s’adressent pas expressément aux paroisses catholiques et aux Eglises méthodistes locales. Un rapport international ne peut prendre en compte l’immense variété des circonstances locales affectant les relations entre catholiques et méthodistes dans les différentes parties du monde. Les recommandations qui conviennent à une situation peuvent être impraticables dans une autre. Selon le principe de subsidiarité, les groupes à qui s’adresse directement ce rapport sont mieux placés pour traduire ses recommandations générales en dispositifs concrets propres à leur situation. Ainsi, les gestes concrets auxquels nous sommes invités au début de ce chapitre seront accomplis plus efficacement à travers nos deux communions.

 

Principes généraux

143. Avant de nous arrêter sur les recommandations spécifiques, il est possible de formuler un certain nombre de principes généraux qui pourront nous servir de guide dans les relations catholiques-méthodistes à venir et dans notre effort de passer d’une étape à une autre sur le chemin de la pleine unité visible. Certains de ces principes pourront paraître évidents; néanmoins il est nécessaire de les mentionner car, dans certaines parties du monde, les relations entre catholiques et méthodistes sont encore considérées avec le soupçon et l’incompréhension que nous citons au Chapitre I du présent rapport, attitude que notre dialogue a dénoncée comme n’étant plus justifiée.

144. Les principes généraux qui suivent se basent sur l’accord déjà existant entre catholiques et méthodistes sur la nature et la mission de l’Eglise, et sur ce que nous reconnaissons les uns chez les autres comme étant de nature vraiment ecclésiale:

(1) Le dialogue entre catholiques et méthodistes repose sur le fondement de notre commun baptême dans le corps du Christ, que nous sommes appelés à rendre visible dans notre vie ecclésiale.
(2) Catholiques et méthodistes se sont engagés à chercher de parvenir à « la pleine communion dans la foi, la mission et la vie sacramentelle ».[116]
(3) Les catholiques reconnaissent les méthodistes comme leurs frères dans le Christ, et les Eglises méthodistes comme des communautés ecclésiales où la grâce du salut est présente et opère.
(4) Les méthodistes reconnaissent les catholiques comme leurs frères dans le Christ, et les églises catholiques comme des communautés ecclésiales où la grâce du salut est présente et opère.
(5) Catholiques et méthodistes respectent la vie ecclésiale et la discipline les uns des autres, les instruments à travers lesquels s’exercent l’autorité et leurs ministères ordonnés ; ils manifestent, par conséquent, la courtoisie qui est due à tous les niveaux de leurs relations.
(6) Catholiques et méthodistes s’engagent à trouver les moyens de rendre plus visible leur communion réelle, quoique imparfaite, dans le corps du Christ.
(7) Afin que l’Eglise puisse accomplir sa mission dans le monde, catholiques et méthodistes reconnaissent leur devoir de partager leurs ressources là où cela est possible.
(8) L’effort d’établir des relations plus étroites entre catholiques et méthodistes est compatible avec d’autres possibilités œcuméniques pour les deux partenaires, en fonction des circonstances et des défis rencontrés selon le lieu.
(9) Dans leurs relations avec les méthodistes, les catholiques doivent faire usage le plus largement possible des instructions données dans le Directoire œcuménique, mais cela ne doit pas être au détriment des principes de la discipline méthodiste.
(10) Dans leurs relations avec les catholiques, les méthodistes doivent faire usage le plus largement possible des instructions données dans leur législation œcuménique, mais cela ne doit pas être au détriment des principes de la discipline catholique.
(11) Les catholiques et les méthodistes ont les uns comme les autres des dons à partager. Ces dons ne sont la propriété de personne, mais ils sont conservés pour le bien de l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique, et pour sa mission dans le monde. En échangeant leurs dons les uns avec les autres, catholiques et méthodistes les recevront comme venant du Saint-Esprit.
(12) La pleine communion entre catholiques et méthodistes « dépendra aussi d’un nouvel acte créatif de réconciliation, révélateur de l’activité à la fois multiple et unitaire du Saint-Esprit à travers les siècles. Un acte commun de soumission à la souveraine Parole de Dieu sera nécessaire».[117]

145. En certains endroits, ces principes pourront paraître excessivement restrictifs; ailleurs, il pourra sembler qu’ils permettent plus que ce qui jusqu’à présent était considéré du domaine du possible. Ils reflètent toutefois le niveau actuel d’accord et de reconnaissance mutuelle entre nos deux communions. Comme tels, ils constituent un cadre sûr dans lequel engager des actions pratiques aujourd’hui et demain des conversations, officielles ou non, entre catholiques et méthodistes, à tous les niveaux et dans toutes les situations. Les groupes auxquels le présent rapport s’adresse expressément sont donc invités à appliquer ces principes généraux dans la mise en pratique de ces recommandations.

