IVe RAPPORT DE LA COMMISSION INTERNATIONALE POUR LE DIALOGUE
ENTRE LES DISCIPLES DU CHRIST ET L'ÉGLISE CATHOLIQUE ROMAINE
2003-2009
La présence du Christ dans l’Église,
en se référant spécialement à l’eucharistie
Abréviations
Précédentes Déclarations communes de la Commission internationale pour le dialogue entre les Disciples du Christ et l’Église catholique romaine :
AC Apostolicité et catholicité, 1982 (Apostolicity and Catholicity)
ECDC L’Église comme communion dans le Christ, 1992 (The Church as Communion in Christ)
RTF Recevoir et transmettre la foi, 2002 (Receiving and Handing on the Faith)
Documents du Concile Vatican II
SC Sacrosanctum concilium: Constitution sur la Sainte Liturgie, 1963
LG Lumen gentium: Constitution dogmatique sur l’Église, 1964
UR Unitatis redintegratio: Décret sur l’œcuménisme, 1964
PO Presbyterorum ordinis: Décret sur le ministère et la vie des prêtres, 1965
Les références à la Déclaration Baptême, Eucharistie, Ministère de la Commission « Foi et Constitution », Genève 1982, figurent en abrégé, avec le numéro du paragraphe correspondant :
B Déclaration sur le Baptême
E Déclaration sur l’Eucharistie
M Déclaration sur le Ministère
[Le document en entier est désigné par le sigle BEM]
PL Patrologia Latina, ed. J.P. Migne, publié à Paris de 1844 à 1865. Il existe une banque de donnée en ligne de la première édition, complétée par les index publiés par Chadwick-Healey, Cambridge, 1996-2008, avec références à l’original sur deux colonnes.
CEC Catéchisme de l’Église Catholique, Édition Mame/Plon, Paris 1992 (suivi du numéro du paragraphe)
CDC The Church for Disciples of Christ : seeking to be truly church today (L’Église pour les Disciples du Christ : pour être vraiment Église aujourd’hui), A Report and Resource by Commission on Theology of the Council on Christian Unity, ed. Paul A Crow, Jr & James O. Duke, St Louis 1998 (avec le numéro de la page)
Les citations bibliques sont tirées de la Bible TOB éditée par la Société biblique française, Éditions du Cerf.
La présence du Christ dans l’Église,
en se référant spécialement à l’eucharistie
Introduction
1. La présente Déclaration commune est l’aboutissement de la quatrième phase du dialogue international entre les Disciples du Christ et l’Église catholique romaine, qui a pour but la pleine unité visible entre nos deux communions. Même si le climat œcuménique a changé depuis 1976, quand est né le projet de ce dialogue, ni les Disciples ni les catholiques ne se contenteraient d’un objectif moins ambitieux. Les trois Déclarations communes précédentes portaient sur « Apostolicité et catholicité » (AC, 1977-82), « L’Église comme communion dans le Christ » (ECDC, 1983-92), et « Recevoir et transmettre la foi » (RTF, 1993-2002). Le thème choisi pour cette quatrième phase était « La présence du Christ dans l’Église, en se référant spécialement à l’eucharistie ». Les précédentes déclarations ont informé notre travail au cours de cette phase.
2. La Commission a commencé son travail en rappelant les points de convergence et d’accord apparus dans les trois précédentes phases de ce dialogue international, notamment sur les sacrements et sur les modalités de la transmission de la foi. Nous avons été d’accord en particulier pour souligner l’importance de l’œcuménisme spirituel et pour situer toute notre réflexion dans un climat de prière, en demandant à Dieu de nous guider. La Déclaration commune publiée au terme de la première phase du dialogue parlait de l’« espace évangélique » qui s’ouvre à ceux qui « sont empêchés, comme communautés ou comme personnes, de chercher à justifier [leurs] divisions… [et qui sont] poussés à la recherche d’une vie partagée dans une communauté réconciliée » (AC 20). À cet effet, nous avons passé beaucoup de temps à nouer des relations entre nous et à présenter nos ecclésiologies respectives. Nous n’avons pas encore atteint la pleine communion ecclésiale, et nous ne pouvons donc pas partager l’eucharistie ensemble. L’absence d’une pleine communion entre nous, qui est en contradiction avec la volonté du Christ, nous pousse à nous mettre à l’écoute de la Parole de Dieu et à suivre son appel à surmonter nos divisions ».
3. Nous nous sommes réunis à Bari (Italie) en 2004 ; à Indianapolis (États-Unis) en 2005 ; à Rome (Italie) en 2006 ; à Saint-Louis (États-Unis) en 2007 ; et à Vienne (Autriche) en 2008. Chacune de ces rencontres s’est déroulée dans un climat de prière quotidienne, matin et soir, comprenant des célébrations eucharistiques des Disciples et des catholiques. À côté des deux communications théologiques principales, chaque rencontre comportait aussi des temps d’étude biblique et de réflexion théologique. Chaque fois, nous avons eu en outre des occasions de rencontre avec les représentants des Églises locales.
4. Au cours de cette période de dialogue, la Commission a pu découvrir des convergences significatives sur les questions de foi fondées sur une vision commune de certains aspects de notre thème, qui sont présentées aujourd’hui dans cette Déclaration. La première partie de la Déclaration réaffirme l’engagement commun des Disciples et des catholiques en faveur de l’unité voulue par le Christ pour son Église. La deuxième partie réfléchit sur la présence du Christ dans le monde et dans l’Église. Ensemble, nous croyons que la Parole de Dieu et les sacrements sont des moyens par lesquels se manifeste la présence permanente du Christ ressuscité. La troisième partie se concentre plus spécifiquement sur notre conception de la présence du Christ dans l’eucharistie. La quatrième partie traite du sacerdoce du Christ et de ses ministres. La conclusion résume brièvement nos discussions et indique des pistes pour la poursuite de ce dialogue.
