ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE 2016
PROLUSIO DU CARDINAL PRÉSIDENT

 

QUEL MODÈLE DE PLEINE COMMUNION POUR L’UNITÉ DES CHRÉTIENS ?

Kurt Cardinal Koch

 

1. Gratitude pour le passé et espoir réaliste pour l'avenir

Au plan œcuménique, quel objectif se donne actuellement la recherche de l'unité des chrétiens ? Comment la pleine communion recherchée est-elle conçue ? Où en est l'œcuménisme aujourd’hui? Derrière ces questions, au premier abord assez neutres, se cache souvent une suspicion : l'œcuménisme ferait en réalité du sur place et n'avancerait plus. C'est ainsi qu'on parle souvent de la stagnation ou même de l'hiver de l'œcuménisme. Pourtant, celui qui examine de l'intérieur la situation actuelle de l'œcuménisme, et qui s'y trouve lui-même engagé, ne partagera pas ce diagnostic. Il le fera d'autant moins qu'il prendra en considération la situation de l’œcuménisme à travers le monde et tous les résultats obtenus dans un passé récent.

On pensera avant tout aux dialogues que l'Église catholique, depuis le Concile Vatican II, a mené et mène toujours avec presque toutes les Églises et communautés chrétiennes: pour commencer avec l'Église assyrienne de l'Orient et les Églises orthodoxes orientales (coptes, syriaques et arméniennes par exemple), puis avec les Églises orthodoxes de tradition byzantine et slave, en passant par les Églises et communautés issues de la Réforme (luthériennes, réformées, mennonites et baptistes) et ensuite par la Communion anglicane mondiale, l'Église vieille catholique et les diverses Églises libres jusqu'aux communautés évangéliques et pentecôtistes qui ont connu un énorme développement surtout au XXe siècle  et au début du XXIe siècle. Ces dialogues ont permis de récolter d’excellents fruits, en nombre, que le Cardinal Walter Kasper a présentés dans son livre ‘Harvesting the Fruits’[1]. Une telle rétrospective invite avant tout à la gratitude pour tout ce qui a pu être obtenu.

Tous ces résultats positifs ne peuvent cependant pas faire oublier que le rétablissement de l'unité visible de l'Église et de sa pleine communion, but spécifique du mouvement œcuménique, reste encore hors d’atteinte ; il demandera beaucoup plus de temps qu'on ne le pensait, il y a cinquante ans. C’est d’autant plus grave que le décret Unitatis Redintegratio de Vatican II voyait dans l'unité visible de l'Église le but de toute l'activité œcuménique, en se fondant sur la conviction théologique que le Christ a voulu une « seule et unique Église ». Cette conviction de foi a dû se confronter à la réalité qu'on constate tant dans l'histoire qu’aujourd’hui, à savoir qu'il existe une pluralité d'Églises et de Communautés ecclésiales qui prétendent devant les hommes, constituer « le véritable héritage de Jésus Christ ». Devant cette impression désastreuse que « le Christ lui-même [serait] divisé », le Concile se vit contraint d'affirmer que la division de l'Église contredit « ouvertement […] la volonté du Christ »  et qu’elle constitue « pour le monde un objet de scandale » et « obstacle à la plus sainte des causes : la prédication de l'Évangile à toute créature »[2].

Fort de ces convictions fondamentales, Vatican II a déclaré que l'engagement œcuménique était une obligation très sérieuse pour l'Église catholique, une préoccupation inscrite en son cœur. Un demi-siècle après la promulgation du décret sur l'œcuménisme, on doit donc se demander où en est sa réception[3], où en est aujourd'hui l'œcuménisme et quelles seraient les prochaines étapes les plus indiquées pour parvenir au but recherché.

 

2. Divergences sur le but de l'œcuménisme

Un premier constat s'impose : dans la situation œcuménique actuelle, le but même de l'œcuménisme apparaît comme un des thèmes les plus controversés. Pour avancer dans la recherche de la forme adéquate de l'unité, on doit commencer par relever ce défi fondamental. En œcuménisme, comme en médecine, un bon diagnostic est requis pour découvrir la thérapeutique adéquate.

a) Il n'y a pas de consensus sur le but de l'œcuménisme

« Nous avons besoin d'une 'vision commune', car nous continuerons de vivre en nous éloignant les uns des autres si nous ne poursuivons pas un but commun. Et si nous concevons ce but de façon opposée, la logique nous entraînera nécessairement dans des directions opposées »[4]. Par ce constat clairvoyant, la Commission internationale catholique-luthérienne avait déjà identifié, en 1980, la difficulté particulière que rencontre le mouvement œcuménique lorsque manque un consensus sur le but à poursuivre. Lorsque les différents partenaires du dialogue n'ont pas de but commun et qu'ils comprennent de manière très diverse ce qu'il faut entendre par ‘unité’, le danger est grand qu'ils prennent des directions différentes pour découvrir, au terme, qu’ils se sont encore plus éloignés les uns des autres. Ce danger n'a nullement reculé au cours des dernières décennies car, sur ce but, on n'est pas parvenu, entre Églises et Communautés ecclésiales, à trouver un consensus véritablement viable. Des consensus partiels ont même été remis en question sur ce but, devenu toujours plus flou au fil du temps. En fait, il n'existe aucun consensus repérable sur ce qu’il faut entendre par l'unité de l’Église à retrouver.

Certes, les dialogues œcuméniques ont obtenu des consensus, encourageants et de grande portée, sur de nombreuses questions particulières, disputées jusqu'alors, qu’il s’agisse de la compréhension de la foi ou de la structure théologique de l'Église. Malgré cela, la plupart des différences qui demeurent restent liées à des compréhensions divergentes de l’unité de l'Église. Ce double constat constitue le paradoxe de la situation œcuménique actuelle, que l'Évêque Paul-Werner Scheele a formulé avec précision : « On est uni sur la nécessité de l'unité et désuni sur son contenu »[5].

Cette difficulté s'aggrave du fait que la recherche œcuménique de l'unité de l'Église se heurte aujourd'hui aux forts vents contraires de l'esprit du temps, largement pluraliste et relativiste. Contrairement à ce qu’a soutenu la tradition chrétienne qui, selon l’axiome théologique ens et unum convertuntur, a considéré l’unité comme le sens et le fondement de toute la réalité, aujourd’hui à l’inverse, c’est le pluralisme qui est devenu le concept de base décisif dans la perception de ce qu’on appelle l’expérience postmoderne de la réalité. D’après l'article fameux de Jean-François Lyotard, La condition postmoderne, la postmodernité valorise le pluralisme et se méfie du singulier. Une mentalité postmoderne est convaincue qu'on ne peut ni ne doit dépasser la pluralité de la réalité, sous peine d’être soupçonné d’avoir une pensée totalitaire, car si le tout de la réalité nous est donné, s'il nous est donné, ce ne peut être uniquement que de façon plurielle[6]. Ce rejet de principe de la pensée unitaire est une caractéristique de la postmodernité : « elle ne se contente pas de tolérer et d’accepter la pluralité, elle opte fondamentalement pour le pluralisme »[7]. Dans cette mentalité postmoderne, toute recherche de l'unité apparaît comme désuète et prémoderne.

De plus, on le constate, cette mentalité postmoderne influence désormais aussi le christianisme. D'une part, des courants favorables au pluralisme religieux, si répandus à notre époque, ne partent pas seulement de la pluralité des religions mais bien d'une pluralité des révélations de Dieu, si bien que Jésus Christ n'apparaît plus que comme l'une des nombreuses révélations de Dieu en ce monde et l'un de ses nombreux sauveurs[8]. D'autre part, dans la pensée œcuménique actuelle, où le pluralisme ecclésiologique est devenu plausible, on en arrive à valoriser comme positive la pluralité et la diversité des Églises, au point que toute recherche de l'unité devient suspecte. Il semble que l'on soit satisfait de ce pluralisme des Églises et des Communautés ecclésiales, hérité de l'histoire, et même qu'on s'en réjouisse positivement, si bien que la recherche œcuménique de l'unité visible de l'Église est considérée comme irréaliste et non souhaitable.

