L'ÉGLISE COMME COMMUNAUTÉ DE TÉMOIGNAGE COMMUN
DU ROYAUME DE DIEU

Rapport de la troisième phase du dialogue théologique international
entre l’Église catholique et l’Alliance réformée mondiale
(1998-2005)

Introduction

1. « L’Église comme communauté de témoignage commun du Royaume de Dieu » était le thème global des conversations théologiques internationales promues par l’Église catholique et l’Alliance mondiale réformée entre 1998 et 2005. La présente phase était la troisième du dialogue international réformé–catholique. Des réunions annuelles ont eu lieu à Venise (Italie) en 1998, à Oegstgeest (Pays-Bas) en 1999, à Castelgandolfo (Italie) en 2000, à Cape Town (Afrique du Sud) en 2001, à Newry (Irlande du Nord) en 2002, à Toronto (canada) en 2003 et à Venise (Italie) en 2004. Un sous-comité chargé de rédiger la version finale de ce rapport en vue de sa publication, s’est réuni à Rome (Italie) en 2004 et en 2005, à Genève (Suisse) en 2005, et a soumis le résultat de son travail à la Commission pour commentaires et approbation.

2. Voici plus de trente-cinq ans, lorsque des représentants catholiques et réformés se sont rencontrés pour examiner l’opportunité et la possibilité de conversations par une commission internationale, une convergence s’est dégagée concernant l’importance d’aborder les trois points suivants : christologie, ecclésiologie et l’attitude des chrétiens dans le monde.[1] Ces trois points se reflètent dans les thèmes des trois phases de conversations théologiques qui ont eu lieu depuis lors.

3. Le thème général de la première phase (1970-1977) était « La présence du Christ dans l’Église et dans le monde ». Ce thème avait été choisi parce qu’« il semblait avoir un rapport non seulement avec le suprême salut de l’homme, mais également avec sa vie et son bien-être ici et maintenant ». On espérait en outre qu’il « tendrait à mettre en lumière les différences entre les deux communions et qu’une juste évaluation de ces différences pourrait aider les deux traditions à les surmonter… ».[2] Le rapport final, version revue et corrigée des déclarations communes adoptées au terme de chacune des cinq sessions, traitait les points suivants : la relation entre le Christ et l’Église, l’autorité doctrinale dans l’Église, la présence du Christ dans le monde, l’eucharistie et le ministère.[3]

4. La seconde série de conversations (1984-1990) était centrée sur la compréhension de l’Église. Le rapport qui en est issu, Vers une compréhension commune de l’Église,[4] débute en rendant compte d’un substantiel effort vers une réconciliation des mémoires, par quoi les partenaires du dialogue échangent les soucis ecclésiologiques et réformateurs de leurs prédécesseurs du XVIe siècle, ainsi que leurs présents comportements les uns envers les autres. Le rapport passe ensuite à une commune confession de foi comprenant des affirmations sur Jésus Christ comme unique médiateur entre Dieu et l’humanité, sur la grâce de la justification par la foi et le rôle de l’Église dans la justification. Il indique en outre des modes de compréhension de l’Église, distincts pour les réformés et les catholiques, la continuité de l’Église à travers les siècles et son ordre ministériel. Dans le dernier chapitre sous le titre « Le chemin à parcourir », le rapport observe que « ‘vivre les uns pour les autres’ en tant qu’Églises veut aussi dire ‘rendre un témoignage commun’ ».[5]

5. En choisissant le thème « L’Église comme communauté de témoignage commun du Royaume de Dieu » pour cette série de conversations, les deux Communions voulaient jeter une lumière nouvelle sur les deux sujets qui viennent d’être mentionnés : ecclésiologie et témoignage commun. Elles entendaient préciser la complémentarité affirmée dans Vers une compréhension commune de l’Église[6] entre l’accent mis par les réformés sur l’Église comme creatura verbi, et par les catholiques sur l’Église comme sacramentum gratiae. Ils entendaient en outre réfléchir sur la signification œcuménique de rendre témoignage ensemble au Royaume de Dieu.[7]

6. Depuis le début, le dialogue réformés–catholiques, dont le but est de surmonter nos divisions historiques, a porté son attention sur la question de la méthode la plus indiquée pour examiner les expériences, les besoins et les espérances œcuméniques de nos communautés qui vivent et témoignent dans une grande variété de situations à travers le monde. Ceux qui ont préparé ce dialogue à la fin des années soixante croyaient fermement qu’il devait refléter « non seulement les tensions particulières entre les deux traditions », mais également « leur souci commun de manifester l’importance du Christ dans le monde d’aujourd’hui ».[8] Le travail œcuménique accompli dans Vers une compréhension commune de l’Église a eu lieu dans le cadre d’un effort de réconciliation des mémoires qui engageait les communautés catholiques et réformées en puisant dans les études de cas locales pour illustrer la relation entre les deux traditions tout au long de l’histoire.

7. La troisième phase de notre dialogue ne faisait pas exception à ce souci concernant la méthodologie la plus appropriée. En fait, le dialogue a été marqué par une intense discussion sur la méthodologie œcuménique, une discussion qui dépassait parfois nos limites confessionnelles respectives. Au cœur de cette discussion il y a le désir de trouver la manière la plus appropriée d’articuler les efforts pour surmonter les divisions entre chrétiens par rapport aux efforts visant à éliminer ce qui divise les sociétés, les nations, les cultures et les religions dans le monde d’aujourd’hui. Naturellement, cela a parfois créé le genre de tension qui se produit lorsque des croyants accordent une importance différente à un aspect de questions corrélatives telles que pratique et théorie, théologie contextuelle et théologie universelle, vie chrétienne et doctrine chrétienne, unité des chrétiens dans la lutte pour la justice et unité des chrétiens en matière de foi, de sacrements et de ministère.

8. La structure interne de ce rapport et l’ordre dans lequel ses résultats sont présentés, reflètent à la fois cette énergique discussion et les convergences méthodologiques auxquelles elle a donné naissance. De sorte que la Commission mixte a décidé d’aborder le thème du Royaume de Dieu d’abord par un retour aux sources de la foi chrétienne – et en premier lieu aux Écritures. Le travail sur l’exégèse biblique, ainsi que les méditations quotidiennes sur des textes bibliques dans le contexte de la prière du matin et du soir, nous ont également aidés à progresser dans le respect et l’amitié mutuels et à voir dans la discipline de l’œcuménisme spirituel un élément vital de notre commune recherche de la communion dans la foi et dans la vie, qui témoigne à présent de la récapitulation future de toutes les choses en Christ. Le retour aux sources bibliques a été suivi d’explorations de notre héritage patristique commun et de la théologie réformée et catholique après le XVIe siècle. C’est le contenu essentiel du premier chapitre de ce rapport.

9. Le second chapitre passe au témoignage du Royaume par les chrétiens réformés et catholiques qui vivent aujourd’hui dans des situations difficiles. Pour faciliter le débat, la Commission mixte a décidé de tenir la session de 2001 en Afrique du Sud, celle de 2002 en Irlande du Nord et celle de 2003 au Canada.[9] À la suite de quoi, le contenu essentiel du Chapitre II comprend trois récits de témoignages où la vie chrétienne est successivement confrontée à d’importants défis, tels que le système de l’apartheid en Afrique du Sud, la recherche de la réconciliation et de la paix en Irlande du Nord et la lutte pour la justice des peuplades aborigènes au Canada.

10. Au cours de cette réflexion sur le témoignage du Royaume dans des situations difficiles, la Commission mixte a pris conscience de l’importance qu’il y a d’étudier en termes œcuméniques comment les communautés chrétiennes interprètent le discernement de la volonté de Dieu dans leurs contextes particuliers. Ainsi, le Chapitre III se concentre sur nos sources communes de discernement et sur la façon dont catholiques et réformés les utilisent dans leurs modèles distinctifs de discernement. Le chapitre se conclut par un commentaire sur les possibilités de discernement et de témoignage communs.

11. Les trois premiers chapitres de ce rapport offrent un contexte encourageant pour examiner ultérieurement certains aspects de la nature de l’Église (Chapitre IV). Le travail en commun sur l’ecclésiologie entrepris dans la phase actuelle de notre dialogue, était marqué par l’espoir qu’en revoyant les actuelles questions ecclésiologiques à la lumière d’une nouvelle appréciation du Royaume de Dieu et du présent effort d’obédience chrétienne, de nouvelles possibilités œcuméniques pourraient s’ouvrir et devenir la source d’une persévérance et d’un engagement renouvelés envers l’unité à laquelle Dieu nous appelle.

12. Le dernier chapitre du rapport propose une réflexion, dans un langage plus méditatif, sur des questions d’œcuménisme spirituel qui étaient d’importance capitale pour notre thème et pour notre vie commune. En principe, notre dialogue lui-même est déjà un acte de témoignage commun, une expérience réconciliatrice qui appelle à une ultérieure réconciliation des mémoires comme obédience conduisant à l’unité dans la foi et l’action, à un témoignage commun dans lequel les signes du Royaume sont partagés avec les pauvres.

13. Nous avons exploré le thème du Royaume de Dieu en pleine conscience du fait qu’il avait déjà été abordé par d’autres dialogues bilatéraux. Leurs rapports présentent une grande richesse de matériel. Ils traitent des thèmes tels que les relations entre Royaume et Église, Royaume et monde ou création, et les implications du Royaume de Dieu pour les relations entre l’Église et le monde. Ils illustrent également des différences de vues entre les partenaires de dialogue sur certains aspects du Royaume. Pour éviter de refaire un travail déjà fait, la Commission mixte a décidé d’examiner la façon dont ces dialogues bilatéraux ont traité le thème du Royaume. Bien que les résultats de cet examen ne font pas l’objet d’un chapitre du présent rapport, nous nous sommes largement inspirés de ces résultats qui restent une ressource précieuse pour d’ultérieures recherches. Par conséquent, nous ajoutons en annexe le résumé que nous en avons fait.

14. La Commission mixte soumet L’Église comme communauté de témoignage commun au Royaume de Dieu à l’attention des organismes promoteurs – l’Alliance réformée mondiale et le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. Elle leur demande respectueusement d’assurer une large distribution de ce document et d’en promouvoir la réception par tous les moyens considérés appropriés. Nous espérons également que le rapport stimulera les échanges théologiques, qu’il contribuera à la formation œcuménique, qu’il encouragera et intensifiera la compréhension et la reconnaissance mutuelles, ainsi que le témoignage commun à tous les niveaux de nos Églises.

15. Au cours de nos rencontres, nous avons été nouvellement inspirés par de nombreux chrétiens, hommes et femmes, jeunes et vieux, que la vie de disciples du Royaume (Mt 13,52) proclamée dans l’Évangile empêche de se conformer à un monde divisé et à la séparation entre chrétiens. Au contraire, elle les stimule à être prêts à offrir leur propre vie en sacrifice (cf. Rm 12,1) afin que les plaies de la division entre chrétiens et l’aliénation humaine puissent guérir. L’occasion de rencontrer de tels frères et sœurs dans des situations vraiment difficiles, a énormément encouragé les participants à porter à bon terme cette série de conversations. Nous espérons qu’en temps utile, une quatrième phase de dialogue théologique pourra avoir lieu, qui bénéficiera des résultats d’un processus continu de réception de ce rapport. « Que vienne le Royaume de Dieu » !

 

 

Chapitre I
Le Royaume de Dieu dans l’Écriture et la Tradition

16. « Le temps est venu et le règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1,15). Jésus inaugurait ainsi son ministère public et fournissait le point de départ pour toute réflexion et action chrétiennes futures concernant le Royaume de Dieu. Comme on l’a noté dans l’introduction, la phase actuelle du dialogue réformé - catholique a commencé par un retour conjoint à nos sources communes dans l’Écriture et la tradition, mais nous avons très vite choisi de prendre également en considération les récits de témoignages récents rendus au Royaume par nos deux communautés. Les deux premiers chapitres de notre déclaration commune reflètent ce cheminement. Le Chapitre I examine l’enseignement biblique sur le Royaume et la façon dont il a été compris tout au long de l’histoire, ce qui a conduit à un exposé des perspectives théologiques convergentes qui émergent de nos discussions. Le Chapitre II présente ensuite plusieurs récits de témoignage commun qui, en illustrant les diverses manières avec lesquelles des chrétiens de nos communautés ont cherché à vivre conformément aux valeurs du Royaume, ont fourni une riche source d’idées à notre dialogue et à notre réflexion.

 

1. L’enseignement biblique

17. Le thème du Royaume de Dieu a été choisi comme base de notre travail œcuménique dans cette troisième phase de dialogue en raison de ses solides racines bibliques, de son omission partielle, de part et d’autre, de l’époque de la division de la Réforme (tout au moins au sens des études bibliques modernes), et de son utilité lorsque l’on aborde les problèmes des chrétiens d’aujourd’hui, qui sont liés à une espérance de plus de paix, de justice et de joie dans l'Esprit-Saint (Rm 14,17) dans notre monde turbulent.

18. Parler du Royaume de Dieu comporte une certaine complexité. Les termes bibliques malkuth (hébreu) et basileia (grec) peuvent être traduits de trois façons différentes dans des langages modernes, plus différenciés, selon le contexte et l’accent du texte biblique original. Lorsque le terme basileia se réfère à la fonction d’un roi, il devrait être traduit par royauté. S’il se réfère à l’exercice de gouvernement d’un roi, on devrait le traduire par règne. S’il se réfère au peuple gouverné et au territoire sous l’autorité du roi, c’est par royaume qu’il devrait être traduit. Les traductions modernes de la Bible en anglais tendent encore à préférer le terme de royaume. Celui-ci a l’avantage de préserver les connotations sociales et politiques concrètes de l’image biblique, contrairement aux tendances à réduire le terme à quelque chose de purement spirituel ou détaché du monde, tendances qui séparent le roi (Dieu, Christ) du royaume. D’autre part, pour certains, le terme peut sembler non seulement archaïque mais également inconséquent.

19. Pour certaines personnes, aujourd’hui, le terme royaume peut évoquer des notions de systèmes féodaux, de structures monarchiques, d’autoritarisme, d’homogénéité, de rigidité, d’exclusivisme, de parti pris contre les femmes ou les hommes et de contrôle tendant à supprimer la liberté et la justice humaines. Bien sûr, il existe encore des royaumes sur la terre, et cette forme de gouvernement, limitée par les constitutions, est préférée par certains. Au sens biblique, le Royaume de Dieu représente la justice, la paix et une communauté (koinonia) qui invite tous les hommes à s’engager personnellement, à participer pleinement et à célébrer l’unité dans la diversité. Par conséquent, le langage concernant le basileia tou theou doit être employé avec prudence. Quelques options suggérées dans nos discussions : règne de Dieu, communion, famille de Dieu, gouvernement de bien public de Dieu. Il faudrait souligner les aspects du concept qui habilitent et stimulent, lorsque nous choisissons un terme pour désigner le basileia tou theou.

20. La Bible parle en symboles et métaphores, dont l’un est le Royaume de Dieu. Ce symbole est conçu pour transmettre quelque chose de précis, encore qu’analogique, sur la relation de Dieu avec notre monde et sur son projet pour celui-ci. Il révèle l’engagement fidèle de Dieu envers la création, y compris envers la vie quotidienne des êtres humains. La plénitude du Royaume est l’ultime grâce suprême de Dieu pour ce monde.

1.1. Le Dieu du Royaume

21. Le thème du Royaume peut être utilisé pour unir de nombreux fils de pensée différents que l’on trouve dans l’Ancien Testament et qui servent également de préparation à l’Évangile. Alors que les spécialistes de l’Ancien Testament ne sont pas parvenus à un net consensus, certains des éléments du plus vaste tableau sont : (1) Dieu comme roi de toute la création ;[10] (2) Dieu comme roi d’Israël (1 S 8,7) ; (3) l’espérance eschatologique dans le règne de Dieu ;[11] (4) les concepts de peuple élu et d’élection (e.g. Gn 12,3) ; (5) la tradition du Jubilé dans le Lévitique 25, selon laquelle les terres qui ont été vendues retournent tous les cinquante ans à leur propriétaire d’origine, et (6) la tradition du culte en Israël, qui rend témoignage de l’expérience de Dieu comme souverain Seigneur dans le culte du Temple.[12]

22. Le Nouveau Testament reprend la pensée de l’Ancien Testament. Pour Paul, le Dieu révélé en Jésus Christ n’est autre que l’unique Dieu du monothéisme israélite.[13] Dieu est un vrai Dieu vivant.[14] Chacun des soi-disant « dieux » adorés par les Gentils étaient de leur nature des « faux dieux » (Ga 4,8). Les idoles n’ont finalement aucune réalité (1 Co 10,20-21). Satan est la force hostile à Dieu.[15] Satan et les autres puissances sont impuissants devant Dieu (Rm 8,38-39). Pour Paul, Dieu est le créateur de l’univers.[16] Dieu ordonne toutes les choses de manière providentielle.[17] Dieu est le juge juste.[18]

23. Les Évangiles synoptiques dépeignent le Dieu et Père de Jésus comme un Dieu compatissant et miséricordieux,[19] aimant,[20] clément (Mt 6,12 ; Mc 11,25) et attentionné.[21] Dieu voit en secret (Mt 6,1-6) et juge (Mt 25,31-46). Dieu est le Dieu de compassion et de justice. L’appel au repentir dans la prédication de Jésus est un appel urgent : la présence immédiate et souveraine de Dieu est à portée de main. Le temps de la temporisation est passé et l’établissement de justes rapports est imminent. Dans ce jour, les paroles seules ne suffiront pas. « Il ne suffit pas de me dire : ‘Seigneur, Seigneur’ ! pour entrer dans le royaume des cieux : il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux » (Mt 7,21 ; Lc 6,46). Nous sommes appelés à être miséricordieux tout comme Dieu est miséricordieux, et c’est l’incapacité à être miséricordieux qui nous fait entrer en conflit avec la volonté de Dieu (Lc 6,36).

24. L’Évangile selon Jean souligne que Dieu est Esprit (Jn 4,24). Nul n’a vu Dieu (1,18) ni entendu la voix de Dieu, ni vu la forme de Dieu (5,37). Le seul vrai Dieu (17,3) continue d’agir en Créateur de l’univers (5,17), plein d’amour pour tous les êtres humains (3,16). L’imagerie familiale est importante pour Jean. La relation Père-Fils est employée pour souligner la proximité et l’accessibilité de Dieu. Jean réinterprète la paternité de Dieu en lui enlevant tout caractère mythologique ou en la libérant de toute structure de pouvoir patriarcal. Dieu envoie le Fils par amour pour l’humanité qui souffre et qui est dans le besoin (1,14 ; 3,16). Cette imagerie montre un mouvement dynamique dans les deux sens de donner et d’obtenir (12,32). Dieu rassemble la communauté des croyants (cf. 17,6) et par l'Esprit-Saint il l’éclaire et lui enseigne toutes choses (14,26 ; 16,12-13), il la sanctifie, la prépare et l’envoie (20,21-22).

25. Pour Jean, il existe un lien entre le Royaume de Dieu et la connaissance de Dieu. Dans Jean 3,3-5, l’évangéliste écrit que la naissance d’en haut équivaut à la connaissance de Dieu ; on voit le Royaume et on y entre. Pour Jean, le Royaume est un processus pour atteindre la connaissance, mais le « d’en haut » précise que le Royaume n’est pas dans nos possibilités humaines ; c’est Dieu seul qui donne. Dieu donne cette connaissance, qui est l’autorévélation divine, d’en haut. C’est cela l’expérience de la vie éternelle (Jn 17,3), une connaissance progressive de Dieu par la puissance de son autorévélation. Elle est rendue possible par le Verbe qui s’est fait chair (Jn 1,14).

1.2. Le Royaume comme futur et présent, comme don et tâche

26. Au sens strictement exégétique, le Royaume de Dieu, compris comme le gouvernement mondial divinement accompli, qui succède aux quatre empires mondiaux (Babylone, Médie, Perse, Grèce), et qui étend la souveraineté de Dieu depuis Israël et la Judée au monde entier, se trouve seulement tout à la fin de l’Ancien Testament, dans les visions apocalyptiques de Daniel.[22] Ces visions ont directement influencé Jean le Baptiste et Jésus, en particulier la combinaison Royaume et Fils de l’homme (Mc 8,38-9,1). À la vision de Jésus d’un Royaume de justice et de paix, a directement contribué également la vision d’un futur royaume messianique dans Proto-Ésaïe (11,1-10), lui-même nourri par Amos (4,1-13 ; 5,18-24) et Michée (4,1-4). Le Deutéro-Ésaïe (61,1-2 ; 58,6-9) a lui aussi joué un rôle (voir Lc 4,16-30, en particulier les versets 18-19). La vision d’Ésaïe apporte un espoir à l’humanité et à toute la création, et l’exprime même dans des images de paix et de non-violence parmi les animaux.

27. La venue du Royaume est annoncée dans les premières paroles du ministère public de Jésus ;[23] elle est au cœur de sa prière (Mt 6,10, parallèlement à Lc 11,2), et forme l’horizon de son espérance (Mc 14,25). Cette vision, ce message et cette promesse sont liés au Fils de l’homme, et donc à la christologie. Parce que l’espérance de la venue du Royaume de Dieu sur la terre apparaît comme faisant partie d’un schéma d’ères successives de l’histoire du salut,[24] elle contient le début d’une théologie chrétienne de l’histoire. Le contenu éthique du Royaume de Dieu consiste en justice (Mt 6,33), paix et joie dans l'Esprit-Saint (Rm 14,17). Historiquement, la promesse biblique du futur Royaume ne conduit pas les croyants à la passivité et au quiétisme. Au contraire, cette promesse relativise la situation présente – et souvent oppressive ; elle précise que le mal n’est pas la volonté de Dieu et encourage les croyants à s’efforcer de corriger les maux sociaux.

28. Jésus n’a pas parlé de la fin du « monde », mais de la fin d’une « époque » (aion en grec), l’actuelle période de l’histoire du salut. En Jésus, Dieu faisait quelque chose de nouveau. L’hébreu olam, le grec aion et le latin saeculum, ont tous une dimension aussi bien temporelle que spatiale (époque, période, ère, mais aussi une dimension mondiale). La réalisation de la promesse aura lieu dans l’histoire et comme son point culminant, et non pas, comme dans les vues anti-matérielles platoniciennes, tout simplement dans l’éternité. Ainsi, l’espérance du Royaume est pour ce monde, mais dans une ère nouvelle.[25]

29. Jésus parle du Royaume non seulement comme devant venir dans un futur proche, mais également comme étant déjà présent, au moins de manière fragmentaire, comme signe, anticipation, avant-goût (Mt 12,28, parallèlement à Lc 11,20). Le Royaume de Dieu est déjà présent d’une façon incomplète, non exhaustive, en cette époque, dans ce monde et dans la communauté chrétienne.[26]

30. Avec son pouvoir et sa grâce, Dieu fait pousser la semence (les paraboles de Marc 4). Le Royaume de Dieu est un don. Dieu invite au banquet eschatologique (Mt 22,1-14). Nous pouvons nous préparer au Royaume de Dieu (Mt 25,1-13), nous pouvons le rechercher (Mt 6,33 ; Lc 12,31), mais c’est Dieu qui le donne (Lc 12,32). Dieu le promet aux pauvres de cœur et à ceux qui sont persécutés pour la justice (Mt 5,3-10) ; dans ce sens, Dieu décide à qui il appartiendra. Le Royaume est aussi une tâche (Mt 25,31-46 ; 13,44-50). La tâche consiste en l’effort de vivre selon toutes les instructions éthiques du Nouveau Testament, du Sermon sur la montagne/la plaine (Mt 5-7 ; Lc 6) aux exhortations des Épîtres (e.g. Rm 12-15). Ses valeurs principales sont la foi, l’espérance, la charité, la justice, la connaissance et la sagesse. La Bible ne parle jamais de nous construisant le Royaume. Les chrétiens sont plutôt appelés à des tâches plus humbles : (1) éliminer les obstacles à la venue du Royaume de Dieu, par exemple les situations d’injustice ; (2) préparer les gens à recevoir le don du Royaume, lorsque Dieu décidera de l’accorder, par l’instruction religieuse et morale et par la prière. En agissant ainsi, nous hâtons sa venue (2 P 3,12). Le Royaume est déjà présent par : (1) le don de l'Esprit-Saint ; (2) le baptême dans le Christ ressuscité ; (3) les Écritures ; (4) la proclamation de la Parole ; (5) l’assemblée eucharistique ; (6) la prière ; (7) l’amour vécu dans la communauté ; (8) la célébration de la libération des pauvres ; (9) la guérison des malades et l’expulsion du mal ; et (10) l’expérience du pardon et de la réconciliation. Toutes ces choses témoignent également de la prochaine plénitude du Royaume de Dieu.

1.3. Le Royaume de Dieu et ses dimensions cosmique et eschatologique

31. L’invitation de Dieu au Royaume a une portée universelle (Mt 8,11 ; Mt 28,18-20). Le Royaume sera enlevé aux désobéissants et sera donné à un peuple qui en produira les fruits (Mt 21,43). Le Royaume est pleinement réalisé lorsque toutes les choses seront soumises à Dieu. Alors, Dieu sera tout en tout (1 Co 15,24-28). L’Église, en tant que peuple de Dieu, doit manifester le dessein de Dieu qui conduit le cosmos à son ultime accomplissement, afin que toute la création puisse prendre part aux incommensurables richesses de Dieu (Ep 1,9-10 ; Col 1,20).

32. La dimension cosmique du Royaume de Dieu est présagée dans Ésaïe 65,17 : « Voici que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle ». Le langage prophétique du Livre de l’Apocalypse, souvent influencé par les prophètes de l’Ancien Testament, décrit la consommation du Royaume de Dieu de la façon suivante : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il demeurera avec eux. Ils seront ses peuples et lui sera le Dieu qui est avec eux » (Ap 21,3). Les peuples de cette création renouvelée participent au culte incessant de Dieu (Ap 4). Les différentes cultures apporteront et offriront leur gloire et leur honneur (Ap 21,26 ; cf. Mt 2,11). Le Royaume de Dieu, même dans sa manifestation finale, continue d’apporter plénitude et guérison à tous les peuples (Ap 22,1-2).

33. Jésus dit également que Satan a un royaume (Mc 3,23-27 ; Mt 12,24-29). Les forces du mal, qui représentent ceux qui ont un intérêt particulier dans des choses telles que l’injustice et la guerre, travaillent contre le dessein de Dieu. Dans le même sens, Jean parle plusieurs fois de l’Antichrist (1 Jn 2,18,22 ; 4,3 ; 2 Jn 7). Marc 13,22 mentionne les faux messies qui se sont levés avant et après Jésus. Reconnaître la présence du mal dans le monde fait partie du réalisme pondéré de la Bible, mais les forces du mal sont soumises à Dieu, non sans résistance, par le Christ.[27] Par conséquent, la figure de l’Antichrist et autres forces du mal sont un élément subalterne dans le plus vaste récit de l’activité souveraine et salvifique de Dieu dans l’univers et dans l’histoire humaine. L’espérance en la venue du Royaume de Dieu représente un aspect de la certitude que la puissance de Dieu finira par triompher, que sa justice prévaudra et vaincra le mal.

34. L’Écriture parle du mal comme d’un mystère (2 Th 2,7 ; Ap 17,5-7). Le péché nous touche comme individus, comme sociétés et comme univers. La violence est une de ses manifestations. Dans la Bible, Dieu détourne graduellement les hommes de la violence : de la vengeance sans limites de Gn 4,15,24, à la vengeance limitée d’Ex 21,22-25 ; Lv 24,20 ; Dt 19-21 (talion), à la règle d’or de Mt 7.12 et Lc 6,31, et enfin, au niveau le plus élevé et le plus parfait, le renoncement à la violence et l’amour des ennemis.[28]

35. Parfois, comme dans Marc 9,43-48, Jésus parle de la vie d’une manière en parallèle avec son langage sur le Royaume de Dieu. En ce cas, vie signifie clairement la plénitude de la vie eschatologique telle que Dieu l’entend pour le peuple de Dieu à l’époque présente et dans le futur. L’Évangile selon Jean reprend ce parallélisme et le développe à sa manière. Dans Jean, vie et vie éternelle deviennent la manière habituelle d’exprimer l’état de béatitude eschatologique. Tout en étant présent dans cet Évangile (3,3-5 ; 18,36), le Royaume, à la différence de la plénitude de vie, recule dans l’arrière-plan.

36. La vie éternelle est béatitude eschatologique et participation à la vie de Dieu lui-même par le don qu’il nous fait de l'Esprit. La terminologie johannique concernant une interpénétration mutuelle permanente exprime l’expérience de plénitude de vie du croyant. Jean souligne l’eschatologie réalisée, mais sa christologie aspire à la réalisation de la vie éternelle lors de la venue du Fils de l’homme. Dans Jean (10,10), comme le bon berger qui protège son troupeau des voleurs et des assassins, Jésus dit : « Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance ». Cette déclaration exprime la volonté de Jésus de rétablir, de maintenir et d’accroître la dignité humaine, c’est-à-dire l’image divine en nous, en sacrifiant sa vie par amour pour nous.

37. Les chrétiens proclament l’espérance dans la résurrection et la jouissance d’une communion éternelle avec Dieu au paradis. La révélation biblique affirme deux aspects de l’espérance étroitement liés entre eux : (1) la venue du Royaume sur terre dans sa plénitude comme but et accomplissement de l’histoire ; et (2) la résurrection et la vie éternelle avec Dieu au paradis. Ces deux aspects de l’espérance devraient être tenus dans une tension créative.

1.4. Le Royaume de Dieu et les pauvres et les marginalisés

38. Qu’il y ait un lien entre le Royaume de Dieu et les pauvres du monde apparaît évident d’après la première béatitude (Mt 5,3 ; Lc 6,20). En fait, à partir de cette béatitude, on pourrait avoir l’impression que le Royaume leur appartient en premier lieu ou d’une manière particulière. Tout au long de la Bible, Dieu, qui a libéré les Hébreux de l’esclavage en Égypte, dépasse le plus noble des monarques de ce monde parce qu’il maintient la justice en protégeant les éléments les plus faibles et plus sans défense de la société : les veuves, les orphelins, les pauvres. Les béatitudes ne disent pas que les pauvres seraient moralement meilleurs que les riches. La Bible ne fait pas de sentimentalisme à propos des pauvres, mais elle prend à cœur leur situation. Sur la base de Mt 25,40 et 45, le chrétien apprend à voir le Christ dans son frère ou sa sœur qui sont dans le besoin et à les aider en son nom.

39. Dans l’Ancien Testament, la richesse et les possessions sont généralement considérées de manière positive, et même comme des signes de la faveur divine. En même temps, en affirmant la souveraineté de Dieu sur toute vie, les prophètes reconnaissent plusieurs fois le traitement des pauvres et des personnes vulnérables par Israël comme un test de sa fidélité à l’Alliance. Ils dénoncent l’indifférence envers les pauvres et les personnes vulnérables et les abus à leur égard, comme une désobéissance à la volonté de Dieu. Dans le Nouveau Testament, le thème est repris, en particulier dans Jacques (2,1-7) et dans les Évangiles synoptiques. Devant ses disciples, Jésus s’exclame : « Qu’il sera difficile à ceux qui ont les richesses d’entrer dans le Royaume de Dieu » (Mc 10,23). Il déclare encore : « Ne vous amassez pas de trésors sur la terre… » (Mt 6,19) et « Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent » (Mt 6,24 ; Lc 16,13). En soi, la richesse n’est pas un mal (cf. 1 Tm 6,17-19), mais elle constitue un sérieux défi spirituel : posséder une richesse sans être possédé par elle. Ceux qui ont beaucoup peuvent être distraits des priorités du Royaume de Dieu. Une honnête gestion de la richesse, y compris son équitable répartition, est toujours un défi encore aujourd’hui, lorsque quelques nations ont beaucoup et qu’un grand nombre de nations ont très peu.

40. La remarque de Jésus, « des pauvres, vous en avez toujours avec vous », n’entend pas encourager l’indifférence à l’égard des pauvres, car dans la version de Marc (Mc 14,7) il y a une claire allusion à Deut 15,11, où la pauvreté est considérée comme un mal que nous devons contribuer à éliminer. La forme qualifiée de la première béatitude dans Matthieu, les « pauvres de cœur », est une expression qui reste difficile à interpréter avec une parfaite exactitude, malgré les expressions parallèles de Qumran. Cette phrase devrait probablement être comprise dans le contexte de la fréquente prière des pauvres et des affligés dans les Psaumes. Les pauvres de cœur sont ceux qui reconnaissent leur besoin de Dieu et leur dépendance de Dieu, qui s’efforcent de vivre selon les commandements et les valeurs divines, de marcher humblement devant Dieu, et qui cherchent à vivre une vie simple afin de vivre plus près de Dieu. Autrement dit, les concepts bibliques de pauvreté, alors qu’ils partent d’une situation économique considérée comme un mal, peuvent cependant générer de profondes orientations spirituelles vers une vie vécue sous la providence de Dieu.

1.5. Le Royaume de Dieu, l'Esprit-Saint et l’Église

41. Nous avons déjà mentionné plusieurs fois Romains 14,17 : « Le Royaume de Dieu est … justice, paix et joie dans l'Esprit-Saint ». Ici, Paul relie le Royaume de Dieu à l’œuvre de l'Esprit-Saint. Premièrement, en ce qui concerne la justice dans l'Esprit, Mt 19,28, parallèlement à Lc 22,29-30, est un autre texte important à côté de Mt 6,33. Ici, les douze sont chargés de juger, c’est-à-dire d’administrer, d’établir la justice eschatologique de Dieu de la fin des temps. Deuxièmement, quant à la paix dans l'Esprit, du point de vue biblique, paix veut dire bien-être total, achèvement, réconciliation, harmonie authentique (cf. Lc 15.7). Dans Jean, la mission de Jésus est d’apporter la paix. Le message du Christ ressuscité est la paix.[29] Troisièmement, concernant la joie dans l'Esprit, la joie est l’expression de la plénitude de vie et d’amour (Lc 15,32 ; Mt 13,44-45).

42. Les Évangiles synoptiques indiquent que la souveraineté eschatologique de Dieu était déjà manifestée dans le présent, en particulier à travers l'Esprit,[30] dont l’action puissante est considérée comme la manifestation du Royaume de Dieu. Pour Jean, l'Esprit-Saint est le Paraclet (Jn 15,26) qui guidera la communauté à la pleine vérité (16,13). Paul pense que l'Esprit est le premier gage du Royaume de Dieu.[31] Donc, pour Jésus, Paul et Jean, l'Esprit est déjà la présence comme signe, instrument et avant-goût du Royaume de Dieu qui doit encore venir dans sa plénitude. La création est sujette aux choses vaines, mais la perfection représentée par le Royaume de Dieu libérera la création de l’esclavage de la décadence et du péché (Rm 8,20-21).

43. L’espérance dans le Royaume donne forme à une spiritualité incarnée dans des communautés chrétiennes et dans des vies personnelles. C’est l’Église et l'Esprit qui s’écrient : « Viens, Seigneur Jésus ! » (Ap 22,20). Cette spiritualité comprend le sacrement (Mc 14,25), la prière (Mt 6,9-13) et d’autres éléments. Les premiers chrétiens priaient : Marana tha, Notre Seigneur, viens ! (1 Co 16,22), sous-entendant « avec ton Royaume dans sa plénitude, dans ta puissance et ta gloire, dans nos cœurs, dans nos vies, dans notre Église et dans notre monde ».

44. La prière par excellence pour le Royaume est le Notre Père, qui exprime un désir d’achèvement de la rédemption et du salut. Elle peut servir de modèle à toute prière chrétienne qui pourrait être caractérisée en outre par quatre qualités : compassion, passion, responsabilité et gratitude. La prière pour le Royaume exprime compassion envers ceux qui souffrent dans le monde, passion que la volonté de Dieu pour la justice et la paix soit faite, et disposition à prendre notre modeste mais réelle responsabilité de contribuer à la préparation au don divin du Royaume. La gratitude s’exprime en confessant que le Royaume n’est pas essentiellement à nous, mais qu’il a ses racines dans l’initiative de Dieu. Ainsi, l’espérance du Royaume devient le but principal de la prière.