1. Ne faire qu’un en Christ dans l’Église
1.1. Notre engagement commun pour l’unité de l’Église
5. Ensemble, catholiques et Disciples confessent que l’Église est une et que son unité est un don de Dieu. Pour les Disciples comme pour les catholiques, l’unité visible de l’Église est au cœur de l’Évangile. Dans sa deuxième Déclaration commune, la Commission notait que « Alexander Campbell était convaincu que l’union des chrétiens est essentielle pour la conversion du monde... De son côté, l’Église catholique romaine proclame qu’elle est chargée d’une mission spécifique pour l’unité du monde, et affirme que cette unité est manifestée et donnée dans la communion eucharistique. Elle enseigne aussi que le salut du monde dépend du rétablissement de l’unité entre tous les chrétiens » (ECDC 8)[1]. Le but de notre dialogue est l’unité visible de nos deux communions.
6. Notre base de départ, en vue de ce but, est notre unité en Christ. Quelle est la nature de l’union entre le Christ et l’Église ? Ensemble, Disciples et catholiques affirment que l’Église est communion dans le Christ. L’Église est l’assemblée du Peuple de Dieu, fondée par et en Jésus Christ, nourrie et fortifiée par l’Esprit Saint. En suivant l’apôtre Paul, Disciples et catholiques reconnaissent que l’Église est le Corps du Christ (1 Co 12, 27). La Commission théologique nord-américaine des Disciples a déclaré, à propos de la nature divinement constituée de l’Église : « L’Église est une communauté née de l’Évangile, pacte d’amour de Dieu en Jésus Christ, et vivifiée par la puissance de l’Esprit de Dieu, pour louer et servir le Dieu vivant » (CDC 19). Et la Constitution dogmatique sur l’Église dit : « L’Église universelle apparaît comme un peuple rassemblé dans l’unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit… Le Christ, unique médiateur, a établi et soutient sans cesse ici-bas sa sainte Église, qui est une communauté de foi, d’espérance et de charité, comme un organe visible par lequel il répand sur tous la vérité et la grâce » (LG 4).
7. Sans cette union au Christ, l’Église se réduirait à une organisation purement humaine et l’issue de sa mission serait incertaine. À la Pentecôte, la mission du Christ et de l’Esprit Saint est devenue la mission de toute l’Église, envoyée proclamer et propager le mystère de communion de la Sainte Trinité. Les membres de l’Église sont envoyés, à l’exemple des apôtres, pour témoigner la vérité du Christ. Ils sont revêtus de l’Esprit Saint pour communiquer et répandre l’envoi du Fils par le Père, et l’envoi de l’Esprit dans le monde par le Christ ressuscité, en tout temps et en tout lieu. Ils sont purifiés dans le sang de l’Agneau et sanctifiés en tant qu’Épouse du Christ. Dans une phase précédente du dialogue, la Commission avait établi que « l’Église est guidée par l’Esprit Saint et que pour cette raison, en définitive, elle n’échouera pas dans sa tâche de proclamer l’Évangile » (RTF 2).
8. L’Église vit du Christ, en Christ et pour le Christ. Cependant, la Commission reconnaît qu’il est important de distinguer Jésus Christ de son Église. Car en identifiant totalement le Christ avec l’Église, nous risquerions de ne pas reconnaître les péchés des membres de l’Église ou d’en attribuer la faute au Christ. Alors que le Christ, Verbe incarné de Dieu, est sans péché, sa mission rédemptrice auprès des hommes les laisse libres et ne les empêche pas de rejeter sa grâce. La Constitution dogmatique sur l’Église dit que « tandis que le Christ, ‘saint, innocent et sans souillure’ (He 7, 26) n’a pas connu le péché (cf. 2 Co 5, 21), mais est venu seulement expier les péchés du peuple (cf. He 2, 17), l’Église qui renferme en son sein les pécheurs, qui est sainte et, en même temps, doit toujours être purifiée, recherche sans cesse la pénitence et le renouvellement » (LG 8).
1.2. Une seule foi, un seul baptême, un seul corps
9. Dans la première Déclaration commune de la Commission, il est dit que catholiques et Disciples partagent la foi apostolique de l’Église en un seul Dieu, révélé en trois personnes. Cette foi a été fidèlement proclamée dans les siècles, à des époques et dans des circonstances diverses (AC 36-37). Dans la troisième phase du dialogue, les participants ont découvert davantage de convergences entre Disciples et catholiques sur les sept premiers Conciles œcuméniques qu’il n’avait été reconnu précédemment (RTF 3). L’unité de la foi s’exprime aussi dans l’unique baptême que nous partageons, comme le dit Apostolicité et catholicité(AC 24).
10. Puisque les Disciples et les catholiques partagent une seule foi et un seul baptême, dans quel sens peuvent-ils dire qu’ils forment un seul corps ? La première Déclaration commune affirme qu’il existe déjà entre eux une communion in via. « L’unité unique de la seule Église de Dieu est le but. Nous sommes déjà sur la route ; nous avons fait le premier pas dans la foi par le baptême qui est aussi appel à cette unité finale » (AC 61). Le Décret sur l’œcuménismede Vatican II dit que « ceux qui croient au Christ et qui ont reçu validement le baptême se trouvent dans une certaine communion, bien qu’imparfaite, avec l’Église catholique » (UR 3)[2] ; ce qui correspond à la conviction des Disciples, affirmée de façon moins formelle, selon laquelle les personnes qui ont été baptisées dans une autre Église (que ce soit à la naissance ou à l’âge adulte) sont déjà des frères et des sœurs dans le Christ, et qu’un nouveau baptême par immersion n’est pas nécessaire.
