APPEL DES ÉVÊQUES DE L'IARCCUM AUX ÉVÊQUES ET AUX FIDÈLES
DES COMMUNAUTÉS ANGLICANE ET CATHOLIQUE

 

Marcher ensemble : service commun au monde et témoignage de l’Évangile

 

En tant que bergers du troupeau du Christ, nous sommes venus de dix-neuf régions du monde pour représenter nos Églises et avancer ensemble, anglicans et catholiques, dans notre pèlerinage vers une vie et une mission communes. Nous nous réjouissons des nombreux fruits qu’a donné jusqu’ici notre pèlerinage œcuménique, en particulier les résultats et la remarquable convergence auxquels a abouti notre dialogue théologique (Commission internationale anglicane-catholique – ARCIC) et qui nous ont fait découvrir la profonde communion que nous partageons dans le Christ Jésus par la puissance de l’Esprit Saint. Nous sommes appelés à exprimer cette communion réelle bien qu’imparfaite à ce stade de notre pèlerinage dans le service commun au monde et le témoignage de l’Évangile.

Anglicans et catholiques marchent ensemble dans la foi, guidés et affermis par notre Seigneur qui nous accompagne sur ce chemin. Durant ces cinquante années de dialogue, nos Églises ont affronté de nombreuses questions, en bâtissant avec espoir sur le solide fondement de notre foi commune en Christ, en sa mort et en sa résurrection, et sur la mission de l’Esprit Saint dans et par l’Église comme les Saintes Écritures et les credo de l’Église universelle l’expriment. Par le baptême dans cette foi, nous nous reconnaissons les uns les autres comme frères et sœurs en Christ. Nous avons trouvé d’importants accords sur la doctrine de l’Eucharistie, le ministère et le salut, avons atteint des accords substantiels sur l’autorité, l’Église en tant que communion, les principes moraux, Marie et les saints, et l’épiscopat (y compris le rôle des évêques comme symboles et promoteurs d’unité). Nous avons en commun des traditions liturgique et spirituelle et des formes de vie consacrée et monastique. Dans la prière et à travers nos études nous est apparue la complémentarité de nos enseignements sociaux et de nos efforts pastoraux pour vivre l’Évangile de miséricorde et d’amour. Nous reconnaissons que les fruits de notre dialogue ont besoin d’être plus largement connus et reçus dans la vie de l’Église. Nous saluons la publication de Looking Towards a Church Fully Reconciled (recueil des travaux de l’ARCIC II), la création du site internet de l’IARCCUM, et les nombreux efforts dans le domaine de la formation œcuménique. Nous nous sommes engagés à rechercher de nouveaux moyens pour que nos accords puissent renouveler notre vie dans l’Église.

Alors que nous étions à Rome, le Pape François et l’Archevêque Welby ont signé une déclaration commune faisant à la fois référence à nos désaccords anciens et récents qui constituent de sérieux obstacles à notre pleine unité, y compris les différends portant sur l’ordination des femmes et sur la sexualité humaine dans certaines provinces anglicanes. Néanmoins, avec le Pape François et l’Archevêque Welby, nous affirmons et soulignons que « les divergences évoquées ne peuvent pas nous empêcher de nous reconnaître réciproquement frères et sœurs en Jésus Christ », ni ne devraient nous mener à une diminution de nos initiatives œcuméniques. Elles nous encouragent à continuer de marcher ensemble comme des évêques accomplissant un pèlerinage.

Nous avons découvert que lorsque le Christ nous rapproche de la pleine unité visible qu’il veut pour nous, nous sommes guidés au pied de la Croix où nous sommes réunis avec Celui qui porte toutes les souffrances de notre humanité brisée. Il s’agit d’une profonde expérience de la communion que certains ont décrite comme une communion dans la pauvreté, la persécution, parfois même le sang. Pendant les journées que nous venons de partager, nous avons échangé des témoignages sur nos deux communautés qui sont confrontées dans certaines régions à des situations dramatiques, comme par exemple : la dégradation de l’environnement, les migrations massives, la guerre et les persécutions, la crise des réfugiés qui en découle, le déplacement des personnes et les traumatismes post-conflit ; les décisions à caractère social affaiblissant la dignité de la vie humaine de son début jusqu’à son terme naturel ; le trafic d’êtres humains et l’esclavage moderne. Cet « œcuménisme de la Croix » nous unit dans notre volonté de répondre à la détresse de nos fidèles qui se trouvent confrontés aux défis de notre monde en déroute.

Une des dimensions essentielles de notre « communion de la Croix » est d’être du côté des pauvres et d’aller ensemble au devant de ceux qui vivent aux marges de la société pour révéler la présence du Christ parmi eux. Nous prions en particulier pour le Soudan du Sud, le Pakistan et d’autres lieux de conflit. Au Moyen Orient – là où la Parole s’est faite chair – c’est jusqu’à la vie et au témoignage des communautés chrétiennes qui sont menacés. Les bouleversements qui ont eu lieu dans le monde depuis l’inauguration de l’IARCCUM en 2001 exigent de nous un plus profond engagement à travailler pour une paix juste et durable au Moyen Orient où la signification de la Croix est une réalité concrète pour des millions de personnes dans ce qui est maintenant devenu un temps de terreur et de destruction.

Au pied de la Croix, en tant qu’évêques nous avons réfléchi sur un « œcuménisme de l’humiliation ». Nous déplorons nos échecs et sommes conscients de la faiblesse de nos communautés. Nous n’avons pas su protéger les personnes les plus vulnérables : les enfants des abus sexuels, les femmes de la violence et les populations indigènes de l’exploitation. Dans cette honte commune, nous confessons avoir témoigné trop faiblement de l’appel de Dieu à vivre dans l’unité et que ceci a contribué à l’isolement des personnes et des familles, voire à la sécularisation qui tend à faire disparaître le divin de l’espace public. Nous, évêques, devons inciter l’Église à faire pénitence et chercher que justice soit faite en faveur des victimes d’abus.