45. La Bible établit également un rapport entre l’Église et le Royaume. Ce rapport est encore un terrain difficile où les théologiens s’efforcent de parvenir à un peu de clarté et d’équilibre à la lumière de l’Écriture, de la tradition et de l’expérience. Mt 16,17-19 affirme explicitement qu’il y a un lien entre Royaume et Église, que Pierre recevra les clés du Royaume. Certains interprètes pensent que Mt 16,17-19 s’applique au gouvernement de l’Église du moment ; pour d’autres, ces versets se rapportent à la promesse faite au Pierre historique et à lui seul.

46. Les secrets du Royaume sont révélés aux disciples de Jésus (Mt 13,10-12). L’Église est la nouvelle communauté greffée sur le rapport d’alliance de Dieu avec Israël (Rm 11,17-24). Dans les deux Testaments, la formule de l’alliance est la suivante : « Je serai votre Dieu et vous serez mon peuple » ou bien « Je serai avec vous et vous serez avec moi ».[32] Cette formule trouve son accomplissement eschatologique dans la nouvelle alliance en Christ, dans le peuple de Dieu, dans l’Église. L’Église est le peuple de Dieu appelé à vivre les valeurs du Royaume de façon cohérente, ce qui peut souvent la mettre en conflit avec le monde. Paul, dans un contexte baptismal, exprime cette courageuse idée : « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ » (Ga 3,28). L’Église comme ambassadrice de réconciliation est le signe de la nouvelle création de Dieu (2 Co 5,16-20). Si la réconciliation est vue dans la perspective des communautés pauliniennes, la justice ethnique et économique, et entre hommes et femmes, est une bonne partie de l’expérience du salut. La rupture des chaînes de l’injustice, la promotion de la réconciliation et l’amour qui pardonne, sont des signes de la présence du Royaume de Dieu. L’Église en tant que peuple de Dieu est la manifestation du dessein salvifique caché de Dieu (Ep 3,3-10 ; 1 Co 2,6-10). L’Église doit être vue dans la perspective du dessein de Dieu pour le salut, qui, en principe, s’étend à tous les êtres humains et à l’ensemble de la création (Rm 8,22-23 ; 1 Tm 2,3-4).

47. Particulièrement important, la célébration du Royaume de Dieu a lieu dans le culte et le sacrement. Dans le pain rompu (1 Co 11,23-26 ; Mc, 14,12-26) et dans le baptême (Rm 6,1-11 ; Mt 28,18-20), l’espérance du Royaume de Dieu est vécue par la communauté comme une réalité tangible. Dans le culte et le sacrement, la communauté célèbre et vit l’irruption du Royaume dans la vie de la communauté, qui l’habilite, l’autorise et la prépare à sa mission au service du Royaume.

 

2. Histoire et tradition

48. Non seulement trouve-t-on dans le Nouveau Testament l’éventail des significations relatives au Royaume de Dieu exposées dans les paragraphes précédents, mais l’histoire ultérieure de l’Église présente, elle aussi, un panorama de visions concernant le règne de Dieu. Elles reflètent les contextes dans lesquels les chrétiens se sont trouvés en différentes époques et en différents lieux. Par exemple, ceux qui vivaient à une époque de persécution pour leur foi avaient tendance à souligner que le Royaume appartenait à la prochaine vie, tandis que ceux qui vivaient dans une situation où l’appartenance à l’Église était encouragée comme étant un élément d’identité civique, tendaient à considérer le service du Royaume comme l’établissement d’une société chrétienne ici sur terre. Nos discussions sur cette histoire étaient centrées en premier lieu sur la période patristique et sur les siècles après la Réforme protestante.

2.1. La période patristique et après

49. Il n’est pas toujours possible, dans la période patristique, de trouver du matériel correspondant directement aux questions qui se posent à nous aujourd’hui concernant le Royaume et sa relation avec l’Église et la société. Les textes directement consacrés au Royaume sont pour la plupart limités aux divers commentaires qui se rapportent à des passages des Écritures, comme par exemple Marc 14,25 : « Jamais plus je ne boirai du fruit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai nouveau dans le royaume de Dieu », ou 1 Co 15,20-28 (verset 24 : « Ensuite viendra la fin, quand il remettra la royauté à Dieu le Père, après avoir détruit toute domination, toute autorité, toute puissance »). On peut aussi explorer les vues patristiques de l’espérance chrétienne dans cette abondante bibliographie issue de la coutume patristique d’écrire des commentaires du Notre Père (« Que ton règne vienne ») et du Credo nicéo-constantinopolitain (« son règne n’aura jamais de fin »). Bien qu’il soit rare que les Pères de l’Église traitent directement le thème de l’Église, un nombre surprenant de points de vue ecclésiologiques peuvent être tirés de leurs écrits. Ils concernent la nature, la mission et la structure de l’Église et peuvent être réunis sous les quatre termes qui apparaissent comme sa marque dans le Credo : une, sainte, catholique et apostolique. Alors que les traités systématiques sont rares, la littérature patristique offre un trésor d’images qui permettent de pénétrer dans l’existence mystérieuse de l’Église, telles que le bateau dont le mât est la croix, le capitaine est le Christ et le vent qui la pousse dans sa course vers le Royaume est l'Esprit-Saint.

50. Diverses visions du Royaume de Dieu et de sa relation avec l’Église peuvent être trouvées dans la littérature patristique. Il y a une vision sociale qui attend la venue finale du royaume, comme dans la théologie paulinienne de la récapitulation de toutes les choses dans le Christ à la fin des temps, une vue défendue par saint Irénée de Lyon à la fin du IIe siècle. Selon cette vue, l’Église attend l’accomplissement du Royaume dans le cadre du processus historique à la fin de l’histoire. Une autre vue met l’accent sur l’aspiration à la perfection individuelle, développée par les Pères alexandrins Clément et Origène au début du IIIe siècle. Avec la tolérance, et finalement l’adoption du christianisme comme religion d’État au IVe siècle, Eusèbe de Césarée a développé une théologie de l’histoire qui considérait le Royaume comme étant réalisé, au moins dans une certaine mesure, dans l’union harmonieuse de l’Église et de l’État qui émergeait alors sous Constantin et qui continuerait d’exister, avec diverses modifications, pendant de nombreux siècles. Par contre, Augustin a cru nécessaire de répondre à ceux qui reprochaient au christianisme le sac de Rome par les barbares au début du Ve siècle, en écrivant son livre le plus long, La cité de Dieu, qui offre ce que l’on pourrait appeler une interprétation ecclésiologique du Royaume. Le Royaume est maintenant présent en ce monde dans l’Église, la cité céleste, qui vit dans un continuel état de lutte avec la pécheresse cité terrestre. Le mouvement monastique, tel qu’il est reflété dans les dernières paroles du « Prologue » de la Règle de saint Benoît, se proposait d’aider les chrétiens à partager patiemment les souffrances du Christ, par la fidèle observance d’un mode de vie particulier, afin de pouvoir aussi « participer à son Royaume ».

51. Dans une période successive, la profession monastique des vœux de pauvreté, chasteté et obéissance, a été comprise par rapport au Royaume, comme témoignage du fait que le règne du Christ n’est pas limité à ce monde mais qu’il promet un accomplissement qui va au-delà de la jouissance des biens de la vie terrestre. Ces diverses manières d’imaginer le Royaume et sa relation avec l’Église et la société ont duré jusqu’au Moyen-Âge et même au-delà, avec la tendance, peut-être la plus récurrente, d’identifier le Royaume avec l’Église. Mais il y avait également des vues minoritaires qui recommandaient une vision différente de l’histoire et du rapport entre Royaume et Église, représentée par des figures telles que Joachim de Flore et les franciscains spirituels des XIIIe et XIVe siècles, ou les anabaptistes de la Réforme radicale du XVIe siècle. Selon la compréhension anabaptiste, l’Évangile exigeait une séparation radicale d’avec les enchevêtrements « du monde » et également d’avec une Église qu’ils considéraient corrompue par les compromissions avec la société mondaine. En conséquence, leur mouvement était considéré comme subversif et a souvent été réprimé par la force par les autorités tant catholiques que réformées.

2.2. La Réforme protestante et la Réforme catholique

52. La conscience aiguë et l’enseignement réitéré de Calvin au sujet de la souveraineté de Dieu déterminent la compréhension du Royaume par les Églises réformées. Toute la création est sous l’autorité et la providence de Dieu, y compris les activités les plus courantes de la vie quotidienne : l’engagement spirituel et religieux n’est pas limité à une sphère distincte et séparée tandis que la vie visible et sociale appartient à une autre. Les croyants vivent leur vocation de chrétiens non seulement dans l’église mais également dans la réalité séculière de la vie politique et économique. Une formation éthique en harmonie avec les valeurs proclamées par le Christ dans les Écritures devrait porter les membres de l’Église à agir de manière à créer une société ordonnée selon le plan et le dessein de Dieu pour la création. L’ordre social doit être transformé par l’Évangile. L’Église a un rôle vital à jouer dans cette tâche, mais cette fonction est exercée humblement et réalistement, en s’efforçant d’obéir à la souveraineté de Dieu. Ces convictions fondamentales ont influencé la pensée et la pratique des diverses communautés de la tradition réformée au cours des siècles qui ont suivi. Elles se reflètent, par exemple, dans la protestation des « monarchomachiens » réformés contre l’absolutisme royal naissant en France au XVIe siècle, et dans l’appel des covenantaires écossais en faveur des « droits de la couronne du Rédempteur » au XVIIe siècle. Dans le puritanisme anglais et nord-américain de la même période, la vision d’un « Commonwealth pieux » prédominait, avec le sentiment que chaque âme individuelle est un champ de bataille entre Dieu et le démon, et que chaque élu devrait vivre en sainteté en suivant les stades d’un ordo salutis. Elle tend à introduire ces stades dans chaque vie chrétienne individuelle en tant qu’efficacité de vocation, justification, adoption, sanctification, foi salvatrice, repentir, bonnes actions, persévérance des saints, assurance de la grâce et du salut. À son tour, cet héritage puritain de l’ancienne Église a alimenté le méthodisme et d’autres mouvements de sainteté. Le motif du Royaume est apparu plus tard ailleurs, comme dans les réveils évangéliques du XVIIIe siècle, et ensuite dans le mouvement de l’Évangile social, surtout nord-américain, dans les générations suivantes. On peut également mentionner ici quelques hymnes du XIXe siècle, comme « Que ton règne vienne ! Priez à genoux les temps qui passent », et l’intérêt renouvelé pour l’eschatologie, manifesté dans le millénarisme du XIXe siècle.

53. Du côté catholique, la proclamation du Royaume de Dieu, et la réflexion sur ce thème, sont apparues de diverses manières depuis le XVIe siècle. Le Catéchisme du Concile de Trente, une ressource utilisée pour la formation chrétienne de base jusqu’à tard dans le XXe siècle, faisait découvrir aux fidèles catholiques les diverses dimensions du Royaume présentes dans les Écritures, le Credo et le Notre Père. Ainsi, la venue du Royaume était attendue à la consommation des temps, mais il était déjà présent d’une certaine manière dans l’Église et dans le cœur et l’âme de chaque croyant. Les théologiens catholiques des XVIIIe et XIXe siècles ont étudié l’approche éthique ou morale de la compréhension du Royaume, considérant l’Église comme un agent encourageant la conversion et le progrès dans la vertu, et servant ainsi à la préparation de la transformation du monde en Royaume de Dieu. La doctrine sociale du Pape Pie XI, entre les deux guerres mondiales du XXe siècle, était en grande partie fondée sur la conviction qu’une paix et un bien social durables ne pouvaient être réalisés qu’en acceptant la souveraineté du prince de la paix. Pour promouvoir ce but, Pie XI institua une fête consacrée au Christ-Roi, une initiative liturgique qui a eu un vaste écho œcuménique.

54. L’histoire de la façon dont les chrétiens comprennent le Royaume de Dieu et le rapportent à l’Église est parvenue à un tournant critique au début du XXe siècle avec le travail exégétique de Johannes Weiss et d’Albert Schweitzer. Leur raisonnement, selon lequel Jésus a annoncé un Royaume qui est en principe encore à venir, a ouvert la voie à un réexamen des vues qui identifiaient le Royaume trop entièrement à l’Église, ou qui l’associaient de manière trop prédominante à la perfection morale des croyants et à la transformation de la société. Depuis lors, la façon dont le Royaume se rapporte soit à l’Église, soit à la transformation éthique des individus et de la société, a mieux tenu compte du fait que le Royaume de Dieu est l’œuvre de Dieu, dans laquelle la collaboration ecclésiale et morale devrait être vue dans une lumière plus modeste.

2.3. Le XXe siècle

55. Pour les catholiques, un pas très important dans la juste attention accordée au Royaume a lieu avec le Concile Vatican II, qui a intégré quelques-unes des idées les plus significatives de la culture biblique et théologique du XXe siècle dans sa vision de l’Église. Le Concile présente l’origine et la mission de l’Église dans les termes du Royaume (cf. Lumen gentium, 5). La Constitution sur l’Église dans le monde moderne, de Vatican II, situe l’action chrétienne pour améliorer la société humaine dans le contexte du Royaume : « S’il faut soigneusement distinguer le progrès terrestre de la croissance du Règne du Christ, ce progrès a cependant beaucoup d’importance pour le Royaume de Dieu, dans la mesure où il peut contribuer à une meilleure organisation de la société humaine » (Gaudium et spes, 39). Le fait de préconiser le progrès social ne devrait pas obscurcir le but transcendant de la communauté chrétienne : « La mission propre que le Christ a confié à son Église n’est ni d’ordre politique, ni d’ordre économique ou social : le but qu’il lui a assigné est d’ordre religieux. Mais, précisément, de cette mission religieuse découlent une fonction, des lumières et des forces qui peuvent servir à constituer et à affermir la société des hommes selon la loi divine » (Gaudium et spes, 42). Le Royaume est même indiqué comme le principe suprême qui gouverne la mission de l’Église dans et pour le monde : « Qu’elle aide le monde ou qu’elle reçoive de lui, l’Église tend vers un but unique : que vienne le règne de Dieu et que s’établisse le salut du genre humain » (Gaudium et spes, 45).

56. Le nouveau contexte créé par Vatican II et par le mouvement œcuménique a contribué à l’apparition d’une nouvelle façon de faire de la théologie, qui était particulièrement attentive à la question du Royaume. Le Royaume de Dieu a assumé le rôle de clé herméneutique dans la théologie de la libération qui est née durant les années soixante-dix dans les pays en voie de développement, en particulier en Amérique latine. La situation économique, sociale et politique quasiment désespérée de la plupart des populations de ces pays a donné lieu à une lecture différente des principaux thèmes de la Bible, comme l’Exode, l’appel des prophètes en faveur de la justice et le thème du Royaume dans le Nouveau Testament. Ces grandes préoccupations de la Bible ont acquis un sens nouveau dans des contextes analogues à ceux où ils avaient été écrits : pauvreté noire, oppression, dépendance et injustice flagrante. Les opprimés sentaient que la Parole de Dieu s’adressait directement à eux, qu’elle s’intéressait à leur état et leur donnait un espoir et un courage nouveaux pour faire face à leur situation et s’en occuper. Le Royaume de Dieu était vécu non pas comme une idée abstraite ou un symbole, mais avant tout comme un principe d’action appelant à un changement et à un engagement de tous ceux qui accueilleraient sa souveraineté dans leur vie. « Car le Royaume de Dieu ne consiste pas en paroles, mais en action » (1 Co 4,20). Les Communautés ecclésiales de base, qui étaient une des principales sources d’où s’est développée la théologie de la libération, sont des communautés de culte. C’est en célébrant ensemble la Parole de Dieu et en méditant sur elle dans la prière que leurs membres parviennent à vivre le Royaume présent parmi eux et à comprendre que le message du Royaume de Jésus demande un engagement actif dans la lutte pour la justice et la liberté de leurs semblables. Le Synode des Évêques de 1971 a qualifié l’appel à l’action pour la justice et la participation à la transformation du monde de « dimension constitutive de la prédication de l’Évangile » (Justice dans le monde, 6).

57. La théologie de la libération a trouvé un écho également parmi les Églises réformées en Amérique latine et ailleurs. Un exemple marquant (mais également controversé) est la Confession cubaine de 1977, qui alliait les thèmes classiques de la théologie chrétienne aux impulsions dérivant d’une analyse marxiste critique de la société. Sur un front plus vaste, un des courants les plus actifs de la théologie réformée du dernier demi-siècle dans le monde a également été poussé par la conscience de la dimension politique de la proclamation chrétienne face à l’injustice sociale et économique, la discrimination raciale, les menaces à la paix et l’atteinte à l’environnement. Rétrospectivement, une pierre miliaire déterminante sur le chemin de cette nouvelle conscience a été la Déclaration théologique de Barmen en 1934. Il faut reconnaître que ce manifeste de l’Église confessante d’Allemagne n’était pas en soi une déclaration politique d’opposition au national socialisme allemand. C’était plus un défi théologique à ceux qui, dans l’Église (les « chrétiens allemands »), visaient à faire de l’Église évangélique allemande un instrument de l’idéologie nazie. L’auteur principal était le théologien réformé Karl Barth et son texte a été de plus en plus considéré dans la famille réformée comme un des principaux documents confessionnels. Son efficacité dans le contexte du Troisième Reich fut malheureusement limitée, mais sa voix a été entendue et s’est répercutée dans de nombreux autres contextes durant la seconde moitié du XXe siècle et au-delà – par exemple dans la Confession de Belhar (1986) en Afrique du Sud durant les dernières années de l’apartheid, ou plus récemment, dans la Confession d’Accra de 2004, adoptée par des représentants d’Églises au Conseil général de l’Alliance réformée mondiale.

58. Ces questions ont occupé une place importante dans le travail de l’Alliance réformée mondiale et dans d’autres secteurs de la famille réformée. Parmi les théologiens réformés, un penseur influent dans ce domaine a été Jürgen Moltmann. Ses écrits combinent les thèmes centraux de la théologie chrétienne, comprenant la christologie, la doctrine de la Trinité, le thème de la création et le message du Royaume de Dieu, avec un sens de responsabilité politique, sociale et écologique, à la fois contemporaine et orientée vers l’avenir, et offrent de nombreux points de contact avec le travail fait dans la tradition catholique romaine et dans d’autres traditions. Un aspect particulièrement positif de sa théologie est de ne pas tomber en proie aux anciennes dichotomies entre « Foi et Constitution » et « Life and Work », ou entre pensée « théorique » et pensée « contextuelle ». Au contraire, en comprenant la théologie comme une « réflexion critique sur la praxis », elle est attentive aux thèmes et perspectives théologiques centraux et fondamentaux, comme étant déterminants pour cette réflexion, mais qui exigent aussi d’être re-pensés à la lumière de la praxis.

59. L’exploration, par notre dialogue, de cette histoire d’interprétation, révèle quelque chose de la diversité de compréhension du Royaume de Dieu et de sa relation avec l’Église et le monde dans les traditions chrétiennes. En outre, nous reconnaissons franchement que, par moments, l’idée du Royaume de Dieu a été dénaturée pour servir à des fins contraires à la justice et à la paix, qui sont des aspects intrinsèques du règne de Dieu. Pendant les croisades, par exemple, des moyens violents ont été utilisés pour reprendre la Terre Sainte en imposant la terreur et la souffrance aux populations civiles, y compris des chrétiens. Plus tard, les efforts légitimes pour apporter l’Évangile à ceux qui ne l’avaient pas encore entendu a fait l’objet de terribles abus de la part de certains pour servir leurs propres desseins coloniaux.

60. La présente étude suggère au moins deux observations qui ont un intérêt particulier pour notre phase de dialogue actuelle et pour ce rapport. En premier lieu, nous avons délibérément choisi d’examiner non seulement le témoignage biblique relatif à notre thème, mais également des écrits de périodes ultérieures, surtout de l’époque patristique et de celle qui a suivi notre division. Réformés et catholiques romains considèrent que l’autorité des témoignages post-bibliques est liée à leur fidélité à la Parole de Dieu inspirée dans l’Écriture, bien que nous n’ayons pas encore atteint une conviction commune sur l’étendue de cette autorité. En second lieu, la phase actuelle de notre dialogue a délibérément choisi d’accorder une attention spéciale à la façon dont le contexte sert de facteur déterminant à la pensée et à la pratique chrétiennes, en particulier dans le domaine de l’action de l’Église en faveur de la venue du Royaume dans sa plénitude. « Contexte » ne devrait pas être compris simplement comme une localité ; en fait, « contexte » peut se rapporter à l’esprit d’une époque et peut s’étendre au monde entier. Le souci du contexte ne doit pas nécessairement impliquer un relativisme historique ou culturel concernant la foi chrétienne dans le Royaume de Dieu et le rôle de l’Église comme instrument de Dieu pour sa venue. L’étude présentée dans ce chapitre suggère que le milieu historique et culturel où se trouve la communauté chrétienne, jouera un rôle important en discernant la nature et les exigences du Royaume en tout temps et en tout lieu.

 

3. Perspectives théologiques convergentes

61. Le rapport de la première phase du dialogue international réformé - catholique romain déclarait : « L’Église professe que le Christ est lui-même le porteur du message de l’empire de Dieu sur l’humanité et de leur libération. Si l’Église va vers le monde, si elle porte l’Évangile aux hommes et s’efforce de réaliser plus de justice, plus d’esprit de conciliation et plus de paix, elle ne fait en cela que suivre son Seigneur dans les domaines qui lui appartiennent même à l’insu des hommes et où, de façon anonyme, il est déjà à l’œuvre ».[33] La proclamation et l’inauguration du Royaume de Dieu étaient intimement enracinées dans les paroles, les actions et la personne même de Jésus. Le Royaume, déjà présent dans l’événement Christ, prend forme chaque fois que des êtres et des cultures humaines sont en rapport avec lui.

62. Le Royaume de Dieu est une réalité aux multiples facettes, une partie de ce mystérieux dessein de Dieu pour le salut du monde. Il comporte diverses tensions ou polarités : le Royaume est à la fois présent et futur ; il réside dans le cœur des individus et transforme la société ; il est religieux et spirituel mais il a des conséquences séculières et politiques ; il grandit progressivement mais il peut aussi faire irruption soudainement dans un événement particulier. Il est l’œuvre de Dieu, mais il est soutenu par les actions des êtres humains. Le Royaume est présent avec une force et une puissance particulières dans l’Église, dont les premiers membres étaient ceux qui croyaient à la proclamation du Royaume par Jésus et avaient été envoyés pour annoncer la bonne nouvelle de sa réalité expansive à travers sa mort et sa résurrection. En même temps, le Royaume dépasse les limites de l’Église ; il est présent d’une manière cachée chaque fois que l'Esprit du Seigneur ressuscité inspire des individus et des communautés à vivre selon les valeurs de l’Évangile. Cette profondeur et cette complexité sont intrinsèques au mystère du dessein salvifique de Dieu. Une exposition théologique adéquate du Royaume soutiendra ces tensions.

63. Un équilibre analogue doit être maintenu concernant le fait que le Royaume est à la fois don et tâche. Le Royaume établit d’abord et avant tout une relation intime, d’enfant, avec Dieu, dans laquelle Dieu traite avec nous comme avec des filles et des fils ; nous sommes les enfants de Dieu. De cette orientation verticale découle une relation horizontale qui nous rend frères et sœurs. Ces deux relations sont essentielles. Notre adoption et ensuite notre vie comme enfants de Dieu sont à la fois un don et une tâche, tout comme le sont la création et le maintien d’une profonde communion humaine entre nous. Il existe une unité dynamique entre don et tâche. Le don est accepté précisément en entreprenant la tâche qui en découle. Ainsi, le Royaume transforme les relations humaines. Il grandit graduellement au fur et à mesure que les individus apprennent à s’aimer, à se pardonner et à s’entraider les uns les autres. Jésus enseignait que toute la loi pouvait être résumée dans le commandement d’amour (cf : Mt 22,34-40 ; Lc 10,25-28) et, la veille de sa passion, il ajoutait : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés… À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples, à l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13,34 ; cf. 15,12). Commentant ce passage, le Pape Jean-Paul II a écrit dans Redemptoris missio, 15 : « C’est pourquoi la nature du Royaume est la communion de tous les êtres humains entre eux et avec Dieu ». Le Royaume peut également être décrit en termes de libération et de salut ; il délivre du péché et de la mort de telle façon qu’il affecte les aspects tant physiques que spirituels de la vie humaine. De cette façon, comme le ministère de Jésus lui-même le démontre, le Royaume est destiné à toucher et améliorer la vie quotidienne des individus. Ce n’est pas principalement un concept, mais un appel à une réelle transformation de la vie personnelle et sociale dans les contextes dans lesquels ils vivent.

64. Le Royaume proclamé par Jésus fournit le contexte pour comprendre la nature et la mission de l’Église. Comme le déclare la Commission Foi et Constitution dans son document d’étude de 1990, L’Église et le monde (Chapitre III, 8) :

L'Église est cette partie de l'humanité qui a été amenée à accepter, à affirmer et à reconnaître plus pleinement encore la vérité libératrice du Royaume pour tous. C'est la communauté de ceux qui vivent la présence du Royaume et attendent activement son accomplissement ultime. L'Église est donc appelée, par sa vie, à être cette force au sein de l'humanité, qui témoigne de la volonté de Dieu pour le renouveau, la justice, la communion et le salut de tous. Recevant les dons de l'Esprit-Saint et sans cesse fortifiée par la Parole et le sacrement du Christ, l'Église est envoyée par Dieu pour témoigner du Royaume dans et pour ce monde brisé, et pour le proclamer, par ses paroles et ses actes, sa vie et sa souffrance - souffrance qui peut même aller jusqu'à la mort. Dans cette mission, l'Église est la communauté nouvelle de ceux qui veulent servir le Royaume pour la gloire de Dieu et le bien de l'humanité. Dans la mesure où elle est véritablement cela, l'Église est un signe effectif, un instrument de la mission de Dieu pour ce temps (aïon).

Dans cette perspective, on peut dire que le Royaume et l’Église ne sont pas identiques. Le Royaume est véritablement présent dans l’Église, et toutefois il est au-delà de l’Église en tant que destinée de toute la création. L’Église est censée servir l’établissement du Royaume en tant que signe prophétique et instrument efficace dans les mains de Dieu.

65. Cela signifie que les chrétiens seront actifs dans la promotion de la justice, de la libération des opprimés, de la paix et de la sauvegarde de l’environnement, et qu’ils joindront leurs efforts à ceux de toutes les personnes qui cherchent à promouvoir ces valeurs. Le Royaume est donc une raison de poursuivre le dialogue et la collaboration avec les représentants d’autres traditions religieuses et avec toutes les personnes qui cherchent à créer un monde plus humain, qui soit gouverné par Dieu et marqué par le genre de comportements dont parle Jésus lorsqu’il annonce le Royaume par la parole et l’action. La foi chrétienne n’exclut pas les autres de la sollicitude et de l’action de Dieu ; au contraire, les chrétiens se réjouissent du fait que Dieu est présent parmi tous les êtres humains et que les fruits de l'Esprit-Saint se trouvent parmi les adeptes de nombreux parcours spirituels. Lorsque ceux qui appartiennent à d’autres religions, ou même qui n’ont aucune foi religieuse, s’efforcent de réduire la souffrance humaine, de prendre la défense des opprimés, de préconiser des réponses efficaces lors de crises telles que les désastres naturels, la famine, la pandémie du VIH et du Sida, d’encourager la paix et la réconciliation et de demander aux gouvernements et aux sociétés de promouvoir la sauvegarde de notre planète, ceux-là sont alors nos partenaires. En raison de notre foi chrétienne nous voulons obéir au commandement du Christ, « Recherchez d’abord le Royaume de Dieu ». Nous nous unissons avec gratitude en solidarité à d’autres qui poursuivent quelques-uns des buts que nous avons mentionnés. Cela ouvre le chemin à un dialogue plus créatif et à la collaboration avec les adeptes des religions mondiales, ainsi qu’avec toutes les personnes qui cherchent à promouvoir les valeurs du règne de Dieu.

 

 

Chapitre II
Rendre témoignage au Royaume :
Trois récits dans des contextes différentS

66. En examinant le témoignage biblique du Royaume de Dieu, ainsi que les vues et les commentaires d’écrivains de l’histoire chrétienne sur ce thème, il apparaît clairement que réformés et catholiques peuvent dire beaucoup de choses ensemble. Ce matériel et ces vues bibliques glanés au cours des siècles sont d’importantes ressources pour les chrétiens qui s’efforcent de vivre les valeurs du Royaume dans le monde complexe d’aujourd’hui.

67. Manifestement, la quête de l’unité est plus qu’un travail intellectuel. Dans le dialogue, le progrès doit être accompagné par un approfondissement de la communion dans la vie des Églises, car « c’est du renouveau de l’âme, du renoncement à soi-même et d’une libre effusion de charité que partent et mûrissent les désirs de l’unité ».[34] Et parfois, une solidarité grandissante entre chrétiens donne une vigoureuse impulsion à la recherche d’un ultérieur progrès dans le dialogue théologique.

68. Dans cet esprit nous passons à présent aux trois récits qui sont partie intégrante de ce rapport. À la différence de la réflexion systématique qui caractérisait le Chapitre I et qui en caractérisera également d’autres, les récits qui suivent rappellent opportunément que ceux qui écoutent fidèlement la proclamation du Royaume par le Christ (cf. Mc 1,14-15), introduisent leurs convictions sur le Royaume de paix et de justice dans un labyrinthe de complexité humaine – la myriade de facteurs historiques, sociaux, culturels, politiques et religieux que l’on trouve dans toute société. Chaque récit illustre les diverses et souvent courageuses manières dont les membres de nos communautés chrétiennes ont cherché à vivre les valeurs du Royaume. Même dans de complexes conditions de grave conflit, face au danger et à la crainte de violentes représailles ou même de la mort, ils se sont efforcés d’apporter les valeurs de l’Évangile dans leur situation.

69. Un développement important, chaque fois que réformés et catholiques ont commencé à appliquer séparément leurs méthodes différentes d’aborder le principal problème du moment, est qu’ils ont fini par affronter tous les problèmes ensemble. Ce faisant, ils ont découvert une nouvelle ressource pour s’opposer aux forces de l’Anti-royaume, c’est-à-dire le pouvoir de porter un témoignage commun aux valeurs du Royaume de Dieu. Ils ont ainsi pris conscience de l’importance de l’appel à être visiblement unis en Christ pour le bien de la réconciliation des nations.

 

1. Soutenir les droits des aborigènes au Canada [35]

70. Au Canada, les défis du témoignage aux valeurs du Royaume de Dieu comprenaient les démarches entreprises par les Églises pour soutenir les droits des populations aborigènes. Le Canada est un vaste pays au climat nordique. Les hommes se sont implantés le long de la frontière méridionale, laissant de grandes parties de l’intérieur et du nord faiblement peuplées. La société canadienne est multilingue et multiculturelle, une remarquable mosaïque d’individus d’origines ethniques diverses. Toutefois, reflétant son développement historique, le pays est constitutionnellement bilingue, l’anglais et le français étant les deux langues officiellement reconnues. Selon les statistiques gouvernementales, 76,6% de la population se déclarent chrétiens. Alors que plus de trente Églises chrétiennes sont représentées au Canada, huit d’entre elles (catholique, Église unie, anglicans, baptistes, luthériens, orthodoxes, presbytériens, pentecôtistes) représentent 89,2% de l’ensemble. Pour plus de la moitié (56,3%), la population chrétienne appartient à l’Église catholique, dont environ la moitié est francophone.[36]

71. Au cours des trente dernières années, les chrétiens du Canada ont de plus en plus cherché des partenaires œcuméniques pour un travail de recherche et d’intervention sur des questions de justice sociale. Le résultat de cette collaboration a été que diverses organisations sociales et religieuses sont entrées dans de nombreuses coalitions. Anglicans, luthériens, presbytériens, catholiques romains et Églises unies ont pris part à la plupart de ces coalitions. D’autres Églises, telles que les mennonites, la Société religieuse des Amis et l’Armée du Salut y ont participé selon certains intérêts spécifiques. Depuis juillet 2001, le travail de ces coalitions interreclésiales est coordonné par un unique organisme appelé « Kairos : Initiatives œcuméniques canadiennes de justice ».[37]

72. Les coalitions de justice sociale ont constitué un moyen vital de coopération, servant d’agents de la mission des Églises d’annoncer le Royaume de Dieu dans le contexte canadien. Grâce au travail de ces coalitions, les Églises du Canada sont plus facilement considérées comme signes et instruments de la volonté libératrice de Dieu. En particulier, ce récit se concentrera à présent sur la formation et le mandat de la Coalition des droits aborigènes, une coalition qui reflète l’expérience de la mission chrétienne auprès de la population indigène du pays.[38] Ceci semble spécialement approprié pour étudier le développement de l’appréciation et de la mise en pratique des valeurs du Royaume de Dieu, et comme nouvelle compréhension du rôle de l’Église en tant que messager et serviteur de ce Royaume dans le contexte canadien. Dans les diverses réactions à cette coalition, l’impact de l’ecclésiologie de koinonia est clairement évident, ainsi que l’utilisation de l’analyse structurelle et des concepts de péché social.

73. Une brochure éducative publiée par la Coalition des droits aborigènes en 1995 retrace l’histoire des contacts-clé entre aborigènes et non-aborigènes dans ce pays appelé à présent Canada.[39] Le texte observe qu’avant l’arrivée des Européens, le pays était habité par de nombreuses peuplades indigènes, avec leur grand nombre de langues, cultures et traditions spirituelles différentes. En juillet 1534, les contacts de Jacques Cartier avec la Confédération iroquoise à Gaspe, comprenaient une présentation de l’enseignement chrétien. En1610, après un intervalle de plus de soixante-dix ans, Jesse Fleche entreprit une activité missionnaire parmi les Mi-kmaq. Les premières relations entre colons européens et populations aborigènes se basaient sur des arrangements commerciaux, des mariages mixtes et des alliances militaires. Ces relations furent formalisées par des traités conclus entre divers monarques européens et des nations indigènes, qui reconnaissaient l’indépendance et la souveraineté des uns et des autres. Le Traité de Two Row Wampun de 1613, entre les Iroquois et les Hollandais, exprime cette reconnaissance réciproque des deux nations sur des voies parallèles : « aucune ne dépassant ni ne coupant l’autre ».

74. Une période de colonisation et de conclusion de traités commença avec la Proclamation royale britannique de 1763, qui déclarait : « Les populations aborigènes ont des droits sur les terres qu’elles occupaient traditionnellement ; elles ne devraient être ni molestées ni inquiétées sur leurs terres sans que des traités soient formellement négociés ; seule la Couronne a le droit de conclure de tels traités au nom des colons ». En 1867, l’Acte nord-américain britannique conférait la juridiction exclusive sur « les Indiens et les terres réservées aux Indiens » au gouvernement fédéral du Canada nouvellement formé. De 1871 à 1921, une série de traités numérotés (n°1 – n°11) ont négocié la cession de terres des Premières nations depuis l’Ontario occidental jusqu’à l’Alberta et aux Territoires du Nord-Ouest. À partir d’environ 1850 et jusqu’à peu après 1970, des écoles avec pensionnat ont été créées par le gouvernement fédéral et gérées par les quatre principales confessions chrétiennes. Ces écoles ont contribué au programme gouvernemental d’assimilation, indiqué comme politique officielle dans son Livre Blanc de 1969. Les Églises et les populations aborigènes se sont énergiquement opposées à ce programme et en ont empêché la codification en droit écrit. À l’époque où la Commission royale pour les populations aborigènes publiait son rapport en six volumes, en novembre 1996, on reconnaissait que : « La politique d’assimilation a fait énormément de tort, laissant un sentiment de rupture qui affecte les aborigènes individuellement, leurs familles et leurs communautés ».[40] En fait, le but d’assimiler les indigènes dans la société canadienne signifiait l’éradication des langues, des cultures et des spiritualités aborigènes.

