COMMENTAIRE DU RAPPORT

« L’APPEL À LA SAINTETÉ : DE GLOIRE EN GLOIRE »

 

Mgr John A. Radano*

 

Ce rapport de la dixième phase du dialogue international méthodiste-catholique est magnifique et disposé de façon logique. Il débute et s’achève par un passage de l’Écriture. Pris ensemble, ces deux passages révèlent l’ample perspective du thème choisi, à savoir que Dieu appelle à la sainteté tant les individus que les communautés. Au début du rapport, dans le commentaire sur le passage de Lc 19, 1-10, l’histoire de la rencontre entre Jésus et Zachée est présentée comme « le récit d’une grâce de Dieu et d’un appel à la sainteté » s’adressant à un individu. Zachée « est introduit dans un rapport salvifique avec le Seigneur » (par. 1)[1]. Ce récit souligne « l’œuvre de la grâce divine et son puissant effet salvifique » sur l’individu (par. 2). À la fin du rapport est cité le passage d’Éphésiens 1, 10-11 où Paul « réfléchit sur les thèmes de la grâce et de la sainteté à la lumière de l’histoire du salut. Par la grâce, Dieu a donné au genre humain la possibilité d’atteindre le salut. Avant la fondation du monde, Dieu a choisi un peuple, en Christ, pour qu’il soit ‘saint et irréprochable sous son regard’ » (par. 1). Ici, l’élection dans le Christ est collective plutôt qu’individuelle : « Dieu choisit éternellement un peuple en Christ (c’est-à-dire l’Église) pour qu’il soit saint et irréprochable sous son regard au jour du jugement dernier et qu’il participe ainsi à la pleine bénédiction des temps à venir » (par. 3).  

 

Thème et centre d’intérêt

Bien entendu, le thème de la sainteté a des racines profondes dans la vie des deux communautés. Pour les catholiques, cette idée fait écho aux enseignements du Concile Vatican II sur « la vocation universelle à la sainteté dans l’Église » (Lumen gentium, chap. 5). Pour les méthodistes, elle est conforme à la mission historique du méthodisme, qui est de « répandre la sainteté de l’Écriture dans le monde entier » (2). En abordant le thème de la sainteté, ce dialogue revient sur une question qui est depuis longtemps l’un de ses principaux centres d’intérêt. Dès 1976, le rapport de la deuxième phase du dialogue affirmait qu’« il a été reconnu depuis le début de notre dialogue que parmi ‘les fondements les plus solides d’une affinité’ entre nos deux traditions, le tout premier était la ‘place centrale occupée dans la plupart de nos traditions par l’idéal de la sanctification personnelle et de la croissance dans la sainteté en Christ dans la vie de tous les jours’ »[2].

Comme centre d’intérêt, L’appel à la sainteté a choisi d’examiner la façon dont catholiques et méthodistes conçoivent la nature de la grâce de Dieu, ses effets sur les hommes, et ses implications pour la vie chrétienne. Dans ce but, « il examine la grâce et la sainteté non seulement comme concepts théologiques, mais aussi à la lumière de la place centrale qu’elles occupent dans la vie chrétienne. Car le Dieu de grâce appelle les hommes à la sainteté de vie dans un rapport de communion et d’amour (koinonia) avec la sainte Trinité, et les uns avec les autres » (4).

Une caractéristique attachante de cette présentation – que l’on retrouve tout au long du rapport – est l’accent mis sur l’Église en marche. « La sainteté de vie, pour les chrétiens, consiste fondamentalement à marcher avec le Christ ressuscité » (93). « La sainteté de l’Église est celle d’un peuple en marche, en pèlerinage : c’est donc à la fois une réalité présente, puisque le Christ ressuscité marche avec nous, et la promesse d’une sainteté future vers laquelle les disciples avancent pas à pas » (96). « L’idée de cheminement est au cœur de tous les aspects de l’Église et de la vie chrétienne » (100). En réfléchissant sur la mort sainte, au chapitre trois, le rapport dit : « Une vie sainte arrive à sa conclusion naturelle à l’heure de la mort, terme du voyage des pèlerins sur terre » (132). La discussion sur « les saints au ciel », au chapitre quatre, commence par ces mots : « En tant qu’amis et disciples du Christ, les chrétiens cheminent ensemble en pèlerins vers la promesse de la vie éternelle, en compagnie des saints debout devant le trône (Ap 7,9) » (139).

 

Structure du rapport

Parmi les fondements théologiques de ce rapport, trois méritent tout particulièrement d’être signalés. Le premier est la mission trinitaire dans l’histoire du salut, telle qu’elle est rapportée dans l’Écriture et dans la tradition. Le deuxième est la Déclaration méthodiste d’association (2006) à la Déclaration commune sur la Doctrine de la Justification entre l’Église catholique romaine et la Fédération luthérienne mondiale (AMDCDJ 2006/1999)[3]. Le troisième est la participation commune des chrétiens au mystère pascal de la mort et de la résurrection de Jésus Christ. En ce qui concerne le premier et le troisième points sur lesquels un accord substantiel existe déjà entre les chrétiens, le lecteur est renvoyé aux conclusions des précédents rapports de ce dialogue (6). Quant au deuxième, la AMDCDJ confirme la réception de la part des méthodistes de la grande avancée œcuménique accomplie par le dialogue luthérien-catholique sur la doctrine de la justification, en montrant ainsi que le dialogue bilatéral méthodiste-catholique a été influencé positivement par un autre dialogue bilatéral, celui entre luthériens et catholiques, et qu’il s’associe à cette avancée en la faisant sienne.

Ce rapport est divisé en trois parties et comprend cinq chapitres. La première partie, qui comprend les chapitres un et deux, énonce « une anthropologie et une vision chrétiennes communes de la nature de la grâce de Dieu, de ses effets sur l’homme, et de la sainteté » (7). Le chapitre un, « Le mystère de l’homme », formule une anthropologie chrétienne qui servira de base théologique pour les chapitres suivants. Il examine la création de l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu, les effets de la chute sur le genre humain et sur la création, le désir de réconciliation, et la personne de Jésus Christ comme pleine mesure de l’homme (8). Le chapitre deux, « L’œuvre divine de re-création de l’humanité », décrit l’œuvre salvifique du Christ et l’œuvre de l’Esprit Saint comme médiateur de la grâce divine, présentée sous trois aspects : la « grâce qui habilite », la « grâce qui justifie », et la « grâce qui sanctifie » (9).

