Réflexions sur La Parole de Vie

Rapport du Dialogue Méthodiste-Catholique romain, 1996

William Henn, OFM Cap. *

 

Plus on lit La Parole de Vie. Déclaration sur la Révélation et la Foi, plus on réfléchit à ce document, et plus on le trouve sensationnel. On sent que ceux aux efforts desquels nous devons un tel texte étaient tout à fait conscients que le dialogue entre ces deux communautés s’est maintenant poursuivi depuis une trentaine d’années, et qu’il a été un parcours qui a comporté des étapes distinctes et un développement progressif (paragraphes 89 et 131).[1] La Parole de Vie peut être considéré comme un essai pour exprimer l’étendue de l’accord entre méthodistes et catholiques romains sur quelques uns des points les plus fondamentaux relatifs à la révélation de Dieu et à sa réception par l'Eglise, et pour articuler ces accords en un ensemble révélateur des éléments essentiels de l’unité ecclésiale.

Les remarques qui suivent sont divisées en quatre sections. Une première partie présente le contexte unique de ce dialogue méthodiste - catholique romain. La seconde discute certains traits généraux relatifs au document en question. La troisième partie, la plus longue, est un commentaire de chacune de ses cinq sections ; il montre les convergences positives et discute les difficultés persistantes. Sur la base de ces remarques, une brève conclusion jettera un regard vers l’avenir.

 

I. Le contexte

La Parole de Vie marque le cap de la trentième année du dialogue méthodiste - catholique romain au plan international. Ce dialogue a été caractérisé depuis le début par un fait unique. Catholiques et méthodistes se sont sentis plus éloignés les uns des autres que ce n’est le cas pour le dialogue entre catholiques romains et orthodoxes, luthériens ou anglicans : ils sont comme des cousins au second degré puisque le méthodisme a commencé au sein de l'Eglise d’Angleterre (18ème siècle) longtemps après la division entre cette Eglise et l'Eglise catholique (16ème siècle). Cette situation unique faisait que les interlocuteurs ne pouvaient se référer à un passé dans lequel des questions doctrinales les auraient divisés, questions qui auraient pu servir de thème principal à leurs discussions œcuméniques.

Cette particularité paraît avoir eu deux grandes conséquences. D’une part, le besoin de faire connaissance a pris une importance plus prononcée que dans les dialogues qui cherchent à remédier à une division historique précise. On a dû chercher, à la place, à mesurer le degré de communion dans la foi et dans la vie entre méthodistes et catholiques, et définir de façon plus précise ce qui les divise. Aussi, les premiers documents produits par ce dialogue donnent-ils l’impression que les partenaires étaient persuadés que leur tâche demanderait du temps, le temps nécessaire pour expliciter les vastes perspectives de foi commune qui se découvraient, de manière à se donner un cadre dans lequel on pourrait ensuite s’attaquer aux points précis de désaccord.

Une seconde particularité de ce dialogue a été le fait qu’il semblait y avoir une certaine affinité entre l’accent mis par John Wesley sur la sanctification, - et qui définit si bien le méthodisme, - et certains aspects de la foi catholique, spécialement telle qu’elle a été exprimée en réponse à la Réforme. L’accent sur la spiritualité, le mariage et la famille, sur les questions morales, que l’on trouve dans le Rapport de Denver (1971), le Rapport de Dublin (1976) et le document d’accord sur le Saint-Esprit (1981), ainsi que le développement, dans les déclarations sur l'Eglise (1986) et sur la Tradition apostolique (1991), des manières dont le Saint-Esprit modèle la vie chrétienne au sein de la communauté de l'Eglise, tout cela reflète un optimisme partagé quant à la présence effective de l’action de Dieu dans l’histoire humaine.[2] Il est frappant que la question de la justification par la foi n’apparaisse pas parmi les thèmes majeurs de ce dialogue. C’est moins là une omission imputable au dialogue lui-même qu’une manière de reconnaître qu’en ce qui concerne la justification, qui fut une des raisons principales de la division entre beaucoup de communautés de la Réforme et l'Eglise catholique, les méthodistes et les catholiques partagent dans une très grande mesure la même foi. Leur commun optimisme par rapport à l’efficacité de l’œuvre de salut de Dieu dans l’histoire laissait espérer que la recherche de la pleine communion entre méthodistes et catholiques romains avait plus de chances de succès que cela n’aurait été le cas en présence de graves divergences sur la doctrine de la justification.[3]

Le présent document sur la révélation et la foi doit donc être replacé dans le contexte 1) du besoin d’un plus grands laps de temps pour en venir à se connaître réciproquement et pour disposer d’un cadre suffisamment large dans lequel discuter les divergences, et 2) de l’optimisme partagé sur la présence efficace de l’activité de Dieu pour transformer les individus et les rassembler dans la communion qui est l'Eglise.

 

II. Remarques générales

Avant d’en venir à chacune des cinq sections de La Parole de Vie, quelques remarques générales s’imposent au sujet de ce qu’on pourrait appeler la maturité de cette déclaration en tant que document œcuménique. Tout d’abord, il témoigne d’une grande attention au processus du dialogue entre méthodistes et catholiques romains qui l’a précédé. Deux des grandes divisions du texte - «Section II : la Foi » (27-72) et « Section IV : la Vie sacramentelle » (94-107) - apparaissent largement comme des essais pour approfondir des points soulevés dans la déclaration sur La Tradition apostolique, de 1991.[4] Le texte fait également écho à beaucoup de questions des précédents dialogues méthodistes - catholiques romains, telles que l’importance de la vie spirituelle, le rôle du Saint-Esprit dans l'Eglise, la nature de l'Eglise comme communion et les vues communes sur les sacrements, le ministère et l’autorité. La Parole de Vie manifeste ainsi un sens solide de la continuité avec les dialogues précédents entre ces deux communautés.