En plaçant l’infinie miséricorde divine en Christ au centre de notre proclamation et de notre mission communes, nous avons pour devoir non seulement de porter les blessures des autres mais aussi de reconnaître les blessures que nous nous sommes réciproquement infligées en tant qu’Églises au cours des siècles. Comme l’a rappelé l’Archevêque de Canterbury, par l’action de l’Esprit Saint, « nous nous guérissons les uns les autres en marchant les uns au côté des autres pour soigner les souffrances du monde ». Un de nos frères nous a également rappelé le coût élevé de notre mission comme disciples du Seigneur crucifié : « Nous sommes appelés à mourir ensemble pour ressusciter ensemble ».

Le Pape François, quant à lui, nous rappelle que « notre ministère consiste à illuminer les ténèbres par cette douce lumière, avec la force désarmée de l’amour qui vainc le péché et dépasse la mort » (5 octobre 2016). Ensemble, ce ministère nous le faisons nôtre dans la joie. Il est le cœur de la mission universelle de la sainte Église catholique du Christ.

À travers ce pèlerinage, l’expérience du mystère pascal devient réelle. Nous vivons dans l’ombre de la Croix. Nous ressentons le silence du Samedi saint et célébrons la joie de la résurrection. Comme le font déjà anglicans et catholiques dans leurs contextes locaux à travers le monde, dans l’échange mutuel et la prière nous avons vécu la communion réelle mais incomplète existant entre nos Églises. L’unité que nous recherchons est une unité que, dans une grande mesure, nous vivons déjà.

Ces journées partagées ont aussi été pour nous l’occasion d’écouter avec une immense joie des témoignages de profonde amitié. Nous avons entendu les récits de mission et de témoignage communs où les directives œcuméniques déjà existantes sont appliquées avec créativité, fidélité et une grande efficacité concrète au service du royaume de Dieu.

Comme les disciples sur le chemin d’Emmaüs, nous nous sommes aperçus qu’il est vrai que lorsque nous marchons ensemble avec humilité et bienveillance, le Seigneur Ressuscité marche avec nous et l’Esprit Saint, qui désire si intensément notre réconciliation, nous guide. Quand nous marchons sous le signe de la Croix, nous nous ouvrons à une relation œcuménique faite de joie et d’espérance. Ceci nous a également encouragés à nous rappeler qu’il est plus important d’échouer dans des tentatives qui à la fin aboutiront plutôt que de réussir dans des domaines qui, en définitive, ne seraient pas valables. Notre pèlerinage est, comme il l’a toujours été, entre les mains de Dieu, maître du temps et Seigneur de l’histoire.

Certains gestes ont joué un rôle important dans notre longue marche vers la réconciliation durant ces cinquante dernières années, et ont parfois été plus éloquents que nos déclarations communes. Il y a cinquante ans, quand le Pape Paul VI retira son anneau épiscopal et en fit don à l’Archevêque de Canterbury, Michael Ramsey, ce fut le début d’une nouvelle ère dans les relations entre la Communion anglicane et l’Église catholique promettant l’unité que christ veut pour ses disciples.

La réplique du bâton pastoral de Saint Grégoire le Grand dont le Pape François a fait don à l’Archevêque Justin durant notre rencontre nous rappelle qu’au cœur de notre proclamation en tant qu’évêques se trouve l’amour de Dieu manifesté dans le Christ crucifié et ressuscité qui est notre Bon Berger à tous. L’Archevêque Justin a donné au Pape sa propre croix pectorale faite de clous tirés des décombres de la cathédrale de Coventry et devenue symbole du péché que constituent la guerre et la violence et de la vie nouvelle à laquelle nous accédons si nous passons à travers l’épreuve de réconciliation du Calvaire.

Nous allons rentrer chez nous en ayant reçu pour don une croix de Lampedusa. Faite de débris des embarcations transportant les réfugiés fuyant leurs pays et dont bon nombre ont péri en Méditerranée, elle nous exhorte à nous opposer ensemble à la mondialisation de l’indifférence. Réunis pour célébrer les vêpres en l’église Saint-Grégoire à Rome, d’où le Pape Grégoire envoya Augustin de Canterbury en Angleterre à la fin du VIe siècle, le Pape François et l’Archevêque Justin nous ont donné mandat afin que nous soyons des artisans de guérison et de réconciliation par la puissance de l’Évangile, et repartirons en compagnons de pèlerinages, retournant dans notre pays et dans notre région pour encourager à la prière, à la mission et au témoignage communs.

Au cours de la dernière matinée de notre pèlerinage, nous nous sommes rassemblés à la Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs où l’Archevêque Michael Ramsey et le Pape Paul VI signèrent une déclaration commune en 1966, inaugurant une nouvelle ère dans les relations entre anglicans et catholiques. Nous souvenant que Jésus a envoyé ses disciples deux par deux, nous évêques avons franchi deux par deux la Porte Sainte pour célébrer l’année du jubilé de la miséricorde. Nous irons maintenant de l’avant encouragés par ce mandat de poursuivre notre pèlerinage vers l’unité et la mission, en élaborant de nouveaux plans d’action, en divulguant les idées que nous avons partagées avec nos confrères dans l’épiscopat, notre clergé et nos fidèles. Ensemble, nous avançons conscients de notre appel à offrir la miséricorde et la paix de Dieu à un monde qui en a tant besoin.

Rome, 7 octobre 2016

 

[Service d'information 148 (2016/II) 17-19]