La deuxième partie, qui comprend les chapitres trois et quatre, part de cette vision partagée de la grâce et de la sainteté pour approfondir quelques éléments particuliers de la sainteté de vie dans la communion des saints (7). On y explique que « de même que l’anthropologie chrétienne conduit à la sotériologie, les considérations sur l’œuvre salvifique du Christ sont inséparables de l’ecclésiologie, puisque l’expérience de la grâce et l’expérience de la sainteté sont toujours orientées vers la création de rapports dans l’Église et vers la transformation du monde ». La communion des saints comprend ceux qui sont sur la terre et ceux qui sont au ciel. Le chapitre trois, « Le saint peuple de Dieu : les saints ici-bas », examine les effets de la grâce au niveau personnel et ecclésial, et ce que signifie être appelé par Dieu à la sainteté de vie dans l’Église et dans le monde. « Dans ce chapitre l’Église en marche est décrite comme une ‘maison de la grâce’, et la sainteté de vie est considérée par rapport aux sacrements, au témoignage de l’Évangile, aux pratiques dévotionnelles et au service dans le monde » (10). Et puisque les vivants et les morts « sont unis dans l’amour et dans la louange dans la maison de la grâce », le chapitre quatre, « Le saint peuple de Dieu : les saints au ciel », examine les effets eschatologiques de la grâce et ce que cela signifie pour une communion des saints qui transcende la mort. Ce chapitre aborde en outre quelques questions connexes telles que la mort et l’espérance de la résurrection, le jugement dernier, la purification et la croissance dans la grâce après la mort, la prière pour les saints défunts, l’intercession des saints défunts et de Marie, le retour du Seigneur, les représentations du salut final et l’accomplissement du projet et du propos de Dieu pour l’humanité dans un ciel nouveau et une terre nouvelle (11).

La troisième partie, qui comprend le chapitre cinq, présente une synthèse des convergences et des divergences dégagées dans ce rapport, tout en s’interrogeant sur ce qu’il faut faire pour que les fruits de ce dialogue aient un effet transformant sur les communautés méthodistes et catholiques (7). Le chapitre cinq, « Grandir ensemble dans la sainteté : ouvertures pour un témoignage, une dévotion et un service communs », met l’accent sur le lien étroit qui existe entre sainteté et unité. « En soi, le travail de réconciliation entre nos deux communions mondiales est déjà une réponse inspirée par l’Esprit Saint à l’appel à la sainteté » (12).

 

L'appel à la sainteté et la quête d’unité

Une caractéristique importante de ce rapport est le lien étroit qu’il établit entre sainteté et unité des chrétiens. D’emblée, il affirme que « l’appel à la sainteté est aussi un appel à l’unité au sein de l’Église, qui est le corps du Christ. Jésus a prié pour que ses disciples soient sanctifiés dans la vérité et pour qu’ils soient un » (Jn 17, 17- 21). Sainteté et unité entre tous les chrétiens vont de pair comme deux aspects d’un même rapport avec la Trinité, de telle sorte que la poursuite de l’une implique la poursuite de l’autre » (5).

Le chapitre cinq poursuit la réflexion sur sainteté et unité en constatant que « c’est précisément en raison du rapport étroit qui existe entre sainteté et unité que d’une part, nos deux communions mondiales ont décidé d’entrer en dialogue à l’origine, et que d’autre part elles ont choisi de traiter ce thème dans le présent rapport ». À l’instar de Cléophas et de son compagnon sur le chemin d’Emmaüs, ensemble méthodistes et catholiques « parcourent le même chemin, s’efforcent de suivre fidèlement le même Seigneur, désirent être guidés par le même Esprit, et aspirent à vivre leur identité d’enfants du même père. En nous appelant à la sainteté, Dieu Trinité nous appelle aussi à l’unité » (168).

La réflexion sur ce thème est aussi une occasion pour mentionner quelques-uns des résultats obtenus par le dialogue dans sa quête d’unité. Au cours des dix phases de dialogue, les membres de la commission « ont découvert maintes convergences plus larges que celles anticipées. Le consensus entre catholiques et méthodistes sur les fondements trinitaire et christologique de la foi, ainsi que les convergences sur beaucoup d’autres aspects… » font que nous avons beaucoup de raisons de nous réjouir (169). Dans la phase actuelle, nous « nous sommes découvert un terrain commun sur notre vision de l’homme créé par et pour Dieu ; sur notre conception de la grâce divine qui habilite, justifie et sanctifie une humanité faillible, en faisant de nous des enfants de Dieu, capables de témoigner et de participer à l’action salvifique de Dieu dans le monde ; sur le fait que les chrétiens sont appelés à vivre la sainteté de vie dans l’Église et dans le monde, et sur notre espérance partagée dans la vie avec Dieu après la mort » (170).

Mais ils admettent aussi l’existence de différences persistantes entre méthodistes et catholiques qui les empêchent d’être en pleine communion, et sur lesquelles un travail ultérieur sera nécessaire (170). Alors que le but de ce dialogue demeure la pleine communion dans la foi, dans la mission et dans la vie sacramentelle (171), le dialogue a amené méthodistes et catholiques à regarder leurs Églises comme étant « dans un rapport de communion réelle, quoique incomplète et imparfaite » (172). Outre les divergences persistantes non encore résolues, il existe un autre obstacle que ce dialogue, comme les autres dialogues, doit surmonter pour arriver à la pleine communion, qui est le suivant : les rapports des dialogues ne sont pas suffisamment connus des méthodistes et des catholiques, en sorte que les consensus et les convergences qui y sont enregistrés n’ont pas eu l’effet transformant espéré sur leurs rapports mutuels. Pour pouvoir produire un tel effet, les acquis du dialogue doivent être reçus par nos communautés (173). De plus, il existe de grandes différences dans les relations entre méthodistes et catholiques selon les diverses régions du monde où ils se trouvent. En certains endroits ces relations sont cordiales ; ailleurs, elles sont marquées par la suspicion. Cependant, en se fondant sur son expérience de dialogue et de rencontre mutuelle, la commission est persuadée que partout dans le monde ces relations peuvent être renforcées (174). Du fait que les Églises ont agi séparément pendant si longtemps, des résistances apparaissent quand on cherche à obtenir d’elles qu’elles agissent ensemble en vue d’un témoignage commun et d’une mission partagée (175). Malgré tous ces obstacles, « nos lecteurs sont invités à réfléchir sur les rapports qui existent entre sainteté et unité, en mettant en relation la recherche de sainteté et les efforts de réconciliation entre nos deux communions, fondés sur leur compréhension commune de ce qui les unit » (176). « S’engager dans ce travail de réconciliation fait partie intégrante du chemin de sainteté voulu par le Dieu Très Saint. L’Esprit Saint nous guide dans ce parcours, et le Seigneur ressuscité nous accompagne alors que nous marchons ensemble » (178).