 

Propositions pratiques

146. Sur la base des chapitres précédents du présent rapport et dans le cadre des principes généraux cités ci-dessus, il est maintenant possible d’émettre un certain nombre de recommandations spécifiques, qui consentiront d’approfondir les relations entre catholiques et méthodistes et nous permettront de passer à l’étape suivante sur le chemin de la pleine unité visible. Ces recommandations sont fondamentalement de trois sortes :

a) propositions pour rendre plus évident dans la pratique le degré actuel de foi commun entre catholiques et méthodistes sur la nature et la mission de l’Eglise, comme indiqué au Chapitre II ;
b) propositions se fondant sur ce que les catholiques et les méthodistes reconnaissent les uns chez les autres comme étant vraiment à caractère ecclésial, comme affirmé au Chapitre II ;
c) propositions en vue de l’échange mutuel de dons et valeurs ecclésiaux entre catholiques et méthodistes, tel que cela est souhaité au Chapitre III.

147. Par souci de commodité, nous avons classé ces propositions en trois groupes correspondant au triple but du dialogue entre catholiques et méthodistes : Vers la pleine communion dans la foi, dans la vie sacramentelle et dans la mission. Il est cependant inévitable qu’en certains points ces sous-groupes empiètent légèrement les uns sur les autres, les divers aspects de l’Eglise ne pouvant être isolés en compartiments étanches. Mais, quel que soit le résultat de cette classification, les propositions contenues dans ces trois sous-groupes sont concrètes et utiles. Catholiques et méthodistes, et plus spécialement les groupes particuliers auxquels s’adresse ce rapport, sont invités à se demander si et comment elles peuvent être appliquées dans la situation qui leur est propre.

 

Vers la pleine communion dans la foi

148. Des progrès substantiels ont été faits au cours de notre dialogue durant les quarante dernières années; mais il reste toutefois quelques aspects-clés de la doctrine chrétienne sur lesquels catholiques et méthodistes ne s’accordent pas encore totalement. Il est nécessaire que le dialogue théologique se poursuive pour que ces différences doctrinales soient résolues. Néanmoins, les propositions présentées dans cette section ont pour objectif de parvenir à des actions spécifiques, se basant sur ce que nous pouvons déjà affirmer ensemble. De telles actions permettront aux catholiques et aux méthodistes de progresser vers l’étape suivante de leur recherche de la pleine communion dans la foi, tout en les aidant à identifier et à franchir les obstacles qui demeurent.

A. Propositions fondées sur le degré actuel de foi commune

149. Dans la pratique, catholiques et méthodistes pourraient de bien des manières faire ressortir plus clairement le haut degré d’accord caractérisant leur foi commune sur la nature et la mission de l’Eglise. A cette fin, catholiques et méthodistes sont invités à étudier plus en détail les implications pratiques de ce qui suit :

(1) reconnaissance de ce que l’Eglise est à la fois une communauté visible et une fraternité invisible (§48) ;
(2) description de l’Eglise comme peuple en pèlerinage qui vit de la foi, et considération les uns des autres comme des compagnons de pèlerinage (§49) ;
(3) affirmation que Dieu demeure fidèlement présent dans l’Eglise à travers toutes les générations (§50);
(4) conviction exprimée que ce qui nous unit est plus grand que ce qui nous divise (§63) ;
(5) description de l’Eglise comme ‘sacrement’ ou moyen de grâce (§77) ;
(8) respect mutuel en tant que partenaires de structures œcuméniques régionales et de commissions de dialogue (§91).

B. Propositions fondées sur le degré actuel de reconnaissance mutuelle

150. Sur la base de ce que nous avons pu reconnaître et apprécier les uns chez les autres comme étant de nature véritablement ecclésiale, catholiques et méthodistes sont invités à continuer leur débat sur la voie providentielle que Dieu a réservée à l’Eglise, en se concentrant sur les points suivants:

1) le processus selon lequel le canon de l’écriture a été établi dans l’Eglise, les symboles historiques formulés et les structures ecclésiales développées au cours des premiers siècles chrétiens (§107) ;
(2) les quinze siècles d’histoire commune avant la Réforme et l’œuvre de Dieu dans l’Eglise durant cette période (§112) ;
(3) le ministère du peuple de Dieu pris dans son ensemble, laïcs et ministres ordonnés (§116) ;
(4) le sacerdoce du ministère ordonné en relation avec le sacerdoce royal de l’Eglise (§132) ;
(5) l’épiscopat comme forme de gouvernement dans l’Eglise et signe de la succession dans la foi et la vie apostoliques (§108) ;
(6) la nature et l’exercice du ministère diaconal dans l’Eglise (§108).

C. Propositions pour un échange mutuel de dons

151. En vue d’un échange mutuel de dons et valeurs ecclésiaux, les catholiques sont invités à concentrer leur attention sur :

(1) leur identité ecclésiale, afin de distinguer entre ce qui est essentiel et ce qui peut être modifié ou abandonné pour mieux servir l’unité chrétienne (§119) ;
(2) le rôle des laïcs dans la direction au sein de l’Eglise et leur participation à l’exercice de l’autorité en vertu de leur baptême (§115) ;
(3) la ‘conférence chrétienne’ comme instrument d’autorité et de réception dans l’Eglise (§115) ;
(4) la contribution des femmes au ministère de l’Eglise (§116) ;
(5) les formes personnelles et collectives ‘d’assurance’ et l’infaillibilité du Pape dans le contexte de l’assurance collective de l’Eglise (§§134-135).