Il y a également continuité avec le dialogue œcuménique en général. On est très frappé, ici, de la ressemblance de la structure et du contenu par lesquels se traduit la visée de la « pleine communion dans la foi, la mission et la vie sacramentelle » (Préface. Voir aussi 1, 4, 111-125), avec, - pour ne prendre qu’un exemple - la structure et le contenu de la section « Rapports » de la Cinquième Conférence mondiale de Foi et Constitution à Saint-Jacques de Compostelle en 1993.[5] Les rapports de Compostelle commencent par une présentation générale de la koinonia, qui est ensuite étudiée sous l’angle de la koinonia dans la foi, dans la vie et dans le témoignage. La Parole de Vie reprend en substance cette structure et ce contenu dans ses trois sections sur la foi, la mission et la vie sacramentelle (en inversant l’ordre des sujets deux et trois), mais développe ces thèmes plus spécialement en fonction du patrimoine doctrinal et spirituel des deux communautés en dialogue.[6] Cette continuité entre le travail du dialogue méthodiste - catholique romain et celui du dialogue œcuménique en général est un signe de la maturité du document.

Autre signe de cette maturité : la manière dont La Parole de Vie exploite ou « moissonne » la tradition chrétienne. L'Ecriture est comprise comme « le témoin normatif de la révélation en Christ », et comme « centrale pour le discernement chrétien » (54-55). On s’y réfère abondamment d’un bout à l’autre du document. Et pas simplement dans l’idée d’amener des « preuves scripturaires », mais avec un certain souci de méthode historico-critique. Par exemple, au paragraphe 17, en expliquant que Jésus-Christ est l’événement décisif de la révélation, on se réfère aux grands thèmes christologiques qui caractérisent les textes de Luc, de Jean et des Hébreux. On pourrait peut-être accuser parfois La Parole de Vie d’adopter une interprétation biblique que d’aucuns jugeraient quelque peu arbitraire, comme, par exemple, lorsqu’au paragraphe 25 on semble en appeler au « témoignage biblique » pour affirmer que la relation de Jésus au Père « atteint sa tension la plus dramatique au moment de sa mort », alors que sa relation à l’Esprit « se voit clairement dans le témoignage de sa vie ». Pareille déclaration générale adopte un angle d’interprétation qui peut n’être pas évident ou convaincant pour tout le monde. L’usage de l'Ecriture est néanmoins impressionnant, entre autres du fait de la variété des textes utilisés pour étayer la section sur les agents du discernement (53, 63-67), ou de la manière dont 1 Jn 1 : 1-3 sert à tracer la perspective dans laquelle se déploie tout le document (2, 108).

La maturité du recours de ce texte à la tradition chrétienne apparaît aussi à l’estimation positive et à la déférence qu’il porte à beaucoup d’autres sources : la liturgie (9, 34-35, 43, 49-51, 103, 112), les Pères de l'Eglise (35), les Credo (8, 34-36, 43, 84, 112), les premiers conciles (8, 43, 68, 72), les confessions de la Réforme et le concile de Trente (44), le développement de la doctrine (45, 60-61), les traditions propres des orthodoxes, des catholiques romains et des méthodistes (46, 60), les concepts et les synthèses théologiques traditionnels (45, 56, 69) et l’histoire de la piété chrétienne (46-48, 60). Le document se sert aussi de Vatican II comme d’une source, non seulement par les quatre citations explicites de Dei Verbum (55, 58, 61, 69) mais encore dans l’approche des sections sur la révélation et la mission. De la même façon, le nombre substantiel de paragraphes qui se réfèrent aux écrits et à la théologie de John Wesley (10, 36, 46, 55, 57, 60, 63, 65, 70, 88, 100, 102, 110, 115, 122), apporte les justifications méthodistes de beaucoup d’affirmations. Enfin, il faut noter les nombreuses références générales positives à la « tradition » ou « la tradition apostolique » (8, 19, 38, 67, 70, 72, 84-86, 102, 130). Tout ceci suggère que les méthodistes et les catholiques portent un jugement fondamentalement positif sur la tradition et ses divers témoins. On peut voir La Parole de Vie, de ce point de vue, comme une mise en pratique de l’esprit de La Tradition apostolique, son devancier dans le dialogue méthodiste - catholique romain.

 

III. Remarques sur les différentes sections

L’Introduction est relativement longue (1-10), ce qui n’est pas sans signification. Elle cherche à structurer le document d’après la ligne générale de l’initiative fondamentale de Dieu dans l’histoire (la révélation), puis d’après son effet fondamental, l’accueil positif de cette initiative, concrétisé de façon visible dans l'Eglise (koinonia-communion). La koinonia de la communauté qui accueille la révélation est ainsi l’effet principal de l’acceptation positive de cette révélation. Cet effet principal, la koinonia, peut s’expliciter en trois catégories qui sont comme les dimensions de base de la vie de l'Eglise : la foi, la mission et la vie sacramentelle. Comme le dit le paragraphe d’ouverture : « La révélation de Dieu et la réponse humaine constituent la substance de la foi, de la mission et de la vie sacramentelle de l'Eglise » (1).