 

Aperçu général sur ce rapport

S’il est vrai que ce rapport présente beaucoup de consensus et de convergences, il fait état aussi de divergences, de différences, et de questions restées en suspens.

Le chapitre un, « Le mystère de l’homme : créé par Dieu et re-créé dans le Christ pour être en communion avec Dieu », énonce une anthropologie chrétienne commune. Les hommes sont créés à l’image de Dieu pour être en rapport avec Dieu, les uns avec les autres, et avec la création. Les hommes, constitués d’un corps et d’une âme, sont constitués aussi avec la liberté d’accepter ou non la communion avec Dieu. Le « péché originel, librement commis par les premiers parents de l’espèce humaine » découle d’un abus de cette liberté (27). « Ce premier péché a eu pour effet que le monde est désormais marqué par le péché » (28). L’éloignement de Dieu et la réalité du péché, dévoilés par la révélation divine, résonnent dans l’expérience humaine.

Néanmoins, Dieu n’a pas abandonné les hommes après la chute, et l’amour de Dieu pour ses créatures déchues se manifeste concrètement dans l’histoire du salut. L’incarnation du Verbe éternel et l’envoi de l’Esprit Saint ont mis fin à l’éloignement vis-à-vis de Dieu, de la création, et d’eux-mêmes, dont les hommes souffraient depuis la chute. Le Christ, Nouvel Adam, révèle pleinement le mystère de l’homme. « Ensemble, le mystère de la création et le mystère de la rédemption sont les justes fondements d’une compréhension authentique de l’humain » (35).

Être recréé à l’image du Christ a une orientation eschatologique. Le drame de l’existence humaine se déroule dans l’histoire entre le moment de la création et celui de sa consumation finale. « Le sens profond de la situation existentielle présente de l’humanité ne peut être trouvé qu’en Christ. Le Christ est celui qui donne à l’image de Dieu en l’homme sa forme véritable et définitive » (39). « En Christ la vie humaine prend un sens nouveau et plus profond : toute la création est restaurée » (41).

Ce chapitre est présenté comme un récit partagé de la création de l’homme à l’image de Dieu, dans lequel aucune différence significative n’apparaît entre méthodistes et catholiques.

Au chapitre deux, « L’œuvre divine de re-création de l’humanité » est considérée à la lumière du mystère pascal de la mort et de la résurrection du Christ. On y trouve d’abord un court résumé sur la grâce de Dieu dans la personne et dans l’œuvre du Christ et de l’Esprit Saint, suivi d’une réflexion sur la nature et sur les effets de la grâce divine, tant au niveau personnel que communautaire. Ce chapitre se conclut par un approfondissement sur deux questions qui ont opposé catholiques et protestants : le mérite découlant des œuvres de miséricorde et de piété, et s’il est approprié de parler d’une « assurance du salut ».

En se penchant d’abord sur « la grâce de Dieu en Jésus Christ », le rapport remarque que catholiques et méthodistes définissent la grâce en termes similaires, comme une faveur, un don gratuit de Dieu, une aide aux hommes pour qu’ils puissent répondre à son appel à devenir ses enfants. « Loin d’être une idée abstraite, la grâce de Dieu est l’amour salvifique révélé dans la personne et dans l’œuvre de Jésus Christ » (46). Cependant « le plan de salut de Dieu par Jésus Christ ne s’étend pas seulement au genre humain, mais à toute la création » (48). Et l’Écriture montre aussi que l’Esprit Saint est constamment présent et agissant dans la personne et dans l’œuvre de Jésus Christ (49), comme il est aussi présent et agissant dans l’Église au cours des siècles ( 51). « L’Esprit Saint est ‘l’Esprit de la grâce’ » (He 10,29) qui rend la grâce du Christ présente et agissante, et qui guide les hommes vers un approfondissement de leur rapport de communion et d’amour avec Dieu et avec leur prochain » (51). Tous les dons de l’Esprit Saint sont des dons de la grâce, sous une forme ou une autre, destinés au bien commun de l’Église. Même si ce rapport n’avait pas pour but de formuler une ecclésiologie commune, à la lumière de ce qui est dit aux n. 49-51 à propos de l’Esprit Saint, on pourrait ajouter à la suite de ces paragraphes une phrase disant que l’Église est le corps du Christ (64) et le temple de l’Esprit Saint.  

La grâce est définie d’après ses trois caractéristiques : la grâce qui habilite, la grâce qui justifie, et la grâce qui sanctifie. À propos de la grâce qui habilite, catholiques et méthodistes « confessent ensemble que tous les hommes dépendent entièrement de la grâce salvifique de Dieu pour leur salut » (DCDJ, 19). La grâce qui habilite signifie que c’est uniquement par la grâce de Dieu que l’homme devient capable de répondre au salut qui lui est offert par Jésus Christ (54) ; mais elle ne supprime pas la nécessité d’une réponse libre de l’homme à l’initiative de salut de Dieu. « Ensemble, catholiques et méthodistes rejettent l’idée d’un salut universel qui signifierait que tous sont sauvés, qu’ils y consentent librement ou non » (55).

Cette réflexion sur la grâce qui justifie nous rappelle que l’une des principales controverses de la Réforme portait sur la doctrine de la justification. La Déclaration commune sur la Doctrine de la justification entre luthériens et catholiques (1999) à laquelle les méthodistes se sont associés (2006), qui a résolu ce conflit et qui est à la base de cette réflexion, est citée à plusieurs reprises dans le rapport. Il cite en particulier la phrase qui est au cœur de la DCDJ (15) : « C’est seulement par la grâce au moyen de la foi en l’action salvifique du Christ, et non sur la base de notre mérite, que nous sommes acceptés par Dieu et que nous recevons l’Esprit Saint qui renouvelle nos cœurs, nous habite et nous appelle à accomplir des œuvres bonnes » (59). La grâce de la justification re-crée l’homme, même si cet état de grâce n’est pas nécessairement permanent. Il est toujours possible que le justifié s’éloigne de la grâce. Mais même alors, la grâce de Dieu fait qu’il peut se repentir et recevoir à nouveau la grâce qui justifie (63).