11. Il n’en reste pas moins qu’à l’heure actuelle, notre communion est imparfaite. La Commission doit donc explorer plus à fond les implications de cette communion, même imparfaite, entre l’Église catholique et les croyants des communautés séparées. Devant l’absence apparente d’accord entre nous sur des questions de foi substantielles, nous avons ressenti le besoin de définir et d’analyser ces questions de façon plus précise que nous ne l’avions fait jusqu’à présent. Nous avons pu ainsi apprécier avec plus de force deux questions, liées entre elles, que nous nous posons mutuellement : les catholiques demandent aux Disciples en quel sens ils se considèrent comme catholiques et apostoliques. Et les Disciples demandent aux catholiques quelle est la place des Disciples dans leur conception de la catholicité et de l’apostolicité de l’Église. Dans Apostolicité et catholicité, la Commission parle d’une « qualité de vie évangélique marquée par la volonté d’être fidèles au Christ et ouverts les uns aux autres… Cette metanoia apporte ce qu’on pourrait appeler un espace évangélique… dans lequel nous trouvons une grâce de Dieu disponible de manière nouvelle pour nous, qui nous unit ensemble dans la louange, la bénédiction, l’imploration de Dieu qui nous a faits un » (AC 20). Une réflexion plus approfondie sur ce point pourrait nous fournir quelques éléments de réponse à ces questions.
12. Comme le dit Apostolicité et catholicité, notre tâche consiste à donner une expression visible à notre communion in via (AC 57). Le dialogue œcuménique doit d’abord nous faire découvrir et reconnaître publiquement l’unité que nous partageons déjà, pour ensuite « mettre en œuvre » cette unité dans différentes sortes de rencontres et d’initiatives communes[3]. C’est pourquoi nous constatons avec joie que dans nombre de contextes locaux, Disciples et catholiques ont déjà commencé à prier les uns pour les autres et les uns avec les autres, à s’engager dans un témoignage commun, à agir ensemble en faveur des personnes marginalisées par la société, à participer à la vie communautaire des uns et des autres. Tous ces signes d’accueil, consistant à « se faire une place » mutuellement en tant que personnes incorporées au Corps du Christ, sont encourageants. La Commission espère que ces communautés profiteront des nombreux signes de koinonia déjà officiellement autorisés ; elle recommande que l’information sur ces initiatives fasse l’objet d’une large diffusion dans les communautés et dans les paroisses, qui doivent être encouragées à manifester cette communion in via selon des modalités appropriées au contexte local.
1.3. Résumé
13. Disciples et catholiques ont découvert des convergences prometteuses en ce qui concerne les implications de leur croyance dans l’unité de l’Église en Christ. Notre vision de l’Église comme communion, décrite notamment dans la deuxième Déclaration, nous oblige à considérer que loin d’être une construction humaine, l’existence de l’Église répond à la volonté révélée de Dieu. En même temps, elle révèle la gravité de notre séparation d’avec tous ceux qui partagent notre foi apostolique commune en Dieu Un et Trine.
2. Le Christ ressuscité, Parole vivante de Dieu : parole et sacrement dans l’Église
14. L’unité en Christ est bien plus qu’une simple identification avec un groupe de personnes qui a eu une existence continue dans l’histoire et qui se reconnaît dans un fondateur commun. La résurrection du Christ signifie qu’il est dynamiquement présent dans l’Église et dans le monde. La promesse finale du Christ – « Et moi, je suis avec vous tous les jours » (Mt 28, 20) – a orienté la vie des chrétiens au cours des siècles ; sur cette promesse, se fonde notre croyance en la présence du Christ dans le monde en général, et dans l’Église en particulier. La Commission a pu ainsi affirmer que dans la mission de l’Église, le Christ est présent dans la prière, la lecture de la Bible, la liturgie, dans les sacrements du baptême et de l’eucharistie, dans la prédication de la Parole, dans le service des pauvres et des malades, et dans l’amour oblatif.
2.1. La présence du Christ ressuscité dans le monde
15. La création est l’œuvre de Dieu, et bien que le monde soit marqué par le péché des hommes, le plan de Dieu sur lui ne sera pas empêché à la fin. Catholiques et Disciples croient que Jésus Christ, le Fils unique de Dieu, a été envoyé dans le monde par le Père pour révéler sa volonté rédemptrice et pour annoncer que cette rédemption s’accomplit par sa mort et sa résurrection. Maintenant la présence du Christ n’est plus limitée à un temps et un lieu particuliers : le Christ ressuscité habite toute la création. Dans l’évangile de Matthieu, Jésus s’identifie avec ceux qui ont faim et soif, avec ceux qui sont nus, avec les malades, les étrangers et les détenus (cf. Mt 25, 40). Au cours des siècles, les chrétiens ont été animés par la conviction que non seulement le Christ les envoie dans le monde avec la promesse de sa présence continue, mais qu’il est déjà là, attendant d’être reconnu. D’après une ancienne tradition de l’Église, ceux qui se disent non-chrétiens peuvent aussi faire la volonté de Dieu. Dans son ministère, le Christ a dit que « quiconque fait la volonté de Dieu, voilà mon frère, ma sœur, ma mère » (Mc 3, 35). Dans le monde actuel, le désir de mettre en pratique les valeurs chrétiennes se manifeste dans différents secteurs de la vie publique, et les chrétiens peuvent se joindre aux non-chrétiens pour favoriser les initiatives politiques sur des questions telles que la réduction de la pauvreté, de la faim, des maladies. Les chrétiens croient que le Christ est mystérieusement présent dans le monde et qu’il envoie l’Esprit Saint pour redresser les torts, réparer les injustices et apaiser les souffrances des nations. Un jour, le Christ reviendra dans la gloire. Nous ne savons pas quand il viendra, mais nous vivons en attendant ce jour et en priant.
2.2. La présence du Christ ressuscité dans l’Église
16. Disciples et catholiques parlent ensemble du don de la présence du Christ, telle qu’elle est vécue dans l’Église. Le Christ a promis qu’il sera présent chaque fois que deux ou trois se réuniront en son nom (cf. Mt 18, 20) ; bien souvent, il a exhorté ses disciples à prier comme il priait lui-même (Mc 6, 46 ; Lc 9, 28 ; Jn 14, 13-16 ; Jn 17 ; He 5, 7). De même, les apôtres ont exhorté les Églises à prier (Ep 6, 18 ; 1 Th 5, 13 ; 1 P 4, 7 ; 1 Jn 3, 21-22). Et lorsque leurs membres se réunissaient, ils les invitaient à « offrir des sacrifices spirituels agréables à Dieu par Jésus Christ » (1 P 2, 5), et à donner le témoignage d’une vie sainte.