Cette manière de concevoir les dimensions essentielles de la communion ecclésiale dans le contexte de l’initiative de Dieu dans la révélation, est capitale. D’abord parce qu’elle met en Dieu l’initiative. Rien que cela préserve d’exagérer l’importance de l’élément humain dans les questions que le document abordera plus loin. Mais, d’une manière qui pourrait sembler paradoxale ou ironique (on pense à l’ironie divine si souvent attestée dans l'Ecriture, selon laquelle Dieu fait du plus jeune ou du plus faible son instrument, précisément pour souligner que c’est son seul pouvoir qui opère le salut de l’humanité), une telle perspective invite à prendre avec le plus grand sérieux les trois dimensions principales de la communion ecclésiale que va étudier le document. Si, de manière tout-à-fait fondamentale, la foi, la mission et la vie sacramentelle de l'Eglise sont à comprendre en termes de réponse humaine, par la grâce de Dieu, à une initiative divine, elles prennent une valeur qui transcende les facteurs simplement humains que comporte leur déploiement historique.

Le fait de présenter la Révélation comme la Section I de ce texte et d’amener la Koinonia-Communion en Section V, les sections intermédiaires portant sur la foi, la mission et la vie sacramentelle, revêt ainsi une grande signification. Le sous-titre du document, « Déclaration sur la Révélation et la Foi », est certainement juste, spécialement du fait que la foi ne va pas sans la mission et la vie sacramentelle ; la structure du texte suggère néanmoins qu’un bon sous-titre pourrait être aussi : « Déclaration sur la Révélation et les dimensions fondamentales de la communion ». D’autres documents œcuméniques ont commencé à parler de la koinonia en termes équivalents à ceux de foi, de mission et de vie sacramentelle, mais aucun n’a aussi méthodiquement conçu ces termes dans le contexte de la réponse à la révélation de Dieu. La Parole de Vie pourrait être une précieuse contribution non seulement au dialogue méthodiste-catholique romain, dans la recherche de la pleine communion, mais aussi au dialogue œcuménique en général.

La Section I : La Révélation (11-26) est en profonde harmonie avec la notion biblique de révélation en tant qu’auto-manifestation de Dieu dans l’histoire, en paroles et en actes, dans le but d’établir une alliance d’amour avec la famille humaine qu’il a créée. Cette manière de parler de la révélation doit beaucoup à l’exégèse biblique des derniers siècles, mais on la trouve exprimée déjà abondamment dans la tradition, spécialement chez les auteurs patristiques. Elle a aussi de frappantes similitudes avec la présentation de la révélation par les deux conciles du Vatican. Ainsi, l’accent sur la gratuité de l’auto-manifestation de Dieu, par lequel commence la Section I, s’harmonise bien avec ce que Vatican I déclare d’une telle gratuité dans Dei Filius. La Parole de Vie poursuit en discutant l’histoire de la révélation, avec son sommet en Jésus-Christ et discernable par « ceux qui ont des yeux pour voir et des cœurs pour comprendre (15 ; voir aussi 30), en des termes qui rappellent très fort ce que Vatican II dit dans Dei Verbum. La troisième partie de cette section affirme que le Dieu qui vient à être connu par le témoignage biblique est le Père, Fils et Saint-Esprit, ancrant par là fermement la foi trinitaire de l'Eglise dans les Ecritures. Par ces approches le document met en valeur ce qui est le plus fondamental au sujet de la révélation : sa totale gratuité, son avènement au sein des conditions spécifiques de l’histoire humaine, son sommet en Jésus-Christ, et sa manifestation de l’unique mystère au cœur de toute la doctrine et de toute la vie chrétiennes, le mystère du Dieu un et trine. Tout ceci est assez bien exprimé.

S’il est une lacune dans cette première section, c’est, semble-t-il, le manque d’une attention explicite aux moyens par lesquels la révélation est transmise d’une génération à l’autre. Comment la révélation se relie-t-elle à l'Ecriture, à la tradition et à la vie de l'Eglise ? Il est vrai que ce lien a été mentionné auparavant aux paragraphes 7-8 de l’Introduction. En outre, comme je l’ai déjà dit, le document s’efforce dans l’ensemble d’appuyer ses affirmations sur des références scripturaires et sur divers témoins de la tradition. Mais il faut attendre des paragraphes ultérieurs (37-42 et 54-61) pour une déclaration directe concernant la transmission de la révélation. Il serait utile, justement dans cette section sur la révélation, d’explorer plus explicitement comment cette voix, cette autorité, atteint les gens d’aujourd’hui par les moyens de l'Ecriture et de la tradition.

La Section II : La Foi (27-72) est de loin la plus longue des cinq. Elle est divisée en trois parties, les deux premières, plus courtes, sur l’acte de foi (fides qua, 28-31) et son contenu (fides quae, 32-36), tandis que la troisième, la plus longue subdivision de tout le document, explore la fécondité de la foi (37-72). Plusieurs commentaires paraissent s’imposer.

Tout d’abord, la vision de la foi dans ce document est bien présentée. Il refuse de réduire la foi à l’une seulement de ses composantes ou, pire encore, de les opposer l’une à l’autre. La foi est présentée comme étant entièrement un don de Dieu (30-31) et comme la foi salutaire qui apporte le pardon, la justification, la sanctification et la grâce (28-29). Elle réclame en même temps la liberté de l’homme et une réponse de sa part (31). L’acceptation du contenu doctrinal de la foi est en outre intimement reliée à la vie de foi (32-36), ce qui évite de séparer l’orthodoxie et l’orthopraxis. Une vision aussi complète de la foi ne peut qu’être louée car elle élimine les fausses caricatures qui ont pu parfois être la source de préjugés entre méthodistes et catholiques romains (cf. le beau commentaire à ce sujet en 113). L’unité dans la foi, vers laquelle tend une part si importante du dialogue œcuménique, ne doit pas être réduite à un seul aspect de la foi.