La grâce qui sanctifie comporte un processus de sanctification, ou chemin de sainteté, par l’approfondissement du rapport avec le Christ dans son corps qu’est l’Église (64). La grâce qui sanctifie n’est pas seulement intérieure à l’âme humaine ; elle implique aussi un engagement à vivre la sainteté de vie dans toutes les sphères de la vie humaine. Citant la DCDJ 37, catholiques et méthodistes confessent ensemble que les œuvres bonnes de miséricorde et de piété sont le fruit de la justification et une obligation de la sainteté de vie. Comme telles, elles appartiennent à la victoire de Dieu sur le péché et sur la mort. La sainteté de vie en elle-même conduit à une croissance dans la grâce sanctifiante (65).

Ces trois caractéristiques de la grâce sont trois aspects de l’amour salvifique de Dieu et de l’appel à la sainteté (68). En tant qu’agent et instrument de l’appel à la sainteté choisis par Dieu, l’Église sur terre est essentiellement missionnaire, orientée vers la transformation de toutes choses dans la nouvelle création en Christ (72). Les chrétiens sont appelés à la perfection dans l’amour et dans la sainteté. Tout en reconnaissant que la perfection absolue appartient à Dieu seul, catholiques et méthodistes s’accordent à dire que « la sanctification est un processus qui conduit à l’amour parfait » (Honolulu 18) à mesure que les chrétiens grandissent dans la grâce et se vouent à l’amour de Dieu et de leur prochain. Bien qu’ayant une approche différente de la perfection chrétienne, il existe entre eux un accord substantiel. À la lumière de ce qui est dit aux n. 73-77, la première phrase du n. 75 (« bien que les termes de ‘perfection chrétienne’ et de ‘sanctification totale’ ne soient pas aussi courants dans la théologie catholique ») aurait pu être supprimée pour éviter les malentendus.

Le rapport aborde ensuite un point de divergence entre méthodistes et catholiques. Alors qu’ils s’accordent à dire que seule la grâce peut conduire l’homme à l’état final de perfection dans l’amour et dans la sainteté, historiquement ils ont interprété différemment la façon dont cet état final de perfection est atteint. Pour les catholiques, il l’est à travers une expérience de purification après la mort appelée traditionnellement purgatoire. Tout en prenant au sérieux les passages de l’Écriture qui suggèrent un processus de purification des effets du péché, les méthodistes n’acceptent pas la doctrine catholique du purgatoire telle qu’elle a été interprétée et rejetée par les réformateurs (77). Cette divergence de vues sera étudiée au chapitre quatre.

Ce qui nous amène à un autre point qui, depuis le temps de la Réforme, a fait l’objet de controverses entre catholiques et protestants, à savoir la question des bonnes œuvres et du mérite. Cependant, la DCDJ (15) a apporté la réconciliation sur ce point. Les bonnes œuvres de miséricorde et de piété dans la vie chrétienne ne contribuent pas à la justification, mais en sont les fruits. Mais un désaccord subsiste encore entre catholiques et méthodistes sur « la possibilité que les mérites découlant des bonnes œuvres des chrétiens puissent contribuer à la sanctification d’autrui ». Les uns et les autres explicitent leur position à ce sujet. L’explication catholique consiste dans une discussion sur les indulgences (83). Une certaine convergence est constatée puisque, en un certain sens, « les méthodistes reconnaissent que les bonnes œuvres de piété peuvent bénéficier à certaines personnes en particulier » (85) et que « certains méthodistes reconnaissent même que les prières des saints défunts et les prières des saints sur terre peuvent aussi être mutuellement bénéfiques pour leur salut, quoique par des moyens qui ne peuvent pas être identifiées précisément » (86). Une réflexion théologique plus approfondie sur les implications des liens d’amour dans la communion des saints « pourrait mener à une plus grande convergence entre catholiques et méthodistes sur la possibilité d’un ‘échange’ dans lequel la sainteté des uns profite aux autres » (86).

Le chapitre deux se termine par une discussion sur « l’assurance de la foi et le salut ». En se référant une fois encore à la DCDJ (34), le rapport constate que les différentes façons de parler de l’« assurance du salut » ne sont en fait qu’une différence d’accentuation « qui ne constitue pas un désaccord substantiel entre catholiques et méthodistes sur la nature de l’assurance chrétienne » (90). Afin d’éviter tout malentendu, la première phrase du n. 91 : « Pour les catholiques, avoir la foi c’est avoir confiance en Dieu » pourrait être légèrement modifiée comme suit : « Pour les catholiques, un aspect très important de la foi en Dieu est la confiance en lui ».

Après avoir traité d’abord de la création, puis de la rédemption, le rapport aborde au chapitre trois la sainteté et l’Église : « Le saint peuple de Dieu : les saints ici-bas ». Réfléchissant d’abord sur l’Église comme « peuple saint », il décrit l’Église en pèlerinage. « La sainteté de l’Église est celle d’un peuple en marche, en pèlerinage : c’est donc à la fois une réalité présente, puisque le Christ ressuscité marche avec nous, et la promesse d’une sainteté future vers laquelle les disciples avancent pas à pas » (96). La question du péché y est abordée d’emblée. « Dans ce cheminement, l’Église est encore marquée par les péchés et les manquements de ses membres, et pourtant elle est indéniablement orientée vers son accomplissement futur en Dieu » (96). L’idée de cheminement est au cœur de tous les aspects de l’Église et de la vie chrétienne (100).

C’est à la lumière de cette orientation eschatologique de la vie ecclésiale que sont abordées diverses questions qui nous ont divisés dans le passé, comme celle de savoir si l’Église est elle-même pécheresse. Les catholiques affirment que « l’Église, en tant que réalité eschatologique présente dans le monde, est sans péché, même si ses membres peuvent être des pécheurs » (97). Les méthodistes affirment la sainteté de l’Église, mais « soulignent que les structures ecclésiales elles-mêmes peuvent être contaminées par le péché. La réticence des méthodistes à affirmer que l’Église est sans péché vient de leur sensibilité aux risques inhérents à une telle proposition, qui peut conduire à l’incapacité pour l’Église de se repentir et de se réformer lorsqu’elle est touchée par le péché. La sainteté ne doit jamais être vue comme un fait acquis ou comme une qualité indiscutable de l’Église, mais comme un acte de Dieu et un don gratuit » (98). Sans pour autant s’exclure mutuellement, ces accentuations différentes ont des implications sur la façon dont méthodistes et catholiques parlent de l’Église, de ses formes institutionnelles, de la possibilité d’un discernement qui fasse autorité et des limites éventuelles d’un tel discernement. Ces implications ne sont pas négligeables, puisqu’elles sont à l’origine de divergences ou de divisions persistantes entre les chrétiens, notamment en ce qui concerne le rapport entre l’Église « visible » (sa réalité historique, institutionnelle) et l’Église « invisible » (sa réalité spirituelle dans le Christ) (99).