17. Ensemble, Disciples et catholiques reconnaissent que la vie de certaines personnes révèle de façon éclatante la sainteté voulue par Dieu en réponse au don du Christ qui se manifeste par les fruits de l’Esprit et par une vie de compassion. La sainteté de l’Église est un don de Dieu. Le Fils de Dieu s’est livré pour elle, pour qu’elle soit sanctifiée et devienne à son tour source de sanctification (Jn 17, 19 ; 1 Co 3, 17 ; Ep 5, 25-27). La sainteté de l’Église est une source d’inspiration constante pour ses membres, qui reconnaissent leur besoin de conversion et de sanctification. Cependant, ensemble nous soulignons aussi que la vie spirituelle est une bataille permanente qui demande l’humilité voulue pour ne pas prétendre atteindre la sainteté par nos propres moyens. L’accent doit toujours être mis sur l’œuvre de Dieu en nous. En outre, la croissance spirituelle est liée de près au souci des autres – une conviction fondée sur l’exemple suprême d’amour oblatif de Dieu tel qu’il s’est manifesté dans l’Incarnation et dans la Croix. En réfléchissant à toutes ces questions, nous avons pris conscience de partager un trésor : celui des maîtres spirituels et des personnes dont les écrits et le témoignage de vie sont pour nous une source d’inspiration, des personnes en qui nous pouvons « voir » le Christ.
18. Parce que les divisions entre les chrétiens contredisent la sainteté à laquelle la communauté chrétienne est appelée, Paul reprochait aux Corinthiens leur attitude indigne à la table du Seigneur. Il leur dit même que leurs divisions les rendaient incapables de discerner le Corps du Seigneur (1 Co 11, 17-34), en soulignant ainsi le lien qui existe entre vie chrétienne et sacrements de l’Église. Paul n’était pas le seul à insister sur la sainteté de vie. Dans l’évangile de Jean, l’identification du Christ avec le Verbe qui « était au commencement tourné vers Dieu » (Jn 1, 2), « source jaillissante pour la vie éternelle » (Jn4, 14) et « pain vivant descendu du ciel » (Jn 6, 51) nous permet de mieux comprendre pourquoi Parole et sacrements sont intimement liés dans la vie de l’Église.
2.3. Le dynamisme de la Parole de Dieu
19. Dans la Bible, la Parole de Dieu est agissante et puissante. L’Ancien Testament nous révèle que la Parole est performante : elle fait advenir les choses. Telle est la façon biblique d’exprimer l’efficacité de l’action de Dieu : « Par sa Parole, le Seigneur a fait les cieux » (Ps33, 6). Mais en même temps, la Parole de Dieu appelle une réponse de notre part ; elle demande à être écoutée dans la foi. Dans le Nouveau Testament, le Verbe de Dieu se fait chair, et en ces jours derniers où nous vivons, Dieu nous a parlé par son Fils (cf. He 1, 2). Le Verbe incarné est le mystère central du Nouveau Testament : le dessein caché de Dieu est maintenant révélé. Parole de Dieu et mystère sont deux façons d’exprimer une seule et même réalité : celle du Christ mort et ressuscité, « la parole de Dieu, le mystère tenu caché tout au long des âges, que Dieu a manifesté maintenant à ses saints » (Col 1, 25-26). « Moi-même, quand je suis venu chez vous, frères, ce n’est pas avec le prestige de la parole ou de la sagesse que je suis venu vous annoncer le mystère de Dieu » (1 Co 2, 1).
2.4. Unité entre Parole et sacrements
20. Dans les Lettres de Paul, le terme grec mysterion a été traduit quelquefois en latin par sacramentum[4]. Dans son sens premier, ce terme ne désignait pas un acte rituel, mais le plan de salut de Dieu révélé en Christ. Le baptême et l’eucharistie ont été institués par le Christ comme moyens pour incorporer dans la communauté chrétienne « ceux qui trouvaient le salut » (Ac 2, 47). Chez les premiers chrétiens, Parole et sacrements n’étaient pas considérés comme deux réalités distinctes, mais comme deux façons de se référer à la même réalité. Lorsque le terme « sacrement » commença à être utilisé pour désigner les signes rituels, son sens biblique fut maintenu, en sorte que ces signes furent considérés comme participant du grand sacrement (mystère) de l’œuvre rédemptrice du Christ rendue présente dans l’Église, et devenant ainsi sacrement de l’action du Christ : « Ce qui était visible dans notre Sauveur est passé dans ses mystères », disait le pape Léon le Grand.[5] Loin de s’opposer à la parole, ces signes sont, comme l’a expliqué saint Augustin, la « parole devenue visible ».[6] Cette conviction a profondément marqué la tradition chrétienne depuis les premiers siècles.
21. À cause du sens biblique de la Parole de Dieu, l’Église primitive croyait que les paroles de Jésus, prononcées dans un sacrement, étaient rendues efficaces par l’intervention divine. Au Moyen Âge, les théologiens catholiques reprirent cet enseignement. Les Disciples ont retenu le sens biblique de l’efficacité des sacrements. Les textes bibliques étaient utilisés pour montrer que « les personnes sont engendrées par l’Esprit de Dieu, imprégnées de sa Parole, et nées de l’eau »[7]. La croyance dans le pouvoir du baptême de remettre les péchés était centrale dans le mouvement des Disciples à ses débuts. Le but des sacrements n’est pleinement atteint que s’ils sont reçus dans la foi. À la base de toute croyance sacramentelle, il y a la conviction du pouvoir et de la volonté de Dieu de répondre, par l’action de l’Esprit Saint, aux prières de ceux qui l’invoquent avec foi.
22. La lecture des Écritures est un autre moyen pour faire entendre la Parole de Dieu dans la communauté ecclésiale. Dans nos deux communions, les célébrations du baptême et de l’eucharistie sont habituellement accompagnées de lectures tirées de l’Ancien et du Nouveau Testament. Dans le baptême, le mandat de Jésus de baptiser est répété et exécuté avec une prière qui dit que l’eau lavera le baptisé du péché. Dans l’eucharistie, les paroles d’institution de Jésus sur le pain et le vin, telles qu’elles sont rapportées dans les évangiles ou chez Paul, sont fidèlement répétées.