Il n'est pas rare que l'on cherche à fonder par l'Écriture sainte la renonciation à la recherche de l'unité. En ce sens, on fait valoir, par exemple, que déjà le Jésus terrestre avait eu affaire, dans le peuple de Dieu de l'époque, à différentes constellations et groupes sociaux, aux pharisiens et aux sadducéens, aux zélotes et aux Esséniens, aux samaritains et à d'autres encore, c'est-à-dire à un peuple de Dieu divisé[9]. Ou bien l'on se réfère, de façon répétitive, à la thèse de l'exégète protestant Ernst Käsemann qui a cherché à légitimer les grands schismes, en prétendant que le canon du Nouveau Testament ne fonde pas l'unité de l'Église mais la multiplicité des confessions[10]. Même si transférer dans le Nouveau Testament la situation d'Églises et de Communautés ecclésiales confession-nellement différentes du fait de l'histoire tout en vivant côte à côte, a tout l'air d'une entreprise anachronique[11], on n‘en continue pas moins à se référer à la thèse de Käsemann. C'est ce que fait, par exemple, le Conseil de l'Église Évangélique d'Allemagne dans son texte de base pour la commémoration de la Réforme en 2017 quand il affirme que les Églises de la Réforme « font partie de la pluralisation légitime – car conforme aux Écritures – des Églises chrétiennes » et s'enorgueillit d'y trouver un lointain, mais heureux effet, de la Réforme du XVIe siècle[12]. Les directeurs scientifiques du Groupe de travail œcuménique des théologiens catholiques et protestants, Volker Leppin et Dorothea Sattler, reconnaissent aussi ouvertement que, parmi les membres de ce groupe de travail, de plus en plus de théologiens et de théologiennes « valorisent la pluralité des Églises plus qu'ils ne s'en inquiètent »[13].

Ces exemples montrent bien qu'aujourd'hui la recherche œcuménique de l'unité de l'Église se déroule dans un contexte théologique bien changé : désormais la pluralité des Églises n’est plus jugée à la lumière des séparations historiques et de l'unité de l'Église à retrouver, mais comme un enrichissement de l’être Église survenu au cours de l'histoire[14].. Dans cette situation, on perçoit négativement une compréhension de l'unité de l'Église ne valorisant pas la pluralité des Églises d'abord comme une richesse, si elle est aussi la conséquence des séparations survenues au cours de l’histoire.

À cette option pour la pluralité des Églises, s’ajoute un changement de paradigme dans la théologie œcuménique qu’on met en œuvre en contestant la méthode œcuménique suivie jusqu'ici, celle qui recherchait le consensus, cherchant toujours à déboucher sur un ‘consensus différencié’[15]. Cette méthode signifie d'abord qu'un consensus obtenu dans le dialogue sur un contenu fondamental, s'agissant d'une doctrine séparant jusqu'alors les Églises, sera formulé et articulé ensemble comme un énoncé commun ; mais elle implique aussi que les différences qui restent soient formulées aussi clairement, et que l’on montre qu'elles ne mettent pas en cause le consensus obtenu, qu'elles ne doivent plus séparer les Églises mais qu’elles doivent être laissées au travail ultérieur des théologiens. Cette méthode œcuménique, qui veut servir le rétablissement de l'unité de l’Église en élaborant des consensus fondamentaux en matière de foi, est aujourd'hui critiquée de bien des manières, au point que l'on proclame la fin de l'œcuménisme de consensus qui devrait être remplacé par un soi-disant œcuménisme de la différence[16]. Le concept d'un ‘œcuménisme du profil’, promu en Allemagne par l'évêque protestant Wolfgang Huber, est lié à cette idée. Sa logique tend à profiler sa propre identité confessionnelle par contraste avec celle des autres Églises et, par exemple, à réclamer pour sa propre Église le titre d'« Église de la liberté »[17]Avec encore plus d'effet, on reprend à nouveau l'idée des ‘différences fondamentales’ que l'on rencontrait il y a déjà un certain temps chez le théologien protestant Gerhard Ebeling ; avec cette idée, l'on sème ainsi le doute sur la possibilité de s’entendre un jour sur les présupposés théologiques fondamentaux qui régiraient les diverses Églises. Il est facile de comprendre que, dans un tel contexte, la question de l'unité de l'Église et de la pleine communion se pose tout à fait différemment.

b) La compréhension de l'Église et de son unité attend d’être clarifiée

Dans ce contexte, on voit clairement pour quelle raison il a été impossible d’obtenir jusqu’ici un consensus réellement viable sur le but de l’œcuménisme. Il en est ainsi parce que les diverses conceptions de l’Église et de son unité, confession-nellement très différentes, sont restées juxtaposées les unes aux autres, aujourd’hui comme hier. Comme chaque Église et chaque Communauté ecclésiale a son idée spécifique sur ce qu’est l’Église et son unité et la met en œuvre, elles sont conduites à projeter cette idée confessionnelle également au registre du but de l’œcuménisme, si bien qu’au fond il y a autant de conceptions des buts de l’œcuménisme qu’il y a d’ecclésiologies confessionnelles[18]. Ce qui signifie que l’absence d’accord sur le but de l’œcuménisme est largement dû à l’absence d’accord sur l’essence de l’Église et sur son unité.

Il va donc de soi que la clarification de la compréhension de l’Église et de son unité doit être le thème central des dialogues œcuméniques actuels et futurs[19].Pour cela, l’étude de la Commission Foi et Constitution du Conseil œcuménique des Églises, intitulée « L’Église. Vers une vision commune », propose une démarche très utile. Elle s’efforce de présenter « une vision globale, multilatérale et œcuménique de l’essence, de la destination et de la mission de l’Église »  et peut être considérée comme une précieuse déclaration ecclésiologique œcuménique in via[20]. Pourtant cette étude très méritoire n’arrive pas à faire progresser la compréhension théologique sur la plupart des thèmes ecclésiologiques controversés ; elle parvient seulement à les formuler comme questions ouvertes. Ainsi, se confirme une nouvelle fois que, dans les diverses Églises, les conceptions de l’unité dépendent de leur concept de l’Église et de son unité préalable. Quelques exemples illustreront cela.

L’ecclésiologie orthodoxe se comprend de la manière la plus adéquate comme ecclésiologie eucharistique. Développée d’abord par les théologiens orthodoxes exilés à Paris, après la Première Guerre mondiale, ses premières élaborations ont été conçues sciemment en opposition à ce qu’ils considéraient comme le centralisme de la papauté dans l’Église catholique romaine et, à vrai dire aussi, comme par exemple chez Nicolas Afanassief, en opposition à ces développements structurels dans l’Église orthodoxe qui ont conduit à la constitution de patriarcats autocéphales. Selon cette ecclésiologie eucharistique, l’Église de Jésus Christ est présente et réalisée dans chaque Église locale, rassemblée autour de son évêque, dans la célébration de l’Eucharistie. Du fait que l’Église locale qui célèbre avec son évêque est comprise comme une représentation, actualisation et réalisation de l’Église une en un lieu donné, chaque communauté eucharistique est pleinement Église et il ne lui manque rien à cet égard. L’Église catholique partage avec l’Église orthodoxe cette même structure qui était celle de l’Église ancienne et sa constitution sacramentelle, eucharistique et épiscopale. Elle se distingue pourtant de l’orthodoxie parce qu’en dehors du concile œcuménique, celle-ci ne reconnaît, à l’échelle universelle, aucun principe visible et effectif de l’unité de l’Église, disposant de la moindre juridiction canonique, une juridiction que l’Église catholique connaît et reconnaît dans le ministère pétrinien. Bien différemment, l’Église orthodoxe se conçoit comme une communion d’Églises autonomes et autocéphales, si bien que sa vision de l’unité est largement déterminée par le concept d’autocéphalie et le principe national qui lui est inhérent.

On peut donc situer cette nette divergence dans la relation, différente et discutée, entre l’Église locale et l’Église universelle et, plus précisément encore, dans une compréhension de l’Église « liée à une culture nationale » du côté orthodoxe et à « une ecclésiologie caractérisée par une dimension universelle du côté catholique »[21]. Alors que la compréhension orthodoxe de l’Église montre une forte accentuation de l’Église locale, pour l’ecclésiologie catholique l’inclusion mutuelle de l’Église locale et de l’Église universelle est déterminante. Vatican II l’a formulée dans un axiome ecclésiologique fondamental : « C’est en elles [les Églises] et par elles qu’existe l’Église catholique une et unique »[22] , ce qui lui fait affirmer : « Cette Église du Christ est vraiment présente en toutes les légitimes assemblées locales de fidèles qui, unies à leurs pasteurs, reçoivent […], elles aussi, le nom d’Églises»[23].  La constitution de l’Église catholique est décrite au mieux par une ellipse à deux foyers, à savoir la pluralité des Églises locales et l’unité de l’Église universelle : elle est communio ecclesiarum et communio ecclesiae. Elle est à la fois locale et universelle, à la fois épiscopale et papale. Selon la compréhension catholique de l’Église, l’Église de Jésus Christ se trouve aussi pleinement dans chaque communauté concrète ; cependant la communauté eucharistique concrète n’est pas toute l’Église. L’unité des communautés eucharistiques entre elles, avec l’évêque local et avec l’évêque de Rome, comme Pape de l’Église universelle, est donc constitutive de l’être de l’Église.