Il est important que méthodistes et catholiques puissent déclarer ensemble que l’Église est un moyen de grâce, « un moyen de grâce sacramentel et missionnaire pour le monde » (104). Cette affirmation est suivie de plusieurs paragraphes où sont examinées les pratiques ecclésiales qui nourrissent la sainteté de vie et la mission du peuple de Dieu en marche. Ces pratiques comprennent la célébration des sacrements, la réflexion commune sur les questions de justice sociale et les questions éthiques, les dévotions personnelles et publiques, l’approche aux mourants et à la mort, terme du pèlerinage des chrétiens sur la terre (104).

L’Église y est décrite comme « la maison de la grâce » (101, 105-115). « Les chrétiens rencontrent le Christ dans l’Église par des moyens compatibles avec leur nature humaine d’êtres incarnés et sociaux ». Dans cette perspective, le rapport développe l’idée de « la maison de la grâce : sainteté de vie et sacrements » (105-115). L’économie du salut est sacramentelle par nature ; Dieu utilise certaines expériences sensorielles (vue, ouïe, toucher, odorat, goût) pour nous communiquer sa grâce de façon certaine… Les liturgies et les pratiques de culte, et tout spécialement la célébration des sacrements et la prédication, sont des moyens ecclésiaux publics pour nourrir la sainteté de vie dans le monde. La discussion qui suit sur les sacrements souligne leur importance pour la sainteté. Les terrains d’entente sont nombreux, par exemple sur le baptême, ainsi que les convergences ; mais il y a aussi des différences dans les croyances respectives, notamment au sujet de la Cène du Seigneur/Eucharistie, la façon de concevoir les sacrements de l’initiation, et le nombre des sacrements. Une différence qu’il faut mentionner ici a trait au rapport entre Eucharistie et Ordination sacramentelle, compte tenu aussi du fait qu’il n’y a pas accord entre catholiques et méthodistes sur le nombre de sacrements.

À côté des sacrements, il existe beaucoup d’autres pratiques constitutives de la sainteté de vie dans et pour le monde, telles que la lecture et l’étude de l’Écriture (116-118) ou le témoignage de l’Évangile au moyen d’un engagement actif dans le monde au service du royaume de Dieu (121), profondément ancrées dans la pratique de la prière (122).

Ici aussi, il subsiste entre méthodistes et catholiques des zones d’incompréhension et de divergences et des domaines où un approfondissement du dialogue paraît nécessaire (123). Les méthodistes prennent leurs distances à l’égard de certaines pratiques dévotionnelles de la vie catholique, craignant que la centralité de la personne et de l’œuvre de Jésus Christ n’en soit obscurcie, ou que le message de l’Évangile puisse être entaché de superstitions (123). À ce propos il serait utile, quand des mots forts tels que celui de superstition sont employés, de citer des exemples concrets pour préciser en quoi consistent les inquiétudes des méthodistes. Si sérieuses que soient ces inquiétudes et si fort que soit le langage utilisé, comme on peut le voir dans le rapport, une nouvelle réflexion dans nos deux communautés pourrait faire apparaître des convergences (127-129). On peut en dire de même pour les inquiétudes relatives aux dévotions mariales et au purgatoire. En ce qui concerne Marie, catholiques et méthodistes reconnaissent ensemble, sur la base de l’Écriture, le rôle unique de Marie comme mère de Jésus et déipare (Theotokos). Les catholiques, à la différence des méthodistes, ont une longue tradition de dévotions à la Mère du Seigneur. « Pour les catholiques, la vraie dévotion mariale conduit les chrétiens à un rapport plus étroit avec l’incarnation et l’humanité de Dieu en Jésus à travers le mystère de la maternité de Marie par la puissance de l’Esprit » (128). La pratique catholique de vénérer les reliques, qui se fonde sur une tradition longue et significative, est également un motif de préoccupation pour nombre de méthodistes (130-131).

Pour répondre aux préoccupations de nombre de méthodistes concernant la pratique catholique de vénérer les reliques, on trouve aux n. 130-131 une explication adéquate de cette pratique par les catholiques, suivie d’une provocation réciproque des uns aux autres sur ce point. Plus loin, aux n. 152-153, à propos du purgatoire, il est rappelé que, puisque les réformateurs ont rejeté cet enseignement comme étant purement spéculatif, suivis en cela par John Wesley, les méthodistes « se sont montrés circonspects vis-à-vis de cette transition dans leur enseignement » et ne sont pas tous d’accord entre eux sur ce point. Au n. 153, les catholiques suggèrent que l’encyclique Spe salvi du Pape Benoît XVI ouvre de nouvelles perspectives en vue d’une compréhension œcuménique de la purification après la mort.

Le chapitre trois se termine par une brève considération sur la « mort sainte », terme du pèlerinage sur la terre. « Catholiques et méthodistes croient qu’une mort sainte fait partie de la sainteté de vie, et que le peuple de Dieu témoigne l’Évangile par sa façon de mourir » (132).

Le chapitre quatre, « Le saint peuple de Dieu : les saints au ciel », se penche sur la transition des chrétiens de la mort à la vie éternelle et à la consumation finale de toutes choses dans le Christ à la fin des temps (138). Cette discussion est présentée comme une étape du pèlerinage auquel les chrétiens participent, en marchant avec le Christ (139). En se basant sur les références au jugement dernier contenues dans l’Évangile, catholiques et méthodistes s’interrogent sur ce qui se passe entre le moment de la mort d’une personne et le jugement dernier, avec la résurrection générale. « Y a-t-il un état intermédiaire ? ». Ensemble, ils professent les credo œcuméniques qui proclament la communion des saints, le pardon des péchés, la résurrection des corps et la vie éternelle. « Il existe pourtant des différences entre nos deux communions dans l’interprétation théologique des credo, dont certaines datent des controverses de la Réforme » (141).

Dans ce chapitre, méthodistes et catholiques affirment beaucoup de choses ensemble. Ils commencent par dire que tous les baptisés, vivants et morts, forment la communion des saints (142). Vient ensuite une observation œcuménique importante : parmi ceux qui sont morts, on trouve tant des méthodistes que des catholiques qui ont donné leur vie pour le Christ, et « cette nuée de témoignages » transcende les divisions ecclésiastiques (142). Nos deux traditions attribuent un sens positif à la mort, puisque la mort physique complète le « mourir avec le Christ » qui commence le jour du baptême, et anticipe l’accomplissement de la promesse de résurrection (144). Méthodistes et catholiques croient au jugement particulier de Dieu au moment de la mort de chaque homme, qui détermine son destin final (150).