75. Convaincus de l’unité fondamentale de la race humaine et de l’universalité de l’offre de salut de Dieu, les missionnaires auraient dû avoir une idée généreuse du potentiel spirituel des aborigènes.[41] Mais cette conviction théologique ne s’était pas traduite en une évaluation positive de la condition spirituelle réelle de ceux qu’ils rencontraient. Les pratiques des aborigènes, qui étaient considérées soit irréligieuses soit idolâtres, devaient nécessairement être remplacées par l’engagement envers le Christ.[42] En outre, en essayant de réaliser le but souhaité, les missionnaires protestants et catholiques romains étaient eux-mêmes pris dans un conflit beaucoup plus profond qu’une simple compétition confessionnelle, les deux côtés étant persuadés que l’autre conduisait les Indiens à la perdition. Dans une atmosphère d’hostilité mutuelle, les missionnaires transmettaient leurs suspicions d’hérésie protestante ou de superstition catholique aux aborigènes convertis.[43]

76. Comme on l’a remarqué plus haut (Chapitre I, § 30), le Royaume de Dieu est à la fois un don et une tâche. La tâche « consiste en l’effort de vivre selon toutes les instructions éthiques du Nouveau Testament, du Sermon sur la montagne/la plaine (Mt 5-7 ; Lc 6) aux exhortations des Épîtres (e.g. Rm 12-15) ». Vers la fin des années soixante et le début des années soixante-dix, les Églises prenaient conscience de la nécessité d’un changement radical dans les rapports historiques avec les aborigènes, dont un grand nombre étaient membres d’une Église. En se basant sur le genre de solidarité qui est évidente dans les réponses anglicanes et catholiques romaines au Livre blanc du Gouvernement fédéral sur la politique indienne de 1969, ces nouveaux rapports comprendraient une action politique sur les questions sociales, économiques, environnementales et culturelles. Le nouveau centre d’attention de l’Église devenait plus urgent du fait que plusieurs entreprises s’étaient jointes au gouvernement dans le développement de nouveaux projets pour l’énergie et que, une fois de plus, les aborigènes étaient laissés en dehors du processus décisionnaire.

77. Le Projet interecclésial pour le développement du Nord, ou Projet Nord, a été lancé par les anglicans, les catholiques romains et les Églises Unies le 1er septembre 1975.[44] La Section canadienne de l’Église luthérienne en Amérique, le Comité central mennonite et l’Église presbytérienne au Canada, y ont adhéré en 1976. Le Conseil des Églises chrétiennes réformées du Canada, la Société religieuse des Amis (Quakers) et deux communautés religieuses catholiques, les jésuites et les oblats, en sont devenus partenaires dans les années qui ont suivi. Un programme de recherche, de communication et d’éducation a été proposé pour aider les Églises à soutenir les activités des populations indigènes du Nord dans leur lutte pour la justice et le règlement de leurs revendications territoriales, et pour demander aux habitants du sud du Canada de s’engager dans une action créative concernant les problèmes éthiques de développement du Nord.

78. En mars 1987, les Églises promotrices et les organismes ecclésiaux ont convenu de suspendre les opérations du Projet Nord pour une année de révision et de restructuration. Après un long processus de consultations et d’évaluations, la Coalition des droits aborigènes (CDA) a été inaugurée en décembre 1988. Basée sur un modèle décentralisé, la CDA se définit comme « coalition d’Églises et d’organisations ecclésiales agissant en partenariat et en alliance avec les organisations (politiques) et les groupes de réseaux régionaux aborigènes ».[45] Mettant l’accent sur la consultation, la participation et le travail en réseaux, la CDA décrit son évolution « à partir d’un groupe interecclésial pour aboutir à une coalition de trois groupes en partenariat, qui prennent les décisions et font le travail ensemble : Églises, groupes de réseaux qui font le travail sur le terrain dans tout le pays, et partenaires aborigènes ».[46]

79. Avec ses programmes d’éducation et d’action publique, la CDA apporte son soutien aux populations aborigènes dans certains domaines d’importance vitale, c’est-à-dire : obtention d’une juste solution des problèmes concernant les droits fonciers ; accroissement du développement économique et politique ; introduction des droits historiques dans la constitution canadienne ; réversion de l’érosion des droits sociaux fondamentaux des personnes et des communautés aborigènes ; recherche d’une réconciliation entre les populations aborigènes et toutes les couches de la société canadienne ; clarification des fondements moraux et spirituels en vue d’une action concernant les problèmes de justice des aborigènes ; opposition aux projets industriels et militaires qui sont une menace pour certaines communautés aborigènes particulières et pour l’environnement.

80. Alors que la CDA a un passé impressionnant d’actions en faveur des questions aborigènes de justice et est nettement engagée dans l’établissement de rapports plus dignes entre les aborigènes et les autres habitants du Canada, la coalition continue de se heurter à de sérieux problèmes. Les organisations aborigènes, souvent avec l’aide de conseillers professionnels, ont assumé bon nombre de rôles joués jusque là par les Églises. Cependant, le souci de la justice aborigène est la plus ancienne question de droits de l’homme au Canada, et la CDA doit trouver le moyen d’élargir la base de sa solidarité au-delà d’un petit noyau d’activistes. Deux problèmes spécifiques sont à présent au centre de l’attention : 1) trouver les liens structurels entre les communautés aborigènes et les autres secteurs de la société canadienne ; 2) explorer les dimensions théologiques et spirituelles de l’engagement dans les questions de justice aborigènes. À moins de résoudre ces deux problèmes, il sera impossible de créer ce que les Églises canadiennes considèrent comme des relations normales avec les populations aborigènes du Canada.

81. Des expressions d’hostilité réciproque aux XVIIIe et XIXe siècles, les Églises sont passées à la coopération œcuménique. Leur effort commun pour créer une nouvelle alliance avec les populations aborigènes du Canada reflète l’engagement à la koinonia et la reconnaissance de relations rétablies comme une partie intégrante de la venue du Royaume de Dieu. Le Royaume de Dieu est invoqué comme une sorte de miroir de la transformation que Dieu opérera dans les cœurs humains : une nouvelle alliance, un nouveau peuple qui vivra l’alliance comme Dieu l’a voulue depuis le commencement. Dans ce contexte, il semble évident que la notion de Royaume comme société idéale, caractérisée par l’égalité, la justice et la liberté, a été acceptée. Pour ceux qui sont impliqués dans ces coalitions, le Royaume de Dieu est considéré comme un appel à des actions transformatrices du monde.

 

2. Affronter l’apartheid en Afrique du Sud [47]

82. En Afrique du Sud, la lutte pour la vie, à la lumière du Royaume de Dieu, a impliqué de manière particulière la lutte contre l’apartheid. Un puissant mélange de facteurs philosophiques, culturels, sociaux, juridiques et économiques a contribué à ce qui a été appelé apartheid.[48] Alors que l’histoire des tensions, de la discrimination et de la ségrégation raciales remonte aux débuts de la colonisation hollandaise en Afrique du Sud, il est indéniable que les activités missionnaires chrétiennes ont également formé une partie intégrante de cette histoire.[49]

83. Pendant plus d’un siècle, l’Église réformée hollandaise (ERH) a joué un rôle décisif en s’efforçant de fournir une légitimité théologique à l’apartheid en Afrique du Sud. En 1855, des fidèles blancs d’une congrégation réformée rurale hollandaise refusèrent de partager la Cène du Seigneur avec des chrétiens noirs. Le Synode tenu en 1857 décida qu’il était « préférable et conforme à l’Écriture » que tous les croyants participent au même culte et à la même congrégation. Toutefois, là où ces mesures, « en raison de la faiblesse de certains », seraient un obstacle à la cause chrétienne, on pourrait jouir des privilèges chrétiens dans des bâtiments séparés et même dans des institutions séparées. Comme l’histoire l’a montré, la faiblesse de quelques-uns est devenue la norme pour un grand nombre.

84. En 1881, une Église séparée, l’Église missionnaire réformée hollandaise (EMRH), a été créée pour les chrétiens de couleur, et plusieurs autres ont vu le jour au cours du XXe siècle, toutes divisées entre elles sur des bases raciales ou ethniques. Bien que considérées comme des filles de l’ERH, elles n’avaient aucune unité structurelle ou visible les unes avec les autres. En fait, petit à petit, les membres de l’ERH (blanche) finirent par être persuadés qu’avoir des Églises séparées pour chaque nation était la norme selon l’Écriture et, donc, la volonté explicite de Dieu.[50] Cette politique ecclésiale fournirait plus tard les racines religieuses de l’idéologie d’apartheid et, depuis 1948, la politique officielle de l’apartheid. L’ERH a fait de plus en plus appel au gouvernement pour l’introduction de lois d’apartheid.[51]

85. Comme il a été dit plus haut (Chapitre I, § 30), la Bible ne parle jamais de notre construction du Royaume de Dieu. Les chrétiens sont plutôt appelés à de plus humbles tâches, telles que « éliminer les obstacles à la venue du Royaume de Dieu, par exemple les situations d’injustice », préparer les gens au Royaume « par l’instruction religieuse et morale et par la prière. En agissant ainsi, nous hâtons sa venue (2P 3,12) ». Dans les décennies après 1948, on assista à une croissante opposition à l’idéologie d’apartheid dans les milieux d’Église, tant à l’intérieur de l’Afrique du Sud que dans le mouvement œcuménique en général.[52] L’opposition à l’apartheid au sein de la famille de l’Église réformée hollandaise a atteint un moment critique en 1982, et une fois de plus l’Eucharistie y était impliquée. À la réunion de l’Alliance réformée mondiale à Ottawa, dix chrétiens noirs de ce que, dans la famille de l’ERH, on appelait les « Églises filles », refusèrent de participer à la célébration officielle de l’Eucharistie. Leur raison était simple : ce serait faux de le faire dans un contexte œcuménique, alors qu’ils étaient exclus de la Table du Seigneur dans l’ERH en Afrique du Sud. Après un long débat, le Conseil général de l’ARM reconnut que la théologie de l’apartheid en Afrique du Sud représentait une crise pour la tradition chrétienne elle-même. On estimait que le problème le plus grave était dans les convictions et les vues théologiques qui légitimaient la praxis de l’apartheid, qui contredisaient l’essence même de l’Évangile du Christ.

86. Le Conseil général de l’ARM constata que l’apartheid était un péché, et ce pour trois raisons : elle se basait sur un principe antichrétien selon lequel les êtres humains sont irréconciliables les uns avec les autres ; elle s’appliquait dans des structures raciales qui donnaient des privilèges exclusifs aux Blancs aux dépens des Noirs ; et elle créait une injustice oppressive et des souffrances à la majorité de la population de l’Afrique du Sud. Si bien que le Conseil général déclara : « Cette situation constitue un status confessionis pour nos Églises, ce qui signifie que nous la considérons comme une question dont la solution ne peut être différée sans compromettre sérieusement l’intégrité de notre confession commune d’Églises réformées. L’apartheid est un péché et sa justification morale et théologique est une parodie de l’Évangile, et, dans la persistance de sa désobéissance à la Parole de Dieu, une hérésie théologique ».[53] En conséquence, le Conseil général s’est senti obligé de suspendre deux Églises de l’appartenance à l’ARM, l’une d’elles étant l’Église réformée hollandaise – une décision qui allait au-delà des dispositions juridiques de la constitution de l’ARM.

87. Après avoir reçu le rapport de la conférence d’Ottawa, le Synode de l’ERMH annonça en outre un status confessionis concernant la légitimation théologique de l’apartheid. Un moment historique était arrivé. Après des décennies de controverses et de débats théologiques, le Synode se devait de dire clairement pourquoi il affirmait à présent que la vérité de l’Évangile lui-même était en jeu. Ce fut l’origine de la Confession de Belhar, une authentique expression de la conviction chrétienne réformée concernant l’unité de l’Église, la réconciliation des peuples avec Dieu et entre eux, la justice et la paix, et l’obédience à la Parole de Dieu. Les membres de l’ERMH acceptèrent le projet de confession avec enthousiasme. Les congrégations ecclésiales étudièrent le document pendant quatre ans et répondirent par écrit s’ils avaient trouvé le projet acceptable comme confession de foi. Ce n’est qu’après ce processus de réception que le Synode de 1986 accepta officiellement la Confession de Belhar comme confession de foi de l’ERMH.

88. Une nouvelle phase commença. En tant qu’Église réformée, l’ERMH ne pouvait qu’affirmer avoir réellement reçu la Confession de Belhar, dès qu’il fut clair pour tous que le contenu de cette confession avait vraiment eu un impact sur leur spiritualité et sur leurs vies. Le processus de réception entraîna un sens d’identité renouvelé et, en fait, il suscita dans l’ERMH un nouveau sentiment de vocation. En 1986, le Synode décida d’engager des dialogues avec les autres membres de la famille de l’ERH sur la base de la Confession de Belhar. Au cours de la toute première rencontre entre des représentants de l’ERMH et des délégués de l’Église réformée hollandaise (noire, africaine), les délégués de l’ERHA exprimèrent immédiatement leur désir d’accepter Belhar comme leur propre Confession. Autrement dit, la Confession de Belhar fournit la base de l’union entre ERHA et l’ERMH. Le 14 avril 1994 l’Église réformée unissante d’Afrique du Sud était née.[54]

89. Tandis que l’opposition à l’apartheid devenait de plus en plus militante dans les années quatre-vingt, la prise de conscience et la théologie des Noirs continuaient de gagner le consentement de nombreux chrétiens en Afrique du Sud. Sous la leadership de Steve Biko, et jusqu’à sa mort en détention dans les services de la sûreté en 1977, le Mouvement de Conscience Noir a développé une analyse théologique de l’oppression de classe et de la lutte de libération durant l’apartheid. En donnant une nouvelle définition du terme noir comme localisation d’une classe plutôt que classification raciale, les théologiens noirs se sont battus pour la libération de la mentalité d’esclave qui avait été inculquée par l’apartheid. Il n’est pas surprenant que les théologiens anti-apartheid aient puisé dans les ressources de la théologie de la libération latine américaine pour formuler une critique de la violence d’une oppression institutionnalisée. En 1985, en plein soulèvement populaire et de répression gouvernementale, un groupe œcuménique de théologiens publia le Document Kairos, une réflexion critique sur le rapport entre christianisme et violence dans la situation de l’Afrique du Sud. Ce document indiquait trois types de théologie : d’État, d’Église et la théologie prophétique. Alors qu’une théologie d’État avait été développée pour sacraliser le régime en vigueur, la théologie d’Église soutenait tacitement ce régime en professant la piété personnelle, la neutralité et la non-violence. Cependant, le Kairos d’Afrique du Sud exigeait une théologie prophétique défiant directement la position officielle de neutralité de l’Église, considérée injuste et conforme à celle de l’État. En soutenant que l’hérésie, l’état de péché et l’illégitimité morale de l’apartheid exigeaient des chrétiens qu’ils défient l’État et lui désobéissent pour obéir à Dieu, les théologiens de Kairos ont grandement contribué à cette prise de position prophétique.[55] Clairement, sur tous les fronts, au plan international et local, ainsi qu’au plan intellectuel et spirituel, la famille réformée a lutté pour s’assurer que « la position impie et répugnante [de l’apartheid] soit détruite ».[56] Par des moyens semblables à ceux-ci, les chrétiens réformés ont travaillé pour éliminer les obstacles à la venue du Royaume de Dieu.

90. L’Église catholique a elle aussi lutté contre l’apartheid, travaillant pour extirper cet important obstacle à la venue du Royaume de Dieu. Avant le Concile Vatican II (1962-65), l’ecclésiologie catholique a souvent identifié l’Église avec le Royaume de Dieu. Comme résultat de ce genre d’identification, la pratique de l’Église en Afrique du Sud s’est efforcée d’établir une société alternative dans laquelle les catholiques pouvaient vivre leur vie. Pour cette raison, des écoles, des hôpitaux et autres services ont été créés, en particulier dans la communauté des colons blancs, donnant ainsi aux catholiques l’occasion de trouver dans un milieu catholique les services sociaux dont ils avaient besoin.[57] Cette tendance à créer une société alternative a été considérablement renforcée par le grand nombre de sévères attitudes anti-catholiques et par un sentiment de menace et d’aliénation ressenti par les catholiques dans la société sud-africaine, où le soi-disant danger romain était un problème fixe pour l’ethos calviniste du Parti nationaliste au pouvoir. Par exemple, le compte rendu de la réunion de la Conférence des évêques catholiques d’Afrique du Sud (ECBAS) en 1957, indique que « le gouvernement a déjà déterminé que l’Église catholique ne devait pas dépasser cinq pour cent de la population ».[58] Un but et une intention analogues, visant à créer une société alternative, existaient dans l’Église de la Mission catholique,[59] mais le manque de moyens faisait que tous les domaines de la vie ne pouvaient pas être réglementés par l’Église, de sorte que l’instruction est devenu son principal centre d’intérêt et l’instrument de son activité missionnaire. En 1953, l’Église catholique administrait 15% de toutes les écoles noires, de loin la plus visible présence catholique dans la société.

91. Après Vatican II, l’ecclésiologie émergente mis plus nettement l’accent sur la distinction entre l’Église et le Royaume de Dieu. En 1980, une nouvelle phase de l’engagement catholique dans la société sud-africaine a commencé. Les notions de Projet de Dieu pour la société et Le projet de l’Église pour faire la volonté de Dieu devinrent les principales clés théologiques employées par la hiérarchie sud-africaine dans son propos officiel. En 1989, après dix années de consultations et de planning, les évêques ont adopté, pour l’Église en Afrique du Sud, le projet pastoral intitulé La communauté au service de l’humanité.

92. Deux raisons principales sont à l’origine du projet pastoral. En premier lieu, Vatican II avait suscité une réévaluation de la mission et du ministère partout dans le monde, qui se poursuivit à l’assemblée du Synode des évêques en 1974 à Rome, dont le thème central était l’évangélisation. Ce fait poussa les évêques sud-africains à entreprendre leur propre étude de l’évangélisation dans l’Afrique du Sud contemporaine. Le problème principal pour l’Église catholique apparut absolument clair : dans un pays à écrasante majorité noire, l’Église était structurée selon des critères qui étaient étrangers et blancs. En second lieu, la situation sociale et politique s’aggravait de plus en plus, surtout après les émeutes d’étudiants à Soweto, le 16 juin 1976.[60] Un processus de consultation et de discernement, impliquant des catholiques de toute l’Afrique du Sud, porta finalement au projet pastoral. Ce projet énonçait quatre objectifs principaux pour l’Église : s’inspirer de la conception de l’Église de Vatican II comme peuple de Dieu appelé à la sainteté de vie ; se rapporter aux réalités de la vie en Afrique du Sud ; être clairement visible comme une communauté au service du genre humain ; s’engager dans la formation continue de tous les membres de l’Église selon la vision exprimée dans ces thèmes.

93. En 1985, le Comité consultatif théologique de l’ECBAS a publié un rapport intitulé Les choses qui portent à la paix. Examinant la moralité de la violence dans le contexte sud-africain, le rapport exhortait l’Église à faire face à ses responsabilités politiques et sociales : « La tâche de l’Église est de faire connaître la sollicitude et la conduite de Dieu dans le domaine politique, et de ne pas donner l’impression qu’on ne trouve Dieu que dans le culte religieux ou dans les relations personnelles. Jésus a lui-même montré ce genre de souci lorsqu’il prêchait non seulement le salut personnel mais la venue du Royaume de Dieu ».[61] Le Royaume apporté par Jésus dans sa prédication établit un nouveau type de structure. Surtout, le Royaume de Dieu est manifesté en libérant les gens de toute forme d’oppression et en leur inspirant le désir de vivre ensemble dans la liberté et la paix.

94. Un autre aspect important de la pratique ecclésiale catholique en Afrique du Sud était la protestation du clergé et des laïcs contre les lois injustes. Dans une série de sept Lettres pastorales, les évêques ont protesté contre l’apartheid et ont fait appel au gouvernement en invoquant l’enseignement social catholique, qui propose des normes morales claires, aussi bien pour l’État national que pour la communauté internationale. La clé herméneutique de ces lettres est la dignité humaine, et la condamnation du principe de l’apartheid comme quelque chose d’intrinsèquement mauvais.[62] Les activités humaines doivent être guidées par la lumière de l’Évangile, et les aspirations nationalistes ne peuvent donc pas être le critère suprême par lequel les finalités sont déterminées.[63] En 1972, l’Appel à la conscience, lancé par les évêques, a représenté un changement en vue d’une solidarité avec les pauvres, surtout avec les victimes de la politique d’apartheid. La majorité de la hiérarchie a abandonné le point de vue représenté par la société blanche et s’est tournée vers un engagement plus radical en faveur des dépossédés d’Afrique du Sud. Ce document, et d’autres qui ont suivi, ont commencé à aborder des questions comme les salaires équitables, l’instruction et une action plus orientée vers la praxis.

95. Avec le document de l’ECBAS de 1977, Déclaration d’engagement pour la justice sociale et les relations raciales dans l’Église, les dirigeants de l’Église catholique sont intervenus plus activement dans la lutte contre l’apartheid. Entre autres, le plan d’action comprenait un changement dans les attitudes et les coutumes sociales offensantes, un avancement des Sud-africains noirs dans l’Église, une action en vue d’une consultation pastorale pour la future politique de vie ecclésiale et d’apostolat, avec la participation d’une majorité noire. Des groupes de Justice et Paix ont commencé à se former dans les diocèses de tout le pays, et une Commission nationale de Justice et Réconciliation, créée par l’ECBAS, a fortement encouragé les catholiques désireux de s’engager dans la lutte pour l’égalité. Un des premiers mouvements catholiques impliqué dans les questions de justice, a été celui des Jeunes travailleurs chrétiens. Ce mouvement avait été introduit en Afrique du Sud au début des années cinquante et a rapidement été mêlé aux problèmes des travailleurs. Ses méthodes de formation, par des réunions de groupe structurées et des week-ends d’étude, ont été très efficaces pour la préparation de leaders, dont un bon nombre sont devenus des dirigeants de mouvements syndicaux.

96. Comme les réformés qui avaient dû faire face à un problème de racisme interne, de même la position de plus en plus marquée de l’Église catholique contre l’apartheid a provoqué l’émergence de groupes catholiques opposés à ce changement. Le premier évêque noir diocésain a été nommé par le Vatican déjà en 1957. Aussitôt, des catholiques blancs de ce diocèse ont protesté contre un non-européen nommé évêque d’européens. De telles attitudes dans la culture coloniale, ce qu’on appelait le mode de vie sud-africain, étaient courantes parmi les Blancs, y compris les soi-disant « bons catholiques ». Des groupes se sont formés, comme la Ligue de Défense catholique, affirmant que les efforts de l’Église contre l’apartheid étaient influencés par la philosophie marxiste et les organisations communistes. Ils considéraient le Royaume de Dieu comme une réalité détachée du monde et la pratique de l’Église comme une activité purement religieuse qui concernait le culte. En 1979, l’ECBAS publia une déclaration désavouant l’activité de ce groupe. En 1988, les bureaux de l’ECBAS ont subi un attentat à la bombe.

97. Alors que dans les paragraphes précédents, les initiatives réformées et catholiques ont été traitées séparément, ce serait une grosse erreur de donner l’impression que les deux communautés agissaient isolément. Il est indéniable que la lutte contre l’apartheid a rapproché les Églises. Le sentiment croissant d’un but commun parmi les chrétiens, a vu individus et organisations agir ensemble dans de nombreux projets. La Diakonia Ecumenical Agency de Durban en est probablement un des meilleurs exemples. Les programmes sociaux et les cours de formation de Diakonia ont intéressé des chrétiens de plusieurs confessions dans un effort de donner une réponse à la crise sociopolitique des années soixante-dix et quatre-vingt. Les diverses consultations entre Églises, comme celles qui se sont tenues à Cottesloe (1960) et à Rustenburg (1990), ont permis aux responsables chrétiens d’échanger leurs idées et de rapprocher leur vision et leur praxis. Cette unité de convictions a souvent été soutenue par des marches, bon nombre desquelles comportaient une confrontation avec la police, ainsi que par des manifestations plus structurées, comme la campagne ‘Pour la Vérité’ lancée par le Conseil des Églises de l’Afrique du Sud (CEAS) en 1988. Durant cette période, l’ECBAS et d’autres organisations catholiques ont publié de nombreux documents avec le CEAS ou avec leurs homologues non catholiques.[64] L’importance de la collaboration œcuménique apparaît dans la déclaration suivante de l’ECBAS : « La collaboration entre l’ECBAS et la CEAS a été excellente dans les problèmes socio-économiques et politiques d’ordre pratique, du fait que les deux organismes étaient convaincus que l’Évangile de Jésus Christ devait être introduit et vécu dans ces domaines, et de transformer ainsi la société sud-africaine ».[65]

98. Une ultérieure observation peut être faite à propos de la lutte courageuse menée contre l’apartheid en Afrique du Sud, surtout en ce qui concerne l’Église locale et universelle. D’habitude, une Confession réformée est faite d’une communauté chrétienne géographiquement circonscrite en réponse à la situation concrète à laquelle des croyants doivent faire face dans leur vie quotidienne. Toutefois, dans l’exemple de l’apartheid, un organisme beaucoup plus vaste intervient dans le processus. À la réunion de l’Alliance réformée mondiale à Ottawa, des chrétiens réformés de différentes régions du monde ont acquis la conviction que le défi de l’apartheid en Afrique du Sud était devenu un tel motif de division, et d’une telle urgence, que le moment de la vérité était venu pour l’Alliance elle-même. Par conséquent, l’ARM a pris l’initiative et a déclaré le status confessionis ; l’ERMH a alors tiré les conséquences de cette décision pour son propre contexte en Afrique du Sud.

99. L’engagement de l’Église catholique dans la vie de l’Afrique du Sud au cours des cinquante dernières années reflète sa propre auto-compréhension de la dépendance mutuelle entre Église locale et Église universelle. L’Église catholique locale était profondément engagée dans la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud et, dans les défis auxquels elle devait faire face, elle apportait à l’Église universelle d’importantes et vitales expériences de mission. Le besoin évident d’une plus profonde inculturation de l’Église dans les cultures locales est sans aucun doute l’exemple le plus frappant.

100. En même temps, l’Église universelle influençait directement la façon dont l’Église catholique en Afrique du Sud réagissait dans son difficile contexte. La vision de Vatican II de l’Église comme peuple de Dieu encourageait les catholiques à s’engager personnellement dans le témoignage des valeurs de l’Évangile à tous les niveaux de la société. Le Projet pastoral (1982) était une tentative courageuse de mettre cette vision en pratique dans le contexte sud-africain. De même, dans la confrontation avec le racisme parmi ses propres membres, un fait marquant a été l’installation, par le Vatican, du premier évêque noir dans un diocèse sud-africain. L’influence de Gaudium et spes a porté à la création de commissions Justice et Paix, qui devinrent à leur tour des points de ralliement pour les catholiques engagés dans la lutte pour la justice.

101. En bref, pour réformés et catholiques, même avec leurs compréhensions particulières de l’ecclésiologie, il n’y a guère de doute que leur propre expérience de l’Église universelle a concouru au renouvellement de l’Église en Afrique du Sud et a contribué de façon significative à la façon dont l’Église locale a réagi aux outrages de l’apartheid à l’égard de la crédibilité de l’Évangile du Christ. En outre, l’Église locale en Afrique du Sud, tant pour les réformés que pour les catholiques, en s’efforçant de vivre l’Évangile dans un contexte où les plus graves défis étaient posés au genre humain, rendait témoignage à l’Église universelle de quelques vérités éternelles, et précisément qu’il est impossible de séparer théologie et éthique, doctrine et vie, confession par la parole et par l’action. Dans ce sincère témoignage commun, beaucoup ont subi le martyre, d’autres ont été emprisonnés ou torturés pour avoir choisi le Christ et les valeurs du Royaume. Quelques mots de la glorieuse Confession de Behar peuvent exprimer ce qui était en jeu tant pour l’Église réformée que pour l’Église catholique : « L’Église, comme propriété de Dieu, doit se tenir là où il se tient, à savoir, contre l’injustice et avec ceux que l’on maltraite ; en suivant le Christ, l’Église doit témoigner contre les puissants et les privilégiés qui cherchent égoïstement leur propre intérêt et dominent ainsi les autres et leur font du mal ».

 

3. Lutter pour la paix en Irlande du Nord [66]

102. En Irlande du Nord, les efforts de quelques chrétiens pour vivre et témoigner des valeurs du Royaume de Dieu, ont entraîné le besoin de lutter contre des facteurs complexes qui encouragent la violence. Dans son paysage et avec ses habitants, l’Irlande du Nord est un lieu d’une grande beauté et d’une riche culture.[67] Aux yeux du monde extérieur, toutefois, elle est surtout connue à travers les informations qui rapportent la plus affreuse violence. Comme pour la plupart des conflits politico-religieux, celui-ci a de profondes racines historiques. La politique de l’Irlande du Nord est dominée par la question : « union ou séparation ». Même avant la période violente, ce conflit politique était classé, selon des catégories religieuses spécifiques, comme le conflit entre une majorité protestante au pouvoir, fidèle à l’union avec la Grande Bretagne, et une minorité catholique socialement et politiquement marginalisée, croyant fermement à une Irlande unie.

103. Avant la montée de la violence dans les dernières années soixante, les Églises protestante et catholique demeuraient peu critiques à l’égard de ces alliances politico-religieuses. Jusqu’au début des années soixante-dix, il n’y avait pas de dialogue officiel entre les traditions réformées et l’Église catholique romaine ; leurs rapports étaient au mieux ceux d’une coexistence polie, au pire, de franche suspicion et hostilité.

104. Pour le côté protestant, l’Église catholique romaine, et ce qui était considéré comme une influence excessive sur les mécanismes et les institutions de l’État en République d’Irlande, étaient une source de fortes craintes et de suspicion.[68] Le modèle ecclésiologique repris plusieurs fois dans les encycliques papales, par exemple dans Mystici corporis et Humani generis, était celui de l’Église comme société parfaite.[69] Les structures et institutions ecclésiales étaient vues comme l’irruption du Royaume de Dieu dans l’histoire. Dans ce contexte, l’Église était le Royaume. Reflétant quelque peu cette mentalité, les nationalistes du Nord, après le partage de 1921, maintinrent les distances vis-à-vis de l’État protestant et devinrent « une société dans la société ».[70] L’Église catholique devint l’institution clé d’intégration de la communauté ; il y avait un lien inextricable entre catholicisme, culture et nationalisme politique irlandais.

105. Pour le côté catholique, l’Orange Order était perçu comme une importante force unificatrice parmi les éléments, par ailleurs disparates, du protestantisme et de l’unionisme. Motivé par le serment de « s’opposer vigoureusement aux erreurs fatales de Rome » et de « soutenir un État protestant pour un peuple protestant », il encourageait les relations entre Unionisme et Orangisme.[71] Au cœur de cet alignement entre Unionisme et Orangisme, il y avait une ecclésiologie du Royaume, souvent inexprimée. L’Orange Order était considéré comme la manifestation politique extérieure et la célébration du Royaume de Dieu dans ce qui, pour de nombreux protestants, était la terre élue d’Irlande du Nord.

106. En conséquence, jusqu’au dialogue œcuménique officiel des années soixante-dix entre les Églises, les deux communautés, en Irlande du Nord, menaient des vies en grande partie autonomes et politiquement séparées. D’un point de vue critique, ce qui soutenait cette expérience en termes religieux était l’existence de deux ecclésiologies qui s’excluaient mutuellement, dans lesquelles la proximité entre le Royaume de Dieu et les structures visibles de la vie ecclésiale était supposée traduire celles-ci, plus ou moins directement, en entités ecclésiales politiques indépendantes et mutuellement exclusives.

107. Dans l’Évangile de Jean, comme nous l’avons déjà vu (Chapitre I, § 41), « la mission de Jésus est d’apporter la paix. Le message du Christ ressuscité est la paix » (Jn 14,27 ; 16,33 ; 20,19). Alors, comment les Églises pouvaient-elles devenir d’authentiques instruments du Royaume de Dieu ? Que devaient-elles faire pour devenir des instruments de paix ? Comment pouvaient-elles aider leurs communautés respectives à parvenir, à travers des idéologies de conflit qui s’excluent réciproquement, à une structure d’intérêts et d’interdépendance collectifs ?

108. Dans la perspective catholique, les germes de ce changement ont été trouvés dans l’aggiornamento ecclésiologique du Concile Vatican II. Une tendance précédente orientée vers une auto-compréhension insulaire de l’Église a été remplacée par un profond sentiment de la relation de l’Église avec le monde. En même temps, l’accent mis sur l’Église comme « sacrement de… l’unité de tout le genre humain » (LG, 1) imprima un nouvel élan à la recherche de l’unité des chrétiens, ainsi que d’un dialogue constructif avec les autres religions mondiales. Les implications du Décret sur l’œcuménisme (Unitatis redintegratio) pour l’Église catholique en Irlande du Nord furent immenses.

109. Le nouvel élan œcuménique et le nouvel engagement social étaient à la fois opportuns et providentiels. Depuis 1969, une forte intensification de la tension et de la violence avait eu lieu entre les communautés. Dans la même année, la naissance du groupe de travail formé par les quatre principaux responsables d’Église est considérée comme le premier signe d’une coopération officielle entre catholiques romains et protestants.[72] Lorsque les troubles s’intensifièrent, ce groupe devint un témoin vital de tolérance et de respect entre les communautés dans une situation par ailleurs désespérée. En mai 1970, l’action des quatre leaders d’Église conduisit à l’établissement du Groupe mixte irlandais entre le Conseil des Églises et les catholiques romains.[73] Des membres d’Église, souvent au prix d’importants risques personnels, cherchèrent à donner une expression visible à leur conviction qu’on ne servait pas le Royaume de Dieu par les conflits et la violence entre les communautés. En mars 1972, la Conférence épiscopale irlandaise invita les représentants des Églises protestantes en Irlande à une réunion mixte où il aurait été possible d’examiner toute la question de l’œcuménisme. Le Conseil irlandais des Églises (CIE) répondit en accueillant chaleureusement l’invitation des évêques catholiques comme « une des initiatives les plus progressistes prises en Irlande ». À son tour, cette initiative donna lieu à la première réunion de Ballymascanlon en 1973, devenue par la suite la Réunion interconfessionnelle, qui continue de se tenir jusqu’à ce jour.[74]

110. Deux projets, parmi ceux qui ont eu le plus d’influence, issus de ce vigoureux nouvel œcuménisme, ont été l’établissement de la Campagne de Noël pour la paix en 1974, et successivement la création du groupe de travail interecclésial sur La violence en Irlande, qui a présenté un rapport en 1976.[75] Ce témoignage chrétien commun donna une voix prophétique à la possibilité d’instaurer le respect, la tolérance, l’amitié et même le pardon par-delà le fossé politique, religieux et culturel existant. Alors que les leaders politiques restaient campés sur des positions traditionnelles, les responsables des Églises s’efforçaient d’établir des ponts entre les communautés locales.[76]

111. En fin de compte, l’impact de ces efforts sur les événements qui suivirent en Irlande du Nord est inestimable. Les épineuses questions du moment étaient débattues franchement et souvent douloureusement, mais c’était désormais dans le cadre des limites modérées du respect et du pardon chrétiens. De la vision prophétique, de la prévoyance et de la persévérance de ces diverses activités basées sur l’Église témoignent le grand nombre des concepts et valeurs établis à travers leur réflexion qui allaient émerger quelque vingt ans plus tard, encore qu’en termes plus séculiers et politiques, dans les Accords de Belfast.[77] Un exemple particulièrement frappant à ce propos se trouve dans les principes proposés par le Groupe de travail inter-églises sur la Violence en Irlande, à savoir que :

- les Églises et leurs membres agissent en toute justice entre elles et les unes envers les autres ;

- les Églises viennent en aide aux victimes de l’injustice et encouragent leurs membres à entreprendre toute action légitime pour éliminer l’injustice ;[78]

- les Églises ne doivent pas hésiter à orienter directement l’opinion publique sur les questions de justice, et à prendre position ensemble en faveur de toute proposition politique qui combat clairement l’injustice ;

- les Églises devraient promouvoir et soutenir la réconciliation ;

- les Églises devraient encourager tous les responsables politiques à penser que leur tâche est de parvenir à un juste accord avec leurs opposants plutôt que d’obtenir une victoire sur eux, et que dans ce but, ils devraient être ouverts à toute proposition de solution raisonnable.