Dans les Églises et Communautés ecclésiales issues de la Réforme, on a affaire à un autre type d’Église qui se fonde essentiellement dans le fait que l’Église naît du « dynamisme de la Parole qui rassemble les hommes et en fait une communauté »[24]. À la manière de Luther qui jugeait négativement le concept d’Église comme un terme « obscur et flou »[25], et pour qui l’essence de l’Église s’exprimait théologiquement par le terme de communauté, l’ecclésiologie réformée met aujourd’hui encore essentiellement l’accent sur la communauté locale qui constitue aussi son point de gravitation : l’Église du Christ est présente, au sens plein du terme, dans la communauté liturgique locale rassemblée autour de la Parole et du sacrement. Cette autocompréhension ecclésiologique trouve sa for-mulation classique dans l’article VII de la Confession d’Augsbourg, selon lequel l’Église est l’assemblée des fidèles dans laquelle l’Évangile est prêché dans sa pureté et les sacrements administrés conformément à l’Évangile. Puisque cela se fait dans la communauté locale, celle-ci est la réalisation prototypique de l’Église. Cette concentration sur la communauté fait que la réalité supra-locale de l’Église apparaît comme secondaire et la dimension universelle de l’Église encore plus. C’est encore la raison pour laquelle l’ecclésiologie réformée ne possède aucune théologie, généralement reconnue, de l’épiscopat comme service de l’unité au niveau régional de l’Église et encore moins une théologie du service de l’unité au niveau universel de l’Église.

Si l’on considère un instant ces diverses conceptions ecclésiologiques d’ensemble, on comprend aisément qu’elles conditionnent des représentations différentes de l’unité au plan œcuménique. Avec l’Église orthodoxe, malgré les différences existantes, l’Église catholique maintient fermement que le but commun est l’unité visible dans la foi, les sacrements et les ministères. En revanche, un grand nombre d’Églises et Communautés ecclésiales issues de la Réforme ont largement renoncé à cette conception de l’unité et l’ont remplacée par le postulat de la reconnaissance mutuelle des différentes réalités ecclésiales comme étant des Églises et de ce fait des parties de l’Église une du Christ. Certes, on ne postule pas ainsi l’invisibilité de l’unité de l’Église ; simplement, cette unité visible ne consiste que dans l’addition des différentes réalités ecclésiales actuelles.

Cette nouvelle formulation du but œcuménique a indubitablement trouvé son expression la plus claire dans la Concorde de Leuenberg conclue en 1973[26]. Ce modèle de Communauté d’Églises avait déjà été mis en œuvre dans la Communion des Églises de Leuenberg. Elle se comprend tout à fait consciemment comme une communion d’Églises de confessions différentes qui, sur le fondement d’une compréhension commune de l’Évangile centrée sur la doctrine de la justification, s’accordent réciproquement la communion de Parole et de sacrement, incluant la reconnaissance mutuelle des ordinations, si bien que cette communion d’Églises est essentiellement une communion de chaire et d’autel. De ce fait, on considère que le but de l’œcuménisme est déjà largement atteint ; il s’ensuit que les Églises séparées se reconnaissent mutuellement comme Églises, tout en restant institutionnellement indépen-dantes et en conservant leur identité confessionnelle.

La Concorde de Leuenberg ne se comprend pas seulement comme étant typiquement le « modèle protestant de l’unité de l’Église »[27], mais aussi comme étant le modèle pour les relations œcuméniques avec les autres Églises chrétiennes[28]. Le dialogue œcuménique avec la ‘Communion des Églises évangéliques en Europe’ (GEKE), qui s’est vu donner comme objectif de vérifier dans quelle mesure la Concorde de Leuenberg pourrait servir de modèle pour l’unité au niveau œcuménique, aboutira, on l’espère, à un résultat positif. Car jusqu’à présent, on ne voit pas comment cette conception du but de l’œcuménisme serait compatible avec l’image biblique de l’Église comme unique Corps du Christ. Un tel pluralisme ecclésiologique, de facture additive, favorisé par le protestantisme contemporain, est incompatible avec les principes catholiques de l’œcuménisme[29], tels qu’ils ont été formulés, avec toute la clarté désirable, par le Pape Benoît XVI : « La recherche du rétablissement de l’unité entre les chrétiens divisés ne peut donc pas se résoudre à une reconnaissance des différences réciproques et à l’obtention d’une coexistence pacifique : ce à quoi nous aspirons est l’unité pour laquelle le Christ lui-même a prié et qui, par sa nature, se manifeste dans la communion de la foi, des sacrements, du ministère »[30]. L’Église catholique partage avec les Églises orthodoxes la conviction, déjà vivante dans l’Église ancienne, selon laquelle la communion entre les Églises est inséparable de la communion dans la foi et dans l’Eucharistie. Elle ne peut voir dans la soi-disant ‘intercommunion’ le but de tous les efforts œcuméniques car il réside dans le rétablissement de la « communio au sein de laquelle a également son lieu la communion dans le Repas du Seigneur »[31].

c)   Pluralisation de la conception du but de l’œcuménisme du fait de nouveaux partenaires

La Concorde de Leuenberg et le pluralisme ecclésiologique qui lui est sous-jacent représentent un modèle typiquement protestant, car les Églises et Communautés ecclésiales issues de la Réforme n’ont cessé depuis lors de développer un pluralisme dont il est presque impossible de prendre la mesure : en son sein, on ne repère que des efforts marginaux pour plus d’unité au plan mondial. On observe bien différemment une fragmentation croissante dans le protestantisme mondial ainsi que divers processus de division qui ont conduit à un pluralisation croissante des conceptions du but de l’œcuménisme.

Récemment ce phénomène s’est renforcé avec l’arrivée de nouveaux partenaires de dialogues dans le mouvement œcuménique. Les rencontres œcuméniques ne se limitent plus aux grandes Églises classiques mais elles intègrent de plus en plus les Églises que l’on appelle libres qui ont anticipé cet avenir auquel les Églises historiques sont de plus en plus confrontées, à savoir la fin de l’ère constantinienne, la liberté et l’autonomie vis-à-vis de l’État, et qui ont une autre conception de l’unité au niveau œcuménique. On doit accorder une grande importance à la rapide croissance numérique des regroupements évangéliques et charismatiques et surtout à l’expansion, à couper le souffle, des communautés et des mouvements pentecôtistes. Avec environ 400 millions d’adhérents, le pentecôtisme constitue la deuxième plus grosse communauté chrétienne après l’Église catholique. C’est un phénomène d’une telle envergure qu’on doit parler actuellement d’une pentecostalisation du christianisme[32] et qu’on est obligé d’y voir la ‘quatrième forme fondamentale de l’être chrétien’, à côté des Églises orthodoxes et orthodoxes orientales, de l’Église catholique et des Églises et Communautés ecclésiales issues de la Réforme[33].

Le phénomène pentecôtiste révèle en particulier que la géographie mondiale du christianisme a considérablement changé au cours des dernières décennies et que la situation œcuménique est devenue plus confuse et ne s’est en rien simplifiée. C’est pourquoi les thèmes à mettre à l’ordre du jour avec ces nouveaux mouvements sont bien différents de ceux sur lesquels on dialogue avec les grandes Églises historiques et on se trouve aussi devant des conceptions différentes du but de l’œcuménisme. Ceci étant en grande partie dû à la croissance du nombre des partenaires de dialogue, la pluralisation grandissante des conceptions du but de l’œcuménisme ne doit pas être perçue seulement comme un problème mais on peut aussi l’évaluer positivement avec Christoph Markschies, l’historien de l’Église protestant de Berlin : le fait que le but du mouvement œcuménique est devenu bien moins clair qu’à l’origine peut aussi être interprété comme une conséquence – certes non recherchée – de son succès : « Tant de personnes se sont engagées dans le mouvement œcuménique que cela a eu pour effet que les concepts de son but initial, déjà variés lors de sa naissance, se sont encore pluralisés du fait de la foule des chrétiens intéressés à l’œcuménisme »[34].

Bien qu’on puisse juger positif l’effacement, en lui-même négatif, d’un consensus viable sur le but du mouvement œcuménique, la question de l’unité ne s’en impose pas moins à nouveau. En effet, sans recherche de l’unité, la foi chrétienne se renierait elle-même, comme l’apôtre Paul l’exprime aux Éphésiens avec toute la clarté désirable : « Il n’y a qu’un seul Corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés par votre vocation à une seule espérance. Il n’y a qu’un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous qui est au-dessus de tous, qui agit par tous et qui est en tous » (Ep 4, 4-6). Parce que l’unité est une catégorie fondamentale de la foi chrétienne et qu’elle le demeure, les chrétiens doivent avoir le courage et l’humilité de regarder en face le scandale permanent d’un christianisme divisé et de maintenir vivante la question de l’unité avec une aimable ténacité. La conversion demandée par le décret sur l’œcuménisme de Vatican II doit rester en premier lieu une conversion recherchant passionnément l’unité[35].