Il existe une différence significative entre méthodistes et catholiques sur la question de l’« état intermédiaire ». Comment une sainteté non mieux définie est-elle conférée à ceux qui sont morts sans l’avoir atteinte ? Cette différence porte principalement sur la doctrine catholique du purgatoire, un état intermédiaire dans lequel le défunt est purgé de ses péchés et rendu parfait dans la sainteté par l’effet purificateur de la grâce de Dieu. De même que les réformateurs, Wesley a rejeté cette doctrine comme étant purement spéculative et se prêtant à un usage inapproprié (152). Comme on l’a vu, l’encyclique du Pape Benoît XVI Spe salvi raffine l’enseignement catholique sur la doctrine du purgatoire, en fournissant ainsi une base pour de nouvelles discussions sur cette question (153).

Une autre différence, liée à la précédente, porte sur la « prière pour les défunts ». Les catholiques continuent à prier pour ceux dont la purification n’est pas encore complète (154). En rejetant la doctrine du purgatoire, les réformateurs, et avec eux les méthodistes, ont rejeté également cette pratique. Mais aujourd’hui, les développements liturgiques en cours chez certains méthodistes montrent qu’ils sont de plus en plus ouverts à la pratique de la prière pour les défunts (155). Une autre différence encore a trait à l’intercession des saints. Pour les catholiques, les saints sont des intercesseurs en vertu des liens d’amour entre tous les membres de l’Église et le Christ (157). Les méthodistes ont généralement été réticents à la pratique d’invoquer les saints, pour ne pas compromettre l’unicité du Christ comme seul médiateur (158).

À propos de la réflexion sur Marie, il existe des convergences en ce sens que méthodistes et catholiques affirment le rôle unique de Marie dans l’histoire du salut tel qu’il est rapporté dans l’Écriture, à cause notamment de sa réponse pleine de grâce à l’invitation de Dieu à porter en son sein le Verbe incarné et de sa vie de disciple exemplaire, pressant les autres à être attentifs à l’appel à la sainteté (Jn 2,5) (163). Cependant les méthodistes, avec d’autres protestants, font des réserves sur les fondements scripturaux du dogme de l’Assomption (160). Ceci dit, les méthodistes saluent l’intention qui est au cœur de ce dogme, qui est « de témoigner l’œuvre salvifique de Dieu dans le Christ et la consumation finale de la sainteté de vie. Par le pouvoir de la grâce, Marie a été rendue parfaite dans l’amour et dans la sainteté par sa proximité avec son fils. Les méthodistes n’hésitent pas à voir dans la vie de Marie un exemple de perfection chrétienne et de pleine sanctification. C’est pourquoi son ‘endormissement’ anticipe et témoigne l’avenir glorieux réservé à tous les enfants de Dieu, rendu possible par le mystère pascal de la mort et de la résurrection de Jésus Christ (163). Cependant catholiques et méthodistes divergent « sur les implications spirituelles et pastorales que la place unique occupée par Marie dans la communion des saints a pour les saints sur terre ». Les catholiques considèrent l’intercession de Marie comme étant particulièrement efficace parce qu’elle est la « Mère de Dieu ». Les méthodistes ne voient aucune raison de demander l’intercession de Marie (ou de n’importe quel autre saint défunt), car tous dépendent également du Christ pour leur rédemption. De nouvelles discussions pourraient conduire à une plus grande convergence sur ces questions (164).

Enfin, en union avec les saints au ciel, les saints sur la terre attendent le retour du Seigneur décrit de façon suggestive dans les Écritures, qui marquera la fin de l’histoire du salut. La mission et le ministère de l’Église seront enfin accomplis lorsque toutes choses seront rétablies en Christ par la puissance de l’Esprit Saint (167). Catholiques et méthodistes « croient que le ciel est le but final et l’accomplissement des aspirations humaines les plus profondes, un état de béatitude et de bénédiction suprêmes » (165). Ensemble, ils croient que « notre âme immortelle survivra après notre mort, et que notre ‘corps mortel’ ressuscitera lui aussi ». « Puisque le Christ a assumé tout ce qui est humain, tout ce qui est humain sera racheté » (166).

Le chapitre cinq résume les points d’accord entre catholiques et méthodistes découverts aux chapitres précédents sous la forme d’une « déclaration de foi », en signalant aussi les divergences qui ont été constatées. Il faut espérer que cela favorisera la discussion de ces résultats dans les paroisses et les congrégations.

Une affirmation importante – et correcte – faite au n. 186, qui résume en particulier les n. 109-110, dit que « les deux principaux rites de vocations des adultes – mariage et saints ordres –  donnent une grâce aux individus ou aux couples afin que la communauté tout entière puisse grandir dans la grâce ». Il y est dit aussi qu’« il n’y a pas de hiérarchie entre les divers états de la vie chrétienne : tous peuvent être un chemin et une expression de sainteté ». Dans une perspective catholique, il convient de mieux préciser cette question pour éviter les malentendus. Comme l’indique le n. 110, l’enseignement catholique affirme que « dès le début de l’Église, il y a eu des hommes et des femmes qui ont renoncé au grand bien du mariage pour suivre l’Agneau partout où il va… Le Christ lui-même a invité certains à le suivre en ce mode de vie dont il demeure le modèle » (CEC 1618).  « La virginité pour le Royaume des Cieux est un déploiement de la grâce baptismale, un signe puissant de la prééminence du lien au Christ, de l’attente ardente de son retour, un signe qui rappelle aussi que le mariage est une réalité de l’éon présent qui passe » (CEC 1619). « L’estime de la virginité pour le Royaume et le sens chrétien du mariage sont inséparables et se favorisent mutuellement » (CEC 1620). D’après Lumen gentium 42, la sainteté de l’Église est « entretenue spécialement » par l’observance « des conseils que, sous des formes multiples, le Seigneur, dans l’Évangile, a proposés à l’observation de ses disciples. Parmi ces conseils, en première place, il y a ce don précieux de la grâce fait par le Père à certains de se vouer à Dieu seul plus facilement sans partage de cœur, dans la virginité ou le célibat. Cette continence parfaite à cause du règne de Dieu a toujours été l’objet de la part de l’Église d’un honneur spécial… ».