152. En vue d’un échange mutuel de dons et de valeurs ecclésiaux, les méthodistes sont invités à concentrer leur attention sur :

(1) leur identité ecclésiale, afin de distinguer entre ce qui est essentiel et ce qui peut être modifié ou abandonné pour mieux servir l’unité chrétienne (§119) ;
(2) la succession épiscopale au cours des siècles et l’exercice personnel de l’episcopè au sein d’un ministère collégial de supervision (§112) ;
(3) l’exercice de la primauté universelle au service de l’unité et comme expression de l’universalité de l’Eglise (§§113, 129);
(4) le ministère pétrinien de l’Évêque de Rome comme l’autorité ayant pouvoir de décision finale dans l’Eglise (§113);
(5) les formes personnelles et collectives ‘d’assurance’ et l’infaillibilité du Pape dans le contexte de l’assurance collective de l’Eglise (§§134-135).

 

Vers une pleine communion dans la vie sacramentelle

153. Catholiques et méthodistes sont d’accord que l’Eglise elle-même est un moyen de grâce et est de nature sacramentelle (§76-77). La vie sacramentelle de l’Eglise englobe toute la vie liturgique et spirituelle du peuple de Dieu. Alors que la pleine communion dans la foi est une condition essentielle de la pleine communion dans la vie sacramentelle, il existe des stades intermédiaires sur le chemin qui mène à ce but. Catholiques et méthodistes jouissent déjà d’une communion réelle, quoique imparfaite, fondée sur leur baptême commun dans le corps du Christ. Les propositions présentées dans cette section ont pour but d’approfondir cette communion.

A. Propositions fondées sur le degré actuel de foi commune

154. Catholiques et méthodistes disposent de diverses possibilités pour mettre davantage en évidence dans la pratique leur degré actuel de foi commune en ce concerne la vie sacramentelle de l’Eglise. Par exemple :

(1) souligner l’importance de notre baptême commun constituerait une expression plus tangible de notre conviction commune que l’Eglise est une koinonia dans la Sainte Trinité (§§ 51,53);
(2) rechercher plus souvent l’occasion de prier ensemble et de participer à des retraites spirituelles témoignerait de notre commune conviction que l’appel à la sainteté est intrinsèque à l’appel à être l’Eglise (§56);
(3) un sérieux examen de conscience donnerait un fondement plus solide à notre perception commune qu’une réforme permanente, la purification et le renouvellement appartiennent à la nature même de l’Eglise (§50);
(4) la nature ‘connective’ de l’Eglise devrait être mise davantage en évidence dans nos structures ecclésiales respectives (§60);
(5) manifester plus de respect envers la vie ecclésiale de l’autre, envers les instruments d’exercice de l’autorité et les structures dont il dispose comme moyens de grâce pour le salut (§91).

B. Propositions fondées sur le degré actuel de reconnaissance mutuelle

155. Sur la base des éléments que nous avons pu reconnaître et apprécier les uns chez les autres comme étant vraiment de nature ecclésiale, catholiques et méthodistes sont invités à considérer ce qui suit :

(1) Le baptême commun, par l’eau et au nom de la Trinité, que partagent catholiques et méthodistes, a pour notre vie ecclésiale des implications significatives qui méritent d’être explorées de manière plus approfondie.[118]
(2) Puisque catholiques et méthodistes reconnaissent chacun la validité du baptême de l’autre, il suffit que les personnes présentent leur certificat de baptême quand elles demandent à être accueillies dans l’autre communion.
(3) Lorsque la célébration d’un baptême, d’un mariage, d’obsèques ou de quelque autre fonction dans une église méthodiste entraîne la participation de fidèles catholiques, par exemple lorsqu’il s’agit d’une famille mixte, il convient qu’un prêtre catholique soit invité à prendre une part appropriée à la cérémonie et à sa préparation, dans le respect de la pratique constitutionnelle et de la discipline de la Conférence méthodiste intéressée, et des normes du Directoire œcuménique catholique, interprétées par la Conférence épiscopale du pays.
(4) Lorsque la célébration d’un baptême, d’un mariage, d’obsèques ou de quelque autre fonction dans une église catholique entraîne la participation de fidèles méthodistes, par exemple lorsqu’il s’agit d’une famille mixte, il convient qu’un ministre méthodiste soit invité à prendre une part appropriée à la cérémonie et à sa préparation, dans le respect des normes du Directoire œcuménique catholique, interprétées par la Conférence épiscopale locale, et de la pratique constitutionnelle et la discipline de la Conférence méthodiste intéressée.
(5) Lorsque des catholiques et des méthodistes assistent à la célébration de l’eucharistie les uns dans les églises des autres, ils peuvent s’approcher pour recevoir une bénédiction, afin de participer à la grâce qui est présente et est à l’œuvre dans l’eucharistie.
(6) Un débat fécond pourrait être engagé sur la nature des sacrements en général et du sacrement de l’ordre en particulier (§§ 103, 132).
(7) S’inspirant des traditions wesleyennes et catholiques, les méthodistes pourraient formuler utilement une théologie plus riche de l’eucharistie en faisant spécialement référence à sa nature sacrificielle, au ‘mémorial’ sacramentel de la mort et de la résurrection salvifiques du Christ, à la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, au ministère de ceux qui y président et aux liens qui existent entre la communion eucharistique et la communion ecclésiale (§§ 109, 131-32 ; cf. §93).
(8) Il pourrait être utile que les catholiques examinent de manière plus approfondie les conditions citées par le Directoire œcuménique, en accord avec lesquelles des méthodistes qui le demandent individuellement pourraient être autorisés, de manière exceptionnelle, à recevoir l’eucharistie dans l’Eglise catholique en des occasions particulières.
(9) Les catholiques pourraient aussi réfléchir sur la manière d’appliquer en faveur des méthodistes, sur tous les territoires et aussi largement que possible, les dispositions œcuméniques présentées dans le Directoire œcuménique, tout en respectant les restrictions générales du Directoire et de l’enseignement catholique officiel.
(10) Il pourrait être utile que catholiques et méthodistes participent à une étude commune du Rapport de Lima du Conseil œcuménique des Eglises, Baptême, Eucharistie, Ministère, en particulier pour ce qui a trait à ces questions.