 

3. Maintenir en éveil la recherche de l’unité de l’Église

Devant la pluralisation des représentations de l’unité en œcuménisme, nous sommes presque remontés aux origines de leur compréhension. Comme la question de l’unité et de la pleine communion se pose différemment dans les divers dialogues œcuméniques, je ne veux pas élaborer a priori un modèle concret de l’unité chrétienne. Il devra donc l’être en dialogue avec les conceptions de l’unité que les autres Églises et Communautés ecclésiales proposent aussi. Il n’est pas possible non plus d’analyser et de discuter ici les différents modèles d’unité développés dans les discussions œcuméniques : unité spirituelle, communauté d’action entre des communautés distinctes, fédération de communautés, communion entre Églises de différentes confessions, unité dans la diversité réconciliée, union organique. On pourra encore moins présenter, au nom d’une Église, des exigences maximales aux autres Églises et Communautés ecclésiales parce qu’une telle façon de faire est incompatible avec un dialogue honnête et authentique et fait obstacle au cheminement vers la pleine communion. Dans ce contexte, il conviendra de rechercher les indicateurs élémentaires de l’unité de l’Église, dont le plus important se trouve dans l’Écriture sainte, plus précisément dans l’ultime prière de Jésus où l‘invocation de l’unité de ses disciples revêt un rôle tout particulier. Le regard de Jésus y dépasse la communauté des disciples et se dirige vers tous ceux qui « croiront en leur parole » (Jn 17,20). Puisque notre actualité œcuménique est aussi incluse dans la prière sacerdotale de Jésus, on y trouve exprimé de la meilleure façon possible quelles sont et doivent être les plus profondes dimensions du devoir œcuménique à la lumière de la foi. Si l’unité des disciples était au cœur de la prière de Jésus, alors l’œcuménisme chrétien ne peut que s’insérer dans cette prière, selon ce qui Lui tenait à cœur. S’il n’est pas seulement une entreprise philanthropique et purement humaine, mais s’il est fondé et motivé de façon réellement christologique, l’œcuménisme ne peut finalement être rien d’autre qu’une participation à la prière sacerdotale de Jésus. Partant de ce fondement biblique de l’œcuménisme, on cherchera, dans ce qui suit, à préciser les dimensions élémentaires de l’œcuménisme en partant de ce texte très familier et inépuisable de Jean 17 et à consolider notre responsabilité œcuménique dans la recherche de l’unité de la foi, qui nous est promise comme un don et confiée comme une tâche[36].

a) Dimension spirituelle : la prière pour l’unité

La dimension spirituelle de l’unité des chrétiens est à mentionner en premier lieu. Car la prière de Jésus « Que tous soient un » montre qu’Il ne commande pas l’unité à ses disciples et ne la réclame pas d’eux, mais il prie pour eux. Ce constat, simple et élémentaire, est de grande signification pour la recherche œcuménique de l’unité. La prière pour l’unité des chrétiens est le signe décisif qui préfigure tous les efforts œcuméniques. Sans prière, il ne saurait y avoir d’unité, comme le souligne toujours le Pape François : « L’engagement œcuménique répond, en premier lieu, à la prière du même Seigneur Jésus et se base essentiellement sur la prière»[37].

C’est très tôt que cette dimension spirituelle a trouvé son expression, dans la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, née au début du mouvement œcuménique et célébrée chaque année au mois de janvier. Elle fut lancée par Paul Wattson, un anglican américain, entré plus tard dans l’Église catholique, et par Spencer Jones, membre de l’Église épiscopalienne ; elle fut encouragée par Benoît XV et élargie à toute l’Église catholique, puis développée par Paul Couturier, un pionnier passionné de l’œcuménisme spirituel. Dès l’origine, elle fut donc une initiative œcuménique. La prière pour l’unité des chrétiens a ouvert la voie au mouvement œcuménique qui, dès le commencement, fut un mouvement de prière, comme le Pape Benoît XVI l’a exprimé de façon parlante : « La barque de l’œcuménisme n’aurait jamais quitté le port si elle n’avait pas été poussée par ce vaste courant de prière et par le souffle de l’Esprit Saint »[38]. Un tel mouvement de prière n’est pas un début qu’on pourrait laisser derrière soi ; c’est bien plutôt un début qui continue de marcher à nos côtés, aujourd’hui encore, et qui doit accompagner tous les efforts œcuméniques.

Dans notre quête du rétablissement de l’unité des chrétiens, la principale place doit être donnée à la prière pour l’unité. Car avec la prière pour l’unité, nous chrétiens, nous exprimons que, pour notre foi, l’unité ne peut être rétablie par nos seuls efforts et que nous ne pouvons pas en déterminer la forme ou le moment. Nous chrétiens, nous pouvons provoquer des divisions : notre passé et notre présent le montrent. Nous ne pouvons recevoir notre unité que comme un don. La prière pour l’unité nous rappelle que tout n’est pas faisable également dans le domaine œcuménique et que nous devons laisser de l’espace à l’action indisponible de l’Esprit saint et avoir confiance en lui au moins autant que dans nos propres efforts.

La prière pour l’unité est la meilleure préparation pour la recevoir comme don de l’Esprit saint. Parce que nous savons dans la foi, comme chrétiens, que l’unité «  est d’abord un don de Dieu pour lequel nous devons prier incessamment », nous avons aussi la responsabilité « de préparer les conditions, de cultiver le terrain du cœur […] afin que cette extraordinaire grâce soit accueillie »[39]. La centralité de la prière montre claire-ment que l’œcuménisme est surtout une tâche spirituelle et que l’œcuménisme spirituel est le cœur de l’œcuménisme dont Vatican II a souligné qu’il était « l’âme de tout l’œcuménisme »[40]. La crédibilité de l’œcuménisme se joue dans la vigueur spirituelle avec laquelle les chrétiens s’insèrent dans la prière sacerdotale de Jésus, qui est le cœur de l’unité des chrétiens : « Nous deviendrons un si nous nous laissons attirer dans cette prière »[41].

b) Dimension corporelle : l’unité visible

Le primat et la centralité de la dimension spirituelle de l’unité des chrétiens seraient mal compris si on en concluait que l’unité des chrétiens est une réalité seulement spirituelle et de ce fait invisible. Cela contredirait la deuxième intention de la prière sacerdotale de Jésus dans laquelle il prie pour l’unité de ses disciples d’une manière très spécifique : « Que tous soient un, comme toi Père tu es en moi et moi en toi, afin qu’eux aussi soient en nous et que le monde croie ». Pour que le monde puisse croire, il faut qu’il puisse voir l’unité. L’unité de l’Église qu’il faut retrouver ne peut pas être une unité invisible ; il faut que cette unité prenne une figure visible dans notre monde.

Le Pape Benoît XVI a consacré des efforts importants à faire redécouvrir que l’unité chrétienne était une unité en corps, notamment dans son exégèse de la prière sacerdotale de Jésus et dans sa confrontation œcuménique avec Rudolf Bultmann sur ce point[42]. Pour cet exégète protestant, l’unité authentique des disciples, spécialement dans l’Évangile de Jean, est une unité « invisible », car « elle n’est en rien un phénomène mondain ». De ces deux affirmations Benoît XVI approuve entièrement la seconde, mais il conteste fondamentalement la première. Pour obtenir une conception viable de l’unité des chrétiens, il vaut la peine de réfléchir un peu à cette double réponse : L’unité des disciples et donc aussi l’unité de l’Église à venir, pour laquelle Jésus a prié, n’est pas « un phénomène mondain » et par principe ne peut pas l’être : c’est une évidence pour Benoît XVI comme il l’affirme expressément : « L’unité ne vient pas du monde, on ne l’obtient pas par ses propres forces. Les forces mondaines conduisent aux divisions, on le voit bien. Dès que le monde influence l’Église et le christianisme, il produit des divisions. L’unité ne peut venir que du Père à travers le Fils »[43]. Mais autant Benoît XVI est d’accord avec l’exégète protestant sur le fait que l’unité des disciples ne peut pas provenir du monde, autant il en conteste la conclusion, à savoir que l’unité serait de ce fait « invisible ». Même si l’unité n’est en rien un phénomène mondain, l’Esprit Saint n’en agit pas moins dans le monde. L’unité des disciples doit donc être telle que le monde puisse la reconnaître et parvenir ainsi à la foi, comme le Pape Benoît XVI le souligne expressément : « Ce qui ne provient pas du monde peut et doit absolument être quelque chose qui soit efficace dans et pour le monde et qui soit aussi perceptible par lui. La prière de Jésus pour l’unité a précisément pour but que, par l’unité des disciples, la vérité de sa mission se rende visible aux hommes »[44]. Benoît XVI souligne même que « Jésus est légitimé » par l’unité visible des disciples dans le monde, une unité humainement inexplicable, qui ne vient pas du monde : « Il devient évident qu’il est véritablement le Fils »[45].