À l’époque, ces propositions étaient assez exceptionnelles pour les valeurs qu’elles exprimaient et leurs implications pratiques. D’un point de vue politique, elles étaient prophétiques.

112. Au plan de l’île tout entière, la Conférence des évêques irlandais a créé une série de Commissions épiscopales, en particulier la Commission irlandaise pour la justice et la paix, la Commission pour l’assistance sociale et la Commission irlandaise pour les prisonniers d’outremer. Ces Commissions sont devenues de précieuses ressources d’aide pastorale et concrète. La CIJP, par exemple, a joué un important rôle de médiation durant les grèves de la faim de 1981 ; elle a fourni une analyse détaillée du déséquilibre religieux dans les rangs du Service civil d’Irlande du Nord et dans d’autres secteurs de l’emploi (qui a conduit indirectement à la création de l’Agence de placement équitable), et a créé avec le CEI un Projet mixte d’éducation pour la paix.

113. Les évêques catholiques romains ont eux aussi demandé à la communauté politique de s’occuper des inégalités sociales et économiques du moment. Des représentants ecclésiaux ont commencé à se réunir avec des ministres d’État britanniques et des fonctionnaires locaux, avec lesquels ils pouvaient aborder les problèmes ouvertement et franchement.[79]

114. Une des caractéristiques majeures de la leadership ecclésiale a résulté de leur ministère auprès des familles des victimes. Les obsèques publiques elles-mêmes étaient une occasion propice pour le clergé catholique et protestant de proclamer les valeurs chrétiennes devant la plus vaste audience possible. Diffusées sans réserves par les média, ces obsèques comportaient souvent de courageux appels des familles des victimes : pour un nouvel esprit de pardon, le rejet de la violence, le respect de la diversité religieuse et la nécessité d’une marche en avant caractérisée par ces valeurs. Sans aucun doute, ces appels ont influencé l’impulsion et l’orientation de la subséquente recherche d’une solution politique.[80]

115. Réconciliation signifie aller au-delà du juste et de l’injuste de ce conflit, briser le cercle vicieux de la violence réactive pour créer de nouveaux rapports durables. Il était nécessaire d’accorder une pleine reconnaissance constitutive et une expression politique et institutionnelle adéquate aux deux identités à tous les niveaux décisionnaires, de façon identique aux protestants et aux catholiques. « Le problème de l’Irlande du Nord est de trouver des formes de participation pour les deux traditions, et non pas des manières de supprimer l’une ou l’autre, ni de soumettre l’une à l’autre. Le problème est de permettre à deux loyalismes également valables, qui ont chacun un droit historique et moral tout autant valable, d’être une partie intégrante de l’Irlande du Nord. Reconnaître deux loyalismes en Ulster, deux identités de l’Ulster, est une condition préalable indispensable à toute solution au problème complexe de l’Irlande du Nord ».[81]

116. Dans la préface, les Accords de Belfast confient à tous les participants la tâche de « réaliser la réconciliation, la tolérance et la confiance mutuelle, ainsi que la protection et la défense des droits de tous, le partenariat, l’égalité et le respect mutuel comme base des relations ». La fin d’un gouvernement de la majorité qui tient peu compte de la minorité, le principe du consensus de toute la communauté, le retour à la décentralisation, la création d’une Commission des Droits de l’homme, la proposition en faveur d’une Déclaration des droits, l’interdépendance des institutions Nord-Sud, Est-Ouest, la révision du système de contrôle policier et de justice criminelle, la nouvelle Commission pour l’égalité, la nouvelle Commission pour les victimes, la reconnaissance de la diversité linguistique, l’engagement en faveur de l’inclusion sociale et du développement économique, l’engagement en faveur de l’emploi exclusif de moyens pacifiques et démocratiques pour résoudre le conflit irlandais, tous ces points étaient à la fois implicites et explicites dans les commentaires et les écrits d’un grand nombre de personnes et de groupes interecclésiaux pendant la période qui a conduit aux Accords de Belfast. Un tel engagement est encore aujourd’hui nécessaire là où des tensions et le conflit communautaire pourraient refaire surface.

117. Il est hors de doute que les facteurs religieux, comme les conflits doctrinaux non résolus du XVIe siècle, ont joué un rôle important dans l’identité politique et culturelle des deux parties en conflit. Pour un grand nombre de croyants, comme de non-croyants, les querelles politico-religieuses entre catholiques et protestants en Irlande du Nord pendant la deuxième moitié du XXe siècle n’étaient pas simplement un témoignage contraire au christianisme ; c’était un affront à l’Évangile du Christ. Quatre siècles après la division de l’Église occidentale, les effets délétères de la désunion se ressentent encore aujourd’hui dans des formes réellement atroces.

118. Qu’attendait-on alors des Églises d’Irlande du Nord face à cette situation ? D’après les faits décrits ci-dessus, il est indéniable que les Églises catholique et protestante ont parcouru un long chemin ensemble et ont cherché à vivre les valeurs du Royaume de Dieu dans une situation réellement difficile. Mais qu’est-ce qui a facilité ce nouvel objectif commun ?

119. En ce qui concerne l’Église catholique, on ne pourrait surestimer l’événement libérateur que constitua l’aggiornamento du Concile Vatican II (1962-65). Sous l’influence du mouvement d’études bibliques, qui a renouvelé l’exégèse et l’enseignement dans le catholicisme contemporain, l’Église a cherché de présenter ses idéaux évangéliques avec une vigueur nouvelle. À travers le travail du Concile, l’Église a pris conscience, une fois de plus, de la possibilité de présenter ces idéaux en termes scripturaires efficaces. Le résultat a évidemment été une ecclésiologie renouvelée qui a ouvert la voie à de nouveaux développements dans chaque Église locale à travers le monde, y compris l’Église d’Irlande du Nord. La vision quelque peu « repliée sur elle-même » que l’Église avait de soi jusque-là fit place à un profond sentiment de la relation de l’Église avec le monde. Les catholiques ont été officiellement encouragés à développer des relations amicales avec leurs voisins protestants.

120. Il est important de ne pas oublier l’impact de la metanoia de l’Église catholique sur la communauté protestante elle-même. Il est clair qu’un changement dans une partie du corps est potentiellement capable d’en affecter la totalité. Beaucoup auraient été surpris et peut-être même quelque peu méfiants devant ce soudain changement de centre d’intérêt. Néanmoins, de vastes secteurs de l’Église protestante ont fait bon accueil aux opportunités pouvant résulter d’une nouvelle ère dans les relations interconfessionnelles. L’impact potentiel final de ces efforts œcuméniques demeure imprévisible.

121. Comme toujours, un nouvel engagement envers les mandats de justice et de paix du Royaume était évidemment loin d’être facile pour les personnes concernées. Il exigeait un témoignage chrétien impérieux, face à un mal terrible et terrifiant. En épousant les valeurs du Royaume, beaucoup ont connu personnellement la violente résistance que le Christ lui-même a supportée lorsqu’il proclamait le Royaume de Dieu. Il y a eu des martyrs des deux côtés. Où donc un témoignage si héroïque trouve-t-il sa force ? Pour catholiques et protestants, ce qui reste est la primauté de la grâce dans la fervente célébration de la Parole et des sacrements. Dans la liturgie, l’Église reste en contact avec le Seigneur ressuscité et ce contact l’incite à demeurer fidèle, même si cela comporte le témoignage suprême du don de la vie pour les valeurs du Royaume du Christ.

122. Où les gens de l’Irlande du Nord vont-elles aller à présent ? Il est clair que les Églises ont maintenant la responsabilité de continuer à marcher ensemble afin de témoigner ultérieurement ensemble des valeurs éternelles du Royaume de Dieu, même si ce témoignage continue parfois à se heurter à l’impénétrable mystère du mal.

 

Conclusion

123. Les trois récits qui viennent d’être présentés, illustrant les efforts pour promouvoir les valeurs du Royaume, impliquent une myriade de facteurs liés à chacun des contextes spécifiques et uniques. Ils soulèvent d’importantes questions pour réformés et catholiques dans leurs efforts en vue d’approfondir et étendre les possibilités de témoignage commun de manière cohérente. Comment pouvons-nous discerner ensemble, dans des situations différentes, la volonté de Dieu dans le service du Royaume ? C’est cette question de discernement que nous examinerons ensemble dans le Chapitre III.

 

 

Chapitre III
Discerner la volonté de Dieu dans le service du Royaume

124. La moisson d’enseignements bibliques et traditionnels sur le Royaume de Dieu, et les récits de témoignages communs de nos communautés au Canada, en Afrique du Sud et en Irlande du Nord, présentés dans les deux chapitres précédents, montrent comment notre identité de communautés chrétiennes est elle-même enracinée dans l’acceptation du message de Dieu et dans les efforts pour vivre ce message dans les circonstances de notre temps. L’association entre ces chapitres est importante pour notre présent rapport, dans la mesure où elle fait ressortir la corrélation entre Évangile entendu et Évangile vécu, chacun éclairant l’autre. Comme tels, ils conduisent directement à ce troisième chapitre qui examinera à présent comment nos communions discernent la volonté de Dieu pour le service du Royaume dans les situations actuelles partout dans le monde.

 

1. Le discernement et l’Esprit-Saint

125. On peut décrire le discernement comme le processus d’écoute de l'Esprit-Saint pour découvrir la présence de Dieu, les signes de l’activité de Dieu dans l’histoire de l’humanité et la volonté ou l’appel de Dieu dans une situation donnée. Il dévoile la présence du Royaume de Dieu, que saint Paul décrit succinctement en termes de « justice, paix et joie dans l'Esprit-Saint » (Rm 14,17). Là où ces qualités sont absentes, ou même violées, les disciples du Christ sont appelés à travailler pour un changement, en obéissance à son commandement : « Cherchez d’abord le royaume » (Mt 14,33). Le « discernement des esprits » est un des dons accordés par l'Esprit-Saint pour le bien commun (1 Co 12,10) ; il permet à la communauté chrétienne de promouvoir les valeurs de l’Évangile qui ressortent des paroles et des actions de Jésus. Il donne de nouvelles idées sur l’événement-Christ et de nouvelles perspectives à la communauté en général, en l’invitant à rencontrer Dieu à nouveau et à professer nouvellement sa foi.

126. L’Évangile de Jean, dans les derniers passages de la Cène concernant le Paraclet, éclaire le rôle de l'Esprit dans le processus de discernement. Jésus a promis à ses disciples : « Je prierai le Père, il vous donnera un autre Paraclet qui restera avec vous pour toujours. C’est lui l'Esprit de vérité, celui que le monde est incapable d’accueillir parce qu’il ne le voit pas et qu’il ne le connaît pas. Vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous et il est en vous » (Jn 14,16-17). Ainsi que ce passage le suggère, l'Esprit propose une vision des choses différente de celle offerte par le monde. En outre, il y a continuité entre ce que Jésus a enseigné et ce que l’on apprendra par l'Esprit : « Je vous ai dit ces choses tandis que je demeurais auprès de vous ; le Paraclet, l'Esprit-Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit » (Jn 14,25-26). Ou encore : « J’ai encore bien des choses à vous dire mais vous ne pouvez les porter maintenant ; lorsque viendra l'Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. Car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu’il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir » (Jn 16,12-13). À la lumière de ces textes, le discernement peut être vu comme un processus de mémoire, dans lequel le sens prophétique de l’histoire du salut éclaire le présent et s’applique à lui, en proclamant ses implications pour l’avenir. Il s’efforce de comprendre et de communiquer la vérité de la bonne nouvelle, la puissance libératrice de Dieu dans un contexte donné.

127. L'Esprit qui guide les chrétiens dans le processus de discernement est également actif dans la réalisation du Royaume de Dieu dans le monde. Comme l’a affirmé le premier dialogue réformé-catholique romain : « C’est l'Esprit par qui le Christ est à l’œuvre dans la création et dans la rédemption. En tant que présence dans le monde du Seigneur ressuscité, l'Esprit affirme et manifeste la résurrection et réalise la nouvelle création. Le Christ qui est le Seigneur de toutes choses et qui agit dans la création renvoie à Dieu le Père qui, dans l'Esprit, conduit et guide l’histoire… ».[82] Un des signes de la présence du Seigneur dans l’histoire peut être trouvé « dans ces mouvements de l’esprit humain qui, avec ou sans l’aide de l’Église, réalisent les fins de son Royaume ».[83]

128. Certains pourraient être tentés d’opposer la promesse du Royaume faite par le Christ, d’une part, et la vie de l’Église d’autre part. Mais le Livre des Actes milite contre une telle vue, en rappelant comment l'Esprit-Saint conduit l’Église à travers luttes et souffrances au discernement et à l’acceptation de la volonté de Dieu. Ce discernement peut également être de nature doctrinale. Paul met l’accent sur la doctrine du salut par la grâce à travers la foi, en affirmant que les Gentils convertis ne devaient nullement observer les prescriptions de la loi cérémonielle (cf. Ga 1,6-10). Jean fait remarquer combien la doctrine concernant l’humanité de Jésus est déterminante pour le discernement de la communauté : « À ceci vous reconnaissez l'Esprit de Dieu : tout esprit qui confesse Jésus Christ venu dans la chair est de Dieu » (1 Jn 4,2). L'Esprit apporte une nouveauté de vie en Christ à la personne baptisée, en permettant au croyant de discerner la volonté de Dieu : « Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bien, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait » (Rm 12,2). L'Esprit construit l’Église en lui conférant différents dons (charismata) pour le bien du corps tout entier. Le Royaume touche ainsi l’Église et rend sa présence tangible. En outre, l'Esprit-Saint nous encourage à accepter l’adoption, la liberté et le renouvellement de vie de ceux qui, par le Christ, sont « enfants de Dieu » (cf. Rm 8,9-17).

129. Discernement signifie également lire les signes des temps (cf. Mt 16,3). Comme l’a montré notre examen du discernement de nos communautés au Canada, en Afrique du Sud et en Irlande du Nord, un grand nombre de facteurs peuvent jouer un rôle dans les diverses situations sociales où des chrétiens sont appelés à porter témoignage à l’Évangile. Parfois, des facteurs politiques, économiques, raciaux et autres peuvent être camouflés sous la veste de la religion, ou « justifiés » en faisant appel à l’Écriture ou à la tradition. Il n’est pas toujours facile de découvrir la vraie nature de certaines situations, ni leurs causes ou leurs solutions. Un danger particulier est celui de l’inattention sélective, comme par exemple, en négligeant l’évidence d’une injustice parce qu’une telle évidence exigerait des disciples du Christ d’abandonner un confortable consentement au statu quo et d’entreprendre la tâche difficile d’essayer d’apporter un changement nécessaire. La recherche et le dialogue indispensables au discernement exigent un effort et peuvent représenter un processus difficile. En même temps, le témoignage de figures exemplaires du passé et du présent nous sert de guide en indiquant de manière prophétique le chemin où Dieu appelle l’Église.

 

2. Sources communes de discernement

130. La Parole de Dieu est la source principale par laquelle l'Esprit-Saint guide le discernement de l’Église. Notre groupe de dialogue a reçu le témoignage de la façon dont les communautés en Afrique du Sud, par une réflexion commune continue sur les Écritures, ont pu identifier les situations de la vie quotidienne qui contredisaient le Royaume de Dieu et ont été encouragées à agir pour changer ces situations. Vivre avec la Parole de Dieu est une condition nécessaire du discernement. Un de nos Rapports précédents affirmait : « La Parole de Dieu dans l’histoire a assumé une triple forme. Premièrement, c’est le Verbe qui s’est fait chair : Jésus Christ, incarné, crucifié et ressuscité. Deuxièmement, c’est la Parole, telle qu’elle s’est exprimée dans l’histoire de Dieu avec son peuple et a été rapportée dans les Écritures de l’Ancien et du Nouveau Testament en témoignage rendu à Jésus Christ. Troisièmement, c’est la Parole telle qu’elle est entendue et proclamée dans la prédication, le témoignage et l’action de l’Église. La troisième forme dépend de la deuxième et lui est liée, et à travers celle-ci elle a accès à la première, le Verbe incarné en Jésus Christ »,[84] Nos deux communautés affirment l’autorité suprême de la Parole de Dieu dans le discernement de la volonté de Dieu pour l’Église. Mais les chemins par lesquels nous affirmons avoir accès à cette Parole peuvent être très différents.

131. Dans la phase actuelle du dialogue réformé–catholique, nous avons intentionnellement cherché à nous mettre à l’écoute des voix chrétiennes du passé, surtout de la période patristique, qui sont pour nous un héritage commun car elles datent d’avant nos divisions. Dans la mesure où cet héritage portait sur les implications morales de la condition de disciple, on peut dire que nous partageons un héritage moral commun d’interprétation de la Parole de Dieu concernant l’attitude et le comportement des chrétiens dans la société. Même après les divisions, réformés et catholiques romains ont continué, encore que de manière différente, à être profondément conscients de leur devoir moral de serviteurs du Royaume de Dieu dans la société. Nos traditions ont beaucoup appris des luttes séculières pour les changements sociaux dans l’Europe et l’Amérique du Nord du XIXe siècle. Nos deux communautés admettent aussi que cette histoire n’est pas uniquement une histoire de succès, mais qu’elle comprend des ombres d’échecs. Cette histoire d’une réflexion sur les impératifs moraux du Royaume de Dieu et sur les succès ou les échecs dans la promotion de ses valeurs, surtout dans le domaine de la justice sociale, peut aujourd’hui contribuer au discernement. En outre, il est important de reconnaître que les développements culturels, parfois sans un lien direct avec les traditions de réflexion et d’action morales chrétiennes, peuvent être décisifs pour la manière d’aborder les problèmes de nos jours. Par exemple, le développement d’une conscience des droits de l’homme doit autant au progrès philosophique, culturel et politique qu’aux intuitions découlant d’une réflexion explicite sur l’Évangile.

132. Parmi les indicateurs essentiels permettant de discerner la volonté de Dieu pour le témoignage de l’Église dans la société, il y a la voix des pauvres. La conviction que les pauvres ne doivent pas être oubliés peut être glanée dans les propres paroles et actions de Jésus. Dans la description du jugement dernier par Mathieu, Jésus s’identifie lui-même avec ceux qui sont dans le besoin (Mt 25,31-46) ; la façon de s’occuper de ceux qui ont faim, qui ont soif, qui sont nus et sans abri, constitue le critère pour entrer dans le royaume des cieux. Jésus avait le souci du bien de l’humanité dans cette vie et non seulement de l’accomplissement promis à la fin des temps. Ceci reflète la préoccupation déjà exprimée dans Exode. Dieu parlait à Moïse depuis le buisson ardent : « J’ai vu la misère de mon peuple en Égypte et je l’ai entendu crier sous les coups de ses gardes-chiourmes. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de ce pays vers un bon et vaste pays, vers un pays ruisselant de lait et de miel » (Ex 3,7-8). Si le Royaume de Dieu appartient aux pauvres (cf. Lc 6,20), nous devons alors nous demander comment la voix de ceux qui sont pauvres, privés de tout et victimes de discriminations, est entendue effectivement et de façon déterminante dans nos communautés, pour nous guider dans notre interprétation de la manière dont Dieu nous appelle à servir le Royaume aujourd’hui.

133. Le discernement se fait en prenant conscience que le Royaume de Dieu, alors qu’il est présent dans la vie et le témoignage de l’Église, ne l’est pas de manière « exhaustive ». L’Église, comme avant-goût du Royaume de Dieu, est appelée à offrir un contre-témoignage à l’instinct de possession et à la xénophobie égocentriques qui peuvent caractériser les cultures d’aujourd’hui. Les chrétiens reconnaissent que l’univers tout entier appartient à Dieu, et ils peuvent voir des signes du Royaume de Dieu dans d’autres personnes – des signes que l'Esprit-Saint est à l’œuvre en eux. Le premier récit de la création qualifie plusieurs fois de « bons » les différents êtres formés par Dieu au commencement. Cette évaluation pourrait également s’appliquer à une grande partie de la variété de cultures et de traditions humaines. Le respect des autres comporte le respect de tout ce qui est bon et authentique dans leurs cultures et leurs religions, ce que nous reconnaissons lorsque nous voyons qu’elles sont conformes au Royaume. L’Église témoigne auprès des fidèles d’autres religions par la qualité de sa propre vie et de sa fidélité. En même temps, en obéissance au Christ, et par amour pour le prochain, les disciples n’hésitent pas à partager explicitement leur foi en Jésus Christ comme Seigneur, selon les possibilités offertes par les conditions de temps et de lieu. Les chrétiens réformés et catholiques romains ont non seulement su travailler ensemble de manière continue pour promouvoir des objectifs de justice et de paix, mais ils ont en outre collaboré avec des personnes d’autres religions dans le but de transformer leurs sociétés selon des convictions communes. Nous voyons des valeurs du Royaume dans la vie et l’activité des fidèles d’autres religions et nous pouvons apprendre d’eux et collaborer avec eux pour réaliser des objectifs communs.

 

3. Différences entre réformés et catholiques romains dans l’utilisation des sources

134. Notre utilisation des sources mentionnées plus haut – la Parole de Dieu et son expression inspirée par l’Écriture, par l’héritage légué par la tradition, par la voix des pauvres et par le témoignage de personnes de bonne volonté non chrétiennes – se rapporte à nos compréhensions distinctives de ce qui peut servir de sources authentiques au discernement de la volonté de Dieu, et elle est guidée par ces compréhensions.

135. La tradition réformée est bien connue pour son insistance sur le fait qu’en dernière analyse, seule l’Écriture lue et comprise en temps et lieux spécifiques par des personnes et des assemblées ecclésiales marquées par ces temps et lieux, peut être l’ultime autorité dans le processus communautaire de discernement. Cela ne veut pas dire que l’Écriture est la seule autorité, mais qu’elle est l’autorité suprême. Le modèle de discernement résulte normalement du dialogue entre Écriture et vie. De nouvelles intuitions peuvent émerger lorsque l’Écriture est lue avec un regard nouveau, ou lorsque des contradictions surgissent entre certaines conditions de vie, d’une part, et l’interprétation reçue de l’Écriture d’autre part. Ce discernement est enrichi, en outre, par le témoignage d’autres traditions de foi chrétienne, et au-delà. Le fait que seule l’Écriture a l’autorité de Jésus Christ dans l’Église signifie que les autres autorités du passé – les credo et les décisions conciliaires de l’Église « indivise » et les convictions écrites de ceux qu’on a déclarés « Pères », ainsi que les prééminentes confessions des Églises réformées elles-mêmes – ne peuvent être considérées qu’au titre de « normes subordonnées ». Le degré de leur autorité est celui de leur conformité avec l’Écriture Sainte. Les fidèles réformés voient dans cette approche la manière correcte de donner à la Parole de Dieu la place qui lui revient.

136. Les réformés peuvent entreprendre de nouvelles interprétations et expressions de la foi chrétienne, à condition que ces nouvelles affirmations soient conformes au message de l’Écriture et interprétées collectivement en dialogue avec la tradition réformée. Cette position réformée montre une claire conscience de la présence de l'Esprit-Saint. Dans la compréhension réformée, les assemblées d’Église jouent un rôle déterminant dans le discernement, mais les chrétiens réformés savent que toutes les déclarations ecclésiales sont sujettes à révision et que toutes les institutions sont sujettes à réforme du fait qu’elles sont continuellement guidées par l'Esprit-Saint tout au long de l’histoire. C’est précisément la raison pour laquelle tous les croyants, qu’ils soient prophètes, prêtres ou rois (serviteurs), sont appelés à progresser dans leur propre foi et à savoir discerner et juger pour eux-mêmes dans toutes les questions spirituelles. Finalement, ce sont là les raisons profondes du système conciliaire de gouvernement ecclésial, largement répandu parmi les Églises réformées.

137. Les catholiques romains considèrent l’Écriture comme « l’autorité suprême en matière de foi ».[85] C’est la Parole de Dieu, écrite sous l’inspiration de l'Esprit-Saint. La Tradition « transmet dans son intégrité » cette Parole et est donc indispensable à son interprétation.[86] Ces convictions ont leurs racines dans une profonde appréciation du fait que le texte, la reconnaissance et l’interprétation des Écritures divinement inspirées, sont intimement liés à la vie de la communauté des disciples. Par conséquent, en interprétant la Parole de Dieu, les catholiques se réfèrent, par principe, à la Tradition et au discernement de l’Église, surtout parce que celui-ci est exprimé dans des doctrines officielles. L’autorité de la Tradition découle du fait qu’elle est guidée par l'Esprit-Saint que Jésus a promis d’envoyer dans le but de conduire sa communauté à la pleine vérité (cf. Jn 15,13). La liturgie offre un lieu privilégié où la Parole est contemplée et célébrée dans le culte et les sacrements. Ainsi, la « règle d’adoration » (lex orandi) est également une très importante « règle de foi » (lex credendi).

138. Le discernement de la Parole et son application aux circonstances de vie ont lieu également dans de petits groupes qui se réunissent pour étudier les Écritures, et dans la méditation personnelle de ceux qui réfléchissent dans leur cœur aux richesses de la Parole, sur l’exemple de Marie, mère de Jésus. Conscients du fait que l’Écriture n’est pas l’affaire d’une invention purement humaine (cf. 2 P 1,20) et que Jésus lui-même a critiqué la façon dont certains de ses contemporains « annulaient la Parole de Dieu » (Mc 7,8,13), les catholiques croient que l’Église a le devoir d’« examiner tout » (1 Th 5,21), afin de discerner ce qui appartient réellement à la Parole. Le processus de discernement implique tout le peuple prophétique de Dieu (laïcs et pasteurs ; cf. Lumen gentium, 12) qui, en plus du don de la foi, est doté de ce « sens de la foi » (sensus fidei) qui lui permet de reconnaître la Parole de Dieu pour ce qu’elle est, de progresser dans sa connaissance de celle-ci et de la mettre en pratique dans sa vie quotidienne. Les théologiens et les exégètes, qui se consacrent en tant que spécialistes à une exploration toujours plus approfondie de la révélation, offrent une contribution irremplaçable à la tâche permanente de l’Église d’interpréter la Parole de Dieu.

139. Enfin, dans le processus de discernement, le rôle décisif est celui des évêques dont l’unité dans la foi et la charité est confirmée par leur communion avec le successeur de Pierre, l'Évêque de Rome. Les catholiques croient qu’une des raisons pour lesquelles le Christ a choisi les apôtres et leur a confié, à eux et à leurs successeurs, la tâche de guider la communauté en son nom, était de donner à l’Église une aide particulière dans le processus d’interprétation de la Parole de Dieu. En discernant le témoignage que requièrent les questions sociales, les catholiques font appel à l’enseignement de l’Église universelle, tel qu’il est reflété dans la doctrine sociale des conciles, des évêques et des papes. Enfin, sur la base de ces principes moraux partagés par la communauté au niveau mondial, un programme d’action précis peut être discerné localement, par une considération attentive de ce que demande le Royaume de Dieu dans chaque situation particulière.

140. Réformés et catholiques romains sont d’accord pour dire que la condition de disciple de Jésus Christ entraîne le discernement de la volonté de Dieu concernant les questions éthiques et le comportement moral. Nos deux communautés sont conscientes des complexités impliquées dans le discernement moral. La révélation de la Parole de Dieu reste pour nous une source permanente d’inspiration dans ce domaine, tandis que nous reconnaissons qu’on ne doit pas s’attendre à trouver dans l’Écriture une solution toute prête aux problèmes moraux auxquels les êtres humains doivent faire face aujourd’hui. Nos deux communautés reconnaissent la contribution que le raisonnement humain apporte au discernement moral et éthique, bien que dans nos communautés, théologiens et spécialistes de l’éthique ont parfois jugé de manières différentes, voire opposées, la compréhension philosophique du bien et du mal, habituellement appelée « théorie de la loi naturelle ». Comme chacun sait, la doctrine catholique soutient qu’il est possible de distinguer les bonnes et les mauvaises actions à partir de la loi naturelle.

141. Nos deux communautés accordent une très grande importance à l’exigence de discerner ce qui doit être fait en toute circonstance particulière. La conscience intervient chaque fois qu’il est question de culpabilité ou d’innocence subjectives. Nos deux communautés conviendraient que la conscience, en tant que compréhension de ce qui est bien ou mal par un sujet particulier, se forme au cours de la croissance à partir de l’enfance jusqu’à l’âge adulte, et que l’Église a une importante contribution à apporter à une formation adéquate de la conscience des croyants à la lumière de l’Évangile. Étant donné que le discernement moral est toujours plus une cause potentielle de division entre les Églises, et que le présent rapport a concentré son attention sur l’engagement moral dans diverses questions sociales, nous pensons qu’il est important de signaler ici quelques-uns de ces aspects du discernement moral. À l’avenir, ils devront faire partie du dialogue en cours entre nos deux communautés.

142. Dans la phase actuelle du dialogue, notre option d’examiner le rôle de l’Église par rapport à la croissance du Royaume de Dieu dans la société signifiait que nos trois récits de témoignage commun portaient surtout sur l’éthique sociale. Nous avons vu que notre souci commun de la justice sociale, en relation avec le Royaume de Dieu comme vision alternative pour l’humanité et lieu des valeurs évangéliques et de l’espérance humaine, rend possible le témoignage commun, qui est déjà une réalité en de nombreux endroits dans le monde et bien que nous ne soyons pas encore pleinement unis. Le Royaume de Dieu demande avec urgence notre engagement pour la justice et la paix et nous encourage à parler d’une seule voix, comme l’ont montré nos expériences au Canada, en Afrique du Sud et en Irlande du Nord.

 

4. Différents modèles de discernement

143. Comme pour le discernement en général, le discernement des questions éthiques se fait dans chacune de nos communautés selon des modèles et des habitudes différents. La pensée morale catholique romaine est souvent guidée par la doctrine sociale qui se trouve dans les enseignements des conciles, des synodes, des conférences épiscopales et des encycliques pontificales. Dans les communautés réformées, la voie suivie par les disciples s’appuie sur une tradition continue de politique de témoignage social et de réflexion éthique qui guide l’action dans les contextes locaux et facilite l’instruction mutuelle. Nos communautés peuvent trouver des défis, des éclaircissements et des encouragements dans le discernement et le témoignage éthique des uns et des autres.

144. Nos modèles de discernement sont liés à nos ecclésiologies distinctives, à nos compréhensions distinctives de l’autorité et du rôle de l’expérience dans nos traditions, et sont guidés par elles. Ces modèles encouragent les congrégations réformées à prendre leurs contextes locaux très au sérieux et à faire leurs propres expériences dans ces contextes. Alors que l’accent mis sur le contexte local est important pour déterminer le témoignage du Royaume au niveau local, un tel témoignage, sans un discours et un discernement plus larges, pourrait s’avérer trop étroit et, dans son étroitesse, déformer le message évangélique. Un exemple en est la façon dont l’Église réformée hollandaise en Afrique du Sud a élaboré une sorte de théologie locale irresponsable dans le but de justifier l’apartheid. Cette théologie, et la vie de l’Église qu’elle a influencée, avaient absolument besoin de la rectification de la part de la famille des Églises réformées en général.

145. Toutefois, la pratique n’est pas toujours claire, en raison précisément des questions herméneutiques qui sont impliquées dans ce cas. Comment peut-on démontrer de façon convaincante que de nouvelles affirmations sont conformes au clair message de l’Écriture ? Le recours au principe de la sola scriptura peut ne pas tenir suffisamment compte du fait que notre compréhension est formée par des facteurs culturels et autres. Pour cette raison, bon nombre de chrétiens réformés hésitent à faire immédiatement appel à un dépôt de la vérité ostensiblement objectif, convaincus que face à de nouveaux défis dans divers contextes, nous aurons à nouveau besoin de l’aide de l'Esprit-Saint.

146. Dans l’Église catholique, des phénomènes comme le mouvement d’Action catholique au début du XXe siècle, ou le développement de Communautés ecclésiales de base dans les décennies plus récentes, ont généralement suivi la méthode de voir, juger et agir. D’abord, la situation intéressée était soigneusement analysée ; ensuite elle était évaluée à la lumière de la Parole de Dieu ; enfin, la communauté s’efforçait de répondre à l’appel de Dieu selon ce qui ressortait des deux phases précédentes. Ce genre de discernement local a lieu sous l’influence du sensus fidei, […] que les croyants reçoivent de l'Esprit-Saint, dont l’accompagnement est nécessaire pour les individus et pour toute l’Église dans l’application de la Parole de Dieu aux situations de la vie quotidienne (cf. Lumen gentium, 12). Leur caractéristique sensibilité à l’unité de toute l’Église conduit naturellement les catholiques à chercher des intuitions et un guide auprès d’autres Églises locales (diocèses) et organismes de discernement et d’enseignement au niveau universel, tels que les conciles, les enseignements pontificaux ou les synodes d’évêques. Un aspect important du ministère de l’évêque est précisément celui de servir de lien entre la communauté locale et la communauté catholique régionale, nationale ou universelle en général. Une question qui semble demander une réflexion ultérieure est celle de l’autorité d’un discernement de nature plutôt locale pour la communauté en général : quel poids peut avoir une décision de la conférence épiscopale d’un pays pour les catholiques d’autres nations ? Nos récits de témoignage commun suggéraient que les enseignements de l’Église universelle ont contribué à de nouveaux et positifs développements dans des milieux locaux, comme lorsque les enseignements de Vatican II ont renforcé la capacité de nombreux catholiques en Irlande du Nord de mieux voir les protestants comme leurs sœurs et leurs frères.

147. Il est possible pour nos deux traditions de tirer profit des points forts des processus de discernement des uns et des autres et de s’enrichir ainsi mutuellement. Par exemple, nous pouvons élargir nos modèles de discernement moral en ne pensant pas exclusivement dans les formes proposées par notre propre ecclésiologie, mais en examinant comment nous pouvons apprendre les uns des autres et nous soutenir mutuellement. Ceux dont la pensée commence habituellement par la norme générale qui est ensuite appliquée à une situation particulière, peuvent apprendre en accordant plus d’attention au contexte ; ceux qui sont plus spécialement attentifs au contexte peuvent trouver de nouvelles idées en revoyant ce qu’exige en général la condition de disciple et qui s’adresse à toutes les personnes dans tous les contextes. En apprenant de cette façon les uns des autres, non seulement les tensions entre le local et l’universel, qui surgissent parfois au sein de chacune de nos communautés, pourront se réduire, mais nous nous rapprocherons davantage les uns des autres, chacun de nous tirant profit des points forts de l’autre. Ainsi nos différents modèles de discernement pourront commencer à converger.

 

5. Le fonctionnement de ces modèles dans la collaboration œcuménique

148. Le parallèle fondamental entre les approches du discernement par nos deux communautés réside dans notre commun désir de connaître la volonté de Dieu et de répondre à la grâce en disciples de Jésus Christ dans des situations spécifiques. Nous le faisons selon des coutumes et des modèles qui sont quelque peu différents, comme nous avons essayé de l’expliquer plus haut. Mais le climat créé par le mouvement œcuménique au cours des dernières décennies nous a poussés à nous unir dans ce processus de discernement et de défense de l’Évangile. Vivant côte à côte au Canada, en Afrique du Sud et en Irlande du Nord, réformés et catholiques romains ont parfois pu témoigner ensemble sur des questions de justice, de paix et d’environnement. Une leçon significative de ces récits de témoignage commun est qu’ils illustrent combien chaque situation peut être différente des autres. La variété complexe des facteurs mêlés dans chaque contexte, et la réponse chrétienne appropriée que cela exigeait, prévenaient contre toute généralisation superficielle concernant un discernement et un témoignage communs qui ne rendraient pas justice à cette diversité.