La troisième partie développe ensuite de façon substantielle la question de la fécondité de la foi : sa croissance dans l’histoire et au sein de la communauté de l'Eglise (37-42), ses fruits dans la confession, la vie spirituelle, le culte et le service (43-52), ainsi que les critères et les personnes qui entrent dans son discernement (53-72). Ces développements partent du principe que l'Eglise grandit dans la foi, et ils présentent les divers modes de réalisation d’une telle croissance. L’attention portée à la fécondité de la foi n’empêche pas de revenir souvent, et de façon explicite, sur la possibilité et la réalité de déviations dans le cours de l’histoire de l'Eglise (41-42, 45, 48, 51, 59, 64-65) : par là est du reste fourni le présupposé fondamental qui sous-tend toute la discussion relative au discernement. Ainsi, tout en ne pouvant être accusées de naïveté historique, ou, pire, d’idéologie ecclésiastique, ces paragraphes n’en présentent pas moins une vue très positive du cheminement de l'Eglise dans le temps. « L'Eglise elle-même, comme une graine qui pousse avec le soutien du Saint-Esprit et en réponse à Dieu, a sa dynamique. On ne comprend la fécondité de la révélation que dans la communauté de foi... Puisque le Saint-Esprit montre la voie on ne peut fixer de limite à l’assistance divine dans ce processus » (39).

Les quatre domaines présentés sous le titre « Les fruits de la foi », - la confession, la vie spirituelle, le culte et le service, - semblent suffisamment représentatifs, spécialement si le titre « confession » peut inclure non seulement le développement des Credo et des déclarations doctrinales mais aussi les écrits des Pères de l'Eglise et l’évolution des traditions théologiques. Plus généralement, le texte aurait pu se prononcer plus explicitement en faveur des valeurs de la littérature patristique. Quoi qu’il en soit, on ne peut qu’être satisfait de l’attention donnée aux nombreux développements relevant de cette catégorie des fruits de la foi.

La partie concernant le discernement fonde substantiellement sur la Bible l’origine néotestamentaire de cette activité dans l'Eglise (53-54, 59, 61, 63-65, 67). Quatre critères de discernement sont indiqués : 1) la fidélité à l'Ecriture, 2) le sentire cum ecclesia (décrit d’une manière qui paraît tout à fait semblable à ce que Lumen Gentium 12 dit du sensus fidei), 3) la réception et 4) la sainteté. Une question qui vient à l’esprit d’un catholique romain est de savoir jusqu’à quel point on peut dire que ces critères incluent la tradition. On peut certes considérer les catégories du sentire cum ecclesia, de la réception et de la sainteté comme faisant partie de la tradition. D’autres expressions de la foi, qui sont couramment considérées comme témoins de la tradition, pouvaient peut-être être comprises comme ne faisant que spécifier ces intitulés d’un caractère plus général. La liturgie, par exemple, aurait pu être vue comme une spécification de la « réception », ou la littérature patristique comme une expression de la catégorie sentire cum ecclesia. En outre, en énumérant trois critères en plus de l'Ecriture, le rapport prend ses distances par rapport à une position qui ferait de l'Ecriture le seul critère du discernement de la foi. Enfin, dans la discussion qui suit sur le discernement pastoral, il est dit que « ceux qui sont habilités à parler au nom de l'Eglise » doivent être très attentifs « à l'Ecriture et à la Tradition » (67). Tous ces points attestent le rôle important de la tradition pour le discernement de la vérité de la révélation.

Cette section du document s’abstient pourtant de faire expressément de la tradition un critère du discernement de la foi. Le mot apparaît à deux reprises, en référence à des passages de Dei Verbum(58, 61). Par ailleurs, si le document parle explicitement de la normativité de l'Ecriture (54), il n’en fait pas autant de la tradition. En raison de tant de déclarations positives, ici, sur la tradition, et vu le fait que les critères de discernement incluent plus que l'Ecriture, cette hésitation pourrait paraître quelque peu surprenante, et elle n’est peut-être qu’apparente. Il pouvait néanmoins être utile d’examiner de façon plus explicite si, et de quelle manière, le témoignage post-biblique rendu à la révélation peut être normatif pour l'Eglise.[7] Le présent document et son prédécesseur immédiat ayant porté une grande attention à la tradition, un dernier pas sur le sujet dans le dialogue entre méthodistes et catholiques pourrait peut-être consister à chercher une position commune sur le point précis de sa normativité. La convergence impressionnante qu’enregistre La Parole de Vie sur la croissance fructueuse de l'Eglise dans la compréhension de la révélation suggère que la piste d’un accord sur cette question précise est très prometteuse.

La section sur les agents du discernement (62-72) distingue de façon convaincante entre le discernement par le peuple entier, le discernement prophétique et le discernement pastoral, et conclut par des remarques sur l’interdépendance et la convergence de ces agents. La distinction entre ces agents, tout comme leur interrelation, semblent très bien vues. C’est la première fois que dans le document on indique une différence substantielle entre méthodistes et catholiques romains, précisément à propos de l’exercice du discernement pastoral (69-71). Cela n’est peut-être pas aussi surprenant qu’il pourrait paraître au premier abord. Quoi qu’il en soit des différences doctrinales spécifiques entre méthodistes et catholiques romains, - plusieurs d’entre elles sont mentionnées plus loin à propos de l’éthique (89), des sacrements (105-106), du ministère (120), de Marie (116) et de l’unité universelle (130), - il semblerait que le tout ne peut être abordé avec succès qu’après avoir exploré longuement leur foi commune dans la volonté de Dieu concernant le discernement pastoral. Le document lui-même le reconnaît (71). Les méthodistes et les catholiques trouveront un précieux travail préliminaire déjà disponible pour cette tâche dans les contributions non seulement du présent document mais également de plusieurs des rapports antérieurs de leur dialogue.