L’insistance sur la visibilité de l’unité des disciples et de l’Église, et donc sur la dimension corporelle de l’unité des chrétiens en corps, explique pourquoi Vatican II voit cette unité visible déjà donnée dans le sacrement du baptême. Le décret Uniates Redintegratio sur l’œcuménisme voit dans le baptême le fondement intérieur et l’expression visible de l’appartenance de tous les baptisés à l’Église : « Ceux qui croient au Christ et qui ont reçu validement le baptême, se trouvent dans une certaine communion, bien qu’imparfaite, avec l’Église catholique »[46]. Le baptême fonde ainsi un « lien sacramentel d’unité existant entre tous ceux qui ont été régénérés par lui ». Le baptême n’est cependant que le « commencement et l point de départ », car il est entièrement ordonné à « l’acquisition de la plénitude de la vie dans le Christ » et « à la profession de foi intégrale, à la totale intégration dans l’économie du salut, telle que le Christ l’a voulue et enfin, à la totale insertion dans la communion eucharistique»[47]. Ainsi se dessine le cheminement œcuménique vers l’unité visible des chrétiens, comme un chemin qui conduit de la communion fondamentale dans le baptême, et de sa reconnaissance mutuelle, à la pleine communion dans l’Eucharistie, la célébration du Corps du Christ, dans laquelle se manifeste le plus clairement la dimension corporelle de l’unité des chrétiens.

c)   La dimension trinitaire : l’unité dans la diversité

Comme l’unité des chrétiens doit être visible et en corps, une autre question se pose : comment une telle unité doit-elle se présenter concrètement ? Une troisième indication de la prière sacerdotale de Jésus y répond quand il prie avec ces paroles : « Qu’ils soient un, comme nous sommes un, moi en toi et toi en moi ». Jésus lui-même voit le fondement le plus profond de l’unité des disciples dans l’unité d’amour entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit dans la vie de Dieu. Le Dieu trinitaire, qui est une communion vivante dans l’unité relationnelle originaire de l’amour, est l’archétype le plus transparent de l’unité des chrétiens. A la lumière du mystère de l’amour trinitaire, l’Église apparaît comme le lieu prédéterminé du salut par le Dieu trinitaire ou, ainsi que Vatican II l’a mis en évidence, comme « le peuple qui tire son unité de l’unité du Père et du Fils et de l’Esprit Saint »[48]. L’unité des chrétiens est finalement fondée dans la communion trinitaire et l’Église est à l’image de la Trinité.

En méditant davantage ce mystère de foi, on voit que deux dimensions, de même origine, existent au sein de la vie trinitaire. D’abord dans la vie trinitaire, il y a place pour l’Autre et donc pour la pluralité et la différence. Car le Père est différent du Fils, et le Fils lui aussi est différent du Saint-Esprit. Au sein de la Trinité divine on trouve une merveilleuse différence entre les personnes. On trouve aussi en Dieu une merveilleuse unité de la vie divine. Bien que le Père soit différent du Fils et que le Fils, à son tour, soit différent du Saint-Esprit, les personnes divines participent à un trialogue céleste au même registre d’existence. Car le Père est Dieu, le Fils est Dieu et le Saint-Esprit est Dieu. Le Dieu trine est en lui-même une vivante communion dans l’originaire unité de leur relation de l’amour.

À la lumière de ce mystère de Dieu, l’Église est appelée à vivre comme icône de la Trinité. Dès lors, si l’unité chrétienne doit représenter sur terre la communion du Dieu trine, cette unité ne pourra être qu’une unité dans la diversité et une diversité dans l’unité. Une telle unité dans la diversité ne peut être qu’un don de l’Esprit saint. Seul le Saint-Esprit peut susciter la diversité et la différence en même temps que l’unité, alors que, nous autres humains, nous sommes toujours tentés soit de vouloir engendrer de la différence, tout en nous enfermant dans les particularismes et les exclusivismes et en créant  des divisions, soit d’instaurer l’unité selon nos conceptions humaines, en unifiant par l’uniformisation. Seul le Saint Esprit donne l’unité dans la diversité, ou comme le Pape François l’exprime avec Oscar Cullmann, théologien luthérien : « Unité dans la diversité réconciliée ».

Pour trouver l’unité dans la diversité, nous chrétiens encore séparés, nous pouvons déjà être unis dans la mesure où nous retirons leur venin aux divisions, en faisant nôtre ce qui est fécond en elles et en accueillant ce qui est positif dans la différence ; tout cela à la lumière du mystère de l’amour trinitaire que le Pape Benoît XVI a décrit avec délicatesse : « L’amour véritable n’annule pas les différences légitimes mais il les harmonise en une unité supérieure , qui n’est pas imposée de l’extérieur, mais qui, de l’intérieur, donne forme, pour ainsi dire, à l’ensemble »[49]. Ainsi pouvons-nous entrevoir cette forme d’unité des chrétiens qui est déjà possible aujourd’hui. Il ne s’agit pas tant d’échanger des idées et des théories, l’échange de dons est bien plus profond. C’est bien plus qu’un exercice théorique car, de ce fait, on apprend à connaître les différentes communautés chrétiennes dans la profondeur de leurs traditions, à les comprendre et à apprendre d’elles. Car aucune Église n’est si pauvre qu’elle ne puisse faire un apport irremplaçable à la communauté des chrétiens  plus vaste. Aucune Église n’est si riche qu’elle n’ait pas besoin d’un enrichissement de la part des autres Églises, ceci dans la conviction que ce que l’Esprit saint a semé dans les autres communautés chrétiennes est « un don aussi pour nous »[50].

d) La dimension missionnaire : une unité crédible

Au-delà de cette unité provisoire, le regard s’élargit et nous conduit à l’intention spéciale de la prière sacerdotale de Jésus pour l’unité de ses disciples : « Qu’ils soient parfaitement un pour que le monde sache que c’est Toi qui m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé ». Dans cette phrase finale, on voit clairement que l’unité des disciples n’est pas une fin en soi mais qu’elle est au service de la crédibilité de la mission de Jésus Christ et de son Église dans le monde et qu’elle y constitue la condition indispensable d’un témoignage crédible.

Cette finalité de la recherche œcuménique de l’unité avait déjà été illustrée au siècle dernier d’une manière spéciale par la première Conférence pour la mission mondiale à Édimbourg en 1910. Les participants à cette conférence avaient sous les yeux le scandale de la concurrence entre les missions des différentes Églises et Communautés ecclésiales : elle nuisait à une prédication crédible de l’Évangile surtout dans les cultures éloignées car, avec l’Évangile, elles importaient dans ces cultures les divisions européennes de l’Église. Une douloureuse prise de conscience se fit là : l’absence d’unité entre les chrétiens nuisait à la crédibilité du témoignage chrétien dans le monde.

La division du christianisme a représenté l’obstacle le plus important à la mission mondiale. C’est toujours vrai aujourd’hui comme le Pape François le rappelle avec clarté dans sa Lettre apostolique Evangelii Gaudium : « Au vu de l’impact négatif qu’a la division des chrétiens, surtout en Asie et en Afrique, la recherche de voies vers l’unité représente une urgence. Dans ces continents, les missionnaires rapportent sans cesse les critiques, les plaintes et les moqueries que leur valent les divisions entre chrétiens ». De ce fait, pour le Pape François « l’engagement pour une unité qui facilite l’accueil de Jésus Christ, – qui ne soit pas simple diplomatie ou accomplissement contraint de son devoir –, devient une voie indispensable pour l’évangélisation »[51].