C. Propositions pour un échange mutuel de dons

156. En vue d’un échange mutuel de dons et valeurs ecclésiaux, les catholiques sont encouragés à :

(1) inviter les méthodistes à faire l‘expérience de diverses formes de culte et de dévotion spirituelle dans l’Eglise catholique (§111) ;
(2) explorer les limites du pluralisme ecclésial autorisé dans l’Eglise (§117);
(3) apprécier la contribution apportée à la vie de l’Eglise par de petits groupes qui se réunissent pour fraterniser, prier et s’entraider pastoralement les uns les autres (§120) ;
(4) concevoir des moyens plus efficaces favorisant l’étude de la bible de la part des laïcs et une lecture personnelle des Ecritures (§126);
(5) promouvoir la prédication évangélique et le chant collectif d’hymnes dans le culte chrétien (§120) ;
(6) réfléchir à l’exemple et au témoignage de John et Charles Wesley et s’en inspirer (§127).

157. En vue d’un échange mutuel de dons et valeurs ecclésiaux, les méthodistes sont encouragés à:

(1) inviter les catholiques à faire l’expérience des différentes formes de culte et de dévotion spirituelle du méthodisme (§120);
(2) explorer les limites du pluralisme ecclésial autorisé dans l’Eglise (§111) ;
(3) promouvoir le ministère sacramental de l’Eglise auprès des malades et des mourants, et l’usage sacramentel d’objets matériels (§111) ;
(4) envisager la possibilité de célébrer l’eucharistie chaque semaine durant le culte du dimanche;
(5) étudier sous tous leurs aspects les formes catholiques de dévotion, telles que le Chemin de croix et la vénération de la Vierge Marie (§111);
(6) réfléchir à l’exemple et au témoignage des saints à travers les siècles et s’en inspirer (cf. §127).

 

Vers une pleine communion dans la mission

158. A certains égards, la mission de l’Eglise est le domaine qui pose le moins de problèmes dans la recherche d’un rapprochement entre catholiques et méthodistes, car la pleine communion dans la foi n’est pas nécessaire à la mission commune. Le niveau actuel d’accord entre nos deux communions permet déjà aux catholiques et aux méthodistes de travailler ensemble de manières nombreuses et variées comme partenaires dans la mission, bien que ceci ne soit pas toujours pleinement compris ou apprécié en certains lieux. Même dans les parties du monde où catholiques et méthodistes entretiennent des relations cordiales, la collaboration dans la mission de l’Eglise n’a pas encore fait recours à toutes ces potentialités. Cette dernière partie contient des suggestions visant à élargir le champ d’action commun des catholiques et des méthodistes dans la mission de l’Eglise.

A. Propositions se basant sur le degré actuel de foi commune

159. (1) Reconnaître que les ministères et les structures ecclésiales des uns et des autres participent déjà à la mission de l’Eglise (§75) ;
(2) collaborer à des projets locaux d’évangélisation, soit de façon bilatérale, soit avec d’autres partenaires œcuméniques (§80) ;
(3) développer le partenariat sur un vaste éventail de projets dans le service en faveur des plus démunis de la société, et en particulier pour des projets exigeant une action sociale dans le domaine de la justice et de la paix (§69) ;
(4) trouver des moyens pour permettre à tout le peuple de Dieu, laïcs et ordonnés confondus, de participer activement à la mission de l’Eglise dans le monde (§80) ;
(5) s’engager dans la mission commune en la considérant comme un ministère de diakonia dans le monde (§69).