La Section III : La Mission (73-93) frappe en tant que section faisant le lien entre divers apports. Ses six subdivisions décrivent de manière convaincante les diverses dimensions de la mission de l'Eglise. Mais elles rappellent aussi les deux sections précédentes du document, ainsi que des textes antérieurs, œcuméniques ou ecclésiaux. Pour ne prendre qu’un exemple, la subdivision d’ouverture (73-76) enracine la mission de l'Eglise dans l’activité de la Trinité, ce qui rappelle non seulement le commencement de la Section I sur l’initiative divine dans la révélation (11-13), mais également la manière dont Vatican II, dans son Décret sur l’activité missionnaire de l'Eglise Ad Gentes, a traité le thème. Toute la Section III est pleine de passages qui rappellent d’autres documents œcuméniques ou ecclésiaux. On pourrait donner beaucoup d’autres exemples, mais il n’est nul besoin de s’appesantir sur ce point. Au lieu de cela, je veux brièvement mentionner deux points dignes de louange.

En premier lieu, le passage sur « La mission apostolique » (84-88) a l’intérêt de souligner la relation de continuité de l'Eglise avec les apôtres et de relier le ministère ordonné à l’apostolicité et à la mission. Elle reprend, ce faisant, des thèmes du précédent document méthodiste - catholique romain, La Tradition apostolique. Cette section contient ce qu’un catholique romain ressent comme un vrai joyau : « L’Eglise est comme une cellule vivante dont le Christ est le noyau ; la communauté, tout en croissant et en se multipliant, garde son dessein initial. Les communautés apostoliques ont besoin de personnes pour faire à leur époque ce que les apôtres ont fait en leur temps : paître, enseigner et servir sous l’autorité du Bon Pasteur et Maître, le Seigneur Serviteur » (86). En second lieu, les paragraphes sur «La Mission et les cultures» (90-93) ont le mérite de rapprocher la discussion de la mission des thèmes de l’inculturation et du dialogue interreligieux. Les questions délicates du discernement culturel et de l’équilibre entre le dialogue interreligieux et la proclamation du Christ sont traitées avec sensibilité et délicatesse.

La Section IV : La vie sacramentelle (94-107) est présentée comme une réponse à l’appel du précédent dialogue méthodiste - catholique romain à « une réflexion commune plus poussée sur la nature du sacrement » (94). Le trait le plus frappant de cette section est qu’elle place la réflexion sur les sacrements dans la perspective de l’incarnation, ce qui est assurément en harmonie avec la doctrine et la théologie catholiques. La vie sacramentelle s’enracine dans l’économie du salut telle que la définit l’incarnation, et elle trouve son expression la plus pleine et la plus profonde dans la personne même de Jésus. Sur cette base on en vient alors aux discussions concernant l'Eglise, les sacrements et les autres moyens de grâce.

Cette section apparaît comme un bon exemple de ce que Vatican II a appelé le recours à la « hiérarchie des vérités » dans le dialogue œcuménique (Unitatis Redintegratio 11). L’interrelation entre la « sacramentalité » du Christ, l'Eglise et les sacrements est soulignée. On affirme un certain ordre d’importance entre les sacrements - la primauté revenant au baptême et à l’eucharistie (100) - et l’on relève un clair désaccord au sujet du nombre des sacrements, ce qui appelle deux remarques.

Tout d’abord, La Parole de Vie voit une certaine ressemblance entre, d’une part, la conviction catholique que le Saint-Esprit est à l’œuvre dans les sacrements de confirmation, de réconciliation, de l’onction des malades, du mariage et de l’ordination et, d’autre part, une conviction méthodiste comparable au sujet de la présence active du Saint-Esprit dans la vie, la repentance, la guérison, le mariage et l’ordination du fidèle. Ce qui suggère que la différence entre catholiques et méthodistes en ce domaine pourrait ne pas être aussi tranchée qu’il semblerait à première vue. Ce rapprochement rappelle la discussion similaire du Rapport luthéro-catholique Face à l’unité (1984), sur les sacrements (cf. les paragraphes 77-82 de ce document). De tels textes amènent à penser que dans la discussion sur les sacrements qui sont en débat, on pourrait trouver profit à explorer davantage le degré de pratique similaire entre les communautés chrétiennes divisées.

Deuxièmement, le texte montre clairement que la principale différence entre catholiques et méthodistes tourne autour des critères par lesquels on discerne qu’un rite liturgique particulier est un sacrement. Le paragraphe 100 suggère que pour les méthodistes le critère décisif est d ’ « attribuer au Christ leur institution directe ». Le texte ne mentionne pas que, pour les catholiques également, l’institution par le Christ est une marque caractéristique des sacrements. Une réflexion approfondie sur ce que l’on entend par « institution par le Christ » ouvrirait peut-être la voie à une plus grande convergence entre méthodistes et catholiques au sujet des sacrements.