Enfin, on peut noter aussi que le but déclaré de ce dialogue est la pleine communion dans la foi, la mission et la vie sacramentelle (171, 176, 185). C’est une bonne formulation du but de ce dialogue, peut-être la meilleure que nos deux communions puissent exprimer ensemble à l’heure actuelle. Mais il convient de rappeler que, lors d’une précédente phase de ce dialogue international, le rapport Vers une déclaration sur l’Église (1986) exprimait clairement l’enseignement catholique selon lequel les évêques, en tant que successeurs des Apôtres, promeuvent l’unité du Peuple de Dieu. « En communion collégiale avec leurs frères les évêques et avec l’Évêque de Rome, ils cimentent le lien de l’amitié universelle » (32). S’agissant d’une position sur laquelle les méthodistes sont apparemment en désaccord, on peut se demander dans quelle mesure cet enseignement catholique a été pris en compte dans la formulation du but de ce dialogue.

 

Réception œcuménique

Comme on l’a vu plus haut, le manque de réception des acquis des dialogues dans la vie des communautés ecclésiales est un obstacle qui empêche les Églises en dialogue d’avancer vers une plus grande unité. L’appel à la sainteté entend contribuer à une réception œcuménique de ce rapport de deux façons : en premier lieu, par différents moyens, ce rapport fournit une aide en vue de la réception de ses avancées dans les Églises locales. En second lieu, en faisant des questions théologiques son sujet principal, il reçoit à nouveau et utilise l’un des jalons du mouvement œcuménique, la Déclaration commune officielle sur la doctrine de la justification entre luthériens et catholiques (1999) et méthodistes (2006), qui a résolu l’une des grandes controverses théologiques de la Réforme.

Voyons tout d’abord, la réception au niveau local de ce rapport et ses aspects pastoraux. Ce rapport fournit différentes formes d’aides pastorales en vue de la réception de ses principaux acquis. En premier lieu, après une élaboration théologique sur le sujet choisi, quatre de ses cinq chapitres s’achèvent par un bref récit de la vie de deux personnalités, l’une catholique, l’autre méthodiste, reconnues par leur communion respective pour leur sainteté de vie exemplaire. Cette particularité remarquable du rapport aide le lecteur à voir la sainteté en termes très concrets, en l’encourageant à réfléchir sur sa propre capacité d’approfondir sa quête de sainteté. En deuxième lieu, le chapitre cinq fait dans sa seconde partie deux choses qui favorisent la discussion sur le contenu théologique de ce rapport. D’une part, il offre un résumé, sous forme d’une « déclaration de foi », de ce que méthodistes et catholiques ont pu déclarer ensemble dans chacun des chapitres précédents, en signalant aussi les divergences ou les différences qui ont été constatées. D’autre part, ces « déclarations de foi » sont suivies d’une série de questions pour animer la discussion sur chaque chapitre au niveau régional ou local, là où méthodistes et catholiques vivent côte à côte. En troisième lieu, ce rapport contient un appendice très utile intitulé « Textes pour la prière et la méditation ». Ces textes pourraient être utilisés pour la prière œcuménique commune entre méthodistes et catholiques durant leurs discussions, ou en d’autres moments. Cet appendice propose des prières provenant de sources méthodistes et catholiques, divisées en catégories selon les thèmes traités dans ce rapport. Ces catégories sont les suivantes : (1) Prières de consécration à Dieu ; (2) Prières d’action de grâce pour avoir été sauvés et prières exprimant le désir d’imiter le Christ ; (3) Prières pour les saints ici-bas ; (4) Prières sur les saints là-haut ; (5) Prières pour la mission.  Cet appendice nous rappelle que, si important que soit le dialogue œcuménique pour découvrir un terrain d’accord sur les dimensions de la sainteté et sur tout ce que cela implique pour les chrétiens qui avancent sur le chemin de l’unité, la prière pour la sainteté et la prière pour l’unité sont encore plus fondamentales. S’ils sont utilisés, ces textes de prières pourront contribuer à la réception de ce rapport.

En deuxième lieu, ce rapport reçoit et utilise la Déclaration commune historique entre luthériens et catholiques sur la doctrine de la justification. La DCDJ affirme qu’« il existe entre luthériens et catholiques un consensus sur des vérités fondamentales de la doctrine de la justification » (40), en contribuant ainsi à résoudre les conflits à propos de cette doctrine qui ont été au cœur de la protestation de Luther contre l’Église au XVIe siècle. En 2006, le Conseil méthodiste mondial s’est officiellement associé à la DCDJ, en rejoignant ainsi luthériens et catholiques dans la reconnaissance de cette grande avancée œcuménique. L’appel à la sainteté s’appuie non seulement sur les précédents rapports du dialogue international méthodiste-catholique, mais aussi sur la DCDJ, dont il entend favoriser la réception de plusieurs façons.

Dans son introduction, L’appel à la sainteté mentionne trois fondements théologiques particulièrement significatifs de ce rapport, dont l’un est la Déclaration méthodiste d’association avec la Déclaration commune sur la doctrine de la justification (AMDCDJ) (6). En abordant la question de la grâce au chapitre deux, il ajoute que l’AMDCDJ « représente une base d’accord importante entre catholiques et méthodistes (et luthériens) sur des questions théologiques qui ont divisé catholiques et protestants depuis la Réforme » (44).

Plus loin au chapitre deux, en parlant de « la grâce qui habilite », il commence par une citation de la DCDJ 19 : « Catholiques et méthodistes confessent ensemble que la personne humaine est pour son salut entièrement dépendante de la grâce salvatrice de Dieu ». Mais c’est surtout dans la seconde partie qui traite de la grâce qui justifie, et dans la troisième partie qui traite de la grâce qui sanctifie, qu’il cite plusieurs fois un passage de la DCDJ pour formuler certains aspects du consensus théologique entre méthodistes et catholiques[4].

Dans la partie qui traite de « la grâce qui justifie », au n. 59, le passage central de la DCDJ est cité pour rappeler au lecteur que, puisque le conflit historique entre catholiques et protestants sur la justification est résolu, méthodistes et catholiques peuvent aujourd’hui confesser ensemble que « c’est seulement par la grâce au moyen de la foi en l’action salvifique du Christ, et non sur la base de notre mérite, que nous sommes acceptés par Dieu et que nous recevons l’Esprit Saint qui renouvelle nos cœurs, nous habilite et nous appelle à accomplir des œuvres bonnes » (DCDJ 15). La Déclaration commune est également citée pour réaffirmer ensemble que « la foi elle-même est don de Dieu par le Saint-Esprit qui agit dans la communauté des croyants » (DCDJ 16). Au n. 60, la DCDJ est citée pour montrer les bases bibliques qui permettent de dire que la justification est le « pardon des péchés et de la mort et de la malédiction de la loi. Elle est accueillie dans la communion avec Dieu, déjà maintenant, puis en plénitude dans le règne à venir » (DCDJ 11). Au n. 61, la DCDJ 25 est citée à propos du rapport entre foi et bonnes œuvres, pour montrer que les bonnes œuvres ne contribuent pas à la justification mais en sont la conséquence nécessaire. La foi dans l’action salvifique de Dieu en Christ est toujours et nécessairement agissante dans l’amour, et par conséquent elle se traduit par des bonnes œuvres de miséricorde et de piété. Ce point est précisé en citant DCDJ 25 qui dit que « tout ce qui dans la personne humaine précède et suit le don libre de la foi n’est pas la cause de la justification et ne la mérite pas ».

