Salutations et introduction au VIe anniversaire
de la rencontre entre le Pape François et le Patriarche cyrille 

Centre spirituel et culturel orthodoxe russe de Paris, 12 février 2022

 

 

Éminence, Monsieur le Métropolite Hilarion,
Éminences et Excellences,
Chers frères et sœurs,
Chers amis,

 

Nous voici aujourd'hui ici réunis pour célébrer l'anniversaire de l’importante rencontre historique du Pape François et du Patriarche Cyrille à l'aéroport de La Havane, à Cuba, le 12 février 2016, et je suis heureux de souhaiter chaleureusement à tous la bienvenue en cette circonstance. Il s'agit du sixième anniversaire de cet événement et nous discutons déjà de la possibilité d'une nouvelle rencontre entre les chefs de nos deux Communautés ecclésiales. Pour cet anniversaire, nous avons choisi de nous retrouver à Paris car nous désirons vénérer l'une des reliques les plus importantes de la chrétienté, à savoir la Couronne d'épines de notre commun Seigneur. De nombreux chrétiens se mettent en route pour venir vénérer cette précieuse relique. C'est pour cette raison que nous avons choisi le pèlerinage et le sanctuaire comme thème de notre rencontre. À cet égard, je salue chaleureusement Mgr Patrick Chauvet, Recteur-archiprêtre de la Cathédrale Notre-Dame de Paris, qui interviendra sur le thème : « Le rôle des sanctuaires communs et des pèlerinages dans l'évolution du dialogue orthodoxe-catholique ».

Ce thème est directement lié à celui du quatrième anniversaire célébré à Rome et consacré à l'œcuménisme spirituel et, plus particulièrement, à l'œcuménisme des saints. En effet, l'œcuménisme des saints, qui consiste à vénérer ensemble des saints, est un excellent moyen de retrouver l'unité entre nous chrétiens. D'un point de vue historique, les pèlerinages sont également nés de la vénération des saints. Car un pèlerinage n'est pas une simple promenade dominicale, et encore moins une excursion sans but précis. Il a un objectif très concret. Ce but est d'abord un lieu d'une grande importance spirituelle, avant tout un sanctuaire où un saint particulier est vénéré et où nous louons Dieu et lui présentons nos suppliques.

Dans cette attitude fondamentale de foi, la visite d'un sanctuaire devient aussi une expérience préalable du sanctuaire final qu’en tant que chrétiens, nous appelons « le ciel ». Un pèlerinage nous rappelle cette conviction fondamentale, qu’un proverbe russe exprime parfaitement : « L'homme n'a pas de patrie sur terre, mais des ailes pour aller au ciel ». Ce proverbe exprime ce qui est au cœur même de la foi chrétienne. Car seul celui qui rencontre le Dieu du ciel peut apprendre à connaître également l'homme sur terre. Et notre vie terrestre ne prend son sens profond que dans la perspective de la vie éternelle auprès de Dieu, qui est la vie réelle et véritable et le but de notre pèlerinage terrestre.

En cela réside la promesse de la foi chrétienne, qui oriente notre vie terrestre en ouvrant notre regard vers l'avenir de notre accomplissement final auprès de Dieu : grâce à notre rachat en Christ, nous avons dès maintenant sur terre, comme il est écrit dans l'épître aux Philippiens, notre véritable cité « dans les cieux, d’où nous attendons, comme sauveur, le Seigneur Jésus Christ » (Ph 3, 20). Dans l'épître aux Hébreux, il est également souligné que « nous n'avons pas ici-bas de cité permanente, mais [que] nous sommes à la recherche de la cité à venir » (Hé 13, 14). Les chrétiens confessent donc « qu'ils [sont] des étrangers et des gens de passage sur la terre » (Hé 11, 13), en route dans leur pèlerinage terrestre vers la patrie à venir.

Cette perspective de vie éternelle, les personnages de la Bible et les premiers chrétiens l'ont vécue de manière si forte que la désignation de leur forme de communauté, la « paroikia », s'est également développée à partir de leur compréhension de soi en tant que croyants. Nous, les chrétiens d'aujourd'hui, sommes-nous encore conscients que c'est précisément de là que provient le mot « paroisse » ? Si nous prenons cette désignation au sérieux, une paroisse est une communauté de personnes qui ne peuvent jamais se sentir chez elles dans ce monde, mais qui plutôt cheminent sur la terre – en pèlerinage vers leur véritable cité au ciel. Cette vision a également été reprise par le Concile Vatican II lorsqu'il décrit l'Église comme le peuple de Dieu en marche sur terre, qui accomplit un pèlerinage terrestre.

Cette petite symphonie de la conscience chrétienne de la foi, nous l'exprimons dans la coutume à la fois ancienne et éternellement jeune du pèlerinage. Elle nous fait prendre conscience que nous sommes des pèlerins sur cette terre et que le but de notre pèlerinage terrestre est la cité éternelle qui est au ciel et à laquelle nous aspirons. Il n'est donc pas étonnant que de tels pèlerinages aient surtout lieu pendant la période de Noël, et que nous les gardons en mémoire, même après la période de Noël.