Dans la section finale (Section V) : Koinonia - Communion (108-130), l’attention est attirée à nouveau sur la construction caractéristique de La Parole de Vie dans son ensemble. La première des trois subdivisions de cette section nous met de façon succincte sous les yeux la vision fondamentale que l'Eglise est essentiellement « un partage intime de la communion d’amour des trois Personnes de la Trinité » (108). On montre la richesse de la référence biblique à 1 Jn 1 : 1-3, - qui figure déjà dans l’Introduction (2), formant ainsi une inclusion littéraire qui embrasse l’ensemble du document, - pour comprendre aussi bien la révélation que la communion. Son apparition ici suggère une fois de plus que la communion ecclésiale surgit en réponse à la révélation. La Section V se livre à une récapitulation des expressions de base de la communion qui ont été développées dans le corps du texte : la foi, le culte et la mission (112-125), en signalant « des éléments vitaux dans la communion partielle qui est déjà nôtre », et en « cernant quelques-unes des différences qui posent problème et sur lesquelles il faudra encore travailler » (111). Une dernière subdivision indique, de même, des convergences et des différences concernant la dimension spécifiquement universelle de la communion ecclésiale (126-130).

Cette structure d’ensemble, appuyée sur les piliers de la révélation, de la foi, du culte, de la mission et de la communion (avec les remarques au sujet des structures qui assurent à cette communion sa dimension universelle), a la solidité et la beauté d’un sanctuaire, de ces simples églises bien proportionnées que la plupart des méthodistes et des catholiques romains connaissent dans leurs communautés locales, ou de ces élégantes cathédrales de beaucoup de villes anciennes. Il importe d’apprécier la solidité et la beauté de ces piliers reconnus en commun. Ils attestent qu’il y a en vérité « largeur, longueur, hauteur et profondeur » (Ep 3, 18) dans la communion partielle que ces deux communautés ont en partage.

Aux côtés des nombreux points substantiels d’unité, trois questions précises apparaissent comme points de contraste ou de différence. Les paragraphes 114-116 soulèvent la question du degré d’unité dans la foi qui est nécessaire pour la pleine communion. Les méthodistes en appellent à la distinction de John Wesley entre les doctrines « essentielles » qui sont nécessaires pour l’unité et les différences d’ « opinion » qui, par nature, ne divisent pas l’Eglise. Les catholiques romains ne contestent pas qu’on peut distinguer entre les doctrines, dans la mesure où elles n’ont pas toutes la même relation au centre de la foi chrétienne ; c’est là la doctrine de la « hiérarchie des vérités » de Vatican II (Unitatis redintegratio 11). Les catholiques soulignent néanmoins que l’assentiment de foi est dû à l’intégralité de la révélation. Ces paragraphes touchent à ce qui est sûrement une des questions les plus importantes auxquelles est affronté le mouvement œcuménique.[8] C’est le mérite des rédacteurs de ce document d’avoir exprimé cela aussi clairement dans leur récapitulation relative à la communion dans la foi.

Il pourrait sembler qu’on se trouve ici en présence d’une opposition insurmontable : les méthodistes affirment que seules les doctrines essentielles sont nécessaires pour l’unité chrétienne, alors que les catholiques affirment la nécessité d’adhérer à l’intégralité de la doctrine. On se demande malgré tout si cette opposition apparente ne doit pas une part de son tranchant aux malentendus que provoquent facilement les termes d’ « essentiel » et d’ « intégralité ». Lorsque les méthodistes parlent, par exemple, de l’unité sur les choses essentielles, il est sûr qu’ils ne veulent pas dire qu’il est loisible à chacun de choisir entre les divers enseignements contenus dans la révélation de Dieu, de ne retenir qu’une partie de la Parole de Dieu comme fondement constitutif de la communion dans la foi. On se doute que tous les chrétiens n’ont d’autre désir que d’embrasser la totalité de la révélation, du fait même de son origine divine. Par ailleurs, quand les catholiques parlent de la nécessité de croire à la totalité de la vérité révélée, ils n’entendent certainement pas exclure les différences d’opinion sur certaines des manières dont la Parole de Dieu a pu et peut être comprise au cours des siècles. D’autant que l’ « intégrité » de la vérité révélée n’est certainement pas la connaissance « face à face » dont parle saint Paul quand il dit : « alors je comprendrai pleinement, comme j’ai été pleinement compris » (1 Co 13, 12). La conviction des catholiques que l'Eglise peut progresser dans la compréhension des richesses inépuisables de la révélation (Rm 11, 33) et qu’ il peut y avoir ainsi développement doctrinal, suppose l’impossibilité pour l'Eglise d’atteindre à la pleine compréhension tant que dure son pèlerinage terrestre.

Le pape Jean-Paul II semble inviter à une réflexion qui pourrait surmonter l’opposition apparente entre « essentiel » et « intégralité » lorsqu’il affirme que l’unité requiert « l’adhésion de tous aux contenus de la foi révélée dans son intégralité » (Ut unum sint 18), tout en déclarant que « de cette unité essentielle, mais encore partielle, il est maintenant nécessaire d’avancer vers l’unité visible qui est requise et suffisante..., » et en précisant qu’ « ...on ne doit pas imposer de fardeau au delà de ce qui est strictement nécessaire (cf. Ac 15 : 28) » (Ut unum sint 78). Ces textes suggèrent qu’il peut exister des voies pour chercher à surmonter le dilemme apparent exprimé dans les paragraphes 114-116 de La Parole de Vie.

Un second point de divergence entre méthodistes et catholiques romains apparaît dans la section récapitulative sur le culte. Ce texte ne revient pas, comme il l’aurait peut-être fallu, sur la différence au sujet de l’identification et du nombre des sacrements, dont il a été question dans la section IV (104-106). A lieu de cela, des différences sont relevées 1) concernant la liberté d’accueillir ou d’inviter les membres de l’autre communauté à participer à l’eucharistie et 2) concernant le ministère ordonné, « l’obstacle le plus visible » à la communion entre méthodistes et catholiques (119-120). Le texte relève en outre que les deux problèmes sont intimement liés.