B. Propositions se basant sur le degré actuel de reconnaissance mutuelle

160. Sur la base de ce que nous pouvons reconnaître et apprécier les uns chez les autres comme étant de nature véritablement ecclésiale, catholiques et méthodistes sont invités à envisager ce qui suit :

(1) Il existe déjà des cas où des paroisses catholiques et des Églises méthodistes locales utilisent les mêmes structures pour le culte et les autres activités ecclésiales. Dans certaines parties du monde, cette pratique pourrait être davantage envisagée.
(2) Là où catholiques et méthodistes ont déjà investi dans des écoles, collèges, hôpitaux et autres institutions, un échange au niveau des expériences et des compétences pourrait se révéler bénéfique pour tous.
(3) En tains endroits, grâce à leur engagement dans les activités d’organismes de formation œcuménique et autres programmes similaires, catholiques et méthodistes sont déjà partenaires dans la préparation au ministère. Il serait utile que les responsables de la formation œcuménique de nos deux communions fassent en sorte qu’un plus grand nombre de personnes se préparant au ministère puissent accéder à ces programmes de formation.
(4) Les conférences épiscopales régionales et nationales et les Conférences méthodistes autonomes pourraient également prendre en considération la possibilité de présenter des déclarations communes sur des sujets d’intérêt commun, si possible conjointement avec d’autres partenaires œcuméniques, en particulier là où un témoignage commun de l’Evangile aurait un impact plus grand que des déclarations faites isolément par des responsables d’Eglises.

C. Propositions pour un échange mutuel de dons

161. En vue d’un échange mutuel de dons et de valeurs ecclésiaux, les catholiques sont appelés à:

(1) donner la possibilité aux laïcs de prendre une part pleine et active à la mission de l’Eglise (§ 115);
(2) encourager les fidèles à contribuer à la mission de l’Eglise en étant eux-mêmes porteurs de l’Evangile (§ 117);
(3) étudier la diversité des structures ecclésiales établies par Dieu pour faire progresser la mission de l’Eglise (§ 117).

162. En vue d’un échange mutuel de dons et de valeurs ecclésiaux, les méthodistes sont appelés à :

(1) prendre plus profondément conscience du témoignage de l’Evangile que nous ont laissé les saints de tous les temps et de tous les lieux (§111);
(2) considérer les évêques comme des nœuds essentiels de la trame de la communion en vue de la mission dans le monde et dans le temps (§128);
(3) reconnaître que les diverses formes de spiritualité et de vie ecclésiale présentes dans l’Eglise catholique ont pour but de faire progresser les hommes et les femmes vers la sainteté (§111).

 
CONCLUSION

163. Les propositions concrètes contenues dans ce chapitre ne couvrent pas toutes les potentialités d’une plus intense collaboration entre catholiques et méthodistes dans la recherche de la « pleine communion de foi, de mission et de vie sacramentelle». De même, elles n’intéresseront pas toujours au même degré les différents groupes auxquels s’adresse ce rapport. Toutefois, ces propositions constituent un ensemble cohérent de ‘gestes concrets‘ qui aideront nos deux communions à parvenir à l’étape suivante de leur pèlerinage vers l’unité pleine et visible. C’est à chacun des intéressés qu’il revient de juger comment appliquer au mieux ces propositions dans le contexte qui est le leur.

164. Si ce rapport est le fruit d’un dialogue théologique entre le Conseil méthodiste mondial et l’Eglise catholique, son contenu peut néanmoins intéresser un auditoire plus vaste. Les catholiques et les méthodistes espèrent que leur effort commun, dont le présent document est le fruit, sera utile à tout le mouvement œcuménique. Puisse-t-il contribuer, avec l’aide de l’Esprit-Saint, à la réconciliation de toutes les communautés chrétiennes dans l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique.

 

ENVOI

2 Corinthiens, 5,17-6,1

« Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature. Le monde ancien est passé, voici qu’une réalité nouvelle est là. Tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par le Christ et nous a confié le ministère de la réconciliation. Car de toutes façons, c’était Dieu qui en Christ réconciliait le monde avec lui-même, ne mettant pas leurs fautes au compte des hommes, et mettant en nous la parole de réconciliation. C’est au nom du Christ que nous sommes en ambassade, et par nous, c’est Dieu lui-même qui, en fait, vous adresse un appel. Au nom du Christ nous vous en supplions, laissez-vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n’avait pas connu le péché, il l’a, pour nous, identifié au péché, afin que, par lui, nous devenions justice de Dieu.
Puisque nous sommes à l’œuvre avec lui, nous vous exhortons à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de Dieu».

165. La chrétienté naquit au milieu de tensions politiques et sociales. La chrétienté primitive chercha à transcender cet environnement violent, et à créer une nouvelle identité fondée sur le Christ. Saint Paul parle de la nouvelle création par Dieu et de l’acte divin de réconciliation. Ses paroles nous ont parlé avec puissance en cette huitième phase de notre dialogue. Dans le Chapitre I, nous avons abordé avec franchise la question des incompréhensions et des rejets réciproques qui ont marqué notre histoire; nous les avons reconnus et avons été menés à tenter de les transcender.

166. Dans le contexte culturel de l’Eglise primitive, où les rôles sociaux justifiaient souvent la violence, Paul appelait les chrétiens à en revêtir de nouveaux qui se fondaient sur la réconciliation et une identité nouvelle. Il appelait à une transformation de leur identité commune. Ne se fondant plus sur la parenté ou l’appartenance ethnique, l’identité chrétienne devait cependant posséder la même cohésion que les groupes précédents. Les membres des communautés fondées par Paul étaient unis les uns aux autres en une communauté réconciliée, établie sur leur nouvelle création en Christ. Dans notre dialogue, cette espérance de réconciliation et la création d’une nouvelle identité entre nous ont été au centre de notre travail, comme cela est dit au Chapitre II.