23. La prédication dans le cadre d’un acte sacramentel est considérée comme une extension de la Parole efficace de Dieu, des paroles sur le Verbe incarné. Le Christ est présent dans la parole prêchée. Ensemble, catholiques et Disciples croient dans le pouvoir de la prédication. Les uns comme les autres célèbrent l’eucharistie au moins tous les dimanches, et la proclamation dominicale de la parole s’inscrit toujours dans le cadre des célébrations du sacrement. Notre accord sur le pouvoir de la Parole de Dieu proclamée nous a aidés à clarifier le rôle du ministre ordonné comme témoin de la parole transmise dans l’Église.
24. Parce que le Christ est la Parole vivante de Dieu, la célébration de la parole et des sacrements est un acte efficace, et pas seulement un mémorial du passé ou une lecture de ce qui est écrit. Ensemble, Disciples et catholiques croient que dans l’Église, le Christ lui-même agit dans les sacrements. Chez les catholiques, la prière eucharistique est le moment central de la célébration eucharistique. Chez les Disciples, les prières et les paroles d’institution prononcées à la table du Seigneur soulignent la centralité de l’action du Christ. L’action du Christ dans l’eucharistie est rappelée en outre dans les hymnes qu’ils chantent avant les prières d’action de grâce pour le pain et le vin, au moment de la présentation du sacrifice du Christ à Dieu. De façon significative, ces hymnes rappellent et représentent la Passion ; ils sont centrés sur l’action présente du Christ ressuscité, activement présent et attendant d’être accueilli dans la foi.
2.5. Résumé
25. La Commission a approfondi les trois dimensions de la présence du Christ dans le monde, dans l’Église, et dans les sacrements du baptême et de l’eucharistie, une présence toujours fondée sur la Parole dynamique de Dieu. Ces trois dimensions sont intimement liées entre elles. Cette approche sacramentelle de toute la vie est pour nous une façon d’affirmer que nous vivons dans le monde de Dieu, un monde où il est constamment à l’œuvre. Avec tous ces éléments, nous pouvons maintenant passer à l’examen de la présence du Christ dans l’eucharistie.
3. La présence du Christ dans l’eucharistie
3.1. L’eucharistie, sacrement de communion dans le Christ
26. Disciples et catholiques partagent la conviction que l’eucharistie est au centre de la vie de l’Église : dans l’eucharistie, nous ne faisons qu’un dans le Christ ressuscité et nous écoutons ensemble sa Parole. Vatican II enseigne que « le sacrement du pain eucharistique représente et produit l’unité des fidèles, qui constituent un seul corps dans le Christ (cf. 1 Co 10, 17) » (LG 3), et que la célébration de l’eucharistie « contribue au plus haut point à ce que les fidèles, par leur vie, expriment et manifestent aux autres le mystère du Christ et la nature authentique de la véritable Église » (SC 2). Pour les Disciples, « l’affirmation selon laquelle l’Église est appelée aujourd’hui, comme dans les temps apostoliques, à se réunir autour de la table du Seigneur le premier jour de la semaine a été un trait marquant et constant de la vie ecclésiale des Disciples. Il s’agit en effet d’un trait de notre identité comme Église ». Les Disciples considèrent le repas du Seigneur comme « un acte d’une richesse spirituelle inépuisable… qu’ils partagent en communion avec les chrétiens en tous temps et en tous les lieux ». « Le repas du Seigneur signifie bien davantage que ce que l’Église pourra jamais en dire » (CDC 139).
27. Ensemble, Disciples et catholiques enseignent que l’Église est communion en Christ, et qu’elle est caractérisée par l’unité visible dans laquelle nous recevons l’eucharistie, sacrement de l’unité de l’Église. L’Église comme communion dans le Christ dit :
Cette visibilité se réalise spécialement dans la célébration de l’eucharistie. Là, après avoir confessé leur foi, les baptisés rassemblés reçoivent le corps et le sang du Christ, le Fils de Dieu qui, sur la croix, a réconcilié l’humanité avec Dieu en un seul corps. Là, ils prennent part à la communion des saints et de tous les membres de la famille de Dieu. Ce qui est célébré dans l’eucharistie doit être actualisé par une vie de prière et de foi communes, de fidélité à l’Évangile, de partage des biens spirituels et même matériels dans la communauté, d’engagement à faire la volonté de Dieu afin que l’œuvre rédemptrice du Christ soit répandue et offerte à tous les hommes (ECDC 48).
28. L’unité visible de l’Église est tellement centrale pour les catholiques comme pour les Disciples que les divisions qui nous empêchent de partager ensemble l’eucharistie sont particulièrement douloureuses. Nos visions différentes de l’Église et de son unité nous ont conduits à des pratiques différentes en ce qui concerne la participation à l’eucharistie. Les fondateurs des Disciples, et notamment Alexander Campbell et Barton Warren Stone, enseignaient que le service de la communion est une manifestation de l’unité de tous les croyants. Pour les catholiques, le partage de l’eucharistie implique une pleine communion dans le Corps du Christ qu’est l’Église, et donc aussi le partage des contenus de la foi, des sacrements, des ministères de l’Églises et des structures de l’autorité (cf. LG 14).
3.2. L’eucharistie, sacrement de la présence réelle du Christ
29. Disciples et catholiques croient que le sacrement de l’eucharistie est le lieu par excellence de la présence du Christ, où ses paroles sont répétées en obéissance à son mandat et rendues efficaces par l’Esprit Saint, qui réalise pour les croyants rassemblés ce que le Christ a promis à ses disciples durant la dernière Cène. Le dynamisme de la parole rend le Christ présent auprès des croyants rassemblés pour l’eucharistie en leur apportant le pardon, la purification et la transformation. Entré dans le règne de l’Esprit après sa résurrection, le Christ s’offre aux croyants en Esprit comme pain du ciel, en se donnant à eux pour le salut du monde, en sorte que « celui qui me mangera vivra par moi » (Jn 6, 57). Ensemble, Disciples et catholiques croient au pouvoir de la célébration eucharistique, qui est pour eux la prière primordiale et centrale de l’Église, la communion au corps et au sang du Christ.