Cette urgence œcuménique entraîne que, dans le monde d’aujourd’hui, on ne saurait témoigner avec sérieux de Jésus Christ qu’ensemble, de manière œcuménique, c’est-à-dire que si les Églises chrétiennes surmontent leurs divisions pour vivre dans l’unité d’une diversité réconciliée. L’œcuménisme et la mission sont indissociables. Si la mission consiste essentiellement à rendre témoignage de l’amour de Dieu qu’il nous a révélé en son fils et, à travers ce témoignage, à porter Dieu aux hommes et les hommes à Dieu, alors le cœur de la mission chrétienne doit être l’annonce de Dieu que nous devons réaliser aujourd’hui de façon œcuménique. Le Pape Benoît XVI y a vu la tâche œcuménique la plus urgente d’aujourd’hui : « Notre premier service œcuménique en ce temps doit être de témoigner ensemble de la présence du Dieu vivant et par là de donner au monde la réponse dont il a besoin. »[52].

e)   La dimension du martyre : témoigner de l’unité au prix de sa vie

Les martyrs sont les témoins les plus crédibles de la foi  car ils ont donné leur vie pour elle et ils nous rendent attentifs à la signification du martyre pour l’unité des chrétiens[53]. La question du martyre est d’une exceptionnelle urgence dans le monde d’aujourd’hui où l’on dénombre plus de persécutions des chrétiens que durant les premiers siècles[54]. Aujourd’hui 80% des êtres humains persécutés pour leur foi sont des chrétiens. Dans le monde actuel, la religion chrétienne est la plus persécutée de toutes. Toutes les Églises et Communautés ecclésiales ont leurs martyrs. Aujourd’hui les chrétiens ne sont pas persécutés parce qu’ils sont catholiques ou orthodoxes, protestants ou pentecôtistes, mais parce qu’ils sont chrétiens. Le martyre est aujourd’hui œcuménique et l’on doit parler d’un œcuménisme spécifique des martyrs[55], comme le saint Pape Jean-Paul II l’a déjà souligné en termes pressants, en 1994, dans sa Lettre Apostolique Tertio millennio adveniente : « Au terme du deuxième millénaire, l’Église est devenue à nouveau une Église de martyrs. Les persécutions à l’encontre des croyants — prêtres, religieux et laïcs — ont provoqué d’abon- dantes semailles de martyrs dans différentes parties du monde. Le témoignage rendu au Christ jusqu’au sang est devenu un patrimoine commun aux catholiques, aux orthodoxes, aux anglicans et aux protestants »[56]. Dans son encyclique Ut unum sint de 1995, plaidoyer passionné pour l’œcuménisme, le Pape Jean-Paul II a consacré toute une section à l’œcuménisme des martyrs, soulignant que nous chrétiens, nous avions déjà, « selon un point de vue théocentrique, […] un Martyrologe commun », ce qui nous montre en profondeur « que Dieu entretient chez les baptisés la communion dans l’exigence suprême de la foi, manifestée par le sacrifice de la vie »[57].

Dans l‘œcuménisme des martyrs, Jean-Paul II avait déjà décelé une unité fondamentale entre les chrétiens et exprimé l’espoir, à partir de là, que les martyrs nous aident à trouver la pleine communion. Alors que sur cette terre les chrétiens et les Églises vivent encore dans une communion imparfaite entre eux, dans la gloire céleste, les martyrs vivent déjà en une pleine communion accomplie les uns avec les autres. Le « témoignage courageux de nombreux martyrs de notre siècle, y compris ceux qui sont membres d’autres Églises et d’autres Communautés ecclésiales appartenant à des Églises et à des Communautés ecclésiales qui ne sont pas en pleine communion avec l’Église catholique » atteste, pour Jean-Paul II, « de la manière la plus éloquente que tous les facteurs de division peuvent être dépassés et surmontés dans le don total de soi-même pour la cause de l’Évangile »[58]. Avec l’œcuménisme des martyrs ou, comme le Pape François a coutume de le dire, avec l’œcuménisme du sang, on retrouve la conviction de l’Église ancienne, rapportée par Tertullien, selon laquelle le sang de martyrs est la semence de nouveaux chrétiens. Aujourd’hui aussi, nous pouvons donc espérer que le sang de tant de martyrs en notre temps sera la semence parfaite de l’unité du Corps du Christ.

Dans l’œcuménicité des martyrs, nous trouvons le cœur de toute recherche œcuménique de l’unité de l’Église, comme le Pape François a su l’exprimer en une phrase mémorable : « Si l’ennemi nous unit dans la mort, qui sommes-nous pour nous diviser dans la vie ? »[59]. N’est-il pas honteux, en fait, que les persécuteurs des chrétiens aient une vision plus juste de l’œcuménisme que celle que, nous chrétiens, nous en avons, car ils démontrent que les chrétiens sont profondément unis ? Parce que tant de chrétiens souffrent ensemble dans le monde actuel, l’œcuménisme du sang est même, pour le Pape François, le signe œcuménique « le plus convaincant » d’aujourd’hui[60].

f)   La dimension eschatologique : l’unité dans le Christ qui revient

La sensibilité actuelle envers les martyrs chrétiens et la recherche œcuménique de l'unité sont liées de façon indissoluble : « Les martyrs appartiennent à toutes les Églises et leur souffrance est 'un œcuménisme du sang' qui surmonte les divisions historiques entre les chrétiens et nous appelle tous à promouvoir l'unité visible des disciples du Christ »[61]. Ce n’est pas seulement la responsabilité kairologique que les chrétiens doivent assumer de manière œcuménique. L’œcuménisme des martyrs renvoie aussi et surtout à la dimension eschatologique de l’unité des chrétiens avec laquelle on conçoit la recherche de l’unité à la lumière de l’accomplissement.

Le « Court récit sur l'Antéchrist » de Soloviev offre une vision eschatologique de l'unité des chrétiens, exprimée de façon très provocante. Il contient un double message : d'une part, au moment de la décision finale devant Dieu, on verra que dans toutes les communautés, chez Pierre, Paul et Jean, se trouvent des partisans de l'Antéchrist faisant cause commune avec lui, mais aussi de vrais chrétiens qui restent fidèles au Seigneur jusqu'à son retour. D'autre part, face au Christ qui revient, ceux qui, autour de Pierre, Paul et Jean, sont séparés vont se reconnaître comme frères. Avec ce récit, Soloviev n'a sûrement pas voulu reporter l'unité des disciples jusqu'au dernier jour ou la renvoyer à l'eschatologie. La séparation finale entre les partisans de l'Antéchrist et les fidèles disciples du Christ se fera certainement au jour de la moisson eschatologique. Mais comme la foi chrétienne envisage la vie éternelle comme la vraie vie, la vision de Soloviev nous met au défi, nous chrétiens, de nous rencontrer dès maintenant dans la lumière eschatologique dans laquelle Pierre, Paul et Jean sont inséparablement unis.

La recherche de l'unité des chrétiens demande de vivre dès maintenant à la lumière eschatologique, plus précisément à la lumière du Christ qui revient, bien conscient que la meilleure manière de rechercher l'unité des chrétiens est de vivre selon l'Évangile. Lorsqu'on prend au sérieux la dimension eschatologique de l'unité des  chrétiens, on ne ressent aucune contradiction entre la recherche passionnée de l'unité et la conscience paisible du fait que nous ne pouvons pas la faire par nos propres efforts, comme on le croit souvent aujourd'hui, car on les comprend comme deux faces d'une même réalité. Quand nous voyons l'unité des chrétiens à la lumière de l'accomplissement, nous voyons qu'il nous faut reconnaître le caractère provisoire de nos efforts et ne pas tomber dans la tentation de faire par nous-mêmes ce que seul le Christ qui revient peut faire, et que sur ce chemin nous nous rapprochons les uns des autres. À cette lumière eschatologique, la recherche de l'unité des chrétiens signifie purement et simplement qu’en nous mettant ensemble en marche vers le Christ qui revient, nous nous mettons aussi en marche vers l’unité ; et tout en étant séparés, nous sommes déjà unis dans notre foi commune au Christ : « Plus nous nous rapprochons du Christ en nous convertissant à son amour, plus nous nous rapprochons également les uns des autres »[62].

 

4. Perspectives in via : un chemin commun vers l'unité

La dimension eschatologique de l'unité des chrétiens éclaire d'une lumière neuve la situation œcuménique actuelle et donc la dimension in via qui lui est intrinsèque et qu'on peut décrire au mieux par l'image du chemin, plus précisément encore par l'image des disciples sur le chemin d'Emmaüs. En nous tournant vers cette péricope pascale de l'Évangile de Luc (24,15-35), nous nous demandons ce que cette image peut nous dire au sujet des pas encore à faire sur le chemin de l'unité des chrétiens.

Tout d'abord, il faut prendre au sérieux l'image du chemin. Dans la situation œcuménique actuelle, il est important que chrétiennes et chrétiens, vivant dans diverses Communautés ecclésiales, soient en marche sur le chemin de l'unité et fassent ensemble tout ce qu'ils peuvent faire. Cette perspective tient fortement au cœur du Pape François qui a exprimé ses convictions œcuméniques en des termes concis : « L’unité ne viendra pas comme un miracle à la fin : l’unité vient dans le cheminement, c’est l’Esprit Saint qui la fait dans le cheminement »[63]. Pour le Pape François, il est très important que l'unité croisse en marchant et être ensemble en chemin signifie déjà pratiquer l'unité. Il convient d'approfondir cette perspective aujourd'hui et surtout de la vivre concrètement. Être ensemble sur le même chemin vers l'unité des chrétiens, telle est la première indication que nous offre la profonde histoire du chapitre pascal de Luc.