Pour ce qui est du premier de ces problèmes, la pratique de l'Eglise dans les temps patristiques montre qu’il est valide et traditionnel de parler du partage eucharistique en termes d’accueil ou d’invitation d’autres chrétiens à participer à la célébration du Repas du Seigneur. Il importe cependant d’être en garde contre un possible malentendu qui voudrait que la communion eucharistique dépende en premier lieu de l’invitation de la communauté qui célèbre. Le droit d’inviter a toujours été conditionné, dès les tout débuts du christianisme, par une communion suffisante dans la foi. C’est pourquoi le Directoire œcuménique de l'Eglise catholique de 1993, auquel La Parole de Vie se réfère dans cette section, ne parle pas tellement de l’invitation d’autres chrétiens par les catholiques à participer à l’eucharistie, mais plutôt des conditions dans lesquelles une telle participation serait permise, en raison d’une communauté de foi suffisante et d’une nécessité pastorale indéniable. En parlant d’ « invitation », le texte de ce document pourrait, à mon sens, obscurcir cet aspect important de la communion eucharistique. Aussi est-il rassurant de voir qu’il renvoie en note aux textes plus nuancés du Directoire.

Concernant ce qui est identifié comme « l’obstacle le plus visible » à la communion entre méthodistes et catholiques romains - l’identification et l’autorité magistérielle des ministres ordonnés -, le texte relève plusieurs convergences importantes. Ce ministère est enraciné dans le Christ, le bon Pasteur, qui partage avec d’autres son office pastoral. En outre, ce même ministère est décrit en termes de témoignage à rendre à la vérité, de présidence du culte et de conduite de la communauté, d’une manière qui correspond aux trois fonctions du Christ comme prophète, prêtre et roi-pasteur (triade utilisée par le Concile Vatican II pour présenter le ministère ordonné ; voir, par exemple, Lumen Gentium 20-21 et 24-28). Il ne faudrait pas sous-estimer l’importance de ces affirmations communes. Si à un stade ultérieur du dialogue elles pouvaient être prises en considération, en liaison avec ce que La Parole de Vie a déjà déclaré sous le titre « La Mission apostolique » (84-88 ; remarquer le beau passage sur l'Eglise comme cellule vivante qui garde sa forme originelle) et avec telles vues importantes du document antérieur sur La Tradition apostolique, de sérieux progrès pourraient peut-être être faits pour surmonter « l’obstacle le plus visible ».

La troisième différence mentionnée dans la Section V (aucune divergence significative n’est relevée dans la discussion récapitulative de la mission !) apparaît sous l’intitulé : « L’Eglise universelle » (126-130). Ici, méthodistes et catholiques affirment ensemble que la communion de l'Eglise « a des dimensions universelles dans l’espace et le temps » (126), que « la fidélité de Dieu a préservé son Eglise en dépit ... des manques évidents au cours de son histoire » (127) et qu’ « une structure qui relie les Eglises locales » est importante (128). Les différences surgissent lorsque ces communautés examinent « les signes de fidélité et de persévérance dans l’ histoire de l'Eglise » (127) ainsi que « la nature et le poids théologique » des structures qui promeuvent l’unité universelle (128).

Ces débats relatifs à l’unité universelle ne sont évidemment pas particuliers au dialogue méthodiste - catholique romain. On pourrait même dire que c’est tout le mouvement œcuménique, dans la mesure où il cherche à rétablir l’unité entre toutes les communautés chrétiennes, qui doit discerner ce qui est nécessaire et suffisant d’après la révélation de Dieu telle qu’elle s’est déployée dans l’histoire, pour la qualité vraiment universelle ou « catholique » (pour reprendre le terme plus ancien du credo de Nicée) de la koinonia de l'Eglise. Que le dialogue méthodiste - catholique romain n’ait pas encore atteint un accord sur ces questions n’est donc pas surprenant. Mais les affirmations communes dans les paragraphes 126-130 sont un point de départ. En outre, un important travail préliminaire sur ces thèmes a déjà été fait dans le rapport méthodiste - catholique Vers une déclaration sur l'Eglise (1986). Enfin, l’invitation du pape Jean-Paul II aux dirigeants et aux théologiens des autres communautés chrétiennes, à dialoguer avec lui sur ce qui est essentiel et sur ce qui appartient plutôt à l’exercice contingent du ministère de l’unité universelle (Ut Unum sint 95-96), est un encouragement pour les participants à poursuivre la discussion.

IV. Conclusion

L’analyse ci-dessus a relevé un certain nombre d’apports très positifs de La Parole de Vie, et en particulier ceux-ci : 1) La Parole de Vie met en lumière le fait que les partenaires partagent le même optimisme au sujet de la réalité de l’action du Saint-Esprit dans la vie de l'Eglise, sans toutefois ignorer la faiblesse humaine. 2) Cet optimisme se reflète dans la place positive donnée au témoignage de la tradition, qui constitue, avec le témoignage scripturaire, une source importante du document lui-même et un des critères pour discerner la foi. 3) La révélation est présentée tout au long du texte comme la source de la communion qu’est l'Eglise et comme la fontaine de sa foi, de sa mission et de sa vie sacramentelle, ce qui transfigure l’expression historique de ces dimensions de la communion. 4) Une bonne base pour débattre des différences sur le nombre des sacrements est posée par le fait d’aborder la question des sacrements à partir de l’incarnation et de montrer des similitudes entre méthodistes et catholiques même sur les sujets où persistent des différences. 5) D’importantes déclarations communes sur les origines et les dimensions christologiques du ministère ordonné fournissent un solide point de départ pour discuter ce qui est identifié comme « l’obstacle le plus visible » entre les deux communautés. 6) De même, l’accord pour dire que l'Eglise devrait être universellement une et que des structures ou des ministères sont nécessaires au service de cette unité, représente un fondement sur lequel pourra s’édifier une plus grande convergence.