3.2.1. Aperçu historique sur la présence réelle du Christ dans l’eucharistie
30. Mais alors que, ensemble, Disciples et catholiques transmettent la foi vivante dans la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, ils n’en restent pas moins les héritiers des controverses historiques sur le sens de cet enseignement. Leur interprétation de ces controverses influe sur l’idée qu’ils se font, les uns et les autres, de leurs enseignements respectifs sur la présence du Christ dans l’eucharistie.
31. Pendant tout le premier millénaire de l’histoire de l’Église, la présence réelle du Christ dans le pain et dans le vin eucharistiques a été reconnue sans contestation significative. Dans la période patristique, les penseurs chrétiens enseignaient que le pain et le vin étaient changés dans le corps et le sang du Christ. L’invocation de l’Esprit Saint pour que le pain et le vin deviennent le corps et le sang du Christ révèle à quel point cette croyance est ancienne et largement répandue. Les auteurs patristiques des premiers siècles de l’Église recouraient à une série d’analogies et de concepts pour expliquer le changement intervenu dans les éléments du pain et du vin. Et à la suite d’Irénée, ils assimilaient le refus de reconnaître ce changement à un refus de reconnaître l’Incarnation. Au IVe siècle, la doctrine eucharistique de la conversion (conversio) du pain et du vin était suffisamment développée pour qu’Hilaire de Poitiers puisse dire que le Verbe fait chair demeure en nous « naturellement » : en mêlant sa nature éternelle au sacrement de sa chair, il nous la fait partager[8]. Au Ve siècle, Augustin expliquait que l’eucharistie contient la réalité qu’elle symbolise[9].
32. La synthèse patristique entre réel et symbolique commença à être contestée à la fin du premier millénaire. Il s’en suivit une période de controverses dans l’Église d’Occident sur le mode de présence du Christ, qui se prolongea pendant une grande partie du deuxième millénaire de l’histoire chrétienne. Dès le IXe siècle, Paschase Radbert donna une interprétation matérialiste de la conversion du pain et du vin, comme s’il s’agissait d’un changement physique ou matériel. Deux siècles plus tard, Bérenger de Tours donna une interprétation « symbolique » de l’eucharistie, selon laquelle les offrandes pouvaient être appelées corps et sang du Christ, tout en demeurant en réalité du pain et du vin. Ces prises de positions, sources de controverses et de malentendus chez les croyants, poussèrent les théologiens à préciser leur conception de la présence du Christ dans l’eucharistie.
33. Pour décrire la conversion du pain et du vin dans le corps et le sang du Christ, les théologiens, les synodes et les papes commencèrent à utiliser le terme « transsubstantiation », qui entra pour la première fois dans l’enseignement officiel de l’Église en 1215, quand le IVe Concile du Latran l’appliqua à l’eucharistie[10]. Le sens de ce terme fut développé ensuite par Thomas d’Aquin au XIIIe siècle. Thomas utilise le terme de transsubstantiation à la fois pour s’opposer à l’interprétation matérialiste de l’eucharistie, et pour affirmer la conversion du pain et du vin héritée de la période patristique et mise en évidence dans l’invocation à l’Esprit Saint de la prière eucharistique. Il fait appel à la philosophie aristotélicienne, très en vogue dans les universités de son temps, et qui a une valeur apologétique. Il soutient que dans l’eucharistie, la « substance » du pain et du vin (ce qu’ils sont) est changée dans le corps et le sang du Christ, ne laissant subsister que les « accidents » (ce qu’ils paraissent être). Thomas d’Aquin ne cherche pas à expliquer comment ce changement se produit. Il affirme seulement qu’un changement a lieu, tout en soulignant la singularité de cette opération mystérieuse : ce n’est pas un changement local ou matériel, mais un changement surnaturel. Thomas affirme que le corps du Christ se rend présent dans les espèces non pas localement, comme s’il occupait un espace particulier, mais « par conversion de la substance du pain en Lui-même (c.-à-d. dans le corps du Christ). Cette conversion n’advient pas à la manière des changements naturels, mais est absolument surnaturelle et ne peut être que l’œuvre de Dieu… Toute la substance du pain est changée dans toute la substance du corps du Christ, et toute la substance du vin dans toute la substance du sang du Christ »[11]. Et parce que le Christ est présent dans l’eucharistie à la fois dans son humanité et dans sa divinité, Thomas explique que cette présence implique aussi sa corporéité, bien qu’il s’agisse ici du corps transformé du Christ ressuscité, de ce que saint Paul appelle son « corps spirituel ». Thomas donne de ce qui advient au moment de la conversion du pain et du vin une explication qui n’est pas physique, mais métaphysique[12].
34. Au temps de la Réforme, l’interprétation commune de la présence eucharistique fit place, une nouvelle fois, à des points de vue différents. Des termes dont le sens avait toujours été univoque commencèrent à donner lieu à des interprétations divergentes. Le mot « substance », qui de nos jours a un sens plutôt matériel (ce que l’on peut toucher et sentir), était utilisé au XVIe siècle pour signifier « matériellement présent », ce qui est exactement le contraire de ce qu’entendait Thomas d’Aquin quand il utilisait le terme de transsubstantiation pour réfuter les erreurs d’interprétation matérialistes. Martin Luther rejeta le concept de transsubstantiation, tout en reconnaissant la présence réelle du Christ dans l’eucharistie « sous les espèces du pain et du vin ». Dans l’Institution de la religion chrétienne, Jean Calvin critique l’emploi du terme transsubstantiation auquel il reproche son origine trop récente, tout en reconnaissant que les Pères (notamment Cyril de Jérusalem, Ambroise et Jean Damascène) parlaient de « conversio ». Son objection s’adresse d’ailleurs davantage à Guillaume d’Ockham qu’à Thomas d’Aquin quand il dit que « la vérité de ce mystère nous échappe, sauf si le vrai pain représente le vrai corps du Christ »[13].