Tournons rapidement notre pensée vers les bergers qui, dans la Sainte Nuit, se mettent en chemin vers Bethléem pour voir « ce qui est arrivé, ce que le Seigneur [leur] a fait connaître » (Lc 2, 15b). À Noël, l'Évangile de Luc nous rapporte que les bergers se rendent « en hâte » à Bethléem. Ce qui leur a été annoncé par les anges leur semble si important qu'ils se mettent immédiatement en route. Ils témoignent ainsi que, dans leur vie, Dieu a la priorité absolue qui ne tolère donc aucun retard et, au contraire, exige et mérite que l’on se hâte. De même, qu'il ne peut y avoir rien de plus important que Dieu dans notre vie et que la primauté lui appartient : c'est précisément ce que nous exprimons quand nous entreprenons un pèlerinage.

Ce que les bergers ont fait dans l'Évangile de Luc, les mages venus d'Orient l'accomplissent dans l'Évangile de Matthieu. Eux aussi se mettent en route vers Bethléem. Eux non plus ne cherchent pas leur propre étoile pour la suivre, mais l'étoile du « Roi des Juifs qui vient de naître ». Ce Roi, ils le découvrent dans l'enfant de la crèche et l'adorent avant de rentrer « dans leur pays par un autre chemin » (Mt 2, 12). En effet, celui qui a trouvé la vérité et le sens de sa vie dans l'enfant de la crèche est amené à se convertir et à repartir autrement qu'il n'était venu. Les Mages d'Orient deviennent ainsi eux-mêmes des étoiles vivantes qui nous indiquent, à nous les chrétiens d’aujourd’hui, le chemin à suivre dans notre pèlerinage terrestre.

Il me semble important de conserver précieusement l’image des bergers et des mages dans la conscience chrétienne. Car ils nous montrent ce qu'est l'essence même d'un pèlerinage. Plus nous nous mettons en route, nous les chrétiens, pour rencontrer le Dieu saint, plus nous trouvons le chemin les uns vers les autres. L’histoire nous montre que, dès les premiers siècles de l’ère chrétienne, les pèlerinages ont joué un rôle important dans la promotion de la communion et de la communication entre croyants et Églises, et qu'ils ont aidé les chrétiens de cultures, langues et traditions diverses à mieux se comprendre.

Dans les relations œcuméniques actuelles également, nous sommes en droit d’attendre le même soutien des pèlerinages. À travers eux, nous prenons conscience du sens profond de la synodalité. Ce mot, composé des termes grecs « hodos » (= chemin) et « syn » (= avec), exprime le fait que des personnes parcourent ensemble un chemin avec d'autres personnes. Dans la foi chrétienne, le mot « synode » désigne le chemin partagé des personnes qui croient en Jésus Christ, lequel s'est révélé être « le chemin », plus précisément « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6). Comme le montrent les Actes des Apôtres, la foi chrétienne était à l'origine appelée « la Voie » et les chrétiens qui suivaient le Christ en tant que « Voie » étaient appelés « adeptes de la Voie » (Actes 9, 2). L'éminent Père de l'Église Jean Chrysostome a donc pu affirmer que le mot Église signifie « faire chemin ensemble » et que, par conséquent, Église et synode sont des « synonymes »[1]. En effet, l'Église est au sens profond une communauté de foi qui chemine.

Je souhaite que les anniversaires de la rencontre entre le Pape François et le Patriarche Cyrille, et surtout la réflexion d'aujourd'hui sur le thème du pèlerinage et du sanctuaire comme soutien œcuménique, contribuent à ce que l'Église orthodoxe de Moscou et l'Église catholique de Rome deviennent de plus en plus une communauté en chemin avançant de manière synodale pour retrouver l'unité dans la foi. Car plus nous nous dirigeons vers le but eschatologique de notre pèlerinage et parcourons ensemble ce chemin en une procession de foi, plus nous nous retrouvons également. Ou encore, comme l'a déclaré un jour le Pape Benoît XVI de manière très concise : « L'œcuménisme n'est en fait rien d'autre que de vivre dès maintenant dans la lumière eschatologique, dans la lumière du Christ qui revient »[2].

Confiant en cela, je remercie tous ceux qui ont préparé l'anniversaire d'aujourd'hui et y ont contribué ; et je souhaite à tous les participants que cette commémoration soit fructueuse et constitue un encouragement joyeux sur le chemin de la reconquête de l'unité. Celui-ci sera surtout un bon chemin si nous le parcourons en un pèlerinage commun vers le sanctuaire de Dieu.

 

 

[1] J. Chrysostomos, Explicatio in Ps 149, in: PG 55, 493.

[2] J. Ratzinger, Zur Lage der Ökumene, in: Kirche – Zeichen unter den Völkern. Schriften zur Ekklesiologie und Ökumene  = Gesammelte Schriften 8/2 (Freiburg i. Br. 2010) 739-752, zit. 752 (traduction ad hoc).