149. Au Canada (voir le Chapitre II), nos Églises vivent dans un contexte qui leur a permis une vaste coopération œcuménique pendant un bon nombre d’années. Un des exemples les plus marquants de cette récente collaboration œcuménique a été celui de nos efforts conjoints pour soutenir les « Premières Nations » ou les populations aborigènes dans leur lutte pour la justice. Notre histoire concernant les Premières Nations n’a pas été exempte d’un préjugé qui perdait de vue les réelles qualités de ces populations, et elle a en outre été l’occasion de rivalité, et d’absence de charité chrétienne entre nos deux communautés. Dans les récentes décennies, en apprenant à mieux connaître les valeurs et les besoins des populations des Premières Nations, notre approche à leur égard a changé. Comme le récit l’a montré, le climat œcuménique nous a aidés à nous unir pour soutenir leur refus des recommandations du « Livre blanc » de 1969,[87] et à agir solidairement avec ces populations dans un grand nombre de questions. Des problèmes complexes concernant les relations des Églises avec les Premières Nations continuent à se manifester. Par exemple, plus récemment des accusations ont été portées et des poursuites judiciaires ont eu lieu au sujet des pensionnats, dont quelques-uns étaient gérés par nos deux communautés. La tentative d’assimiler de force les Premières Nations à la culture européenne a effectivement conduit à l’affaiblissement ou même à la perte de la culture, de la langue et de la spiritualité de nombreux aborigènes. Néanmoins, il apparaît nettement qu’un nouveau stade a été atteint, où le témoignage pour l’égalité, la justice et la liberté du Royaume de Dieu à l’égard des Premières Nations peut être un effort conjoint.

150. Notre considération du témoignage social chrétien en Afrique du Sud (voir le Chapitre II) était principalement centrée sur l’unique question de l’apartheid – la politique de ségrégation raciale officiellement adoptée par le gouvernement en 1948 – bien que beaucoup d’autres problèmes soient également liés à cette politique. Dans la famille réformée, une lutte intérieure avait été provoquée par la justification théologique de l’apartheid, énoncée par l’Église réformée hollandaise en Afrique du Sud. Cela conduisit finalement à la Confession de Belhar, adoptée en 1986. Le processus de réception de cette Confession montre l’importance des confessions dans le modèle réformé de discernement. Elles sont contextuelles dans le sens que le contexte exige qu’une confession ait lieu parce que la vérité de l’Évangile est en jeu. Pour les chrétiens réformés la contextualité implique que les confessions sont en principe ouvertes à révision et à évaluation, qui peuvent être entreprises par des croyants d’autres contextes. Une confession a une vaste autorité lorsqu’elle est reçue par beaucoup d’autres Églises comme une expression du message de l’Évangile. Les confessions définissent avec autorité une communauté chrétienne géographiquement circonscrite, mais elles restent ouvertes à révision à la lumière de nouveaux développements et peuvent être révisées ou élargies si de nouvelles perspectives locales sur l’Évangile l’exigent. Le processus par lequel la Confession de Belhar a évolué et a été reçue illustre la façon dont le discernement concernant des questions qui affectent l’ensemble de l’Église peut se faire dans le cadre de la structure synodale de la tradition réformée. Il illustre comment la communauté mondiale ne peut rester à l’écart lorsqu’une doctrine ou une pratique locales sont en contradiction avec les convictions et la pratique du reste de la communion. En outre, le soutien de chrétiens réformés partout dans le monde a permis de renforcer la résolution de ceux qui avaient souffert pour leur témoignage contre l’apartheid.

151. Le témoignage catholique romain en Afrique du Sud, de son côté, a montré comment cette communauté est passée d’une auto-compréhension plutôt isolée et minoritaire, à un rôle de collaboration œcuménique dans la lutte contre le racisme et l’injustice. Ce développement local a été influencé par des initiatives de la vie ecclésiale au niveau universel, telles que la nomination par le Vatican, en 1957, d’un évêque noir en Afrique du Sud et, peu après, par les enseignements de Vatican II qui ont encouragé toutes les Églises locales à prendre leur responsabilité comme partisans actifs de la promotion d’une société plus juste dans leurs respectives parties du monde. En Afrique du Sud, les évêques ont joué un rôle de pointe dans l’engagement catholique contre l’apartheid, mais ils n’étaient nullement les seuls artisans de ce processus. Les théologiens y ont contribué par leurs réflexions sur la dignité humaine, sur la solidarité avec les pauvres et sur le rôle de l’Église pour promouvoir le Royaume de Dieu. Un grand nombre de catholiques, individuellement, ont en outre participé à des comités de justice et paix et à des protestations contre l’apartheid ; quelques-uns ont payé cet engagement par l’emprisonnement, la torture et la mort. Des attitudes discriminatoires dans l’Église ont également dû être abordées et la collaboration œcuménique a graduellement été encouragée.

152. Le récit de l’Irlande du Nord (voir le Chapitre II) décrivait une situation totalement différente des deux précédentes. Ici, un conflit sanglant entre deux parties était basé sur une myriade de facteurs sociaux, politiques et économiques, mais les deux groupes s’affrontant fondaient leur identité avant tout sur leur appartenance religieuse. Ainsi, ce conflit du XXe siècle montre comment les douloureuses divisions datant du XVIe siècle sont encore toujours très actuelles et comment elles ont été utilisées comme justification de la division qui a suivi et dont on connaît les conséquences tragiques. La haine et le désir de vengeance causés par la violence en Irlande du Nord, en général d’inspiration politique, constituaient un énorme défi à la réconciliation entre les membres de différentes communautés chrétiennes. Assez tôt, durant ces « troubles » qui remontent à la fin des années soixante, des personnalités influentes des quatre principales Églises ont commencé à se rencontrer régulièrement pour essayer de réagir à la violence et aux sentiments qu’elle suscitait. Le Concile Vatican II a encouragé les catholiques à renforcer leurs relations avec les autres et a rendu possibles quelques-unes des démarches entreprises par la suite en vue d’une meilleure appréciation de leurs frères et sœurs protestants. Le mouvement œcuménique en général a également contribué à ces changements de part et d’autre. Diverses initiatives ont été patronnées conjointement par les évêques catholiques romains et par le Conseil des Églises irlandais.

153. Des fidèles des deux côtés ont pris part à un franc et souvent douloureux dialogue, et ces échanges ont permis de comprendre que l’amitié, même dans cette situation conflictuelle tendue. Le ministère auprès des familles des personnes tuées était une manière particulièrement douloureuse à travers laquelle les Églises ont cherché à rendre possible une réconciliation : les obsèques des victimes devinrent des occasion de courageux témoignages de la grâce divine du pardon. L’isolement mutuel des deux communautés, ainsi que leur auto-compréhension comme Églises, avaient contribué à créer des préjugés et des malentendus. Les nombreux efforts des responsables ecclésiaux et de leurs communautés faisaient tous partie d’un processus tendant à surmonter ces préjugés et ces malentendus.

154. Naturellement, ces récits indiquent en premier lieu la manière dont les chrétiens font face à des situations très différentes lorsqu’ils cherchent à promouvoir le Royaume dans diverses parties du monde. Cet éventail de moyens par lesquels l’unique Évangile inspire une pluralité de réponses selon les besoins particuliers de temps et de lieu, illustre la catholicité de l’Église. Dans tous les cas, quelques éléments constants sont présents, tels que la force que donne le fait de travailler ensemble pour le Royaume ; la participation de tout le peuple de Dieu – dirigeants et ministres, théologiens et toute la communauté ; l’utilisation de déclarations publiques des Églises, soit individuellement, soit avec d’autres ; l’organisation d’initiatives de défense par des comités et des groupes spécialisés ; la présentation de programmes de formation aux valeurs de l’Évangile ; l’importance de l’amitié et de l’encouragement réciproque et le rôle de la responsabilité mutuelle. Nos récits de témoignage commun montrent également que le discernement du bien et du mal, et d’un plan d’action dans tout contexte donné, ne sont pas, ni ne peuvent être isolés de l’intérêt et de l’apport de l’Église en général. Surtout lorsque l’Évangile est en jeu dans le discernement et l’action au niveau local, la communauté de toutes les autres Églises locales, et donc de l’Église universelle également, ne peut rester indifférente, mais elle a à la fois un droit et une responsabilité d’engagement et un devoir de solidarité.

155. Comme nos récits le montrent, la collaboration de différentes Églises dans de nombreuses questions sociales a contribué à créer un consensus et un engagement croissants entre chrétiens pour témoigner ensemble au nom du Royaume de Dieu. Ce genre d’expérience œcuménique fait partie du mystère de la koinonia. En même temps, lorsqu’une crise se produit, un effort doit être fait pour que la coopération puisse continuer. Dans cette perspective, la koinonia est directement liée à la réconciliation, surtout à une croissante réconciliation des mémoires, en se servant d’une lecture commune de l’histoire.[88] Alors que la recherche historique a une valeur immense et jette une lumière sur les origines de nos différences, la réconciliation n’est possible que si les intéressés se gardent de juger avec modération les actions de personnes et d’organismes du passé (cf. TCUC 63), et reconnaissent leur propre responsabilité, conscients du fait que souvent le passé continue sous la surface à agir dans le présent et à affecter ainsi l’avenir. Pour que l’apaisement ait lieu, une conversion est nécessaire. Dans son étude intitulée Pour la conversion des Églises, le Groupe des Dombes précise que conversion et identité ne s’excluent pas, mais se présupposent mutuellement. « Bien loin de s’exclure, identité et conversion s’appellent l’une l’autre : il n’y a pas d’identité chrétienne sans conversion ; la conversion est constitutive de l’Église ; nos confessions ne méritent le nom de chrétiennes que si elles s’ouvrent à l’exigence de conversion ».[89]

 

6. Possibilités de discernement et de témoignage communs

156. Les expériences de nos communautés au Canada, en Afrique du Sud et en Irlande du Nord montrent que nous pouvons nous entendre et témoigner ensemble concernant d’importantes questions sociales. En outre, il est possible d’apprendre les uns des autres et parfois de s’inspirer les uns des autres à travers ce témoignage commun, surtout si nous parvenons à mieux comprendre nos différents processus de discernement.

157. Il n’y a aucun désaccord entre nous concernant l’affirmation fondamentale que l’Église est et devrait être une communauté de témoignage commun du Royaume de Dieu. Le témoignage commun suscite et rend possible l’action conjointe de nos Églises en préconisant la réalisation du message de Jésus concernant le Royaume en différents temps et lieux. Notre commune compréhension du Royaume nous permet de lire ensemble un grand nombre de signes des temps. Par exemple, en Afrique du Sud, des membres de nos deux traditions, pendant une longue période de temps, et poussés par une commune reconnaissance de la place que Jésus réserve aux pauvres par rapport au Royaume de Dieu, ont appris à travailler ensemble pour la justice économique et raciale. Nos deux communautés sont engagées à écouter la voix des pauvres comme source privilégiée de discernement des exigences du Royaume de Dieu dans notre monde. Dans ce sens, leur voix peut, en quelque sorte, servir de « clé herméneutique » pour interpréter les signes des temps et entreprendre un discernement commun basé sur notre auto-compréhension ecclésiale de communautés morales. C’est une des implications claires des discussions sur « ecclésiologie et éthique » qui ont eu lieu au Conseil œcuménique des Églises vers la moitié des années quatre-vingt-dix, et qui ont donné lieu à des textes comme Costly Unity, Costly Commitment, et Costly Obedience (Précieuse unité, précieux engagement, et Précieuse obédience).[90] C’est également clair dans la vie de nos communautés partout dans le monde, où catholiques et chrétiens réformés vivent et travaillent ensemble sur des projets et des problèmes communs.

158. Alors même que nous nous réjouissons de notre capacité de rendre témoignage au Royaume en pensant et en agissant ensemble en de nombreux temps et lieux, surtout là où nous trouvons beaucoup d’injustice et de souffrance, nous reconnaissons que nos traditions ont des habitudes distinctives de discernement communautaire. Alors que les chemins que nous suivons pour parvenir à des conclusions sur des questions morales prennent parfois des directions différentes, nous arrivons souvent à des positions similaires ou même identiques. Sur des questions comme la justice raciale ou économique, la sauvegarde de la création, la violence dans nos sociétés ou les droits des populations indigènes, non seulement nous apprenons les uns des autres mais nous nous encourageons également les uns les autres et nous travaillons ensemble. De cette manière, nous commençons à nous voir comme étant, sous bien des rapports, moralement responsables les uns envers les autres.

 

 

Chapitre IV
Le Royaume de Dieu et l’Église

159. Notre examen commun du Royaume dans l’Écriture et la Tradition (Chapitre I), trois récits de témoignage commun du Royaume (Chapitre II) et les principes pour discerner les mandats du Royaume (Chapitre III) nous conduisent tout naturellement et logiquement à la question suivante : qu’implique l’attention des chrétiens centrée sur le Royaume de Dieu pour notre compréhension de la nature et de la mission de l’Église ? Le présent chapitre se propose d’apporter une réponse commune à cette question. Il donnera d’abord une idée de nos perspectives distinctes et de notre accord fondamental sur la relation du Royaume avec l’Église. Ensuite, trois sections développeront ce thème selon les trois activités ecclésiales essentielles, de culte (célébration du Royaume), de témoignage (par la parole et l’action) et de service (agir pour influencer la qualité de la vie humaine ici et maintenant). Enfin, notre exploration de la relation Église-Royaume dans la phase actuelle du dialogue réformé-catholique nous a permis d’approfondir de manières diverses et significatives quelques-unes des convergences ecclésiologiques enregistrées au cours de la phase précédente du dialogue entre nos deux communautés. Le chapitre se terminera par une cinquième section consacrée à ce progrès.

 

1. Jésus, le Royaume et l’Église

160. Le message central de Jésus était le Royaume de Dieu (voir Mc 1,15). La proclamation et l’établissement du Royaume sont la raison principale de sa mission (cf. Lc 4,43). Jésus lui-même est intégralement lié à la « bonne nouvelle », ainsi qu’il le déclare tout au début de son ministère public dans la synagogue de Nazareth, lorsqu’il applique à lui-même les paroles d’Ésaïe concernant l’oint envoyé par l'Esprit du Seigneur (cf. Lc 4,14-21). La « bonne nouvelle » étant la proclamation de la venue de cet oint (le Christ), il y a identification entre le message et le messager. Le pouvoir de Jésus, le secret de l’efficacité de ses actions, réside dans son identification totale avec le message qu’il annonce : il proclame la « bonne nouvelle » non seulement par ce qu’il dit ou par ce qu’il fait, mais également par qui il est. Quiconque est en rapport avec Jésus entre en rapport avec le Royaume de Dieu. Dans ce contexte nous devons comprendre également la naissance de la communauté des disciples, enracinée en Israël comme peuple de Dieu, qui rend témoignage à Jésus et à son Royaume d’une nouvelle manière. La nature du Royaume et son lien avec l’Église, sans être un motif de désaccord pour notre dialogue, ont été vus de façons différentes par nos communautés respectives.

161. Pour les catholiques romains, le Concile Vatican II a décrit l’Église comme « le Royaume du Christ déjà présent sous une forme mystérieuse ».[91] Dans l’Église est réalisé le dessein éternel du Père, manifesté en Jésus Christ, d’amener l’humanité à sa destinée éternelle. Ici, l’Église est vue en rapport avec « la manifestation du mystère tenu caché tout au long des âges ».[92] Par conséquent, l’Église doit être vue dans cette large perspective du dessein salvifique de Dieu, qui englobe tous les êtres humains et la création comme un tout (voir 1 Tm 2,4 ; Rm 8,22 ss). Alors que le message de Jésus au sujet du Royaume était adressé à tous, ses disciples ont été les premiers à le recevoir, mais leur proximité particulière du Royaume n’a pas fait d’eux une société fermée. Une des principales tentations pour l’Église au long de son histoire, a été de trop s’identifier avec le Royaume. Le Concile Vatican II a fait une nette distinction entre le Royaume présent maintenant dans l’histoire et sa plénitude eschatologique qui doit encore venir.[93]

162. Il y a des thèmes constants dans la compréhension réformée de la relation entre l’Église et le Royaume. Tout d’abord, les réformés soulignent la continuité du rôle de la Bible dans l’interprétation de cette relation et ont cherché à structurer le gouvernement de l’Église par des processus décisionnels collégiaux et communautaires. Les réformés considèrent aussi le Royaume comme un principe de critique en ce qui concerne l’Église et la culture ambiante. Dans ce noyau central commun, on peut trouver différents accents réformés dans une variété de temps et de lieux. Certains ont radicalement séparé Église et Royaume, en identifiant ce dernier avec le royaume spirituel intérieur. D’autres ont pratiquement identifié les deux, par exemple, dans le travail missionnaire, dans le mouvement d’alliance écossais et dans le mouvement d’Évangile social. Surtout au XXe siècle, le Royaume de Dieu comme catégorie théologique s’est porté de plus en plus au centre de la pensée théologique. Cette influence croissante soulignait la manière dont le salut de Dieu en Jésus Christ englobe notre réalité terrestre, y compris ses aspects sociaux et politiques. Toutefois, l’importance spécifique de l’Église a parfois été négligée. La tradition réformée se considère enrichie par les intuitions œcuméniques et la vie de partage avec des partenaires œcuméniques. Par exemple, dû en partie à l’impact de la théologie de la libération, la pensée réformée actuelle reconnaît l’étroite relation théologique entre l’Église et le Royaume, et l’importance de qualifier l’Église de signe et instrument du Royaume. Le récent rapport du dialogue pentecôtiste-réformé montre que l’on est parfaitement conscient de ce lien. « L’Église comme communauté de croyants devrait être un ‘modèle’, rendant évident – bien que de manière inadéquate – ce que sera le Royaume futur ».[94] Et encore : « L’Église est née de l'Esprit et sert d’instrument du Royaume que Jésus Christ a proclamé et inauguré. L’Église est appelée à servir le Royaume, plutôt qu’être à son propre service ou être une fin en soi ».[95]

163. Réformés et catholiques reconnaissent qu’ils partagent une même vision fondamentale de la relation Église-Royaume, bien que nous continuions de nous exprimer théologiquement de façon différente selon nos traditions respectives. Quoique le Royaume ne puisse être identifié avec l’Église, cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de signes du Royaume présents en elle. De tels signes sont également détectables dans la création, dans l’histoire, dans la société humaine et dans le monde. Le Royaume se révèle dans la société et on le rencontre dans celle-ci, mais nulle société particulière ne peut être identifiée avec le Royaume. Le terme Église n’apparaît pas souvent dans l’enseignement de Jésus, qui se concentre sur le Royaume de Dieu. Toutefois, le concept d’une communauté messianique lui est intrinsèquement lié. Jésus a rassemblé ses disciples pour proclamer le Royaume de Dieu et pour être le noyau d’une communauté orientée vers le Royaume.

164. L’idée de communion, prééminente dans le récent dialogue œcuménique, peut et devrait être comprise comme expression de la relation entre l’Église et le Royaume de Dieu. Bon nombre de dialogues œcuméniques représentent l’unité visible de tous les chrétiens par le terme biblique qui signifie communion – koinonia – qu’ils entendent en analogie avec la Trinité, c’est-à-dire, non pas comme uniformité mais comme unité dans la diversité. La 5e Conférence mondiale de la Commission Foi et Constitution a donné de koinonia la riche description suivante :

Koinonia a été au centre de nos discussions. Ce terme, du Nouveau Testament grec, illustre la richesse de notre vie commune en Christ : communauté, communion, partage, fraternité, participation, solidarité. […] Cette koinonia que nous partageons n’est rien moins que la présence réconciliatrice de l’amour de Dieu. Dieu veut l’unité de l’Église, de l’humanité et de la création, parce que Dieu est une koinonia d’amour, l’unité du Père, du Fils et de l'Esprit-Saint. Cette koinonia nous vient comme un don que nous ne pouvons qu’accepter avec gratitude. Gratitude n’est toutefois pas passivité. Notre koinonia est dans l'Esprit-Saint qui nous incite à agir. La koinonia dont nous faisons l’expérience nous pousse à chercher cette unité visible qui peut adéquatement donner forme à notre koinonia avec Dieu et les uns avec les autres.[96]

Comme ce texte le montre, il existe de profonds liens entre communion et Royaume de Dieu. En tant que « présence réconciliatrice de l’amour de Dieu », la communion ecclésiale est l’expression de la souveraineté de Dieu. C’est un don et une tâche. En recherchant une plus grande communion visible, en dépit de toutes les pierres d’achoppement qui se trouvent sur le chemin, les chrétiens s’efforcent de répondre plus intégralement à la volonté de Dieu pour la complète réalisation du Royaume. Dialogue, prière et coopération œcuméniques ont aidé les communautés à mieux apprécier la communion réelle qu’ils partagent déjà, et à progresser vers une communion plus parfaite. En même temps, cette communion incite les chrétiens à servir le Royaume de Dieu en suscitant la conscience des besoins de tous les êtres humains, à explorer les principales causes des fractures de la communauté humaine – qui se manifestent par la violence, l’injustice et la dégradation de la nature – et à favoriser la réconciliation.

 

2. Célébrer le Royaume dans le culte

165. En partageant la parole et les sacrements en présence du Dieu Trinité, l’Église découvre à nouveau sa propre nature comme communion et devient ce qu’elle est : le peuple de Dieu, le corps du Christ et le temple de l'Esprit-Saint (cf. Ep 2,21). Notre compréhension de l’Église peut être rehaussée en voyant de plus près comment une communauté célèbre le Royaume de Dieu dans son culte.

166. Des décennies de dialogue œcuménique ont amené une importante convergence sur plusieurs éléments essentiels de la liturgie chrétienne, dont quelques-uns montrent une forte orientation vers le Royaume de Dieu. Par exemple, dans beaucoup de nos communautés, après les hymnes de louange de l’ouverture, le culte débute par un acte de repentance et une déclaration de pardon. Nous nous réunissons comme pécheurs. Nous vivons dans un monde où les dons précieux de Dieu dans la création ont été gâchés par les abus, les mauvaises relations, les grossières injustices dans la distribution de la richesse et la violence gratuite. Partager le pardon de Dieu est le point de départ de toutes les autres formes de partage communautaire dans le culte et dans la vie. Dans la proclamation de la Parole et dans la célébration des sacrements, il est possible de discerner les images, les sons et les senteurs du Royaume. La prédication en style narratif fait à peu près le même effet que les paraboles de Jésus concernant le Royaume, qui intégraient les auditeurs dans l’action et les invitaient à trouver leur place dans le récit. Une profession de foi commune, comme le credo nicéen, nous rappelle notre appartenance à l’Église de tous les temps et de tous les lieux, qui est à présent visible dans notre communauté. Dans nos intercessions pour toute l’Église et pour le monde, nous approfondissons notre attente des promesses du Royaume de Dieu. Le culte chrétien, dans sa forme la meilleure, est une expression de la réalité présente transformée par la grâce de Dieu.

167. Lorsque le pain et le vin ont été préparés, nous remercions le Père par le Fils dans l'Esprit-Saint, pour les merveilles de la création, de la rédemption et de la sanctification. Le culte en commun est un des moyens d’exprimer la conviction du catéchisme de Westminster, que la finalité principale de l’humanité est de glorifier Dieu et de jouir pour toujours de sa présence.[97] De même, au cœur des prières eucharistiques catholiques il y a les remerciements à Dieu « pour [sa] plus grande gloire ». La célébration liturgique nous permet d’entrer de nouveau dans l’acte salvifique de Dieu en Jésus Christ, dont le but suprême est le Royaume (cf. 1 Co 15,28). Notre sacrifice liturgique de louange (cf. He 13,15) célèbre la grâce sanctifiante du don de Dieu et prévoit le retour du Christ dans la gloire. Nous célébrons ce que nous espérons et qu’en fait nous vivons déjà : la joie du salut.

168. Dans nos échanges œcuméniques concernant le culte, nous avons appris à voir l’importance vitale de l’invocation de l'Esprit-Saint (epiklesis) sur la communauté et sur les éléments du pain et du vin. La liturgie, comme telle, est une epiklesis, une invocation de l'Esprit-Saint à travers qui le Christ crucifié et ressuscité est réellement présent dans la célébration eucharistique de la communauté rassemblée.[98] Dans la puissance de l'Esprit-Saint, et par le Christ notre grand prêtre, les chrétiens offrent leur prière au Père et, dans cette offrande, ils se consacrent eux-mêmes à Dieu dans la communion des saints.

169. La prière pour le retour du Seigneur et pour la manifestation définitive de son Royaume est également un aspect essentiel du culte. La liturgie chrétienne nous invite dans un monde renouvelé, un monde dont nous ne pouvons qu’espérer l’avènement et que, pourtant, nous pouvons déjà vivre. C’est le monde du règne d’amour parfait de Dieu dans une communauté de relations justes et accomplies. « L'Esprit et l’épouse disent : Viens ! Que celui qui entend dise : Viens ! » (Ap 22,17).

170. Le témoignage biblique nous invite à percevoir le potentiel transformateur du culte chrétien, dans lequel la diversité (p.ex. en termes de race, de classe sociale et de sexe) est respectée sans être toutefois considérée comme un motif de discrimination. Tous sont un en Christ Jésus ! En Christ, il n’y a ni Juif ni Grec, ni homme ni femme, ni esclave ni homme libre (Ga 3,28). Dans l’assemblée liturgique, la liberté, la justice et la grâce du Christ peuvent être vécues et célébrées par la communauté chrétienne comme nouveauté de vie dans le Royaume de Dieu. Tout comme Jésus qui accueillait les publicains et les pécheurs à la communauté de table durant son ministère terrestre, de même les chrétiens sont appelés, dans leurs prières et dans leurs louanges, à être solidaires avec les exclus et à devenir des signes de l’amour du Christ qui a vécu et s’est sacrifié lui-même pour tous, et qui offre à présent la grâce de sa présence dans le culte, spécialement dans l’eucharistie.

171. La sainte communion, en particulier, est un avant-goût du banquet céleste dans le Royaume à venir. Elle ouvre la vision de la souveraineté divine promise comme renouvellement final de la création. Des signes de ce renouvellement sont présents dans le monde chaque fois que la grâce de Dieu est manifeste et que des êtres humains travaillent pour la justice, la charité et la paix. L’eucharistie est le festin dans lequel l’Église rend grâce à Dieu pour ces signes et célèbre dans la joie en annonçant la venue du Royaume du Christ. Ainsi, au-delà des formes rituelles de la liturgie et de leur importance pour la piété personnelle, c’est la nouveauté de vie elle-même que la communauté chrétienne connaît et célèbre (Ac 2,42-46 ; 1 Co 14), et qui pousse chaque chrétien à faire de toute sa vie, en obéissance au nouveau commandement d’amour, une continuelle offrande d’adoration en esprit et en vérité (Jn 4,23). L’avant-goût du temps futur envoie les fidèles dans le monde dans un esprit de service d’amour auprès de tous les enfants de Dieu. Une expression quaker affirme : « Notre culte est terminé, notre service commence ».

172. Le fait même que la pleine communion n’a pas encore été réalisée ne peut que nous inciter à poursuivre nos efforts pour surmonter cette division fondamentale. Lorsque les chrétiens seront finalement unis autour de la même table pour manger le même pain et boire à la même coupe, leur témoignage missionnaire sera renforcé aussi bien au niveau individuel que communautaire.

 

3. Rendre témoignage au Royaume par la parole et l’action

173. Le Seigneur ressuscité apparaît aux apôtres, il leur parle du Royaume de Dieu et promet qu’ils seront baptisés par l'Esprit-Saint : « Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (cf. Ac 1,5,8). Ce mandat du Seigneur ressuscité est décisif pour la vie et le témoignage de l’Église qui, depuis leur début et à travers les siècles, ne peuvent être compris sans référence au témoignage du Royaume. Recevoir l’Évangile, c’est être appelé à porter témoignage (martyria) continuellement, non pas occasionnellement, à la volonté de Dieu pour le salut et la transformation du monde. Ici, l’intégrité et l’authenticité de l’Église est en jeu.

174. Le fait de voir dans l’Église une communion de témoignage commun du Royaume de Dieu, jette une lumière nouvelle sur plusieurs questions ecclésiologiques. Tous les fidèles sont appelés à témoigner, et les ministres ordonnés ont des responsabilités spécifiques qui correspondent à leur rôle dans la communauté, de sorte que les chrétiens, individuellement et communautairement, participent à l’activité de Dieu en ce monde. Au cours de l’histoire, le péché a plusieurs fois défiguré le témoignage de l’Église, allant ainsi à l’encontre de sa vraie nature et vocation. L’Église ne peut compter que sur la fidélité de Dieu qui offre sans cesse son pardon et appelle au repentir, au renouvellement et à la réforme.[99]

175. Le témoignage de l’Église dans le service du Royaume est une réalité aux multiples facettes. (1) Il s’exprime principalement lorsque l’Église se rassemble pour proclamer la Parole et pour célébrer les sacrements. La liturgie est elle-même un acte professant que le Royaume a été inauguré par les paroles, les actions et la personne de Jésus de Nazareth, et qu’il est présent maintenant également, avec une densité spéciale, dans la communauté chrétienne dont la vie est sans cesse renouvelée par la liturgie. (2) Une autre forme de témoignage consiste dans l’établissement de communautés chrétiennes partout dans le monde, des communautés appelées à montrer que le Royaume est présent et agissant en ce moment même. En concrétisant la justice, la paix, la liberté et le respect des droits de l’homme dans leur propre vie, ces communautés sont à même d’offrir un mot d’ordre à la société en général. (3) Un troisième aspect du témoignage est dans la voix prophétique de l’Église, qui s’élève pour critiquer la société et la stimuler à se transformer selon les critères du Royaume. La Parole de Dieu façonnera la manière dont l’Église traitera les espérances et les craintes de l’humanité. En confessant Jésus Christ comme Seigneur et Serviteur, l’Église appelle sans cesse au renouvellement de vie dans la culture et dans la société, rendant témoignage aux promesses et aux commandements de Dieu aux peuples, aux principautés et aux puissances terrestres (cf. Col 1,16 et 2,15). Le progrès de la justice, de la paix et des droits de l’homme est partie constitutive de l’évangélisation, de l’annonce de la bonne nouvelle du Royaume. (4) Enfin, l’intercession quotidienne, souvent répétée par les chrétiens dans la phrase du Notre Père – « Que ton règne vienne » – est un témoignage de la souveraineté de Dieu qui opère la transformation du monde. Le propre enseignement de Jésus sur la puissance de la prière, inspire la confiance que cette demande sera accueillie en temps voulu, selon le dessein de Dieu.

176. Le témoignage du Royaume de Dieu étant inspiré par l’Évangile lui-même, et dont le but est ce qui détermine réellement la vie des êtres humains en tenant compte des temps et des contextes particuliers, doit être concret et contextuel. Mais parce que le monde créé par Dieu est un et que le Royaume de Dieu n’est pas divisé contre lui-même, le témoignage a en même temps des dimensions universelles.

177. L’Église est appelée à rapporter ce qui est au centre de l’Évangile – c.-à-d. la réconciliation de l’humanité avec Dieu et entre tous les hommes – aux besoins spécifiques des êtres humains et de la création elle-même. Un tel témoignage exige un sérieux engagement personnel, bien qu’il transcende aussi les responsabilités individuelles. Parce que cela comporte d’importantes implications ecclésiales pour chaque communauté chrétienne, c’est un défi à l’autonomie des Églises séparées. Un témoignage aussi précieux exige une responsabilité mutuelle. C’est pourquoi une approche œcuménique de ce mandat est une condition préalable d’un témoignage plus efficace. Le témoignage commun est une question d’obéissance. Pour vivre selon les promesses de Dieu et pour obéir à ses commandements, les Églises ont besoin les unes des autres, tant dans des contextes locaux particuliers qu’au niveau global.

178. La distinction entre Église et Royaume a des conséquences pour la façon dont est vue la mission de l’Église. Cette mission inclut la lutte pour la justice, la paix et la libération des opprimés dans ce monde, et elle est orientée vers ce Royaume eschatologique qui viendra dans sa plénitude à la fin des temps. Cette lutte est intrinsèquement liée au Royaume déjà présent et peut parfois avoir lieu à l’intérieur de l’Église également. En outre, le Royaume fournit aux chrétiens une base pour s’engager dans le dialogue et la coopération avec des membres d’autres religions. Si le Royaume est pour Dieu le but suprême de toute l’humanité, on doit alors se demander non seulement quels rapports les autres religions peuvent avoir avec l’Église, mais également quels rapports elles peuvent avoir avec le Royaume. Ainsi, la distinction entre Église et Royaume peut nous aider à nous engager de manière féconde avec le monde et son destin, et à entreprendre un dialogue plus ouvert et plus créatif avec d’autres traditions religieuses ou des idéologies séculières.

179. Comme le Fils de l’homme, qui est venu non pas pour être servi mais pour servir, l’Église existe pour la louange de Dieu et le service du Royaume futur. Proclamer l’Évangile et établir des Églises partout n’est qu’une partie de cette vocation permanente à la mission. En recherchant le dialogue et la coopération avec toutes les personnes de bonne volonté (qui peuvent appartenir à d’autres religions et familles spirituelles), l’Église est appelée à manifester et à promouvoir le règne de Dieu, dont on peut discerner des signes également dans diverses cultures et religions. Ainsi, l’Église agit en tant que peuple de Dieu parmi la famille humaine de Dieu.

 

4. Le Royaume de Dieu comme principe d’action

180. Le Royaume vise à la transformation de toute la création dans la gloire éternelle, et l’Église doit être vue dans le contexte de cette divine intentionnalité. La citoyenneté dans le Royaume comporte une injonction constante à la solidarité avec les personnes, en particulier avec les exclus et les opprimés. Le Royaume ne signifie quelque chose pour les multitudes qui souffrent que lorsqu’il est vécu comme une puissance transformatrice. Comme Paul l’écrit dans 1 Co 4,20 : « Car le royaume de Dieu ne consiste pas en paroles, mais en action ».

181. Dans l’Église catholique, la relation entre Église et Royaume a été réévaluée au Concile Vatican II. Comme principe d’action tant individuelle que communautaire, le thème du Royaume a été énergiquement repris après le Concile, surtout par des communautés chrétiennes et des théologiens qui vivent en Amérique latine, en Asie et en Afrique. Leur expérience de l’oppression et d’une abjecte pauvreté, leur a permis de percevoir le Royaume avant tout comme un catalyseur de libération et de transformation mondiale historiques. On constatait de plus en plus clairement que le Royaume de Dieu appartient à ce monde également et non seulement au monde à venir, qu’il n’est pas seulement un don mais également une tâche qui appelle à notre coopération humaine, et qu’il se distingue de l’Église, sans toutefois en être complètement séparé. Ces aspects du Royaume suggéraient un programme d’action et créaient une nouvelle compréhension de l’identité et de la mission particulières de l’Église - des idées qui étaient basées sur l’enseignement du Concile même :

Le mystère de la sainte Église se manifeste dans sa fondation. Le Seigneur Jésus, en effet, inaugura son Église en prêchant la bonne nouvelle, c’est-à-dire la venue du Royaume de Dieu… L’Église, pourvue des dons de son Fondateur […] reçoit la mission d’annoncer et d’instaurer en toutes les nations le Royaume du Christ et de Dieu dont, sur terre, elle constitue le germe et le commencement (Lumen gentium, 5).

182. La tradition réformée, elle aussi, voit l’Église à la lumière du Royaume. La perception du Royaume de Dieu comme catalyseur de libération historique – une libération envisagée principalement dans la partie méridionale de la communauté chrétienne mondiale – est largement reconnue dans la famille réformée en général. Il existe une profonde conscience que le Royaume de Dieu est une réalité vivante, qui transcende nos structures ecclésiales et nos interprétations théologiques. La façon dont les Églises assument leurs responsabilités dans le monde aujourd’hui, p.ex. dans leur doctrine sociale ou dans leurs activités diaconales, a une importance pour la transformation du monde et pour l’unité des chrétiens. Elles sont appelées à rester fidèles à l’Évangile dans des situations qui changent, en rendant compte de l’espérance qu’elles proclament. Par conséquent, elles doivent aborder des questions et des besoins particuliers avec des actes tant de témoignage que de service. Mais ces actes devraient en principe rester ouverts à une reconsidération et à une ultérieure adaptation. Dans cette perspective œcuménique et eschatologique, les structures du service de l’Église au Royaume de Dieu peuvent tirer profit d’un débat théologique et œcuménique critique.