35. Alors que les réformateurs donnaient diverses interprétations de la présence du Christ dans l’eucharistie, le Concile de Trente (1545-63) défendit la « présence véritable et substantielle » du Christ contre toute tentative pour n’y voir qu’un « signe » ou une « figure », ou pour combiner la présence du Christ avec celle subsistante du pain et du vin. Le Concile commença par reconnaître que le Christ est présent « par un mode d’existence que nous pouvons à peine exprimer par des mots, et que nous pouvons cependant reconnaître… par notre pensée éclairée par la foi ». Il utilisa le terme et le concept de transsubstantiation pour affirmer que le pain et le vin sont changés dans le corps et le sang du Christ, en ajoutant que « ce changement a été justement et proprement appelé, par la sainte Église catholique, transsubstantiation »[14]. En soulignant que ce terme était employé « justement et proprement », le Concile de Trente entendait surtout condamner les autres termes et concepts qui réfutaient cette doctrine.
36. Les Disciples du Christ sont apparus au XIXe siècle, autrement dit vers la fin de ce deuxième millénaire si riche en controverses sur la présence réelle du Christ dans l’eucharistie. Ils se sont séparés des Églises presbytériennes, considérant qu’il n’y avait pas de base scripturale aux conditions posées par la « Secession Testimony » et par la « Confession de Westminster » pour être admis à la communion (cf. RTF 3,16). En outre, ces conditions les empêchaient de répondre à l’invitation du Christ à venir à sa table. Par la suite, les Disciples ont continué à s’opposer aux traditions eucharistiques qui donnent une explication trop précise et détaillée de la présence du Christ. Cependant, Disciples et catholiques partagent la conviction que le sacrement de l’eucharistie est le lieu par excellence de la présence du Christ, où ses paroles sont répétées en obéissance à son mandat et rendues efficaces par l’Esprit Saint, qui réalise pour les croyants rassemblés ce que le Christ a promis à ses disciples durant la dernière Cène.
37. Le XIXe siècle a été un temps où les croyances religieuses se définissaient autant par des négations que par des affirmations. Ainsi, bien que les Disciples aient toujours vu dans le repas du Seigneur bien plus qu’un simple mémorial de la dernière Cène, ils ont critiqué l’emploi du terme transsubstantiation parce qu’il implique une explication métaphysique non nécessaire à leurs yeux. En outre, les premiers Disciples s’étaient formés dans le climat philosophique du réalisme écossais fondé sur le bon sens, où ce que Thomas appelait « accident » était interprété comme représentant le réel, et où ce qu’il appelait « substance » était considéré comme une abstraction non nécessaire. Dans ce climat philosophique si différent, la transsubstantiation avait fini par signifier quasiment le contraire de ce que Thomas d’Aquin entendait par ce terme. Et les bases philosophiques aristotéliciennes sur lesquelles Thomas s’appuyait – un outil apologétique efficace dans l’Europe du XIIIe siècle – n’avaient plus de sens dans le contexte philosophique de la Grande-Bretagne et des États-Unis au XIXe siècle.
3.2.2. Enseignement actuel des catholiques et des Disciples sur la présence réelle du Christ dans l’eucharistie
38. L’œcuménisme a rendu possible une meilleure compréhension mutuelle des différentes approches de la question de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie. Néanmoins, la Commission reconnaît qu’il s’agit d’un grand mystère de notre foi, non pas parce qu’il est inconnaissable, mais parce qu’il recèle une profondeur de sens inexhaustible.
39. Dans nos études bibliques, nous avons réfléchi sur les nombreuses formes sous lesquelles la présence de Dieu se manifeste dans la Bible, en les mettant en relation avec la présence du Christ dans l’eucharistie. Par le Nom divin, en Exode 3, 14, Dieu révèle sa présence agissante et créatrice dans le monde et dans l’histoire ; en outre, les théophanies de l’Ancien Testament nous montrent que cette présence divine est salvifique. Le temple représentait la « demeure » de Dieu au milieu de son peuple, et sa présence avait une connotation dynamique. Cette tradition a continué dans le Nouveau Testament qui enseigne qu’« il a plu à Dieu de faire habiter toute la plénitude » en Jésus Christ (Col 1, 19). Après la Résurrection, le Seigneur ressuscité a continué d’habiter dans le monde d’une façon nouvelle et permanente. Le corps du Fils incarné, entré désormais dans le règne de l’Esprit, continue de venir à nous dans l’eucharistie pour nous transmettre la vie divine. Dans l’évangile de Jean, Jésus se révèle comme pain de vie, descendu du ciel pour le salut du monde.
40. L’enseignement catholique actuel a élargi son champ de vision lorsque, en réfléchissant sur les principes du renouveau liturgique, il a mis en lumière les diverses formes sous lesquelles le Christ est présent dans les célébrations liturgiques de l’Église. La Constitution sur la sainte liturgie de Vatican II dit que le Christ « est là présent dans le sacrifice de la messe et dans la personne du ministre, ‘le même offrant maintenant par le ministère des prêtres qui s’offrit alors sur la croix’ et, au plus haut point, sous les espèces eucharistiques. Il est là présent par sa vertu dans les sacrements, au point que lorsque quelqu’un baptise, c’est le Christ lui-même qui baptise. Il est là présent par sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Église les saintes Écritures. Enfin il est là présent lorsque l’Église prie et chante les psaumes, lui qui a promis : ‘Là ou deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là, au milieu d’eux’ (Mt 18, 20) » (SC 7).
41. Le terme de transsubstantiation a gardé une valeur normative dans l’enseignement catholique actuel. En utilisant ce terme, le Concile de Trente entendait affirmer le mystère de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, tout en s’opposant à deux positions extrêmes : d’une part, il condamnait l’idée que le Christ ne serait présent qu’en « signe » ou en « figure », ou présent avec les substances subsistantes du pain et du vin. De l’autre, il affirmait le mystère de la présence du Christ, en s’opposant aux interprétations matérialistes. Le sens donné à ce terme par le Concile de Trente se retrouve dans l’enseignement catholique, qui dit que le pain et le vin deviennent le corps et le sang du Seigneur ressuscité et glorifié.