Le chemin des disciples d'Emmaüs n'est certes pas un voyage à l'aveuglette. Ils sont remplis de tristesse à cause de ce qui s'est passé à Jérusalem et partagent leur trouble entre eux et avec leur compagnon inconnu. Nous en recevons une deuxième indication : l'œcuménisme authentique vit du partage de la vie des autres, de leurs joies et de leurs peines, comme Paul l'a exprimé avec une belle image : « Quand un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ; quand un membre est honoré, tous les autres membres se réjouissent avec lui. Or, vous êtes le Corps du Christ, et chacun de vous pour sa part, est un de ses membres » (1 Co 12,26-27). Cette règle de vie de l'œcuménisme trouve aujourd’hui une pertinence particulière lorsque la persécution des chrétiens atteint un degré inconnu dans l'histoire, comme on l'a déjà fait remarquer. Une solidarité œcuménique particulièrement imprégnée de compassion s'impose donc entre les chrétiens et les Églises chrétiennes.

En échangeant sur leur expérience de la souffrance, les disciples sont à la recherche d'une parole libératrice sur le chemin d’Emmaüs et la reçoivent de leur compagnon de route inconnu qui leur explique l'Écriture. Il ressort de ce texte une troisième indication : les chrétiens se rapprochent les uns des autres quand ils écoutent ensemble la Parole de Dieu et qu'ils échangent à son sujet. Tel est l’appel spécial de la commémoration de la Réforme en 2017. En effet, la Réforme et le schisme qui s'en est suivi au XVIe siècle ont été liés à une interprétation controversée de la Bible et ils ont en quelque sorte atteint  l'Écriture sainte elle-même. C'est pourquoi on ne pourra surmonter la séparation et rétablir l'unité que par la lecture commune de la Sainte Écriture. Plus nous approfondirons le mystère de Jésus Christ et de sa Parole, et plus nous nous retrouverons ensemble.

Les yeux des disciples d'Emmaüs ne se sont cependant ouverts que lorsque le Seigneur a rompu le pain avec eux et fait revivre dans leur cœur un profond désir d'unité. La quatrième indication nous apprend que le cheminement commun des disciplines débouche à la fraction du pain, ce qui indique aussi que la recherche commune de l'unité des chrétiens doit avoir pour but la communion eucharistique.

Après leur rencontre personnelle avec le Seigneur ressuscité, les disciples se remettent en marche : « Ils se levèrent à l'heure même ». Nous trouvons là une cinquième indication littérale : les chrétiens, qui trouvent leur unité dans la rencontre du Christ, ne restent pas confortablement assis, mais ils se lèvent et comme les disciples, ils annoncent ce dont ils ont fait l'expérience, sachant bien que la crédibilité de leur témoignage dépend du fait qu'ils ne le brandissent pas les uns contre les autres ni indépendamment les uns des autres mais ensemble. La communauté œcuménique engagée sur un chemin commun est toujours une communauté de témoignage et de service.

À la lumière de ces cinq indications, la question se pose exhaustivement de la façon dont il faut comprendre l'unité des chrétiens. Nous en trouvons une définition utile dans la description de la communauté primitive à Jérusalem selon les Actes des Apôtres qui dit des premiers chrétiens : « Ils se montraient assidus à l'enseignement des Apôtres, aux réunions communes, à la fraction du pain et aux prières » (Ac 2,42). Trois éléments surtout apparaissent constitutifs pour l'unité de l'Église : l'unité dans la foi, la célébration liturgique et la communion fraternelle. Sur ce fondement biblique, l'unité de l'Église est comprise comme une unité dans la foi, dans les sacrements et dans la vie de communauté avec des témoins  qui ont été appelés et donc aussi dans les ministères de l'Église. Cette conception de l'unité de l'Église qui sert d'orientation à l'Église catholique est également reçue par le mouvement œcuménique. Dans le troisième article de sa constitution, le Conseil œcuménique des Églises exprime comme sa première tâche « de rappeler aux Églises à tendre vers l'unité visible en une seule foi et une seule communauté eucharistique exprimée dans la liturgie et dans la vie commune en Christ, et progresser vers cette unité afin que le monde croie »[64].

Lorsque l'on donne, comme but à l'unité des chrétiens, la communion dans la foi, dans la liturgie, dans le témoignage et le service, on voit que ce but est décrit au mieux comme « la communion la plus complète possible avec des Communions les plus complètes possibles ». Cette description implique un jugement clair, à savoir que la communion existant actuellement au plan œcuménique est à comprendre comme une « communion encore incomplète entre des communions incomplètes à des degrés divers et de différentes manières », si bien que chacune de ces communautés a l'obligation de rechercher la pleine communion et de la mettre en œuvre pour arriver à la pleine communion de toutes les communions[65]. Le cœur de la responsabilité œcuménique se trouve donc dans le souci passionné du rétablissement de cette communion que Paul décrit dans sa salutation aux Philippiens : « Ayez le même amour, une seule âme, un seul sentiment » (Ph 2,2) Parce que cette communion tient tellement à cœur à Jésus, nous avons toute raison de continuer notre cheminement œcuménique en toute sérénité passionnée et en toute passion sereine. Alors nous verrons « la Gloire » que Dieu a donnée au Christ, dont la connaissance est l’aboutissement de toute sa prière sacerdotale : « Afin qu'ils voient ma gloire, la gloire que tu m'as donnée, car tu m'as aimé dès la création du monde » (Jn 17,24).

 

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[1]. Cardinal W. Kasper, Harvesting the Fruits. Basic Aspects of Christian Faith in Ecumenical Dialogue, London – New York, 2009.

[2]. Unitatis Redintegratio 1.

[3]. Cf. K. Koch, „Ut unum sint“: Realität – Hoffnung – Illusion? Zur Rezeption des Ökumenismusdekrets „Unitatis Redintegratio“, in: Trierer Theologische Zeitschrift 124 (2015) pp. 279-302.

[4]. Voies vers la communion n.2, dans Commission internationale catholique-luthérienne, Face à l‘unité. L‘ensemble des textes adoptés (1972-1985), introduits et présentés par Harding Meyer et Hervé Legrand, Paris, 1986, p.141.

[5]. P.-W. Scheele, Ökumene – wohin? Unterschiedliche Konzepte kirchlicher Einheit im Vergleich, in: St. Ley – I. Proft – M. Schulze (Hrsg.), Welt vor Gott. Für George Augustin, Freiburg i. Br. 2016, p. 165.

[6]. Cf. W. Welsch, Unsere postmoderne Moderne, Weinheim, 1987.

[7]. Cf. W. Kasper, La Théologie et l‘Église, 1990, pp. 231 sv.

[8]. Cf. K. Koch, “Glaubensüberzeugung und Toleranz. Interreligiöser Dialog in christlicher Sicht“, in: Zeitschrift für Missionswissenschaft und Religionswissenschaft 92 (2008) 196-210.

[9]. Pour une discussion théologique de cette thèse, voir G. Lohfink, „Jesus und das zerrissene Gottesvolk“, in: Ders., Gegen die Verharmlosung Jesu. Reden über Jesus und die Kirche, Freiburg i. Br., 2013, pp. 156-177.

[10]. E. Käsemann, „Begründet der neutestamentliche Kanon die Einheit der Kirche?“, in: Ders., Exegetische Versuche und Besinnungen. Erster und zweiter Band, Göttingen, 1970, pp. 214-223.

[11]. À juste titre, le Cardinal W. Kasper a rejeté la thèse de Käsemann: „Pour Paul, une telle coexistence d‘Églises confessionnellement différentes et distinctes, vivant côte à côte, dans le pluralisme, serait une idée absolument insoutenable“. Cf. L‘Eglise catholique. Son être, sa réalisation, sa mission, Paris, p. 226.

[12]. Rechtfertigung und Freiheit. 500 Jahre Reformation 2017. Ein Grundlagentext des Rates der Evangelischen Kirche in Deutschland (EKD), Gütersloh, 2014, p. 99.

[13]. V. Leppin und D. Sattler (Hrsg.), Reformation 1517-2017. Ökumenische Perspektiven, Freiburg i. Br. – Göttingen, 2014, p. 20.

[14]. Vgl. D. Sattler, „Einheit und Spaltung der Kirche(n). Thesen zur Ökumene aus (einer) römisch-katholischen Sicht“, in: U. Swarat und Th. Söding (Hrsg.), Heillos gespalten? Segensreich erneuert? 500 Jahre Reformation in der Vielfalt ökumenischer Perspektiven, Freiburg i. Br., 2016, pp. 77-92.