183. Les Églises de la tradition réformée se sont toujours engagées en faveur de l’unité et de la catholicité de l’Église chrétienne. Du fait que les chrétiens réformés n’attachent pas d’autorité suprême à leur propre histoire et à leurs documents confessionnels, la plupart d’entre eux estiment que leur existence confessionnelle est historiquement conditionnée, et donc capable de changer. La création de ce que l’on connaît aujourd’hui comme l’Alliance réformée mondiale (1875 et 1891) montre comment les croyants réformés étaient – et on peut penser qu’ils le resteront – engagés en faveur de l’unité visible et structurelle de l’Église, y compris une unité de foi, de structure, de vie et d’action. Les Églises de la famille réformée, probablement plus que n’importe quelle autre Communion chrétienne mondiale, se sont montrées disposées à entreprendre des unions organiques tant avec des Églises de la même famille qu’avec d’autres. Cela ne signifie toutefois pas que ces unions organiques doivent être considérées comme « la » réponse réformée à la question de l’unité que nous recherchons. La configuration, la nature ou la forme qu’une telle unité devrait avoir dans le futur émergeront d’un dialogue œcuménique continu.

184. Nous ne devrions pas sous-estimer le degré auquel nos différentes traditions trouvent un terrain commun dans notre compréhension du Royaume. Toutes deux apprécient le Royaume de Dieu comme catalyseur pour une libération historique, et nous sommes conscients de part et d’autre que son mystère transcende les concepts et l’histoire. Nous voulons souligner ensemble que Jésus n’a pas envisagé le Royaume comme appartenant entièrement et exclusivement au temps à venir. Cependant, le Royaume futur ne peut être déduit des circonstances de l’histoire actuelle ; il sera qualitativement nouveau et il se situe au-delà des projets et des capacités des êtres humains, comme quelque chose que nous ne pouvons qu’accepter comme un don. Alors que le thème du Royaume prend au sérieux le monde et les efforts humains dans l’histoire, il ne renonce pas à l’ouverture à un futur transcendant dans la plénitude de Dieu. En fin de compte, Dieu seul peut réaliser les plus profondes aspirations de l’humanité.

185. Reste toujours la question : que peut dire le Royaume de Dieu concernant la situation d’oppression et d’exploitation insoutenables de tant de personnes aujourd’hui ? Le monde dans lequel nous vivons et où vient le Royaume de Dieu n’est pas un terrain neutre. Des forces hostiles s’opposent au Royaume. Cet anti-royaume n’est pas simplement l’absence ni le pas-encore du Royaume, mais sa directe contradiction. En conséquence, le Royaume est dans une relation de combat avec l’anti-royaume. Ils ne s’excluent pas simplement l’un l’autre, ils se combattent. Notre engagement à promouvoir le Royaume implique nécessairement de lutter activement contre l’anti-royaume. Bien que nous sachions qu’en fin de compte l’anti-royaume sera vaincu par la puissance de Dieu, nous sommes appelés à résister aux forces du mal qui cherchent à asservir l’humanité.

186. Le Royaume de Dieu est présent parmi nous. Si nous voyons l’Église à la lumière du Royaume, c’est en étant conscients que comme citoyens de ce monde – quelle que soit notre responsabilité dans nos Églises – nous partageons les souffrances de l’humanité et de la création. Mais même si nous nous considérons nous-mêmes avant tout comme des victimes, cela ne nous exempte pas de nos responsabilités. Si nous devons admettre que nous partageons la culpabilité de profiter d’injustes relations globales, cela devrait nous inciter davantage à nous engager en faveur d’un monde qui corresponde mieux aux caractéristiques du Royaume de Dieu. Cela exige ouverture et sensibilité vis-à-vis des autres, patience et résolution.

187. Ce thème de la responsabilité touche également nos structures ecclésiales. L’Église, en tant que partie de la société en général, exerce un pouvoir – et a donc une responsabilité – au sein de la communauté humaine. Que l’Église agisse en artisan de paix (en promouvant la réconciliation des peuples) ou comme force destructrice (en ajoutant encore d’autres divisions), dépend de la façon dont elle vit fidèlement selon l’Évangile, du degré auquel ses sacrements et sa liturgie se rapportent à la vie quotidienne de ses membres, et de sa capacité à mettre en pratique les paroles qu’elle proclame. La division entre communautés chrétiennes peut elle-même ajouter un autre élément de division dans la société.

188. Ce dialogue entend contribuer au renouvellement de la vie de nos deux communautés, en indiquant le Royaume de Dieu comme leur « principe d’action ». C’est précisément en étant au service de l’action transformatrice de Dieu dans le monde que la communauté chrétienne sera un symbole et un témoignage authentiques du Royaume de Dieu.

 

5. Approfondir notre commune compréhension de l’Église

189. Notre rapport précédent, Vers une compréhension commune de l’Église, observait que « on peut considérer que les deux conceptions, de ‘création du Verbe’ et de ‘sacrement de grâce’, expriment en fait la même réalité instrumentale sous différents aspects, sont complémentaires l’une de l’autre, ou représentent les deux faces de la même médaille. Elles peuvent aussi devenir les pôles d’une tension créatrice entre nos Églises ».[100] Le thème du Royaume peut-il conduire à une ultérieure convergence sur la nature et la mission de l’Église comme creatura verbi et sacramentum gratiae ? La relation entre l’Église et le Royaume de Dieu peut-elle fournir des perspectives pour examiner les questions que la phase précédente de notre dialogue signalait comme méritant « une étude ultérieure » et présentant « de nouveaux défis » ?[101] Nous concluons le présent chapitre en essayant de répondre à ces questions.

5.1. L’Église comme création de la Parole et sacrement de grâce à la lumière du Royaume

190. Considérées dans le contexte du thème de la phase actuelle de notre dialogue, il semble clair que chacune de ces deux expressions suggère quelque chose concernant la façon dont l’Église devrait servir l’établissement du Royaume de Dieu dans le monde. L’Église est intimement liée à la Parole dans un double sens. Premièrement, la communauté est créée par la Parole de Dieu lorsqu’elle l’entend et lui répond. Jésus, la Parole faite chair, proclamait que le Royaume est proche et que la communauté des disciples est le groupe d’êtres humains qui, sous l’influence de la grâce, a répondu dans la foi. En second lieu, cette réponse de foi salvifique les pousse, de leur côté, à proclamer la Parole de salut et leur donne mandat de rendre témoignage aux valeurs du Royaume que Jésus a enseignées. Dans sa mission de servante du Royaume, l’Église montre qu’elle est creatura verbi dans les deux sens.

191. En même temps, le Royaume est vu dans l’Écriture comme l’effet de la puissante activité de Dieu par le Christ dans l'Esprit-Saint, dans l’histoire et au-delà de l’histoire. Il n’est pas le résultat d’efforts humains mais de la grâce à laquelle les êtres humains ont le privilège de répondre. Dans la mesure où l’Église est un instrument voulu par Dieu pour servir à la réalisation du Royaume, elle doit donc être un instrument de la grâce, qui est ce que l’on entend par l’expression sacramentum gratiae. La transformation du monde se fait en partie à travers des efforts visant à créer une société plus juste et plus pacifique. Mais les chrétiens croient aussi que cette transformation est réalisée maintenant, par anticipation, dans la communion entre Dieu et les êtres humains qui a lieu dans l’Église, surtout à travers la proclamation de la Parole, la célébration des sacrements du baptême et de l’eucharistie et d’autres sacrements ou rites. Comme sacrement du Royaume, l’Église est et doit être à la fois création de la Parole et sacrement de grâce.

192. Notre exploration de la littérature patristique a également souligné ce fait. Alors que nous n’avons pas découvert d’écrits patristiques utilisant exactement les expressions de creatura verbi et sacramentum gratiae, les auteurs patristiques soulignent clairement la relation de l’Église avec la Parole et avec la grâce de Dieu. Le discernement du canon de l’Écriture, la présence massive de commentaires sur chaque livre de la Bible et le recours à l’Écriture dans les traités doctrinaux et les décisions magistérielles (lesquelles, en rejetant certaines hérésies, illustraient l’exigence pour l’Église de discerner l’adéquation des interprétations de l’Écriture) sont tous des points importants pour la vision de l’Église comme creatura verbi. Dans ce sens, les premiers auteurs chrétiens auraient certainement considéré l’Église comme une « création de la Parole de Dieu », bien qu’ils n’aient jamais employé cette expression. D’une façon analogue, les textes de la période patristique sur le baptême, l’eucharistie et sur d’autres rites ecclésiaux – autant les textes de différents auteurs et, peut-être de manière encore plus pertinente, ceux qui sont conservés dans les livres liturgiques – sont certainement significatifs pour la compréhension de l’Église comme sacramentum gratiae. À ce propos, aucun autre écrit patristique n’est peut-être aussi impressionnant que ceux des « catéchèses mystagogiques », avec lesquels les évêques instruisaient les chrétiens nouvellement baptisés pendant la semaine après la Pâque. Dans ce sens, les premiers auteurs chrétiens ont probablement considéré l’Église comme « sacrement de grâce », parce que la grâce de l'Esprit-Saint est toujours opérationnelle et constitutive dans la proclamation de la Parole et dans la célébration de ces rites. Une Église sans une profonde célébration sacramentelle du don de la grâce ne pourrait pas être l’Église du Christ telle qu’ils la connaissaient.

193. Selon Vers une compréhension commune de l’Église, ce sont « deux conceptions différentes pour comprendre l’Église et la façon dont elle remplit son rôle ministériel et instrumental, la première est plus ‘réformée’, la deuxième, plus ‘catholique romaine’ » (94). Le paragraphe 108 continue en déclarant que l’Église est un instrument « par la prédication de la Parole, l’administration des sacrements et la conduite des communautés ». Nous pouvons affirmer à présent, à la lumière de notre examen du Royaume et de la littérature patristique, non seulement que ces visions sont mutuellement instructives et complémentaires, mais aussi qu’aucune n’est entièrement adéquate sans l’autre. Une Église « sacramentelle » qui ne donne pas à la Parole de Dieu la place qui lui revient, serait pour l’essentiel incomplète ; une Église qui est réellement une création de la Parole, célèbre cette Parole dans la liturgie et dans les sacrements. Si nos Églises diffèrent selon ces deux visions, c’est peut-être moins du fait que l’une et l’autre sont convaincues que l’Église n’est que creatura verbi ou que sacramentum gratiae, et bien plus parce que chaque tradition a mis l’accent sur un des aspects au point d’atténuer ou de négliger l’autre. Dans ce cas, parvenir à la pleine communion représentera un processus dans lequel chaque communauté retrouvera toute la mesure de ce que Dieu a prévu pour la vie de l’Église. Une autre question qui se pose à ce stade, et qui devra être ultérieurement examinée dans un dialogue futur, est celle de la relation du ministère ordonné avec la proclamation de la parole et la célébration des sacrements.

5.2. L’Église par rapport à l'Esprit-Saint et à l’eschatologie

194. En réfléchissant à ce que nos communautés pourraient dire ensemble sur la façon dont l’Église « remplit son rôle ministériel et instrumental », le précédent rapport de dialogue indiquait qu’il était possible de décrire l’Église comme « sacrement du Royaume de Dieu ».[102] Les chrétiens réformés peuvent affirmer le concept de l’Église comme sacrement, suivant l’enseignement de Calvin sur le rôle instrumental de l’Église en tant que notre « mère dans la foi ».[103] Dans l’enseignement catholique romain, qualifier l’Église un « sacrement » est basé sur deux analogies : celle entre l’Église et le Christ et celle entre l’Église et les rites du baptême et de l’eucharistie. Nos deux communautés affirment que l’action du Christ est le fondement du salut humain ; les sacrements et les autres rites sont des véhicules de l’unique grâce de Dieu dont seul le Christ est en définitive le médiateur. Tout comme la vie et le ministère, la mort et la résurrection du Christ jouent un rôle déterminant dans la réalisation du dessein salvifique de Dieu, de même, l’Église est de manière analogue « le signe et l’instrument visible de cette unique médiation [du Christ] à travers le temps et l’espace … un instrument entre les mains du Christ… entièrement dépendant du Seigneur, exactement comme un outil entre les mains d’un ouvrier ».[104] Lorsque les chrétiens réformés examinaient traditionnellement un des rôles de l’Église dans la médiation de salut par le Christ, ils se sont toujours efforcés de sauvegarder la complète suffisance de son don de soi, accompli « une fois pour toutes » (cf. He 7,27), et de la liberté de l'Esprit de répandre gratuitement les bienfaits du Christ sur les êtres humains. Une dépendance aussi radicale est aussi un aspect principal de la réflexion catholique romaine sur la nature des sacrements et sur l’analogue application du terme « sacrement » à l’Église. La complète dépendance à l’égard du Christ à travers l'Esprit est ainsi reconnue par notre présent dialogue. Nous notons qu’un cadre exclusivement christologique ne permettrait pas de découvrir ni d’exprimer tout ce que nous pouvons affirmer ensemble sur ce thème. Notre présent rapport, centré comme il l’est sur le témoignage commun du Royaume, nous a inévitablement conduits à considérer l’Église par rapport à l'Esprit-Saint et à l’eschatologie.[105] Ces rapports offrent tous deux la possibilité d’élargir ce que nous pourrions dire ensemble sur l’Église comme « sacrement du Royaume de Dieu ».

195. L'Esprit-Saint réalise l’œuvre de rédemption du Christ dans le cœur des individus en provoquant leur conversion et leur régénération. À cet effet, l'Esprit est le principal agent de l’établissement du Royaume et celui qui guide l’Église pour qu’elle soit un serviteur de l’œuvre de Dieu dans ce processus (Chapitre I). C’est l'Esprit qui joue le rôle décisif en amenant les croyants à discerner ce qu’ils doivent faire pour contribuer à la pleine réalisation du Royaume dans des situations particulières (Chapitre III). Rapporter à l'Esprit-Saint ce qui, dans l’Église, est l’instrumentalité du Royaume, nous permet de reconnaître ensemble une vision plus historique et dynamique de l’Église comme « sacrement du Royaume de Dieu ». L'Esprit est la base, tant de l’efficacité de la Parole et des sacrements que de la présence émergente du règne de Dieu. Notre rapport précédent se référait vraiment à l'Esprit-Saint en évoquant aussi bien l’accent « plus réformé » mis sur la liberté de l'Esprit, que l’appréciation « plus catholique romaine » de la présence de l'Esprit-Saint dans l’existence historique de la communauté chrétienne. Lorsque nous considérons le rôle de l'Esprit par rapport au Royaume, il apparaît clairement que ces deux perspectives confessionnelles ont besoin l’une de l’autre et qu’elles sont complémentaires et mutuellement instructives. L'Esprit qui souffle librement […] (cf. Jn 3,8), guide et équipe aussi la communauté de foi (cf. Jn 16,13,14 ; 1 Co 12,4-13). En instaurant le Royaume, l'Esprit agit de manière à inclure les personnes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église, avec toutes les capacités et les limites qu’ils possèdent.

196. Notre discussion sur le Royaume pendant cette phase du dialogue réformé-catholique romain a naturellement centré son attention également sur le thème de l’eschatologie (Chapitre I). Le rapport précédent observait : « Nous ne pensons pas de la même façon la relation entre Église et Royaume de Dieu. Les réformés insistent davantage sur la promesse d’un ‘pas encore’ ; les catholiques soulignent davantage la réalité d’un don ‘déjà là’ ».[106] Le présent dialogue a montré que l’Écriture et la tradition maintiennent unies ces deux perspectives, de sorte que notre contraste précédent doit être vu comme une différence d’accent plutôt que comme une opposition qui divise l’Église. Nous sommes pleinement d’accord que l’Église vit dans une perspective eschatologique et qu’il est impossible de saisir son identité sinon dans le cadre d’une commune ouverture à l’action de l'Esprit-Saint dans l’histoire, même de nos jours. Cela exige une attention aux « signes des temps » et à de nouvelles occasions de témoignage commun. La distinction entre Église et Royaume permet une plus grande vision commune de l’histoire. Ce que nous serons n’a pas encore été manifesté (1 Jn 3,2 ; cf. 1 Co 13,12). Cela signifie que la période actuelle est encore en chemin vers la réalisation parfaite du dessein salvifique de Dieu, qui aura lieu avec la venue complète du Royaume. L’histoire de l’Église est complexe et, comme l’a noté notre rapport précédent dans sa réflexion sur la « réconciliation des mémoires », elle peut être interprétée de plusieurs manières. Parfois, elle donne la preuve d’une édifiante continuité avec l’Évangile, mais elle contient également l’énigme de la division et de la discontinuité. Nous osons croire que même dans les moments les plus regrettables de cette histoire, l'Esprit de Dieu était à l’œuvre pour le bien (cf. Rm 8,28). Cela ne veut jamais dire que l’erreur humaine est transformée en vertu divine. Elle fournit toutefois une base appropriée pour comprendre la nature des divisions et des inimitiés coupables dans l’Église. Nous sommes ainsi appelés à la conversion et au renouvellement, à être réceptifs à l’action incessante de l'Esprit-Saint dans l’histoire, dont « la puissance unifiante … doit se révéler plus forte que toutes les séparations qui ont eu lieu par le fait de notre condition humaine de pécheurs ».[107]

197. À travers l’étude du thème du témoignage commun du Royaume, réformés et catholiques ont ainsi pu découvrir un autre accord fondamental concernant l’Église. Nous pouvons affirmer que l’Église est une sorte de sacrement du Royaume de Dieu, avec un rôle authentique de médiateur, mais seulement dans la mesure où elle est absolument dépendante de Dieu. Notre accord sur sa dépendance de Dieu en Christ par la puissance de l'Esprit-Saint nous fait espérer que nous avons également fait quelque progrès en ouvrant la voie à une plus grande convergence. En parlant de l’Église comme « sacrement du Royaume de Dieu », les tensions du passé concernant des convictions différentes sur la continuité, le ministère et la structure de l’Église au cours des siècles, peuvent se révéler complémentaires, voire créatives, dans une reconstruction commune. Nous espérons que notre vision du rôle ministériel et déterminant de l’Église, totalement dépendant de l'Esprit du Christ et orienté vers le Royaume de Dieu, puisse apporter une contribution à l’unité des chrétiens, qui aille au-delà de nos propres communautés. Le mouvement œcuménique dans son ensemble peut être compris comme participation au mouvement de l'Esprit-Saint qui nous appelle et nous inspire à rechercher ensemble le Royaume de Dieu, et à nous engager les uns envers les autres. Si les Églises trouvent de nouvelles manières de donner une forme à ce soutien et à cette responsabilité mutuels, nous prions alors pour qu’il en résulte une plus grande visibilité de l’Église comme signe et instrument du Royaume de Dieu.

 

 

Chapitre V
Dialogue et témoignage commun

198. Ayant réfléchi aux moyens par lesquels cette phase de dialogue a approfondi notre commune compréhension de l’Église au-delà des résultats de Vers une compréhension commune de l’Église (Chapitre IV), nous voudrions à présent ajouter quelques réflexions sur la notion de témoignage commun dans sa relation avec le dialogue œcuménique. Le contenu particulier de cette phase de dialogue et ce qui a été dit jusqu’à présent, ont montré comment le dialogue lui-même peut être une expérience réconciliatrice. Si la cause du Royaume de Dieu et l’appel à lui rendre un témoignage commun animent nos rencontres, nos deux traditions sont alors placées chacune devant un même défi, car les dimensions présentes et futures du Royaume nous ouvrent à Dieu d’une manière qu’aucun de nous ne peut penser contrôler. Dans le dialogue, nous pouvons affronter ces questions ensemble. Nos traditions sont toutes deux entièrement disponibles devant le dessein de Dieu pour notre futur. Ainsi, le contenu de ce dialogue et notre témoignage commun actif devraient contribuer au renouvellement de nos deux communions.

 

1. Le dialogue œcuménique comme témoignage commun

199. Dans la promotion de l’unité des chrétiens, on identifie généralement trois dimensions liées entre elles : la prière, la coopération pratique et le dialogue théologique. Tandis que la prière et la coopération pratique fournissent de nettes occasions de témoignage commun, le dialogue contribue à clarifier la base théologique de cette prière et de cette action communes. En outre, le dialogue œcuménique peut lui-même être une forme de témoignage commun.

200. Dans un dialogue authentique les paroles sont utilisées non pas pour dominer ou contrôler l’autre, mais au contraire pour jeter des ponts de compréhension. Ici commence à émerger le potentiel de témoignage du dialogue : « Loin d’encourager le relativisme, un dialogue sincère commence par une immersion dans sa propre tradition et le désir de partager sa richesse avec d’autres pour le salut du monde ».[108]

201. Les chrétiens sont appelés à « assumer l’esprit du Christ ». L’épître de Paul aux Philippiens (2,5-11) décrit l’incarnation du Christ comme un « dépouillement de soi » pour le bien de l’humanité. Ce texte évoque un processus profondément spirituel qui peut s’appliquer à toutes les formes de dialogue. Il ne peut y avoir de dialogue si l’une ou l’autre identité est sous-estimée. Ceux qui s’engagent dans le dialogue doivent être disposés à abandonner toute notion mal conçue et à entreprendre un processus de don de soi, une sorte d’imitation du Christ crucifié. À la lumière du mystère pascal, le dialogue purifie ses participants, de sorte que chacun peut approcher l’autre avec la liberté qui vient d’avoir adopté l’esprit du Christ. Cette démarche conduit à une spiritualité de service qui est essentielle pour le dialogue, la prière et la coopération pratique en cours dans la recherche de l’unité des chrétiens.

202. Dialogue implique mutualité et désir de réconciliation. L’esprit de réconciliation reconnaît et confirme l’unicité de l’identité de chacun des partenaires du dialogue. Toutefois, cela n’implique pas un pluralisme illimité ni l’indifférence envers les divergences doctrinales. Au contraire, en reconnaissant l’identité de l’autre, les partenaires du dialogue sont mis au défi d’affirmer la même vérité exprimée dans des formes différentes ou complémentaires et de respecter les différences sincères lorsqu’elles se présentent.

203. Une attitude humble, une disposition à admettre les ignorances et les échecs, un désir de connaissance plus approfondie et un esprit ouvert à la vérité partout où elle se trouve, ont une importance fondamentale pour tout dialogue. Tout en reconnaissant que la plénitude de la vérité a été révélée en Jésus Christ, les chrétiens, individuellement, « n’ont aucune garantie qu’ils ont pleinement saisi la vérité », si bien qu’il est nécessaire d’être ouvert à une connaissance toujours plus profonde de cette vérité. Nous sommes d’accord avec ce que dit le Pape Paul VI : En dernière analyse, la vérité n’est pas quelque chose que nous pouvons posséder mais une personne à laquelle nous devons nous abandonner totalement. Ce processus ne prend jamais fin » (cr. Ecclesiam suam, 81-82).

 

2. Le dialogue comme expérience réconciliatrice

204. Notre travail et notre vie en commun ont eu pour résultat une compréhension plus profonde de nos traditions respectives, y compris la façon dont chaque tradition traite l’apparition d’idées et de perspectives nouvelles. Des divergences sur différentes approches méthodologiques se sont présentées entre nos deux délégations et également à l’intérieur de chacune d’elles. À un certain moment, à mi-chemin de nos délibérations, lorsque le discernement devenait difficile et critique, nous avons choisi d’inclure une approche contextuelle et d’accorder une attention particulière au thème de notre témoignage commun du Royaume. Cette décision a renforcé notre conviction que le témoignage commun du Royaume nous conduirait à une plus grande solidarité avec les pauvres.

205. Cette approche contextuelle nous a portés à tenir les réunions subséquentes en Afrique du Sud, en Irlande du Nord et au Canada. Dans la situation de ces pays, pour les réformés et les catholiques romains, le défi posé au témoignage commun est impressionnant, de deux manières au moins. En premier lieu, dans chaque contexte il y a une histoire de méfiance mutuelle et même, dans l’un d’eux, une histoire de violence les uns envers les autres. Deuxièmement, le témoignage du Royaume a eu lieu face à des maux sociaux très anciens et en résistant à des valeurs anti-royaume. Dans de tels contextes, le témoignage commun se paie cher. Un des fruits de cette approche plus contextuelle a été la rencontre avec des responsables ecclésiaux et des pasteurs qui vivaient et témoignaient de manière courageuse. Notre décision, après d’intenses et parfois douloureux débats, nous a aidés, en tant que membres de la commission mixte, à progresser dans la communion.

 

3. Dialogue, apaisement des mémoires et réconciliation des communautés

206. Aujourd’hui, une ouverture au règne de Dieu caractérise adéquatement le témoignage commun des Églises réformées et de l’Église catholique. Toutefois, le passé continue de se faire sentir dans le présent. Au début de l’année 2000, l’ARM a retiré son représentant du Comité œcuménique du Jubilé catholique romain de l’An 2000, en réaction aux assomptions théologiques de la Bulle d’indiction des « Conditions pour l’obtention des indulgences du Jubilé ». Les responsables catholiques avaient été surpris que leur invitation œcuménique faite avec les meilleures intentions fût refusée par l’ARM. De la même façon, lorsque la Congrégation pour la Doctrine de la foi a publié Dominus Iesus, de nombreux responsables réformés en furent surpris et ils interprétèrent l’absence d’explication, dans les paroles utilisées, de la différence entre « Église au sens propre » et « communauté ecclésiale », comme un manque de reconnaissance des importants progrès œcuméniques accomplis depuis Vatican II. Étant donné que la réunion du dialogue se tenait en dehors de Rome, trois semaines à peine après la publication de Dominus Iesus, il était inévitable que nous ayons quelques francs échanges à ce sujet. Un de nos membres a observé qu’aucun groupe n’a le monopole de la peine. Un moment significatif pour les membres du dialogue a été, après de tels échanges, notre rencontre avec le Pape Jean-Paul II et de l’avoir entendu confirmer de nouveau « l’irréversible engagement de l’Église catholique à l’œcuménisme ». Il est clair qu’à côté du mandat d’ouverture au futur de Dieu, le dialogue contemporain doit prévoir de se débattre avec un douloureux passé et de continuelles divergences entre les Églises.

207. Comme l’observe VCCE (155, 156), une recherche et des interprétations nouvelles peuvent apporter des changements de perspectives et indiquer de manière plus complète quelque chose de la complexe histoire qui nous est commune. Même dans les pays évangélisés bien après la Réforme, on ne peut tout simplement ignorer les querelles et les développements du XVIe siècle. Nous devons au moins expliquer pourquoi les divisions ont eu lieu entre les chrétiens en Occident et pourquoi elles durent toujours, et quelle relation ces divisions peuvent avoir avec de nouvelles divisions entre des Églises plus jeunes en raison de conditions locales particulières. Il semble que dans presque n’importe quel contexte, nous aurons l’occasion de fournir une explication à l’absence d’unité visible parmi les Églises chrétiennes.

208. Notre douloureux passé se prolonge dans le présent chaque fois que nous manquons de parler avec respect de la foi de nos sœurs et frères. Ainsi, notre dialogue requiert une révision du langage que nous avons employé pour nous caractériser les uns les autres au cours des siècles, et encore aujourd’hui. Une attitude polémique et souvent peu charitable donnait le ton à la plupart de nos commentaires les uns des autres avant le début du mouvement œcuménique moderne. Un des buts principaux du dialogue devrait être de passer notre langage au crible pour discerner les affirmations qui étaient dues à un manque de vérité et de charité, afin de nous demander réciproquement pardon à leur sujet. Tout aussi importante est la recherche des éléments de vérité contenus dans nos anciens discours et que nous devons répéter les uns aux autres dans l’amour (cf. Ep 4,15) encore aujourd’hui, en espérant de parvenir à une plus grande communion. Du fait que l'Esprit-Saint continue de nous guider dans une attente commune et active du Royaume, nous pourrions très bien découvrir de nouvelles manières de nous sentir responsables les uns des autres et de progresser dans la charité réconciliatrice et dans la foi commune.

209. Le dialogue peut tirer profit d’une réconciliation des mémoires et peut l’encourager. Pour de nombreux réformés, l’appel du Pape Jean-Paul II à une purification des mémoires, durant le Jubilé de l’An 2000, et ses courageuses prières de repentir au nom des catholiques étaient encourageants. La récente interprétation théologique de ces actions dans « Mémoire et réconciliation : l’Église et les fautes du passé », par la Commission théologique internationale du Vatican, contribue de manière significative au débat sur la question du péché dans l’Église. Des vérités complexes et terribles sont reconnues et des prières sont citées, puisées dans Daniel et dans Jérémie, qui confessent « nous avons péché ». Le rapport de la Commission est particulièrement encourageant dans son consciencieux et franc examen des paradigmes bibliques pour la confession des péchés par tout le peuple de Dieu. La plupart des chrétiens réformés seront d’accord avec ceux qui réagissent à « Mémoire et réconciliation » en disant que ce document renforcera la crédibilité de l’Église catholique romaine. On pense généralement que la crédibilité de n’importe quelle Église serait renforcée en faisant quelque chose de semblable. Ceux qui pensent qu’une franche admission des fautes serait nuisible au ministère de l’Église, surtout auprès des jeunes, nous semblent demander à l’Église de placer le service de sa propre vie au-dessus du service de la vérité. Comme le déclare VCCE 109, la fidélité de Dieu qui conserve l’Église, fera de même par « la transfiguration de la faute humaine ».

210. Des communautés réconciliées présupposent des ministères réconciliés. Cette question est un défi spécifique pour notre dialogue. Comme le note VCCE 123, d’un point de vue catholique romain, en rompant avec les structures transmises par la tradition, les réformés « ont profondément blessé l’apostolicité de leurs Églises ». Plus loin, pour VCCE 132, parole, sacrement et vigilance sont la triple fonction du ministère. Les réformés ont cette triple fonction en exerçant le ministère de vigilance de manière conciliaire. La reconnaissance commune de ce fait serait un pas important vers une convergence dans notre recherche d’une compréhension et d’une reconnaissance communes du ministère.

 

4. L’expérience de l’unité dans le témoignage commun aujourd’hui

211. Nos trois récits reflètent divers degrés de collaboration dans le témoignage commun. Au Canada, la relation entre les Églises canadiennes membres de l’ARM et la Conférence canadienne des évêques catholiques a été assez solide et constructive. Le désir de porter un témoignage commun au Royaume a fait naître un réseau interconfessionnel de coalitions en faveur de la justice sociale. Toutefois, les problèmes causés par la nécessité de faire face à des procès pour abus sexuels et physiques dans des pensionnats indiens gérés par des Églises, et pour avoir rapporté la foi chrétienne à la spiritualité aborigène traditionnelle, ont mis à l’épreuve la capacité des Églises missionnaires historiques d’agir sur une base commune.

212. Dans l’étude sur l’Afrique du Sud, il apparaît que les Églises relevaient d’abord le défi de l’apartheid de manières parallèles mais individuellement. Chaque communion avait ses propres disputes et stratégies internes au sujet du témoignage public. Par exemple, il n’y avait pas toujours accord dans la communauté catholique romaine concernant la politique raciale. Pour les réformés, les luttes théologiques internes au sujet de l’élection et de la signification providentielle des différentes races semblaient dominer. Néanmoins, malgré ces différences, il existait une large coopération entre les différentes confessions dans la résistance acharnée à l’idéologie de l’apartheid. Comme c’est souvent le cas, le témoignage individuel de responsables pastoraux et laïcs outrepassait les délibérations et les actions officielles.

213. En Irlande du Nord, la collaboration officielle entre les Églises paraissait plus évidente. Les responsables ecclésiaux se connaissaient personnellement et s’étaient sans aucun doute entraidés en portant le fardeau les uns des autres. Par ailleurs, ils nous ont dit qu’une des choses qu’ils avaient apprises dans leur leadership commun était l’importance du discernement – c’est-à-dire comment discerner exactement quand et où intervenir par des expressions publiques d’unité, sans compromettre leur crédibilité. Nous avons une fois de plus entendu des récits profondément émouvants d’engagement courageux dans l’établissement de relations réconciliées de la part de responsables pastoraux et laïcs locaux.

214. Dans des situations où le témoignage se paie cher, comme en Afrique du Sud et en Irlande du Nord, les responsables pastoraux et laïcs qui rendent ce témoignage font souvent eux-mêmes l’expérience de formes exceptionnelles d’unité. Lorsque martyria (témoignage) comporte la possibilité du martyre (souffrir pour le Christ et pour le Royaume), les différences confessionnelles et intra confessionnelles sont relativisées et passent davantage à l’arrière-plan. En Afrique du Sud, le témoignage « au niveau de la base » de chrétiens réformés et catholiques romains, noirs, métis et blancs, contre l’apartheid, était nourri et soutenu par la prière en commun. Ce partage soulignait, pour ceux qui y étaient impliqués, la présence eschatologique du Royaume.

215. En Irlande du Nord, nous avons entendu parler de plusieurs exemples de témoignage courageux. Dans le contexte de notre dialogue réformé-catholique, nous avons examiné en particulier le travail du Centre Corrymeela pour la Réconciliation, fondé par un ministre presbytérien, le Rév. Ray Davey. Son but principal est de permettre à des adultes et à des enfants réformés et catholiques romains des quartiers où la ségrégation est en vigueur, de se rencontrer et de s’informer, de prier et de jouer ensemble. Par la suite, Davey a reçu le titre de docteur honoris causa de l’Université pontificale de Maynooth, premier cas dans l’histoire de celle-ci où un ministre protestant reçoit une telle distinction. Le discours de remise de ce doctorat honoris causa a été prononcée par l'Évêque Anthony Farquhar, coprésident de notre dialogue et évêque auxiliaire du diocèse de Down et Connor, le diocèse où se trouve le Centre Corrymeela. Dans son allocution, l’Évêque Farquhar a cité fort à propos le poète irlandais Seamus Heaney :

L’histoire dit : n’espère rien
de ce côté-ci de la tombe.
Mais, alors, une fois dans la vie
le raz-de-marée de justice
tant attendu, pourra se soulever
et espérance rimer avec histoire.

216. Au temps des persécutions des premiers siècles de l’ère chrétienne, il arrivait parfois qu’un nouveau converti donnât sa vie en martyria avant d’être baptisé. La mort de cette personne était considérée comme un « baptême dans le sang ». S’il existe un baptême dans le sang, n’y a-t-il pas aussi pleine communion en versant son sang pour la foi ? En fait, dans l’encyclique Ut unum sint (84), le regretté Pape Jean-Paul II a écrit :

J’ai déjà constaté, avec joie, que la communion est maintenue, imparfaite mais réelle, et qu’elle grandit à divers niveaux de la vie ecclésiale. J’estime qu’elle est déjà parfaite en ce que nous considérons tous comme le sommet de la vie de grâce, la martyria jusqu’à la mort, la communion la plus vraie avec le Christ qui répand son sang et qui, dans ce sacrifice, rend proches ceux qui jadis étaient loin (cf. Ep 2,13).

217. L’unité dans le témoignage commun que la plupart d’entre nous connaissent est loin de celle qui consiste à sacrifier sa vie. Néanmoins, nous pouvons tous consacrer nos énergies et notre espérance au service œcuménique du Royaume. Que ce soit en défendant ensemble la cause des sans-logis ou en prêtant service dans une soupe populaire ; que ce soit par des ententes paroissiales interconfessionnelles ou par le dialogue en collaboration interreligieuse, il existe aujourd’hui des occasions privilégiées pour tous les chrétiens réformés et catholiques romains de s’engager dans le témoignage commun et de connaître ensemble aussi bien des progrès décisifs dans la compréhension du Royaume, que la joie de le servir.