Toujours au chapitre deux, dans la partie qui traite de « la grâce qui sanctifie », la DCDJ est citée par deux fois comme référence. En premier lieu, pour étayer l’affirmation importante faite au n. 65 selon laquelle « la grâce qui sanctifie n’est pas seulement intérieure à l’âme humaine ; elle implique aussi un engagement de sainteté de vie dans toutes les sphères de la vie humaine (cf. Rm 12, 1) », il est fait référence à la DCDJ 37 après avoir affirmé que « catholiques et méthodistes confessent ensemble que les bonnes œuvres de miséricorde et de piété sont le fruit de la justification et une obligation de la sainteté de vie ». En deuxième lieu, l’affirmation faite au n. 66 selon laquelle « la sainteté de vie en elle-même conduit à une croissance dans la grâce sanctifiante » est étayée par la DCDJ 38. Ensuite, dans la discussion sur « la grâce qui sanctifie », il est fait référence par deux fois à la MADCDJ, une fois au n. 66, et une fois au n. 67. La DCDJ est citée également à l’appui des thèmes présentés dans d’autres parties du rapport[5].

Ainsi, dans ce rapport, les avancées de ce dialogue sur la sainteté sont bien présentées, et les importantes contributions en vue de la réception des résultats du dialogue sont bien illustrées.

 

Conclusion

L’appel à la sainteté apporte une contribution œcuménique importante, et cela de plusieurs façons. Premièrement, en montrant les nombreux consensus/convergences entre catholiques et méthodistes sur les questions discutées, il souligne à nouveau et approfondit la communion réelle, quoique imparfaite, qu’ils partagent déjà. L’explication claire des différences aide le lecteur à comprendre sur quels sujets un dialogue est encore nécessaire ; et souvent, l’explication des différences est accompagnée de suggestions indiquant la direction que le dialogue pourrait prendre en vue d’approfondir la communion.

Deuxièmement, ce rapport indique clairement les deux pistes que tout dialogue devrait prendre en compte à l’avenir, à savoir la nécessité de poursuivre le dialogue pour clarifier et résoudre les points sur lesquels les chrétiens sont encore divisés, et les moyens à mettre en œuvre pour favoriser la réception des résultats du dialogue. Troisièmement, il montre que face aux questions sur lesquelles les chrétiens sont divisés, une vision commune sur les questions liées à la sainteté et à la vie spirituelle est aussi importante. Quatrièmement, la façon dont ce dialogue fait le lien entre sainteté et unité est une contribution significative au mouvement œcuménique.

En diverses occasions, le Pape Jean-Paul II a parlé de l’œcuménisme comme d’une priorité pastorale de son ministère et de l’Église. Les avancées œcuméniques qui ont permis de réconcilier les chrétiens sur des points importants comme la Déclaration commune sur la doctrine de la justification (DCDJ) ou comme le Document de la Commission Foi et constitution intitulé Baptême, eucharistie, ministère(BEM) sont, bien évidemment, d’une importance vitale pour le progrès œcuménique. Les pas en avant ainsi accomplis sont aussi de nature pastorale car ils encouragent les chrétiens divisés à se reconnaître mutuellement comme frères et sœurs dans le Christ. En approfondissant le thème de la sainteté de vie, méthodistes et catholiques ont eu l’occasion de réfléchir ensemble sur la vie en Christ. En un certain sens, ce dialogue les a introduits au cœur de la vie pastorale. Il leur a permis de se concentrer sur ce à quoi les chrétiens aspirent toujours quand ils annoncent l’Évangile, administrent les sacrements ou accomplissent un travail catéchétique. À savoir : promouvoir et approfondir la sainteté chez les chrétiens et chez ceux qui les écoutent. Autrement dit, promouvoir et approfondir la sainteté, la proximité à Dieu que nous avons gagnées par la mort et la résurrection de Jésus Christ. Oui, vraiment, il s’agit bien là d’une priorité pastorale.

Avec ce rapport, le dialogue international méthodiste-catholique a fait un nouveau pas en avant en direction de la guérison des divisions entre nos deux communions. Il faut le féliciter pour cette importante contribution, et prier afin qu’il puisse poursuivre avec un égal succès son travail constant de guérison des divisions.

 

 

*. Mgr John A. Radano est actuellement professeur adjoint à la Faculté de Théologie de l’Université de Seton Hall à South Orange, New Jersey, États-Unis.

[1]. Les paragraphes des deux brefs commentaires sur des passages des Écritures ne sont pas numérotés.

[2]. Rapport de Dublin, 1976, n. 26. Voir aussi « méthodistes et catholiques ont découvert à plusieurs reprises un lien important entre eux pour ce qui touche à la spiritualité et à la vie de l’Esprit » » (Rapport d’Honolulu, 1981, n. 7). « Un point sur lequel méthodistes et catholiques romains sont d’accord est la nécessité d’une participation libre et active à l’œuvre de salut de Dieu » (Rapport de Brighton, 2001, n. 52.).

[3]. Déclaration commune sur la Doctrine de la justification entre luthériens et catholiques de 1999 (=DCDJ). Déclaration d’association des méthodistes (2006) à la Déclaration commune sur la Doctrine de la justification (=AMDCDJ).

[4]. Elle est citée dans trois paragraphes de « la grâce qui justifie » (deux fois au n. 59, une fois au n. 60 et une fois au n. 61), et dans deux paragraphes de « la grâce qui sanctifie » (au n. 65 et au n. 66). On trouve en outre deux références à la AMDCDJ dans « la grâce qui sanctifie » (au n. 66 et au n. 67).

[5]. Au chapitre deux, sous le titre « les bonnes œuvres et le mérite », la DCDJ 15 est citée au n. 79 et la DCDJ 38 est citée au n. 80 ; et sous le titre « assurance de la foi et salut », la DCDJ 34 est citée au n. 88, la DCDJ 36 est citée au n. 91, et la AMDCDJ 4.6 est citée au n. 92.