167. De même que Paul œuvrait de toutes ses forces pour la naissance d’une nouvelle identité en Christ, nous avons été appelés dans notre pèlerinage œcuménique à redécouvrir la relation réconciliée en Christ qui nous unit. Nous cherchons à dépasser les formes actuelles de nos identités ecclésiales individuelles pour évoluer vers une communion réconciliée et transformée. Une telle communauté s’accomplit à travers notre estime réciproque. Elle répond au même appel du Christ et elle est pourvue des mêmes dons de l’Esprit. Ainsi, grâce à notre dialogue, nous avons entendu l’appel à nous engager dans un échange de dons, comme cela est expliqué au Chapitre III.

168. La réconciliation avec Dieu dans le Christ nous oriente vers le sens eschatologique de la réconciliation de nos deux Eglises. La mort et la résurrection de Jésus sont, selon Paul, des événements eschatologiques; par eux le temps à venir pénètre notre espace temporel humain. Ceux qui maintenant sont du Christ ont accédé, par sa mort et sa résurrection, à une vie nouvelle en Dieu. Nos Eglises sont appelées à réaliser la nature eschatologique de leur relation. Tout comme nous sommes réconciliés en Christ, nous allons aussi vers les Temps futurs qui ont été créés pour nous. De même Dieu nous appelle-t-il en Christ à accomplir pleinement cette nouvelle création.

169. Comme Paul l’indique, dans la réconciliation il y a une nouvelle création. Il y a continuité et discontinuité avec le passé. Lorsque Jésus ressuscite, il est bien celui qui était auparavant et cependant, il a pris une forme nouvelle. L’humanité dans le Christ est toujours l’humanité et cependant, une nouvelle création s’est vérifiée en chaque croyant et dans la communauté nouvelle réconciliée. En tant qu’Eglises, nous avons entendu cet appel à devenir une communauté nouvelle. Dieu nous a réconciliés avec lui en Christ. Par la réconciliation, une relation basée sur l’hostilité et la haine cède la place à une relation de paix.

170. Par le Christ, Dieu a réconcilié le monde avec lui-même et il nous a confié le ministère de réconciliation. Les chrétiens sont appelés à suivre Paul en proclamant et en vivant le miracle de la réconciliation de Dieu avec l’humanité. Les chrétiens sont appelés à une vie de louange qui embrasse toute notre vie dans ses aspects pratiques, éthiques, religieux, politiques et intellectuels. Nous en avons fait l’expérience durant notre dialogue.

171. Nous sommes des ambassadeurs du Christ. L’engagement missionnaire de nos Eglises nous exhorte à aller de l’avant. L’apôtre n’a pas de message propre, il agit au nom du Christ. Il est son esclave et vit aussi pour ceux à qui s’adresse son ministère. En outre, le Christ prononce dans et à travers Paul la parole véritable de réconciliation. C’est pour l’humanité, nous y compris, que le Christ se met à la place de ceux qui sont éloignés de Dieu. Par la grâce qui nous est donnée en Christ, nous sommes liés à Dieu par une relation qui est dite ‘juste’. C’est le message que désirent proclamer nos Eglises par leur réconciliation. Elle est le témoignage que nous offrons au monde. En cela, nous sommes des ambassadeurs.

 

 

 

[1] Cf. Catéchisme de l’Eglise Catholique, 946.

[2] Constitution de l’Eglise méthodiste unie, article V, Book of Discipline of the United Methodist Church [BD], 2004, p. 23.

[3] Unitatis redintegratio [UR], 19, 1.

[4] Vers une déclaration sur l’Eglise, Rapport de la Commission mixte internationale entre l’Église catholique romaine et le Conseil méthodiste mondial, Nairobi, 1986, dans Service d’information 62 (1986/IV), 20.

[5] ROWAN WILLIAMS, Adresse à l’occasion de la signature d’une alliance entre anglicans et méthodistes, Abbaye de Westminster, Londres, 1er novembre 2003.

[6] Cf. Ut unum sint [UUS], 1995, 28.

[7] JEAN PAUL II, Entrez dans l’espérance, 2003.

[8] Rapport de Denver, Rapport du dialogue international méthodiste-catholique, 1971, 6.

[9] A Caveat against the Methodists, showing how unsafe it is for any Christian to join himself to their society, or to adhere to their teachers, 1760.

[10] Works of John Wesley, Edition du bicentenaire, 21:304f (c’est le texte original qui souligne).

[11] « Of the Church », 19, Works of John Wesley, Bicentennial (éd.), 3:52.

[12] Essai sur les variations des Eglises protestantes (1692).

[13] DENZINGER-SCHÖNMETZER [DS], Enchiridion Symbolorum, 1533, 1562-1566.

[14] RENÉ ROHRBACHER, Histoire universelle de l’Eglise Catholique, 1849.

[15] Certain Difficulties felt by Anglicans in Catholic Teaching, vol. 1, pp. 88-91.