 

5. Rechercher un plus grand témoignage commun aujourd’hui

218. Le Royaume de Dieu est le symbole d’une communauté universelle structurée selon la volonté de Dieu afin qu’une plénitude de vie et de relations correctes abondent pour tous, Dans la théologie chrétienne, l’Église est un sacrement du Royaume en ce qu’elle représente l’inauguration de cette plénitude et de ces relations correctes dans la communauté des croyants rassemblés dans la foi, l’espérance et la charité. Tandis que l’ARM et l’Église catholique romaine sont des organismes à caractère global, le fait que de telles communions chrétiennes mondiales multiples existent séparément peut être un défi à la catholicité qui est une marque de l’Église. Des Églises séparées ou divisées contredisent le symbole du Royaume de Dieu comme communauté universelle de plénitude de vie et de relations correctes. Cela signifie également que la capacité de l’Église de fonctionner effectivement comme sacrement du Royaume est limitée. Tant que les divisions confessionnelles ne seront pas résolues, le témoignage du caractère universel du Royaume sera compromis. De même, notre engagement visant non seulement à résoudre les différences doctrinales par le dialogue, mais également à réaliser un degré supérieur de témoignage commun est une contribution vitale à l’œcuménisme.

219. Le pouvoir symbolique et transformateur du Royaume est compromis lorsque des divisions existent au sein d’une Église particulière. Les communautés de foi rendent un contre-témoignage lorsqu’elles soutiennent un statu quo caractérisé par une interprétation idéologique des cultures, des relations raciales et une différence de credo qui est en opposition à l’Évangile. La conviction de la nécessité d’agir avec justice et d’être miséricordieux (Mi 6,8) dans de telles situations peut varier de manière significative, autant dans la communauté civile que parmi les membres de l’Église catholique romaine et des Églises réformées. En Irlande du Nord, il était difficile pour les chrétiens de résister à l’incessant appel à un sentiment d’inimitié religieuse enracinée dans les conflits des XVIe et XVIIe siècles. Au Canada, des membres d’Églises sont tentés de minimiser le mandat de justice en faveur des Premières Nations, parce qu’il comporte le paiement de réparations pour les abus du passé de la part du gouvernement et des Églises, le règlement de revendications concernant la restitution de terrains depuis longtemps présentées et jusqu’ici non résolues, et le respect des droits inscrits dans les traités. En Afrique du Sud, la lutte théologique au sujet de l’idéologie de la séparation des races est bien connue. Ces exemples soulèvent la question, dans chaque communion, de savoir où se trouve le témoignage authentique du Royaume. Nos trois récits montrent que chaque communion doit faire face au défi permanent de parvenir à un témoignage commun plus fort dans son propre milieu.

220. Une des constatations évidentes de ce dialogue catholique-réformé est que notre témoignage commun doit se concentrer sur le partage des signes du Royaume avec les pauvres. Les images bibliques du Royaume évoquent une vision de célébration dans laquelle les exclus de la société et du bien-être finissent par s’asseoir à la table du banquet. Ceux dont le témoignage commun est rendu au Royaume de Dieu apprendront à « laver les pieds des pauvres » en prenant leur défense, en se mettant à leur service et en les rencontrant personnellement. Ce faisant, chacun de nous pourra avoir un aperçu du monde voulu par Dieu et voir ainsi notre espérance renouvelée. Nos deux communions partagent déjà l’engagement d’écouter ensemble la voix des pauvres comme une source privilégiée de discernement des exigences du Royaume de Dieu. C’est notre conviction que nos deux communions doivent accentuer cet engagement.

221. Dans le chapitre final, « Le chemin en avant », VCCE présente une invitation intéressante. Au lieu de nous opposer les uns aux autres ou de vivre simplement côte à côte, nos deux communions « devraient vivre l’une pour l’autre afin d’être des témoins du Christ » (149). VCCE 157 explique que « vivre les uns pour les autres » signifie « rendre un témoignage commun » et faire tous les efforts possibles pour parler ensemble aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui du « message salvifique du Christ ». Dans cette invitation à vivre les uns pour les autres, nous percevons une injonction du Royaume à prier les uns pour les autres et à considérer comme nôtre le souci du bien-être et de la fidélité des autres. Dans cette attention mutuelle, notre témoignage commun peut être un signe persuasif pour d’autres communions chrétiennes. Les non-croyants autour de nous seraient peut-être obligés de s’exclamer de nouveau : « Voyez combien ces chrétiens s’aiment les uns les autres ! » Osons-nous réellement penser à « vivre les uns pour les autres ? »

 

6. Unité dans la foi et l’action

222. Nous croyons que dans le dialogue et dans le témoignage commun, nous devons viser à une unité qui englobe tant l’orthopraxis que l’orthodoxie, une unité qui est formée et testée par la force symbolique et transformatrice du Royaume de Dieu.

223. L’orthodoxie, comprise comme souci de la vérité de l’Évangile, est importante car elle représente un engagement décisif envers la foi apostolique. Dans le dialogue œcuménique, elle implique le discernement de la mesure dans laquelle nous partageons la même compréhension de la foi. Il est certes vrai qu’à notre époque, les questions d’une pratique correcte (orthopraxis) impliquant la morale personnelle et sociale, peuvent être autant des motifs de division et des objets de contestation que ne l’étaient les querelles doctrinales et liturgiques au temps de la Réforme. Toute fois, penser que nous pourrions laisser des questions d’orthodoxie – les divergences de liturgie et de doctrine – dans l’ombre du XVIe siècle, serait une forme de dénégation. Ces questions doivent être affrontées avec l’ouverture d’esprit de ceux qui sont déjà unis entre eux par le baptême en Christ. Même si nous ne pouvons nous accorder sur ce qui est essentiel et sur ce qui ne l’est pas pour la foi (p.ex. la succession épiscopale, le ministère pétrinien, l’accès à l’ordination pour les personnes des deux sexes), respecter les opinions de l’autre représenterait mieux le « vivre les uns pour les autres » que tracer des lignes de démarcation entre nous. Si nous pouvons, chacun de notre côté, affirmer que l’Église est une sorte de sacrement du Royaume de Dieu (voir le Chapitre IV, § 197), que cette affirmation soit alors la base de nos relations les uns avec les autres.

224. Un des tests de l’orthodoxie est l’orthopraxis, comprise comme la pratique correcte des valeurs de l’Évangile. Ce doit être notre manière d’agir les uns envers les autres : « Ainsi donc, c’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez » (Mt 7,20). De simples déclarations d’intention de vivre les uns pour les autres ne suffiront pas ; nous devons entendre dans nos enseignements officiels et nos communications publiques respectifs, un ton cohérent de respect charitable, même lorsque des remarques critiques ou des réprimandes sont exprimées. Notre prière : « Que ton règne vienne » est l’espérance de la venue de conditions concrètes permettant aux êtres humains d’établir entre eux des relations correctes sous la souveraineté du Dieu d’amour.

 

Conclusion

225. La période dans laquelle cette troisième phase de dialogue a eu lieu est sans aucun doute exceptionnelle du fait que nous sommes passés d’un siècle à un autre et d’un millénaire à un autre. Pendant cette période, d’importants événements ont eu lieu au cours desquels les nouvelles relations entre réformés et catholiques, qui ont débuté à l’époque du Concile Vatican II, ont considérablement progressé. En même temps, nous avons remarqué et senti des signes des divisions qui nous ont tenus séparés depuis le XVIe siècle.

226. Les nouvelles relations étaient visibles dans les continuelles invitations de l’Alliance réformée mondiale (ARM) au Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens (CPPUC) pour l’envoi d’un représentant aux réunions de son Comité exécutif et de son Conseil général, ainsi qu’à diverses consultations qu’elle organisait. Réciproquement, le Saint-Siège a envoyé des invitations à l’ARM. L’Alliance a accepté plusieurs de ces invitations, comme celles à participer à la Commission œcuménique du Comité central du Jubilé de l’an 2000, à se joindre au Pape Jean-Paul II et à d’autres leaders chrétiens pour la Célébration œcuménique aussitôt après la clôture de l’Année sainte à Rome en 2001 et à la Journée de prière pour la paix à Assise, le 24 janvier 2002. Le fait de s’inviter les uns les autres à l’occasion de ces manifestations spéciales accroît le développement de nos relations. C’est une démonstration sans aucune ambiguïté de notre engagement à nous reconnaître mutuellement comme frères et sœurs en Christ, bien que de sérieuses divergences entre nos compréhensions de la foi restent encore à résoudre.

227. Des signes douloureux de notre persistante division sont apparus également durant ces années de dialogue. Pendant le Jubilé de l’an 2000, l’ARM a choisi de ne pas accepter les invitations du Saint-Siège à diverses cérémonies œcuméniques organisées pour l’année du Jubilé, en raison de leur association avec la tradition des indulgences qui avait été un motif de grandes controverses au XVIe siècle. Toutefois, peu après, sur invitation du CPPUC, réformés et catholiques, avec des représentants de la Fédération luthérienne mondiale, ont abordé la question des indulgences pour la première fois au cours d’un symposium. Il est clair que les différences qui demeurent nécessitent un dialogue continu.

228. Au cours de cette troisième phase de dialogue, catholiques et réformés ont accompli des gestes remarquables liés à une réconciliation des mémoires, encore que de manières très différentes. Pendant l’année du Jubilé, le Pape Jean-Paul II, dans la liturgie du premier dimanche de carême de l’an 2000, journée connue aujourd’hui comme « la Journée du pardon », a demandé à l’Église catholique de revenir sur le millénaire à peine conclu et de demander pardon à Dieu pour les péchés commis contre l’unité. Sans qu’aucun épisode historique particulier n’ait été mentionné, il était clair que cela comprenait toute forme de méfait à l’égard des réformés, aussi bien dans le lointain passé que dans les temps plus récents. Dans la famille de l’ARM, deux Églises membres décidèrent d’examiner certaines déclarations anticatholiques contenues dans leurs confessions de foi des XVIe et XVIIe siècles, et précisèrent de manière officielle que ces dures déclarations historiques ne représentaient pas leur opinion sur l’Église catholique d’aujourd’hui, bien que de sérieux désaccords demeurent encore entre nous sur des questions doctrinales connexes.

229. Heureusement, le dialogue théologique est l’instrument que nous utilisons aujourd’hui pour résoudre de telles différences. Nous avons parcouru un long chemin ensemble. Dans cette troisième phase de dialogue à peine conclue, nous avons exploré la notion biblique de Royaume de Dieu et nous avons pu dire beaucoup de choses ensemble à ce sujet. Tout d’abord, la notion de Royaume de Dieu a été traitée dans un grand nombre de dialogues œcuméniques (cf. Annexe), et nous avons fait usage de ce matériel. En même temps, l’étude systématique du Royaume de Dieu présentée ici apporte une contribution œcuménique ultérieure en retraçant le parcours de cette notion à partir de ses racines bibliques et à travers divers stades de l’histoire de l’Église, dans le but d’aider les partenaires à progresser vers une compréhension commune de l’Église. Ainsi, notre étude du concept biblique de Royaume de Dieu est suivie d’une analyse des visions distinctives du Royaume de Dieu et de ses relations avec l’Église que l’on trouve dans la littérature patristique. Les perspectives bibliques et patristiques, à leur tour, sont à la base d’une discussion sur les accents spécifiques mis sur cette notion au XVIe siècle et ensuite dans nos traditions réformée et catholique respectives. Dans ce processus nous avons découvert des perspectives théologiques convergentes, en particulier concernant la relation du Royaume de Dieu avec l’Église.

230. En second lieu, en explorant la notion du Royaume de Dieu, nous avions à l’esprit deux défis présentés dans Vers une compréhension commune de l’Église : celui de faire fond sur les développements ecclésiologiques déjà accomplis et celui d’accroître nos efforts de témoignage commun. En ce qui concerne le premier, il nous a été possible d’approfondir d’importantes convergences sur la nature de l’Église relevées dans VCCE, précisément parce que nous pouvons à présent situer ces vues dans l’évolution continue, plus vaste et plus dynamique, requise par notre étude du Royaume de Dieu – p.ex. les perspectives bibliques et patristiques et celles, plus récentes, de la théologie, y compris les résultats des dialogues œcuméniques. Ainsi, les convergences indiquées dans VCCE entre les notions d’Église comme création de la Parole (creatura verbi, soulignée par les réformés), et comme sacrement de la grâce (sacramentum gratiae, soulignée par les catholiques), bien qu’ayant leurs racines dans la pensée biblique, étaient présentées dans une analyse théologique moderne. Le présent rapport examine cette convergence plus à fond de deux façons. Il montre d’abord que les deux concepts font partie intégrante de la notion de Royaume de Dieu et devraient contribuer à l’établissement du Royaume de Dieu en ce monde. En second lieu, notre examen du matériel patristique illustrait le fait que les thèmes de la Parole de Dieu et de la grâce de Dieu avaient une grande signification dans la réflexion ecclésiologique des premiers auteurs chrétiens, bien qu’ils n’employassent pas la terminologie spécifique adoptée plus tard dans VCCE. Ces auteurs auraient certainement considéré l’Église à la fois comme création de la Parole de Dieu et comme sacrement de la grâce. Ces deux facteurs nous permettent d’affirmer qu’aucune de ces deux visions de l’Église ne peut exclure totalement l’autre, mais qu’elles sont dépendantes l’une de l’autre. Toutes deux sont essentielles pour une compréhension de la nature de l’Église.

231. Le même cadre dynamique de notre réflexion sur le Royaume de Dieu propose aussi des moyens d’aller plus loin dans l’examen d’une autre suggestion de VCCE : à savoir que nous pourrions, ensemble, qualifier l’Église de « sacrement du Royaume de Dieu » (111) et, ainsi, dire davantage, ensemble, sur le rôle de l’Église dans la médiation du salut du Christ. Ceci parce que la notion de Royaume de Dieu requiert une reconnaissance plus explicite de sa relation avec l'Esprit-Saint et avec sa dimension eschatologique. Dans VCCE, la compréhension catholique de l’Église comme sacrement est basée sur deux analogies : l’une entre le Christ et l’Église, l’autre entre l’Église et les rites sacramentels. C’est une compréhension fortement christologique, bien qu’elle ne manque pas de référence au rôle de l'Esprit-Saint. Mais étant donné que l’activité de l'Esprit est le fondement aussi bien de l’efficacité des sacrements que de la diffusion du règne de Dieu, la perspective du Royaume, et sa référence particulière à l'Esprit, permettent tant aux réformés qu’aux catholiques de reconnaître encore mieux la dépendance radicale des êtres humains par rapport à Dieu. Cette dépendance est implicite dans la description de l’Église comme sacrement du Royaume. En outre, la distinction que nous faisons entre le Royaume de Dieu et l’Église a ses racines dans une compréhension eschatologique de l’Église, qui se rapporte et rend témoignage à sa réalisation dans le Royaume, vers laquelle elle se dirige. Cela reflète aussi bien l’insistance réformée sur la promesse d’un « pas encore », que l’insistance catholique sur un don « déjà là » (VCCE 122). Encore une fois, notre réflexion favorise la description de l’Église comme « sacrement du Royaume de Dieu ».

232. Au sujet du témoignage commun, nous avons pris au sérieux la dynamique et les défis de certains contextes particuliers où des chrétiens ont cherché à vivre les valeurs du Royaume de Dieu. L’expérience vécue par des chrétiens dans les situations locales, comme nous l'avons décrit dans les trois récits du Chapitre II, a souligné quelques leçons importantes. Ces récits ont illustré, par exemple, la croissante signification des relations œcuméniques entre réformés et catholiques. Comme le montre chacun de ces récits, bien que réformés et catholiques aient commencé séparément à introduire les valeurs du Royaume dans les problèmes ardus qu’ils devaient affronter dans leurs contextes respectifs, ils ont fini par s’orienter vers un témoignage commun. De part et d’autre, on illustrait en outre comment l’expression universelle de l’Église avait un impact sur l’Église locale, et vice-versa, et l’importance de la relation entre ces deux aspects de l’Église. De plus, à la lumière de ces récits, nous avons examiné ensemble, pour la première fois dans un dialogue international réformé-catholique, des facteurs impliqués dans l’interprétation de l’expérience chrétienne, c’est-à-dire les dimensions théologiques du discernement de la volonté de Dieu pour les décisions à prendre au service du Royaume de Dieu. Elles comprennent le rôle de l'Esprit-Saint, les sources communes de discernement, les différences entre réformés et catholiques dans l’usage de ces sources, les différents modèles de discernement et le fonctionnement de ces modèles dans la collaboration œcuménique, et les possibilités de discernement et de témoignage communs. Étant donné que les questions éthiques et morales représentent des défis au comportement humain dans notre monde moderne et deviennent plus importantes et urgentes dans les relations œcuméniques, les perspectives sur le discernement recueillies ici sont proposées comme une contribution au dialogue sur ces questions vitales qui concernent tous les chrétiens. Elles peuvent aider réformés et catholiques dans leurs efforts de témoignage commun.

233. Enfin, le processus de l’introduction de ces récits dans notre dialogue, nous a lui-même aidés à mieux comprendre les diverses méthodes de dialogue utilisées dans le mouvement œcuménique. Le fait de rapporter nos discussions théologiques aux expériences de certains chrétiens dans des contextes locaux, nous a aidés à « entendre ce que l'Esprit dit aux Églises » (cf. Ap 2 et 3). Comme nous l’avons vu dans les récits (cf. Chapitre II), le témoignage commun du Royaume par des fidèles catholiques et réformés a lieu un peu partout dans le monde. Ce témoignage commun, ce fait de se réunir autour d’événements et de problèmes, d’idéaux de paix et de justice dans la vie concrète de diverses communautés humaines, se font en dépit des controverses historiques qui continuent de nous diviser. Nous remarquons que ce témoignage commun est une manière par laquelle le respect, la confiance et l’affection mutuels grandissent entre nos communions, enrichissant spirituellement la vie que nous partageons et alimentant notre sentiment d’appartenance mutuelle. Nous nous réjouissons de ce témoignage commun de la foi commune qui en est la base, du sentiment de nouvelles possibilités qu’il nourrit dans nos communions et de la contribution qu’il apporte à la plénitude d’unité que nous recherchons.

234. Dialogue, apaisement des mémoires, efforts de témoignage commun – toutes ces choses représentent pour nous une sollicitation permanente à approfondir les relations qui se développent entre nous, relations fondées sur notre unique baptême en Christ. Cela fait partie de la conscience commune que nous avons d’être engagés dans l’unique mouvement œcuménique, sous la conduite de l'Esprit-Saint. Un nouveau siècle et un nouveau millénaire sont des raisons de plus de nous éloigner encore davantage des conflits du passé et d’affronter l’avenir par un engagement libre de tout compris à une réconciliation continue. Finalement, cela pourrait et devrait aider les frères chrétiens de nos deux communautés à vivre en accord avec les normes du Royaume de Dieu.

235. Pour le privilège d’avoir participé à ce dialogue, pour les efforts accomplis et pour quelque degré de réussite que nous puissions déclarer, nous rendons grâce au Seigneur Jésus Christ qui a prié pour ses disciples « afin qu’ils soient un » (Jn 17, 21) et leur a enseigné à prier : Que ton Règne vienne !

 

 

ANNEXE
Le thème du Royaume de Dieu
dans le dialogue œcuménique international

 

Introduction

À première vue, le concept de « Royaume de Dieu » n’a pas fait l’objet d’un intérêt particulier dans les dialogues bilatéraux internationaux. Seul le dialogue anglican-réformé de 1984 a explicitement abordé le sujet dans Le Règne de Dieu et notre unité. Toutefois, des références significatives au « Royaume de Dieu » se retrouvent dans plusieurs de ces dialogues, et les rapports de trois d’entre eux indiquent d’importants débats sur ce thème.[109] Dans le dialogue multilatéral, surtout au cours de diverses conférences du Conseil œcuménique des Églises (COE), le concept de « Royaume de Dieu » a fréquemment été utilisé pour critiquer la situation actuelle dans l’Église et dans la société. Pour la Commission Foi et Constitution du COE, le concept de « Royaume de Dieu » a permis d’intégrer la recherche théologique de l’unité de l’Église dans les préoccupations de justice sociale en vue du renouvellement de la communauté humaine. Son document d’étude, Église et monde : L’unité de l’Église et le renouvellement de la communauté humaine, a été publié en 1990. En plus de déclarations fondamentales sur le Royaume ou Règne de Dieu, ces dialogues examinent les relations entre Royaume et Église, Royaume et monde/création, et les implications du Royaume de Dieu pour les relations entre Église et monde/création.

 

I. Affirmations fondamentales

Les membres de divers dialogues affirment leur foi dans le Royaume de Dieu comme une espérance eschatologique, la consommation finale du dessein de Dieu pour le monde créé.[110] La mission historique de Jésus est d’annoncer la bonne nouvelle du Royaume ou Règne de Dieu, de l’incarner dans la parole et l’action et de l’inaugurer par sa croix et sa résurrection.[111]

Le don de l'Esprit est le gage et les premières arrhes du règne à venir. C’est l'Esprit-Saint qui donne le pouvoir de réaliser le Royaume de Dieu dont le Christ représente les prémices.[112] Les chrétiens sont appelés à proclamer le Royaume de Dieu et à y participer. Considérer l’eschatologie comme un contexte pour comprendre la mission, signifie voir que les exigences fondamentales du Règne parfait de Dieu continuent de confronter les chrétiens et les Églises au défi de l’obéissance.[113]

 

II. Royaume et Église

Royaume et Église sont intégralement liés. En Christ, l’Église est appelée à être un signe, un instrument et un avant-goût du Royaume de Dieu. Ce que le Christ a accompli par sa croix et sa résurrection est transmis par l'Esprit-Saint dans la vie de l’Église.[114] Spécifiquement, l’Église, comme communion de l'Esprit-Saint, est appelée à proclamer et à préfigurer le Royaume de Dieu en annonçant l’Évangile au monde et en étant constituée comme le corps du Christ. L’Église est au service du Royaume, elle n’est ni à son propre service ni une fin en soi. En remplissant cette vocation, l’Église est appelée à suivre le chemin de Jésus Christ, serviteur dans la souffrance. Tout comme le Règne de Dieu sauve les égarés, de même il appelle ceux qui sont sauvés à épouser la cause des égarés et à être prêts à supporter les persécutions, les humiliations et les souffrances, pour l’amour de la justice. C’est un signe que Dieu a choisi l’épreuve de la croix pour sauver le monde.[115]

L’Église ne doit pas son origine à un acte unique et isolé, mais à la totalité de l’événement du Christ qui commence avec l’élection du peuple de Dieu de l’Ancien Testament. La bénédiction donnée par Dieu à Abraham culmine dans la promesse de bénir toutes les familles de la terre. Le ministère de Jésus s’adressait à un peuple, de sorte que les premiers qui entendirent et accueillirent la proclamation du Royaume étaient déjà orientés les uns vers les autres en raison de leur relation à l’intérieur d’Israël. Les disciples de Jésus deviennent les témoins personnels de la proximité du Règne de Dieu. Ils doivent tout quitter et le suivre.[116]

L’Église est l’avènement et l’instrument du Royaume de Dieu. D’une part, il y a la réalité des forces du Royaume de Dieu, particulièrement dans la prédication de la Parole, la célébration des sacrements, mais aussi dans l’expérience de la communauté réconciliée des frères et des sœurs. D’autre part, il y a le caractère provisoire de toutes les paroles et des signes par lesquels le salut est communiqué, mais aussi le caractère provisoire de toutes les paroles et des signes que l’on trouve dans la prédication, la liturgie et l’entraide.[117] Jusqu’à ce que le Royaume soit accompli dans sa plénitude, l’Église sera marquée par les limites et les imperfections humaines, ayant toujours conscience de sa nature « provisoire ».[118] Néanmoins, malgré toutes les insuffisances des Églises, qui existent effectivement, la réalité de leur caractère comme signes du Règne eschatologique de Dieu doit être soulignée. Toute l’Église de Dieu, en tout lieu et en tout temps, est un sacrement du Royaume.[119]

Les sacrements qui sont célébrés dans l’Église proclament et préfigurent le Royaume de Dieu. Le baptême est le début d’une nouvelle vie et de la participation à la communauté de l'Esprit-Saint. La célébration de l’eucharistie préfigure le banquet messianique dont elle est un avant-goût. Elle offre la vision du Règne de Dieu qui a été promis comme le renouvellement final de la création et en est un avant-goût. Des signes de ce renouvellement sont présents dans le monde chaque fois que la grâce de Dieu se manifeste et que les êtres humains travaillent pour la justice, la charité et la paix.[120]

L’Église, comme corps du Christ et peuple eschatologique de Dieu, est constituée par l'Esprit-Saint à travers une diversité de dons et de ministères. Parmi ces dons, un ministère d’episkopè est nécessaire pour exprimer et sauvegarder l’unité du corps. Chaque Église a besoin de ce ministère sous l’une ou l’autre forme pour être l’Église de Dieu.[121]

En Christ, la victoire du Règne de Dieu sur les puissances du péché et de la mort a commencé. Ainsi, le ministère de gouvernement du Christ ne ressemble pas au gouvernement dans le monde du péché et de la mort, mais il a un caractère et une qualité déterminés par la manière du Christ d’être dans et pour le monde.[122] En vivant selon la loi de l'Esprit, les membres de l’Église partagent la responsabilité de discerner l’action de l'Esprit dans le monde contemporain, d’élaborer une réponse réellement humaine et de résoudre les imprécisions morales qui en découlent dans un esprit de loyauté et de fidélité à l’Évangile.[123]

 

III. Royaume et monde/création

Dans le Règne de Dieu, la création et la communauté humaine sont renouvelées par l'Esprit-Saint à travers leur transformation dans le Christ. Le cosmos est un objet de l’engagement de Dieu et le Royaume accompli n’est pas simplement l’ensemble de tous les croyants, mais il représente shalom pour la totalité de la création. Un désir ardent du Royaume de Dieu implique le désir du salut des enfants perdus et de la rédemption de toute la création.[124] En tant qu’intendants des dons de Dieu, les chrétiens sont appelés à agir avec une foi responsable à l’égard de toute la création. Ils ont le devoir de proclamer, par la parole et l’action, la volonté de Dieu concernant les injustices personnelles et sociales, l’exploitation économique et sociale et la destruction de l’environnement. Parce que le Royaume de Dieu n’est pas encore venu dans sa plénitude, les chrétiens vivent la tension dynamique entre le « maintenant » et le « pas encore » de l’accomplissement du Royaume de Dieu dans le monde en s’engageant dans une action patiente et une patience active. L'Esprit-Saint incite les fidèles à travailler tant à leur transformation personnelle qu’à la transformation structurelle de la société, participant ainsi au processus continu et à la réalisation de la prière pour la venue du Royaume.[125]

La venue du Royaume de Dieu implique la transformation de la communauté humaine, actuellement souillée par le péché, l’oppression et la pauvreté, en une communauté de justice, d’amour et de paix. Bien que nous n’ayons pas de raison de penser que cette transformation sera complète dans ce monde, tous les chrétiens doivent s’efforcer d’y parvenir afin de témoigner de la promesse de Dieu d’achever cette transformation dans le monde à venir. Les personnes qui ont connu la fidélité et la justice de Dieu partagent ce qu’ils ont reçu en s’adonnant à des œuvres de miséricorde et de justice et cherchent à façonner la société sur le modèle du Royaume de Dieu. N’ayant jamais la prétention de construire le Royaume par leurs propres efforts, ils rendent toute gloire à Dieu.[126] La présence du Christ comme Seigneur de l’histoire est perçue dans ces mouvements de l’esprit humain qui, avec ou sans l’assistance de l’Église, réalisent les fins du Royaume de Dieu.[127]

 

IV. Implications du Royaume pour les relations Église/monde

Dans sa « définition de travail » du Royaume de Dieu, le dialogue pentecôtiste/réformé résume une bonne partie de la discussion qui a eu lieu sur cette question dans d’autres conversations œcuméniques. Elle identifie le Royaume de Dieu comme « apocalyptique et prophétique, à la fois don présent et espérance future ». Elle reconnaît le contenu théologique du terme comme expression du « Règne souverain, gracieux et transformateur de Dieu, un règne de justice et de vérité face aux forces du mal et du péché, mais également au-delà de ces forces ». En affirmant que « le Royaume ne peut être strictement identifié avec un règne terrestre, bien que Dieu règne et agisse dans l’histoire », le dialogue affirme en outre que « le Royaume ne peut pas non plus être strictement identifié avec l’Église, bien que l’Église et toute la création existent dans l’espérance eschatologique de l’accomplissement du Royaume ».[128]

L’affirmation du dialogue pentecôtiste/réformé selon laquelle le débat sur le Royaume de Dieu ne doit pas se limiter seulement à une théologie des ultimes réalités, mais doit être vu également comme « une perspective générale » de la théologie et de la vie chrétiennes,[129] a des échos dans bon nombre d’autres dialogues. Le dialogue de 1987 entre les vieux catholiques et les Églises orthodoxes orientales déclare : « L’espérance eschatologique n’est pas une espérance vide car la fin des temps a déjà commencé dans la vie de l’Église, qui représente la réalité du Royaume de Dieu en continuel développement dans le temps historique… En conséquence, le chrétien ne doit pas se hâter, comme s’il voulait rejeter l’expérience de ce monde, mais au contraire, il doit rendre témoignage de l’amour de Dieu par son action dans le monde ».[130] Le dialogue disciples/catholiques romains de 1992 soutient : « Au cœur même de la mémoire de l’Église, les actes salvifiques de Dieu dans le passé sont les signes avant-coureurs d’une transformation, si bien que l’avenir se manifeste déjà dans le présent. Vu dans la perspective des Écritures, le salut émerge du passé et fait irruption dans l’avenir ».[131]

Le Royaume de Dieu est la réalité salvifique eschatologique qui affecte le monde entier. Tandis que la mission de l’Église participe à l’action de Dieu dans le monde, l’action de Dieu dépasse la sphère de l’Église.[132] Le Règne de Dieu est servi partout où les institutions, les communautés, les mouvements et les individus contribuent à la paix dans la justice, à la compassion pour ceux qui souffrent, à la sauvegarde et aux soins de la création, aux admonitions et à la conversion des pécheurs. Appelée à rendre témoignage au Règne de Dieu, l’Église confesse que Jésus est le Christ, même au-delà de l’Église là où il n’est pas reconnu comme tel. Un aspect du témoignage de l’Église est une reconnaissance critique des lieux où le Règne de Dieu est servi. Dans ce contexte, l’Église est appelée à coopérer avec les institutions, communautés, mouvements et individus qui contribuent au Règne de Dieu, à identifier les forces de la mort et du péché en mettant en garde contre elles et en s’y opposant, quel que soit le prix. L’Église vit dans l’attente de la consommation du Règne de Dieu.[133]

Les chrétiens recherchent l’unité afin que l’Église puisse être un signe, un instrument et un avant-goût plus crédibles du dessein de Dieu pour unir toute chose en Chris qui est la tête (cf. Col 1,19). Seule une communauté réconciliée et réconciliatrice, fidèle à son Seigneur, dans laquelle les divisions humaines sont éliminées, peut parler avec une entière intégrité à un monde aliéné et divisé, et être ainsi un témoin crédible de l’action salvifique de Dieu dans le Christ et un avant-goût du Royaume de Dieu. Le souci de l’unité humaine est le seul contexte propre à la quête de l’unité de l’Église. L’unité de l’Église n’est pas simplement une fin en soi, mais un signe, un instrument et les prémices du dessein de Dieu de réconcilier toutes les choses au ciel et sur la terre par le Christ.[134]. Toutefois, l’unité de l’Église n’est pas simplement un moyen d’arriver à une fin, car l’Église est déjà un avant-goût de cette fin, et elle n’est un signe et un instrument que dans la mesure où elle est un avant-goût. La vie en Christ est la fin pour laquelle toutes les choses ont été faites, et non pas un moyen d’arriver à une fin située au-delà.[135]

L’Église professe que le Christ est le porteur du message du Règne de Dieu et de la libération du genre humain. Si l’Église va dans le monde, si elle apporte l’Évangile à l’humanité et s’efforce de réaliser plus de justice et de paix, c’est seulement en suivant son Seigneur dans des domaines qui lui appartiennent déjà et où il est déjà à l’œuvre de manière anonyme. L’Église, fondée par le Christ pour partager la vie qui vient du Père, est envoyée pour conduire le monde à Jésus Christ, à sa pleine maturité pour la gloire et la louange du Père. Elle est appelée à être le témoin et le signe visibles du Royaume de paix à venir. L’Église s’acquitte de cette tâche par ce qu’elle fait et par ce qu’elle dit, mais aussi, simplement, en étant ce qu’elle est, puisqu’il est de sa nature de proclamer la parole de jugement et de grâce, et de servir le Christ dans le pauvre, l’opprimé, le désespéré. Plus particulièrement, cependant, elle se rassemble pour adorer et prier, pour recevoir sans cesse instruction et consolation, et pour célébrer la présence du Christ dans la Parole et le sacrement ; autour de ce centre, et avec la multiplicité des dons accordés par l'Esprit, elle vit en une koinonia de ceux qui ont besoin les uns des autres et qui s’aident mutuellement.[136]

Il y a une présence spéciale du Christ dans l’Église qui la met dans une situation toute particulière face au monde. L’Église ne peut donc répondre à sa vocation que si sa structure et sa vie sont empreintes d’amour et de liberté. Par conséquent, ce que veut l’Église, ce n’est pas faire adhérer les êtres humains à un programme séculier de salut, mais les convertir au Christ et, par cela, les servir. Dans sa proclamation de l’Évangile, il y a en même temps une puissante force de création culturelle. Comme koinonia, l’Église est en opposition avec les structures des divers secteurs de vie de la société séculière moderne, lorsqu’elle s’oppose à l’exploitation, à l’oppression, à la manipulation et aux contraintes intellectuelles et politiques de toutes sortes. En vivant comme un nouveau peuple assuré d’être accepté par Dieu en Christ, l’Église est un signe convaincant de l’amour de Dieu pour toute la création et de son dessein libérateur pour tous. L’Évangile du Christ rassemble, protège et maintient la koinonia de ses disciples comme signe et début de son Royaume.[137] Par conséquent, l’Église est appelée à vivre comme cette force présente dans l’humanité par laquelle le témoignage est rendu à la volonté de Dieu pour le renouvellement, la justice, la communauté et le salut de tous les êtres humains. Gratifiée des dons de l'Esprit-Saint, et renforcée sans cesse par la parole et le sacrement du Christ, l’Église est envoyée par Dieu pour rendre témoignage au Royaume et le proclamer dans et pour ce monde brisé. Dans cette mission, l’Église est la nouvelle communauté de ceux qui sont prêts à servir le Royaume pour la gloire de Dieu et pour le bien de l’humanité.[138]

 

V. Déclarations d’opinions différentes

Le dialogue pentecôtiste-catholique romain de 1982 constate l’absence d’unanimité sur la question de savoir si oui ou non les non chrétiens peuvent recevoir la vie de l'Esprit-Saint. Le Rapport du dialogue réformé-pentecôtiste note que les pentecôtistes diffèrent sur la façon dont ils voient le rôle de l'Esprit-Saint dans le soutien, la réforme ou la transformation de la société humaine. Le même dialogue indique différentes approches de la critique des structures sociales, affirmant que les missions pentecôtistes n’ont pas toujours contesté prophétiquement les situations sociales ou structurelles. Le dialogue réformé-catholique de 1977 constate des différences d’approches du lien entre éthique et politique : « Tous furent d’accord que les conséquences éthiques qui résultent du message du Royaume de Dieu et de sa réception dans la foi s’étendent aussi au domaine de la politique. À ce sujet se dessinèrent dans les deux confessions aussi bien des courants mettant davantage l’accent sur la nécessité d’une certaine réserve, que d’autres insistant sur la nécessité et la possibilité de lire dans le message néo-testamentaire des prises de position politique concrètes ».[139] Des différences ecclésiologiques sont affirmées dans le Rapport du dialogue réformé-catholique romain de 1990, qui déclare : « Nous différons dans notre manière de comprendre la nature du péché dans l’Église … Nous ne pensons pas de la même façon la relation entre Église et Royaume de Dieu. Les réformés insistent davantage sur la promesse d’un ‘pas encore’ ; les catholiques soulignent davantage la réalité d’un don ‘déjà là’ ».[140] En 1990, le dialogue pentecôtiste-catholique romain observait : « Bien que les pentecôtistes n’acceptent pas … la vision catholique romain de l’Église comme étant ‘en quelque sorte un sacrement’, ils affirment pour leur part que l’Église est à la fois un signe et un instrument de salut ».[141]

 

Considérations finales

Alors que ces dialogues bilatéraux internationaux montrent tous un intérêt commun pour le Royaume de Dieu et pour la relation du Royaume avec l’Église et avec le monde/création, il est intéressant de noter les différences d’accent de chacun d’eux, qui semblent refléter à la fois les particularités des Églises participantes et les questions examinées qui sont causes de division. Par exemple, le dialogue luthérien-catholique romain Église et justification, de 1993, affirme : « C’est l’amour divin, qui justifie et qui sauve, que Jésus proclame comme étant la puissance du Règne de Dieu ».[142] Dans les dialogues anglican-luthérien et anglican-catholique romain, le thème du Royaume de Dieu est souvent lié au concept de koinonia. Les dialogues auxquels participent les Églises pentecôtistes et réformées ont un intérêt spécifique pour les relations Royaume/monde. Les dialogues avec les Églises méthodistes mettent souvent l’accent sur la croissance en sainteté et la croissance spirituelle.