Parmi les difficultés du texte qui appellent une plus grande clarification, on peut noter ceci : 1) Il semble y avoir une hésitation pour spécifier si et de quelle manière la tradition peut être normative pour le discernement de la foi. 2) Les différences sur la question des sacrements semblent appeler qu’on examine davantage comment les deux communautés comprennent « l’institution par le Christ ». 3) Le contraste entre concevoir l’unité dans la foi en termes d’ « essentiel » et de « totalité » mérite un surcroît de réflexion. 4) La relation entre partager l’eucharistie et la communion dans la foi pourrait être réexaminée avec profit.

A la fin de La Parole de Vie, avec une vive conscience de la route déjà parcourue par les méthodistes et les catholiques en dialogue, les auteurs écrivent : « Le temps est peut-être venu de se concentrer, ... sur certaines de ces questions plus détaillées qui n’ont cessé de faire difficulté entre nous » (132). La maturité de ce document, la nature fondamentale des questions soulevées et le cadre solide dans lequel elles sont considérées, tout cela suggère que les membres de la commission de dialogue ont raison d’espérer. Pour favoriser ce travail ultérieur il serait particulièrement utile de promouvoir parmi les fidèles des deux communautés la réception de ce qui a été acquis jusqu’à présent dans ce processus de dialogue. La Parole de Vie n’a pas fait la pleine unité de foi entre méthodistes et catholiques et n’en a pas la prétention. Mais les marques d’un solide fondement commun sont clairement présentes dans ce texte. Elles ont besoin d’être reconnues largement dans les deux communautés, afin que la prière et le témoignage commun, ainsi que la suite du dialogue, puissent hâter le jour où notre communion actuelle dans la foi s’épanouira pleinement, par la grâce et sous la conduite du Saint-Esprit.

 

 

 

* Université Pontificale Grégorienne (Rome).

[1]Sauf indication contraire, les nombres entre parenthèses renvoient aux paragraphes correspondant de La Parole de Vie.

[2] Voir le Rapport de Denver (1971), le Rapport de Dublin (1976), et le Rapport d’Honolulu (1981), ce dernier incluant « Vers une déclaration commune sur le Saint-Esprit », dans : Service d’information [SI], n° 46 (1981/II), pp. 88-100. Pour Vers une déclaration sur l’Église, cf. SI, n°67 (1988/II), pp. 113-123, avec le commentaire de Jean M. R. Tillard, p. 123-127. Pour La Tradition apostolique, voir SI, n° 78 (1991/III-IV), pp. 222-234, avec le commentaire et l’évaluation de Jared Wicks, pp. 235-239.

[3]Un exemple frappant de l’optimisme méthodiste concernant la réalité de l’action du Saint-Esprit, qui est aussi une réponse à une critique possible fondée sur la doctrine réformatrice de la justification, est le livre de John Wesley, A Plain Account of Christian Perfection , Westminster, Epworth Press, 1952.

[4] On ne peut s’empêcher de remarquer la correspondance entre l’effort de la Section II pour parler de la fécondité de la foi, d’un côté, et la suggestion de poursuivre le travail sur « la fécondité de la Tradition » dans le commentaire et l’évaluation de La Tradition apostolique par Jared Wicks, pp. 238-239. Pour sa part, la Section IV de La Parole de Vie commence par déclarer : « Dans son Rapport de 1991 sur La Tradition apostolique, la Commission a senti le besoin d’une réflexion commune plus profonde sur la nature du sacrement, à partir de l’idée du Christ comme ‘sacrement primordial’ (§ 89) ».

[5]Cf. T. F. Best et G. Gassmann (eds.), On the Way to Fuller Koinonia. Official Report of the Fifth World Conference on Faith and Order (Geneva : WCC Publications, 1994), Faith and Order Paper n° 166, 228-262.

[6]La triade des éléments essentiels de la communion - la foi, les sacrements et la mission - se retrouve dans d’autres textes œcuméniques ou du magistère : Vatican II, Lumen Gentium 14b et Unitatis Redintegratio 2d ; ARCIC II,L’Eglise comme communion 19, 39b et 44 ; Commission mixte luthérienne - catholique romaine, Face à l’Unité 55, 70 et 86 ; Conseil Pontifical pour la Promotion de l’Unité Chrétienne, Directoire pour l’application des principes et des normes de l’œcuménisme 12, 20 ; Jean Paul II, Ut Unum Sint 9. Le troisième élément, la mission, est parfois conçu et formulé différemment : témoignage, service, harmonie fraternelle, ou même communion hiérarchique.

[7]Que ceci soit une question importante peut être vu dans de nombreuses réponses au document de Foi et Constitution Baptême, Eucharistie, Ministère ; cf . Max Thurian, ed., Churches Respond to BEM I-VI, (Genève : WCC, 1986-1988). Ces réponses montrent que beaucoup de communautés ne sont pas encore parvenues à attribuer une normativité à la tradition post-biblique, même après la fameuse déclaration de Montréal sur la tradition (1963).

[8]Vers la fin de son œuvre de publication, le grand œcuméniste catholique Yves Congar écrivait que cette question l’occupait plus que toute autre. Cf. Yves Congar, Essais œcuméniques, Paris, Centurion, 1984, p. 109 ; et, du même, Diversité et Communion, Paris, Cerf, (coll. Cogetatio Fidei), 1982.