[16] J. A. MÖHLER, Symbolism, New York, Crossroad Publishing Company (éd.), 1997, p. 436.

[17] « Catholic Spirit» (1750), §III.4-5, Works of John Wesley, Bicentennial (éd.), 2:94-95.

[18] EGLISE MÉTHODISTE DE GRANDE BRETAGNE, Deed of Union, 1932, « Doctrine ».

[19] La Nature de l’Eglise chrétienne selon l’enseignement des méthodistes, 1937, III.3.

[20] Les textes du concile sont abrégés comme suit : LG (Lumen gentium), UR (Unitatis Redintegratio), AG (Ad Gentes), DV (Dei Verbum), SC (Sacrosanctum concilium), GS (Gaudium et spes).

[21] UUS, 20.

[22] CARDINAL WALTER KASPER, Homélie à l’Eglise méthodiste de Rome, 22 juin 2003 (célébration du tricentenaire de la naissance de John Wesley).

[23] CONFÉRENCE MÉTHODISTE BRITANNIQUE, Called to Love and Praise : The Nature of the Christian Church in Methodist Experience and Practice [CLP], 1999, 3.1.10.

[24] Discours d’ouverture, deuxième session du Concile Vatican II, 29 septembre 1963.

[25] Vers une déclaration sur l’Eglise, loc. cit., 1.

[26] La Parole de Vie, Rapport de la Commission mixte internationale de dialogue entre l’Église catholique romaine et le Conseil méthodiste mondial, Rio de Janeiro, 1996, dans Service d’information 92 (1996/III), 4.

[27] Vers une déclaration sur l’Eglise, loc. cit., 3.

[28] Ibid., 4; cf. La Tradition apostolique, Rapport de la Commission mixte internationale de dialogue entre l’Église catholique romaine et le Conseil méthodiste mondial, Singapour, 1991, dans Service d’information 78 (1991/III-IV), 51.

[29] La Parole de vie, loc. cit., 109.

[30] Symbole de Nicée-Constantinople.

[31] La Tradition apostolique, loc. cit., 15.

[32] Vers une déclaration sur l’Eglise, loc. cit., 2.

[33] CHARLES WESLEY, hymne See where our great High Priest (Hymns & Psalms, n. 622).

[34] CHARLES WESLEY, hymne O Thou who this mysterious bread (Hymns & Psalms, n.621).

[35] Symbole de Nicée-Constantinople.

[36] La Tradition apostolique, loc. cit. 32.

[37] Ibid., 52.

[38] La Parole de vie, loc. cit., 113.

[39] Vers une déclaration sur l’Eglise, loc. cit., 23.

[40] Ibid., 20.

[41] CHARLES WESLEY, hymne Jesus, united by thy grace (Hymns & Psalms, n. 773).

[42] Cité par Jean Paul II, UUS, 20.

[43] Dire la vérité dans l’amour, Rapport de la Commission mixte internationale de dialogue entre l’Église catholique romaine et le Conseil méthodiste mondial, Brighton, 2001, dans Service d’information 107 (2001/II-III), 48.

[44] CHARLES WESLEY, hymne All ye that seek the Lord who died (Hymns & Psalms, n. 188).

[45] JOHN PAUL II, Homélie pour une cérémonie de confirmation, Coventry (Angleterre), 1982.

[46] Dire la vérité dans l’amour, loc. cit., 48.

[47] La Parole de vie, loc. cit., 9.

[48] Ibid., 123.

[49] Voir La Parole de vie, loc. cit., 73; La Tradition apostolique, loc. cit., 7.

[50] Dire la vérité dans l’amour, loc. cit., 49.

[51] Ibid., 52.

[52] Vers une déclaration sur l’Eglise, loc. cit., 10.

[53] Ibid., 8; cf. LG, 5; CLP, 3.1.10, 3.2.1.

[54] Cf. l’enseignement du Concile Vatican II sur l’Eglise comme « sacrement universel du salut » (LG, 48).

[55] Dire la vérité dans l’amour, loc. cit., 61.

[56] Ibid., 52.

[57] Missel romain. Préface pour les martyrs.

[58] La Parole de vie, loc. cit., 75.

[59] PAUL VI, Encyclique Evangelii Nuntiandi, 1975, 14.

[60] Cf. La Parole de vie, 74.

[61] Ibid., 126; cf. La Tradition apostolique, 18.

[62] CHARLES WESLEY, hymne Come, let us join our friends above (Hymns & Psalms, n. 812).

[63] Cf. Jn 16,13; La Tradition apostolique, 35, 31, 20.

[64] Ibid., 33.

[65] La Parole de vie, loc. cit., 127.

[66] Dire la vérité dans l’amour, loc. cit., 118.

[67] Cf. ibid., 30-45.

[68] Ibid., 39.

[69] Cf. l’hymne de Charles Wesley, Captain of Israel’s host, and Guide (Hymns and Psalms, n. 62). où l’Eglise est dite « conduite par ton infaillible Esprit ».

[70] La Parole de vie, loc. cit., 61.

[71] Vers une Déclaration sur l’Eglise, loc. cit., 22.