 

PARTICIPANTS

Membres catholiques

S.Exc. Mgr Anthony J. Farquhar, Coprésident
Évêque auxiliaire de Down and Connor
Irlande du Nord

Rév. P. Pr William Henn, OFM, Cap.
Université Grégorienne
Rome, Italie

Rév. P. Dr Henry O’Brien
Hamiltonn
Écosse

Mgr John A. Radano, Cosecrétaire
Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens
Cité du Vatican, Europe

Rév. P. Pr Benedict T. Viviano, OP
Institut biblique
Université Miséricorde
Fribourg, Suisse

Consulteurs

Sr Dr Donna Geernaert, SC
Mount Saint Vincent Mother House
Halifax, N.S., Canada

Rév. P. Pr. John Fuellenbach, SVD
Rome, Italie

Dom Michel Van Parys, OSB
Monastère de la Sainte Croix
Chevetogne, Belgique

Dom Emmanuel Lanne, OSB (1998)
Monastère de la Sainte Croix
Chevetogne, Belgique

Rév. P. Stuart C. Bate, OMI (2001)
Saint Jospeh’s Theological Institute
Hilton, Afrique du Sud

Rév. P. Timothy Bartlett (2002)
St. Mary’s University College,
Belfast, Irlande du Nord

Membres réformés

Rév. Dr Milan Opočenskỷ (1998)
Prague, République tchèque

Rév. Pr Russel Botman, Coprésident (1999-2001)
Université de Stellenbosc
Western Cape, Afrique du Sud

Rév. Pr Alastair I. C. Heron
Université d’Erlangen
Allemagne

Rév. Pr Leo J. Koffeman
Université théologique de Kampen
Pays-Bas

Rév. Principal Huang-Po-Homme
Collège et Séminaire théologique de Tainan
Tainan, Taiwan

Rév. Maria Luiza Rûckert
Igreja Presbiteriana Unida do Brazil
Vila Velha, Espirito Santo, Brazil

Rév. Principal Peter Wyatt
Collège Emmanuel
Toronto, Canada

Rév. Dr Henry Wilson (1998)
Mangalore, Inde

Rév. Dr Odair P. Mateus (Cosecrétaire)
ARM, Genève, Suisse

Consulteurs

Dr Président Heidi Hadsell
Séminaire d’Hartfor
Hartford, CT, États-Unis

Rév. Pr Rathnakara Sadananda
Collège théologique Karnataka
Mangalore, Inde

Rév. Pr Dirk Smit (2001)
Université de Stellenbosch
Western Cape, Afrique du Sud

Rév. Dr David Stevens (2002)
Belfast, Irlande du Nord

 

 

NOTES 

[1] « Préparation pour le dialogue entre l’Église catholique romaine et l’Alliance réformée mondiale ». Actes du Conseil général en voie d’union de l’Alliance réformée mondiale (presbytériens et congrégationalistes). Genève, Siège de l’Alliance, 1970, 204-210 ; La Présence du Christ dans l’Église et dans le monde (cf. note 3), § 6.

[2] « Préparation pour le dialogue entre l’Église catholique romaine et l’Alliance réformée mondiale », op. cit., 206.

[3] La Présence du Christ dans l’Église et dans le monde – Dialogue entre l’Alliance réformée mondiale et le Secrétariat pour l’unité des chrétiens 1970-77, Genève 1977, 39 pp. ; www.ware.ch/dt/; Secrétariat pour l’unité des chrétiens, Service d’information 35 (1977/III-IV), 18-34.

[4] Vers une Compréhension commune de l’Église, Genève, WARC, 1991, 61 pp. www.ware.ch/dt/; Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens ; Service d’information 74 (1990/III), 91-118.

[5] Vers une Compréhension commune de l’Église, § 57.

[6] Ibid., §§ 106-109.

[7] Cf. Ibid., §§ 152-154, 157.

[8] « Préparation pour le dialogue entre l’Église catholique romaine et l’Alliance réformée mondiale ». Actes du Conseil général en voie d’union de l’Alliance réformée mondiale (presbytériens et congrégationalistes). Genève, Siège de l’Alliance, 1970, 205.

[9] En deux de ces occasions, un théologien réformé et un théologien catholique ont été chargés de présenter chacun un document illustrant la façon dont leurs Églises cherchaient à rendre témoignage au Règne de Dieu dans leurs contextes particuliers.

[10] Es 40,12-17,21-23 ; Ps 74,12-17 ; Ps 95,3-5.

[11] Jr 23,5-6 ; Es 2,2 ; 11,1-9 ; 25,6-10 ; 52,7-10 ; 60 ; 61,1-4 ; Os 11,10-11.

[12] Ex 15,13-18 ; Es 6,1-13 ; 33,17,22 ; Za 14,9 : Ps 11,4 ; 24 ; 29,9-10 ; 47 ; 48,1-3 ; 68,32-36 ; 74,12-14 ; 89,15 ; 93 ; 95,1-7 ; 96 ; 97 ; 98 ; 99 ; 102,12-17 ; 145,1,10-21 ; 146,5-10 ; 149 ; 150.

[13] Cf. 1 Co 8,1,4 ; Ga 3,20 ; Rm 3,30. Cf. Ep 4,6 ; 1 Tm 1,17 ; 2,5 ; 6,15-16.

[14] 1 Th 1,9 ; Rm 9,26 ; 2 Co 3,3 ; 6,16. Cf. 1 Tm 3,15 ; 4,10.

[15] 1 Co 5,5 ; 1 Tm 1,20 ; 2 Co 12,7.

[16] Rm 1,20 ; 4,17. Cf. 1 Tm 4,4.

[17] Rm 13,1-15 ; 8,28-30 ; 9,19-22 ; 11,29-32.

[18] Rm 2,6,11 ; 2 Co 5,10.

[19] Lc 6,36 ; 11,9-13 ; Mt 6,31-33 ; 7,7-11. Cf. Lc 15,11-32.

[20] Mt 18,23-35 ; Lc 15,11-32 ; Mt 20,1-6 ; cf. Jn 4,8-10.

[21] Mt 6,26, 28, 31 ; Lc 12,24 ; Mt 18,10 ; 5,43-45.

[22] Dn 2,1-49 ; 7,1-28, surtout les versets 13-14 ; dans Daniel, chaque chapitre se termine par une référence au Royaume.

[23] Mc 1,15 ; Mt 4,17 ; cf. Lc 4,16-30, surtout vv. 18-19 = Es 61,1-2 ; 58,6.

[24] Cf. Ap 20,1-10 ; 2 P 3,8. Le plus complet de ce genre de schémas apparaît dans l’épître non canonique de Barnabé (15,4-5), où sept périodes sont citées d’Adam à Noé, de Noé à Abraham, d’Abraham à David, de David à l’Exile, de l’Exile à Jésus et au temps de l’Église, de Jésus et du temps de l’Église à son retour dans la gloire, suivi par le Royaume dans sa plénitude.

[25] Les traductions de Mt 28,20 ont été en conséquence changées de « je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » en « jusqu’à la fin de l’époque ».

[26] Mc 12,34 ; Mt 25,31-46 ; mais cf. Mt 12,30 ; Lc 11,23.

[27] 1 Co 15 27-28.

[28] Mt 5,38-48 ; Lc 6,27-30 ; cf. Rm 12,19-21 ; Pr 25,21-22.

[29] Jn 14,27 ; 16,33 ; 20,19,21,26.

[30] Mt 12,27, parallèle à Lc 11,20 ; cf. Ac 1,6-8.

[31] 2 Co 1,22 ; 5,5 ; Ep 1,13-14.

[32] E.g. Lv 26,11-12 ; Ez 37,27 ; 2 Co 6,16 ; Mt 1,23 ; 18,20 ; 28,20 ; Lc 1,28.

[33] De La présence du Christ dans l’Église et dans le monde (1977), § 53.

[34] Concile Vatican II, Décret sur l’œcuménisme, 7.

[35] Notre Commission mixte a chaleureusement remercié la Communauté Mohawk pour la généreuse hospitalité qui nous a été offerte par la Grand River United Church, et également pour les récits personnels partagés avec nous en cette occasion. Nous remercions le Rév. Dan Manning et les Anciens de la Grand River Church.

[36] Données publiées par le Gouvernement canadien le 13 mai 2003, faisant partie du recensement national de 2001.

[37] Kairos se définit une coalition d’Églises canadiennes, d’organismes ecclésiaux et d’organisations religieuses basés dans une Église, qui se consacrent à répondre fidèlement à l’appel de Dieu pour le respect de la terre et la justice pour ses habitants. Avec ses partenaires et les réseaux basés dans des communautés, Kairos s’occupe des thèmes suivants : droits des aborigènes, développement social au Canada, justice écologique, éducation et animation, justice économique globale, droits de l’homme au niveau international.

[38] Avec la création de Kairos, l’ancienne Coalition des droits aborigènes travaille à présent comme programme séparé dans le cadre d’un organisme plus vaste. Appelé à présent Comité pour les droits aborigènes, il compte un plus grand nombre de membres, comprenant quelques représentants n’appartenant pas à une Église. Récemment, le Comité a fait un effort considérable pour travailler avec des organisations aborigènes nationales et régionales, comme l’Assemblée des Premières Nations, l’Association des femmes indigènes du Canada, le Sommet des Première Nations (BC), l’Union des Chefs Indiens BC, l’Association des Chefs du Manitoba, les Chefs de l’Ontario, le Congrès de politique atlantique des Chefs de Premières Nations, la Confédération du Mi’kmaq continental.

[39] Coalition des droits aborigènes, The Sacred Path: A Journey of Healing for Canadian Churches and Aboriginal Peoples (Ottawa, 1995

[40] Coalition des droits aborigènes, “The Royal Commission on Aboriginal Peoples”, in Indigenous Perspectives of Jubilee (Ottawa, 1999), 23.

[41] Position affirmée dans deux bulles pontificales : Inter Caetera, d’Alexandre VI en 1453, et Sublimus Deus de Paul III en 1537. La conception de Calvin d’une conscience religieuse universelle (divinitatis sensum) et de l’imago Dei offre une base parallèle pour la dignité de toutes les créatures devant Dieu. Voir, par exemple, Institute of the Christian Religion, I.3.1. Dans son Commentaire de Jean (1.5), Calvin écrit : « Il y a deux parties principales de la lumière qui demeurent dans la nature corrompue : premièrement, le germe de la religion est implanté dans tous les hommes ; ensuite, la distinction entre le bien et le mal est gravée dans leur conscience ».

[42] John Webster Grant, Moon of Wintertime: Missionaries and the Indians of Canada in Encounter since 1534, Toronto, 1984, 229.

[43] Pour les descriptions des effets séparateurs de la prédication chrétienne, voir Grant, 255, 201. À la fin du XIXe siècle, la grande majorité de la population aborigène du Canada était, au moins en théorie, chrétienne. Selon le recensement de 1991, 51% des 470.000 aborigènes se déclaraient catholiques, 34% protestants, 13% sans religion, 2% appartenant à d’autres religions.

[44] Pour cette section, les informations sont résumées à partir de Peter Hamel, “The Aboriginal Rights Coalition », in Christopher Lind and Joe Mihevic, Coalitions for Justice (Ottawa, 1994), 16-36.

[45] The Sacred Path: A Journey of Healing, op. cit. 30.

[46] Ibid., 3 : ce développement a continué et s’est intensifié avec Kairos.

[47] Nous sommes reconnaissants pour les précieuses contributions à notre dialogue, en 2001, par le Prof. Dirk Smit, qui a présenté une étude intitulée « Apprendre à parler ? Une perspective réformée sud-africaine pour le dialogue », et par le Dr Stuart C. Bate, OMI, qui a présenté une étude intitulée « Que signifie dire que l’Église est l’instrument du Royaume de Dieu dans le contexte sud-africain : une perspective catholique ».

[48] L’apartheid (en français « séparation ») était la politique de ségrégation raciale dans la République d’Afrique du Sud, traditionnellement appuyée par le Parti Nationaliste, et plus récemment par d’autres groupes de droite. Sous cette politique, les différentes races avaient des droits différents. Dans la pratique, il s’agissait d’un système de suprématie blanche, tandis que les Noirs n’avaient aucune représentation au Parlement central de l’État.

[49] L’idéologie a plusieurs racines : les concepts Boer de séparation raciale, culturelle et religieuse, issus du caractère unique du sentiment national ; les notions libérales britanniques de gouvernement indirect ; le souci de la protection de l’emploi encouragée par les travailleurs blancs pour conserver leur statut face à un prolétariat nombreux et à bon marché, pour n’en citer que trois.

[50] À l’époque, les théologiens de l’ERH lisaient la Bible comme une Bible d’apartheid, où ils trouvaient que Dieu était le « Créateur des Séparations ». Par exemple, au commencement, Dieu a séparé la lumière des ténèbres, les eaux supérieures d’avec les eaux inférieures, la terre de la mer et ainsi de suite, tout cela pour indiquer que la séparation – l’apartheid – était le dessein pour la création. Lorsque Dieu instruisit les êtres humains, « allez et multipliez », il entendait par là qu’ils devaient être féconds et se diviser en groupes, tribus et nations séparés.

[51] Il existait des lois d’apartheid très spécifiques adoptées par le gouvernement nationaliste après sa victoire en 1948. Ces lois comprenaient la Loi d’interdiction des mariages mixtes et la Loi d’enregistrement de la population (1949), la Loi sur l’immoralité et la Loi sur les régions de groupes (1950), la Loi sur la prévention du squat illégal (1951), la Loi sur les autorités bantoues et la Loi sur l’éducation bantoue (1953). Ces lois avaient pour but de séparer les régions habitées par les Blancs et par les Noirs, le financement de l’instruction publique et les rapports sociaux. Les emplois étaient également réservés selon la race.

[52] Dans l’ERH en Afrique du Sud, quelques théologiens éminents, comme Beyers Naudé, ont essayé de s’opposer à l’apartheid en insistant sur l’unicité de l’humanité tant dans l’Église que dans la société. Révoqué de son ministère, Naudé a dirigé l’Institut chrétien pendant les années soixante-dix, qui s’inspira des luttes du Mouvement de l’Église confessante dans l’Allemagne nazie, pour s’opposer à l’apartheid. Voir P. Walshe, Church versus State in South Africa: the Case of the Christian Institute (Maryknoll, N.Y., 1983).

[53] J.W. de Gruchy et C. Villa-Vicencio (éd.), Apartheid is a Heresy (Grand Rapids, Mich., 1983).

[54] Le terme « unissante » a été délibérément choisi pour indiquer un processus non terminé, ainsi que l’espoir que d’autres Églises s’uniraient à ce processus de confession.

[55] Voir C. Villa-Vicencio, Between Christ and Caesar: Classic and Contemporary Texts on Church and State (Grand Rapids, Mich., 1986), 259-269; également D. Van der Water, “A Legacy for Contextual Theology: Prophetic Theology and the Challenge of the Kairos”, in M. Speckman and L. Kaufmann éds., Towards an Agenda for Contextual Theology: Essays in Honour of Albert Nolan (Pietermaritzburg, 2001), 33-64.

[56] P. Walshe, 221.

[57] S.C. Bate, “The Church under Apartheid” in J. Brain and P. Denis (eds.), The Catholic Church in Contemporary South Africa (Pietermaritzburg, 1999), 12-13.

[58] CECAS 1957: 26 Comptes rendus; J.W. de Gruchy, “Catholics in a Calvinist Country”, in A. Prior, Catholics in Apartheid Society (Cape Town, 1982), 67-82.

[59] Deux Églises distinctes peuvent être identifiées pendant cette période : une « Église de colons » pour les Blancs et une « Église de mission » pour les Noirs. Alors que l’on encourageait une unité catholique globale, la réalité était beaucoup plus celle de deux organismes séparés avec des domaines séparés pour les activités, la culture et la pratique.

[60] Ceci se réfère aux émeutes d’étudiants qui ont eu lieu dans la township africaine de Soweto au Transvaal, où plusieurs centaines de personnes furent tuées durant des protestations contre l’enseignement de l’afrikaans dans les écoles. Beaucoup pensent que cette journée marque le début de la période finale de la lutte contre l’apartheid. Le 16 juin, Journée des jeunes, est à présent une fête annuelle en Afrique du Sud.

[61] The Things that Make for Peace: A Report to the Catholic Bishops and the Church in Southern Africa from the Theological Advisory Commission of the Southern African Bishop’s Conference (Pretoria, 1985). Un commentateur décrit ce document comme étant le « grand moment » intellectuel du Comité consultatif théologique de la CECAS : voir A. Egan, « Catholic Intellectuals”, in J. Brain and P. Denis (éd.), The Catholic Church in Contemporary South Africa (Pietermaritzburg, 1999), 341.

[62] Lettre de 1957.

[63] Lettre de 1960.

[64] Voir par exemple : Relocations : the Churches’ Report on Forced Removals in South Africa (1984) ; la Lettre pastorale des leaders de l’Église Natale concernant les Conversations sur la violence et la paix (1989) et la Lettre pastorale commune CEAS/CECAS concernant les personnes qui regagnent leur logement (1990).

[65] SECAS : Rapport de l’Assemblée plénière de janvier 1987. Avec ce genre de coopération l’Église catholique est devenue membre à part entière de la CEAS dans les années quatre-vingt-dix.

[66] Nous sommes reconnaissants pour les précieuses contributions à notre dialogue, en 2002, du Rév. Timothy Bartlett (St. Mary University College, Belfast) qui a présenté une étude intitulée « L’Église conne instrument du Royaume de Dieu en Irlande du Nord : une perspective catholique », et du Dr David Stevens (Secrétaire général du Conseil des Églises irlandais et Secrétaire de la Réunion interecclésiale irlandaise), qui a présenté une étude intitulée « L’Église comme communauté de témoignage commun au Royaume de Dieu ».

[67] L’île d’Irlande comprend 32 comtés : la République (Eire) comprend vingt-six comtés gouvernés par Dublin, l’Irlande du Nord en comprend six qui font partie du Royaume-Uni depuis 1921.

[68] Une organisation interconfessionnelle fera par la suite cette remarque : « Une partie importante de l’identité irlandaise (dans la République) était le catholicisme. Le modèle et le mode d’être de l’Église catholique en Irlande pendant les 150 années qui s’écoulèrent entre l’émancipation catholique et la visite du Pape en 1979 se situaient dans l’idée d’une société catholique alternative à la société britannique coloniale (et protestante) aliénante ». Groupe Foi et Politique, Transitions (Belfast, 2000), 7.

[69] Mystici corporis, promulguée par le Pape Pie XII en 1943 : « (…) Le divin Rédempteur [a voulu] que le groupement des hommes fondé par lui fût une société parfaite en son genre et munie de tous les éléments juridiques et sociaux (…). Le Père éternel a voulu qu'elle fût le royaume de son Fils bien-aimé (Col 1, 13). Ce même thème réapparaît à nouveau dans Humani generis (1950).

[70] Groupe Foi et Politique, Superiority as a Cause of Conflict (Belfast, 1999), 18.

[71] Joseph Ruane et Jennifer Todd, The Dynamics of Conflict in Northern Ireland: Power, Conflict and Emancipation (Cambridge, 1966), 121, 180.

[72] Ian Ellis, Vision and Reality: A Survey of Twentieth Century Inter-Church Relations (Belfast, 1992).

[73] Conseil des Églises irlandais, Rapport annuel, mai 1971, 6-8.

[74] Réunion interconfessionnelle irlandaise, Background and Development (Belfast, 1998).

[75] Groupe CCI-CR, Violence in Ireland : A Report to the Churches (Dublin, 1976).

[76] Un grand nombre de marches, de réunions et de mouvements apparurent à cette époque et doivent leur origine, directement ou indirectement, à l’inspiration et au soutien de l’Église. Parmi eux l’École irlandaise d’œcuménisme, la Communauté Corrymeela, la Communauté Pierre angulaire, la Fraternité Columbanus, la Fraternité Clonard-Zitzroy, la Fraternité d’Assise, PACE, People Together, le Servite Priory, le Groupe Foi et Politique, le Groupe Initiatives des Églises, Youthlink et toute une série de projets de vacances communes pour enfants, pour n’en nommer que quelques-uns.

[77] Les Accords conclus entre les partis politiques d’Irlande du Nord et les Gouvernements britannique et irlandais le Vendredi saint, en avril 1998, et sur lesquels sont basés les actuels processus de l’administration de l’Irlande du Nord. Officiellement nommés les Accords, ils sont plus populairement connus comme les « Accords du Vendredi saint » ou « Accords de Belfast ».

[78] En termes pratiques, cela implique que les membres d’Église doivent être mieux instruits sur les implications sociales et politiques de l’Évangile, que la cause de la non-violence soit embrassée comme la plus importante des causes qui font appel au soutien des chrétiens irlandais, et que « les Églises rappellent à leurs membres qu’ils ont une obligation morale prima facies de soutenir les autorités actuellement constituées en Irlande contre toutes les forces paramilitaires, et de le faire sans en aucune façon juger prématurément les développements politiques et constitutionnels à long terme ». On a noté que « la protestation contre l’injustice est habituellement plus efficace lorsque les Églises parviennent à agir de concert, faisant preuve de compassion réciproque ». Groupe CEI-ECR, Violence en Irlande : Rapport aux Églises, 68.

[79] Le thème général de ces conversations est peut-être mieux résumé dans l’extrait ci-après d’un exposé du Cardinal Daly, en novembre 1984 : « En Irlande du Nord, l’éloignement des nationalistes des institutions politiques et civiles […] ne peut être réduit et éventuellement éliminé que si le processus politique se montre capable d’apporter les changements institutionnels qui donneront une expression efficace à l’identité nationaliste, et d’accorder à celle-ci la légitimité constitutionnelle à laquelle elle a droit ». Cahal B. Daly, Communities Without Consensus: The Northern Tragedy (Dublin, 1984), 7.

[80] Comme l’a fait remarquer le Groupe interconfessionnel Foi et Politique, “une des principales raisons pour lesquelles la violence n’a pas été beaucoup plus grande dans les trente dernières années, est la façon dont bon nombre de personnes ont constamment choisi de chercher à interrompre le cycle de vengeances en invoquant et en pratiquant le refus des représailles et le pardon. Le pardon est un aspect central de l’Évangile chrétien. Il est entré de manière significative dans la vie irlandaise et sa pratique, en particulier de la part de nombreuses victimes et de leurs familles, a eu des effets sociaux et politiques ». Groupe Foi et Politique, Remembrance and Forgetting: Building a Future in Northern Ireland (Belfast, 1996), 5.

[81] Cf. Cabal B. Daly, The price of Peace (Belfast, 1991), 3-5.

[82] La présence du Christ dans l’Église et dans le monde, § 45.

[83] Ibid., § 48.

[84] Vers une compréhension commune de l’Église, § 48.

[85] Jean-Paul II, Lette encyclique Ut unum sint, 79.

[86] Concile Vatican II, Dei verbum, 9.

[87] Voir le Chapitre II ci-dessus.

[88] Voir Vers une compréhension commune de l’Église, §§ 12-63 et 153-156.

[89] Groupe des Dombes, Pour la conversion des Églises, Centurion, Paris, 1991, « Introduction », § 8, p. 21.

[90] Ces trois textes ont été publiés ensemble sous forme d’un livre intitulé Ecclesiology and Ethics : Ecumenical Ethical Engagement, Moral Formation and the Nature of the Church, Thomas F. Best and Martin Robra, éd., Genève, 1997.

[91] Concile Vatican II, Constitution dogmatique de l’Église, Lumen gentium, 3 ; voir également http://www.vatican.va/archive/hist_conciles/ii_vatican_concile/index.htm.

[92] Col 1, 26 ; voir Ep 3, 3-9 ; 1 Co 2,6-10.

[93] Cf. « L’Église (…) reçoit la mission d’annoncer et d’instaurer en toutes les nations le Royaume du Christ et de Dieu dont, sur terre, elle constitue le germe et le commencement. Dans l’intervalle, à mesure qu’elle grandit, elle aspire à l’accomplissement du Royaume, elle espère et souhaite de toutes ses forces être unie à son Roi dans la gloire » (LG, 5). On trouve la même distinction dans l’encyclique Redemptoris missio (=RM 15 et 18), dans le document Dialogue et proclamation (=DP 35, cf. 39) et dans la Déclaration Dominus Iesus (=DI 19).

[94] Rapport final du Dialogue international entre des représentants de l’Alliance réformée mondiale et quelques Églises et Leaders pentecôtistes classiques, Word and Spirit, Church and World (2000), § 59.

[95] Ibid., § 79.

[96] Message de la Conférence mondiale, § 4, dans T. Best, G. Gassmann, On the Way to Fuller Koinonia, Document n° 166 de Foi et Constitution, Genève, 1994, 225-226.

[97] Cf. Westminster Shorter Catechism, Q. 1. L’Assemblée de Westminster avait été convoquée par le Parlement anglais en 1643. La Westminster Confession of Faith a été achevée en décembre 1646. Le Shorter Westminster Catechism, destiné à l’instruction des enfants, et le Larger Westminster Catechism, destiné à la présentation en chaire, ont été complétés respectivement en 1647 et 1648. Ces « Normes de Westminster » font aujourd’hui fonction de normes de doctrine officiels dans de nombreuses confessions de la tradition réformée.

[98] La question de savoir si la présence du Seigneur ressuscité dans l’eucharistie se situe dans la communauté. dans son action liturgique, dans les éléments du pain et du vin ou dans une quelconque combinaison des uns et des autres, n’est pas encore objet d’un accord complet entre nos communautés et, par conséquent, elle est toujours un problème pour notre dialogue actuel.

[99] Nature et mission de l’Église. Une étape sur le chemin d’une déclaration commune, Genève, Conseil œcuménique des Églises, 2005, § 54.

[100] Vers une compréhension commune de l’Église, § 113.

[101] Ibid., § 138.

[102] Vers une compréhension commune de l’Église, §§ 94 et 111.

[103] « Il n’y a pas d’autre moyen d’entrer dans la vie si cette mère ne nous conçoit pas dans ses entrailles, ne nous nourrit pas à son sein et, enfin, si elle ne nous garde pas sous sa protection et sa guidance jusqu’à ce que, quittant chair mortelle, nous devenions semblables à des anges ». Institut de la religion chrétienne, (IV.1.4).

[104] Vers une compréhension commune de l’Église, § 108.

[105] Voir le Chapitre I, section 1.5, le Chapitre III sur l'Esprit-Saint, et le Chapitre I, section 1.3 sur l’eschatologie.

[106] Vers une compréhension commune de l’Église, § 122.

[107] Ibid., § 146.

[108] “Sharing the Ministry of Reconciliation: Statement on the Orthodox-Catholic Dialogue and the Ecumenical Movement. The North American Orthodox-Catholic Theological Consult, 2000”. Growing Consensus II – Church Dialogues in the United States, 1992-2004, L. Veliko et J. Gros, FSC. Washington, D.C. (éd.), Conférence des Évêques catholiques des États-unis, 2005, 370.

[109] Réformés-catholiques romains, La présence du Christ dans l’Église et dans le monde (1977), 43-66 ; luthériens-catholiques romains, Église et justification (1993), 11-31 ; pentecôtistes-réformés, Parole et esprit, Église et monde (2000), 74-95.

[110] Pentecôtistes-réformés, Parole et esprit, Église et monde (2000), 77,78 ; anglicans-catholiques romains, Le salut et l’Église (1986), 30, L’Église comme communion (1990), 45 ; baptistes-catholiques romains, Appelés à rendre témoignage au Christ dans le monde d’aujourd’hui (1988), 19 ; disciples du Christ du Christ-catholiques romains,L’Église comme communion dans le Christ (1992), 21 ; évangéliques-catholiques romains, Dialogue sur la mission (1984), 2.1 ; luthériens-catholiques romains, Église et justification (1993), 11, 24, 25, 75, 243, 302-308 ; méthodistes-catholiques romains, La tradition apostolique (1991), 32 ; anglicans-luthériens, Episcope (1987), 24, 31, 70 ; Le diaconat comme opportunité œcuménique (1995), 16, 18 ; anglicans-méthodistes, Participer à la communauté apostolique (1996), 15 ; adventistes-luthériens, Rapport de la conversation bilatérale (1998), III.23 ; vieux catholiques-orthodoxes orientaux, Sotériologie (1983), 7, Eschatologie (1987), 1.2.

[111] Évangéliques-catholiques romains, Dialogue sur la mission (1984), 5.3 ; anglicans-catholiques romains, Le salut et l’Église (1986), 26 ; luthériens-catholiques romains, Église et justification (1993). 11,27 ; méthodistes-catholiques romains, Parole de vie : une déclaration sur la parole et la foi (1996), 17 ; anglicans-luthériens, Le diaconat comme opportunité œcuménique (1995), 10, 13.

[112] Luthériens-réformés, Vers une communauté de l’Église (1989), 18 ; pentecôtistes-réformés, La Parole et l’Esprit, l’Église et le monde (2000), 78, 79; anglicans-catholiques romains, Déclaration de Windsor (1971), 11, La vie en Christ : morale, communion et Église (1993), 19 ; méthodistes-catholiques romains, Rapport d’Honolulu (1981), 22, La tradition apostolique (1991), 32 ; orthodoxes orientaux-catholiques romains, Le sacrement de l’ordre dans la structure sacramentelle de l’Église (1988), 10 ; vieux catholiques-orthodoxes orientaux, Eschatologie (1987), 1.2.

5 Pentecôtistes-réformés, La Parole et l'Esprit, l’Église et la Parole (2000), 80 ; anglicans-catholiques romains, La vie en Christ : morale, communion et Église (1993), 24 ; disciples du Christ-catholiques romains, Rapport (« Apostolicité et catholicité dans l’unité visible de l’Église ») 1981, VII.b ; méthodiste-catholiques romains, La parole de vie : déclaration sur la révélation et la foi (1996), 17.

[114] Anglicans-réformés, Le Règne de Dieu et notre unité (1984), 15 ; baptiste-réformés, Rapport (1987), 30 ; anglicans-catholiques romains, Rapport final (1981), 7 ; Le salut et l’Église (1986), 30 ; La vie en Christ : morale, communion et Église (1993), 97 ; anglicans-luthériens, Pullach Report (1972), 60 ; Episcope (1987), 25 ; Le diaconat comme opportunité œcuménique (1995) 16.

[115] Baptistes-réformés, Rapport (1997), 30 ; pentecôtistes-réformés, La parole et l'Esprit, l’Église et le monde (2000), 79 ; anglicans-catholiques romains, Le salut et l’Église (1986), 26 ; luthériens-catholiques romains, Église et justification (1993), 22.

[116] Luthériens-catholiques romains, Église et justification (1993), 11-24 ; méthodistes-catholiques romains, Vers une déclaration sur l’Église (1986), I.2.

[117] Luthériens-catholiques romains, Église et justification (1993), 307.

[118] Anglicans-réformés, Le Règne de Dieu et notre unité (1984), 18, 30, 35 ; baptistes-réformés, Rapport (1977), 30 ; luthériens-catholiques romains, Église et justification (1993), 73, 307 ; anglicans-méthodistes, Participer à la communauté apostolique (1996), 25.

[119] Luthériens-catholiques romains, Église et justification (1993), 303,305 ; méthodistes-catholiques romains, Vers une déclaration sur l’Église (1986), I.8 ; orthodoxes orientaux-catholiques romains, Le sacrement de l’ordre dans la structure sacramentelle de l’Église (1988), 22 ; réformés-catholiques romains, Vers une compréhension commune de l’Église (1990). 111.

[120] Commission Foi et Constitution, Rapport de Lima (1982), « Baptême », 2, 3, 7, « Eucharistie », 1, 22, « Ministère », 4 ; anglicans-catholiques romains, Déclaration de Windsor (1971), 4 ; L’Église comme communion (1990), 11 ; disciples du Christ-réformés, Pas d’obstacles doctrinaux (1987), 12 ; luthériens-catholiques romains, L’Eucharistie (1978), 43, Église et justification (1993), 66-71 : anglicans-luthériens, Diaconat comme opportunité œcuménique (1995), 18.

[121] Commission Foi et Constitution, Rapport de Lima (1982), « Ministère », 23.

[122] Anglicans-luthériens, Diaconat comme opportunité œcuménique (1995), 10 ; Commission Foi et Constitution, Rapport de Lima (1984), « Ministère », 15-16.

[123] Anglicans-catholiques romains, La vie en Christ : morale, communion et Église (1993), 97.

[124] Anglicans-réformés, Le Règne de Dieu et notre unité (1984), 23, 30 ; anglicans -catholiques romains, Le don de l’autorité (1998), 50 ; luthériens-catholiques romains, Église et justification (1993), 22 ; pentecôtistes-réformés, Parole et Esprit, Église et monde (2000), 81, 89, 90.

[125]Pentecôtistes-réformés, Parole et Esprit, Église et monde (2000), 81.

[126] Méthodistes-catholiques romains, Rapport d’Honolulu (1981), 22, La Parole de vie : déclaration sur la révélation et la foi (1996), 79.

[127] Réformés-catholiques romains, La présence du Christ dans l’Église et dans le monde (1977), 48.

[128] Pentecôtistes-réformés, Parole et Esprit, Église et monde (2000), 77.

[129] Pentecôtistes-réformés, Parole et Esprit, Église et monde (2000), 78.

[130] Vieux catholiques-orthodoxes orientaux, Eschatologie (1987), 1.2.

[131] Disciples du Christ-catholiques romains, L’Église comme communion dans le Christ (1992), 38.

[132] Luthériens-catholiques romains, Église et justification (1993), 263, 285-289.

[133] Anglicans-luthériens, Diaconat comme opportunité œcuménique (1995), 15.

[134] Anglicans-réformés, Le Règne de Dieu et notre unité (1984), 17 ; luthériens-catholiques romains, Église et justification (1993), 303.

[135] Anglicans-réformés, Le Règne de Dieu et notre unité (1984), 29 ; pentecôtistes-réformés, Parole et Esprit, Église et monde (2000), 82 ; anglicans-catholiques romains, Le salut et l’Église (1986), 30.

[136] Réformés-catholiques romains, La présence du Christ dans l’Église et dans le monde (1977), 54.

[137] Réformés-catholiques romains, La présence du Christ dans l’Église et dans le monde (1977), 54-56.

[138] Commission Foi et Constitution, L’Église et le monde : l’unité de l’Église et le renouvellement de la communauté humaine (1990), Chapitre III, « Royaume-Église-Humanité », § 8.

[139] Réformés-catholiques romains, La présence du Christ dans l’Église et dans le monde (1977), 23.

[140] Réformés-catholiques romains, Vers une compréhension commune de l’Église (1990), 122.

[141] Pentecôtistes-catholiques romains, Vue d’ensemble sur la koinonia (1990), 94.

[142] Luthériens-catholiques romains, Église et justification (1993), 22.