[15]. Cf. H. J. Urban, Art. Methodologie, ökumenische, in: W. Thönissen (Hrsg.), Lexikon der Ökumene und Konfessionskunde, Freiburg i. Br., 2007, pp. 871-873.

[16]. U. H. J. Körtner, Wohin steuert die Ökumene? Vom Konsens- zum Differenzmodell, Göttingen, 2005.

[17]. W. Huber, Im Geist der Freiheit. Für eine Ökumene der Profile, Freiburg i. Br., 2007.

[18]. Cf. G. Hintzen / W. Thönissen, Kirchengemeinschaft möglich. Einheitsverständnis und Einheitskonzepte in der Diskussion, Paderborn 2001; F. W. Graf / D. Korsch (Hrsg.), Jenseits der Einheit. Protestantische Ansichten der Ökumene, Hannover, 2001.

[19]. Cf. K. Koch, „Auf dem Weg zur Kirchengemeinschaft. Welche Chance hat eine gemeinsame Erklärung zu Kirche, Eucharistie und Amt?“ in: Catholica 69 (2015) pp. 77-94.

[20]. L’Église – Vers une vision commune. Étude de la Commission Foi et Constitution du Conseil œcuménique des Églises.

[21]. W. Kasper, „Ökumene zwischen Ost und West. Stand und Perspektiven des Dialogs mit den orthodoxen Kirchen“, in: Stimmen der Zeit 128 (2003) p. 157.

[22]. Lumen Gentium 23.

[23]. Lumen Gentium 26.

[24].  Benoît XVI, Lumière du monde. Le pape, l‘Église et les signes des temps. Un entretien avec Peter Seewald, Paris, 2011, p. 130.

[25]. M. Luther, WA 50, 625.

[26]. Cf. H. Meyer, „Zur Entstehung und Bedeutung des Konzeptes „Kirchengemeinschaft“. Eine historische Skizze aus evangelischer Sicht“, in: J. Schreiner / K. Wittstadt (Hrsg.), Communio Sanctorum. Einheit der Christen – Einheit der Kirche, Würzburg, 1988, pp. 204-230.

[27]. W. Hüffmeier, „Kirchliche Einheit als Kirchen-gemeinschaft – Das Leuenberger Modell“, in: F. W. Graf – D. Korsch (Hrsg.), Jenseits der Einheit. Protestantische Ansichten der Ökumene, Hannover, 2001, p. 54.

[28]. Cf. U. H. J. Körtner, „Die Leuenberger Konkordie als ökumenisches Modell“, in: M. Bünker / B. Jaeger (Hrsg.), 40 Jahre Leuenberger Konkordie. Dokumentationsband zum Jubiläumsjahr 2013 der Gemeinschaft Evangelischer Kirchen in Europa, Wien, 2014, pp. 203-226.

[29]. Pour une approche critique, voir K. Koch, „Kirchengemeinschaft oder Einheit der Kirche? Zum Ringen um eine angemessene Zielvorstellung der Ökumene“, in: P. Walter u. a. (Hrsg.), Kirche in ökumenischer Perspektive. Festschrift für Kardinal Walter Kasper, Freiburg i. Br., 2003, pp. 135-162.

[30]. Benoît XVI, Homélie aux vêpres de clôture de la Semaine de prière pour l‘unité des chrétiens à la Basilique Saint-Paul- hors- les- Murs (25 janvier 2011).

[31]. P. Neuner / B. Kleinschwärzer-Meister, „Ein neues Miteinander der christlichen Kirchen. Auf dem Weg zum ökumenischen Kirchentag in Berlin 2003“, in: Stimmen der Zeit 128 (2003) p. 373.

[32]. B. Farrell, Der Päpstliche Rat zur Förderung der Einheit der Christen im Jahre 2003, in: Catholica 58 (2004) p. 97.

[33]. Cf. M. Eckholt, „Pentekostalismus: Eine neue ‚Grundform‘ des Christseins. Eine theologische Orientierung zum Verhältnis von Spiritualität und Gesellschaft“, in: T. Kessler / A.-P. Rethmann (Hrsg.), Pentekostalismus. Die Pfingstbewegung als Anfrage an Theologie und Kirche = Weltkirche und Mission. Band 1, Regensburg, 2012, p. 202.

[34]. Ch. Markschies, „Neue Chance für die Ökumene?“ in: Nach der Glaubensspaltung. Zur Zukunft des Christentums, in: Herder Korrespondenz Spezial ,Freiburg i. Br., 2016, p . 20.

[35]. Cf. Cardinal K. Koch, „Innere Reform und Umkehr als Voraussetzung von Ökumene“, in: E. Dieckmann – K. Kardinal Lehmann (Hrsg.), Blick zurück nach vorn. Das Zweite Vatikanum aus der Perspektive der multilateralen Ökumene, Würzburg, 2016, pp.161-186.

[36]. Cf. Cardinal K. Koch, „Christliche Ökumene im Licht des Betens Jesu. ‚Jesus von Nazareth‘ und die ökumenische Sendung“, in: J.-H. Tück (Hrsg.), Passion aus Liebe. Das Jesus-Buch des Papstes in der Diskussion, Mainz, 2011, pp. 19-36.

[37]. François, Discours aux participants à la Journée œcuménique organisée par la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique (24 janvier 2015) .

[38]. Benoît XVI, Homélie à Saint-Paul-hors-les-murs pour la conclusion de la Semaine de prière pour l‘unité des chrétiens (25 Janvier 2008).

[39]. François, Discours à la Délégation du Patriarcat œcuménique de Constantinople (28 juin 2013).

[40]. Unitatis Redintegratio 8.

[41]. Benoît XVI, Homélie dans l‘ancien couvent des Augustins d‘Erfurt (23 Septembre 2011).

[42]. J. Ratzinger – Benoît XVI, Jésus de Nazareth. De l‘entrée à Jérusalem à la Résurrection, Paris, 2011, spécialement pp. 109-119.

[43]. Ibid., p. 118.

[44]. Ibid., p.118-119.

[45]. Ibid., p. 119.

[46]. Unitatis Redintegratio 3.

[47]. Unitatis Redintegratio 22.

[48]. Lumen Gentium 4.

[49]. Benoît XVI, Homélie pour la clôture de la Semaine de prière pour l‘unité des chrétiens (25 janvier 2006).

[50]. François, Evangelii Gaudium 246.

[51]. François, Evangelii Gaudium 246.

[52]. Benoît XVI, Homélie dans l‘ancien couvent des Augustins Erfurt (23. Septembre 2011).

[53]. Cf. P.-W. Scheele, Zum Zeugnis berufen. Theologie des Martyriums, Würzburg, 2008; E. Schockenhoff, Entschiedenheit und Widerstand. Das Lebenszeugnis der Märtyrer, Freiburg i. Br., 2015.

[54]. Cf. H. Moll, Martyrium und Wahrheit. Zeugen Christi im 20. Jahrhundert, Weilheim-Bierbronnen, 2009; A. Riccardi, Ils sont morts pour leur foi. La persécution des chrétiens au XXe siècle, Paris, 1999.

[55]. Cf. Cardinal W. Kasper, Ökumene der Märtyrer. Theologie und Spiritualität des Martyriums,Norderstedt, 2014; R. Prokschi / J. Marte (Hrsg.), Europa, vergiss Deine Märtyrer nicht! Aus jüdischer und christlicher Sicht, Klagenfurt 2006 ; Cardinal K. Koch, Christenverfolgung und Ökumene der Märtyrer. Eine biblische Besinnung, Norderstedt, 2016.

[56]. Jean-Paul II, Tertio millennio adveniente 37.

[57]. Jean-Paul II, Ut unum sint 84.

[58]. Jean-Paul II, Ut unum sint 1.

[59]. François, Discours au mouvement du renouveau charismatique (3 juillet 2015).

[60]. François, Message à l‘occasion du Forum Chrétien Global (1 novembre 2015).

[61]. Déclaration commune de Sa Sainteté François et de Sa Sainteté Karékine II à Etchmiadzine (République arménienne), le 26 juin 2016.

[62]. Benoît XVI, Audience générale du 17 janvier 2007.

[63]. François, Homélie aux vêpres de la fête de la Conversion de l’Apôtre Paul (25 janvier 2014).

[64]. Nairobi 1975. Rapport officiel de la cinquième Assemblée du Conseil œcuménique des Églises, Paris, 1976, p. 419.

[65]. P.-W. Scheele, “Ökumene wohin? Unterschiedliche Konzepte kirchlicher Einheit im Vergleich“, in: St. Ley – I. Proft – M. Schulze (Hrsg.), Welt vor Gott. Für George Augustin, Freiburg i. Br., 2016, p. 174.