[72] Ibid., 23.

[73] Cf. Dire la vérité dans l’amour, loc. cit., 60.

[74] La Tradition apostolique, loc. cit., 62.

[75] La Parole de vie, loc. cit., 84.

[76] Ibid., 86.

[77] Ibid., 120.

[78] La Tradition apostolique, loc. cit., 73.

[79] Cf. Dire la vérité dans l’amour, loc. cit., 63-68. Dans Baptême, Eucharistie, Ministère [BEM], texte de convergence adopté à l’unanimité en 1982 par la commission Foi et Constitution du Conseil œcuménique des Eglises, l’ordination était appelée « signe sacramentel » (‘Ministère’, 41), par lequel « Dieu… entre sacramentellement dans les formes contingentes historiques des relations humaines, et les utilise à ses fins propres » (‘Ministère’, 43).

[80] Dire la vérité dans l’amour, loc. cit., 68.

[81] Ibid., 81.

[82] Ibid., 48; cf. CLP, 2.1.12.

[83] Rapport de Dublin, Rapport de la Commission mixte internationale de dialogue entre l’Église catholique romaine et le Conseil méthodiste mondial, 1976, dans Service d’information 34 (1977/II), 17.

[84] Through Divine Love: The Church in each Place and all Places [Through Divine Love], Dialogue américain entre l’Eglise méthodiste unie et l’Eglise catholique, 2005, 178.

[85] Vers une déclaration sur l’Eglise, loc. cit., 20; cf. La Parole de vie, loc. cit., 4, 111.

[86] Through Divine Love, loc. cit., 157, 158.

[87] Ibid., 146, 178.

[88] A propos de la vraie finalité des structures de l’Eglise, John Wesley demandait: « Quelle est le but de tout ordre ecclésiastique? », et répondait immédiatement à sa question en ces termes : « N’est-ce pas de transférer les âmes du pouvoir de Satan à Dieu, et de les édifier dans sa crainte et son amour? L’ordre a valeur dans la mesure où il répond à ces fins; et s’il n’y répond pas il est sans valeur » (Lettre à John Smith, 25 juin 1746 : Works of John Wesley, 26, 206). Plus récemment, après avoir préconisé le développement dans l’Eglise d’une « spiritualité de communion », le Pape Jean-Paul II déclarait franchement: « Ne nous faisons pas d’illusions : sans ce cheminement spirituel, les moyens extérieurs de la communion serviraient à bien peu de chose. Ils deviendraient des façades sans âme, des masques de la communion plus que ses expressions et ses chemins de croissance» (Novo millennio ineunte, 43).

[89] La Tradition apostolique, loc. cit., 89; La Parole de vie, loc. cit., 94.

[90] La Parole de vie, loc. cit., 96.

[91] Through Divine Love, loc. cit., 109.

[92] Synode extraordinaire pour réfléchir sur l’héritage du Concile, 1985, Rapport final, II D 1.

[93] La Parole de vie, loc. cit., 94-95.

[94] Ibid., 97.

[95] Vers une déclaration sur l’Eglise, loc. cit., 10; cf. ci-dessus, 77.

[96] Through Divine Love, loc. cit., 55.

[97] CLP, 4.7.9; cf. 4.7.11; Through Divine Love, loc. cit., 157-158.

[98] Cf. What Sort of Bishops?, Conférence méthodiste britannique, 2005.

[99] La Tradition apostolique, loc. cit., 100; cf. ci-dessus, 36, 43.

[100] Vers une déclaration sur l’Eglise, loc. cit., 13.

[101] Hymne Love divine, all love excelling (Hymns & Psalms, n° 267).

[102] Cf. His Presence Makes the Feast, Eglise Méthodiste de Grande Bretagne, 2003, n° 11.

[103] Episkopè and Episcopacy, Conférence méthodiste britannique, 2000, 114.

[104] Vers une déclaration sur l’Eglise, loc. cit., 58.

[105] Lettre à James Harvey (cf. Journal de John Wesley, 11 juin 1739).

[106] Vaste monde, ma paroisse, Paris, 1959.

[107] CARDINAL WALTER KASPER, Homélie à l’église méthodiste de Rome, 22 juin 2003.

[108] JEAN PAUL II, Encyclique Ecclesia de Eucharistia, 2003, 11, 12, 15.

[109] Ibid., 3.

[110] BEM, « Eucharistie », 8.

[111] BEM, « Ministère », 11, 17.

[112] Vers une déclaration sur l’Eglise, loc. cit., 75.

[113] Lettre à un catholique romain; cf. La Parole de vie, loc. cit., 36.

[114] Adresse du Pape Benoît XVI en conclusion de sa première concélébration eucharistique avec les membres du Collège des cardinaux, Chapelle Sixtine, 20 avril 2005, 5.

[115] Ibid.

[116] Vers une déclaration sur l’Eglise, loc. cit., 20.

[117] La Tradition apostolique, loc. cit., 94.

[118] Cf. « Implications ecclésiologiques et œcuméniques d’un baptême commun », Document du Groupe mixte de travail entre le Conseil œcuménique des Eglises et l’Eglise catholique, 2005.