42. Au XIXe siècle, les premiers Disciples n’utilisaient pas le terme « transsubstantiation » pour définir leur croyance dans la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, et aujourd’hui encore, le cadre conceptuel dans lequel ce terme est apparu à l’origine ne leur est pas familier. C’est pourquoi, en général, ils ne l’utilisent pas. Néanmoins, la réflexion menée à la fin du XXe siècle sur la notion aristotélicienne de « substance » et sur son utilisation par Thomas d’Aquin et d’autres théologiens de son temps a fait apparaître les erreurs d’interprétation dont cette terminologie a pu faire l’objet dans le passé. Qui plus est, les Disciples sont d’accord pour dire que la signification véritable du pain et du vin dans l’eucharistie ne saurait se réduire à leurs caractéristiques physiques. Ce faisant, ils reconnaissent le mystère de la présence du Christ dans l’eucharistie, qui fait de la réception du pain et du vin une vraie communion à son corps et à son sang.
43. Les Disciples ont une façon qui leur est propre de décrire la présence du Christ dans l’eucharistie : ils disent que le Christ est l’hôte du banquet eucharistique, et que sa présence est vécue par les fidèles dans la communion. Ils affirment en outre que par la puissance de l’Esprit Saint, le pain et le vin deviennent pour nous, dans la foi, le corps et le sang du Christ. Les Disciples reprennent volontiers à leur compte les paroles du texte de convergence de Foi et Constitution sur Baptême, Eucharistie, Ministère pour qui « le mode de la présence réelle, vivante et agissante, du Christ dans l’eucharistie est singulier… et ne dépend pas de la foi des individus » (E 13). Dans la célébration de l’eucharistie, « l’Esprit Saint rend le Christ crucifié et ressuscité réellement présent pour nous dans le repas eucharistique » (E 14) en nous donnant un « avant-goût » du « renouvellement final de la création » (E 22). Les Disciples pensent que leur façon particulière de concevoir la présence réelle du Christ dans l’eucharistie a été enrichie par le dialogue œcuménique, et ils se félicitent de cet élargissement de leurs perspectives.
44. Le Christ présent dans l’eucharistie attend d’être accueilli par les croyants dans la réception de la communion : celle-ci ne doit pas être considérée indépendamment de son but. Les catholiques ont maintenu la pratique de l’Église primitive consistant à réserver la communion de la célébration eucharistique pour les malades qui n’ont pas pu y participer. Tel était le but premier de la réserve des espèces consacrées. Dans l’Église d’Occident, la réserve a conduit à la pratique de l’adoration du Christ présent dans le Saint-Sacrement. La prière devant le Saint-Sacrement, les processions et les dévotions qui entourent le sacrement réservé et la communion portée aux malades sont, aujourd’hui encore, des pratiques vivantes chez les catholiques. Les instructions liturgiques catholiques postérieures à Vatican II disent que l’adoration du Christ dans le sacrement réservé doit être entendue comme une extension de l’action sacramentelle de la célébration eucharistique, dont le but est de favoriser la communion sacramentelle et spirituelle[15]. Les Disciples ont accueilli bien volontiers cette clarification sur une pratique qui ne leur est pas familière. Les réticences des Disciples portent sur une localisation de la présence du Christ dans le pain et le vin qui serait détachée de la célébration eucharistique proprement dite. Pour leur part, les Disciples considèrent la prière devant le sacrement réservé comme une source de malentendus, tout en respectant la tradition de prière contemplative et communautaire à laquelle elle a donné naissance.
3.2.3. Résumé
45. Disciples et catholiques utilisent un langage différent pour décrire la présence réelle du Christ dans l’eucharistie et mettent l’accent sur des aspects différents de ce mystère. Mais ensemble, ils proclament le mystère de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, et spécialement dans le pain et le vin, et ensemble, ils rejettent les interprétations réductionnistes selon lesquelles cette présence ne serait que matérielle ou figurée. La Commission a atteint une réelle convergence sur ce point, une fois dissipées les incompréhensions mutuelles, tout en admettant que des divergences subsistent encore.
3.3. L’eucharistie, sacrement du sacrifice du Christ
46. Ensemble, Disciples et catholiques croient que le sacrement de l’eucharistie actualise d’une façon spéciale le sacrifice du Christ sur la croix, ainsi que toute sa vie, son ministère, sa passion qui l’a mené à la croix. Avec Paul, ils croient que la coupe de bénédiction est une « communion au sang du Christ ». La prière eucharistique rappelle non seulement la passion du Christ, mais toute l’histoire de la création et de la rédemption, en attendant la consommation de l’œuvre du Christ quand il reviendra. L’Église répond ainsi à l’exhortation paulinienne d’« annoncer la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co 11, 26).
3.3.1. Aperçu historique sur la dimension sacrificielle de l’eucharistie
47. Dans le Nouveau Testament, la mort du Christ en croix est décrite comme une offrande du Christ Grand prêtre qui, au lieu d’offrir des sacrifices chaque jour, « l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même… pour les péchés » (He 7, 27). Par ce « sacrifice unique offert pour les péchés » (He 10, 12), le Christ a livré son corps une fois pour toutes (He 10, 10). La dimension sacrificielle de la mort du Christ est préfigurée dans la dernière Cène où, d’après Paul et les évangélistes, Jésus a mis en relation le pain et le vin avec son corps « offert pour vous », et avec son sang « versé pour vous », en scellant ainsi une « nouvelle alliance par son sang » (Mt 22, 26-28, Mc 14, 22-25, 1 Co 11, 23-27). Dans les premiers siècles, les Pères de l’Église, notamment Justin, Irénée de Lyon, Hyppolite de Rome et d’autres encore, continuèrent à donner une interprétation sacrificielle de l’eucharistie.
48. Au Moyen Âge, dans l’Église d’Occident, la réflexion théologique s’est attachée surtout à l’interprétation sacrificielle de l’eucharistie, et beaucoup moins à la présence réelle du Christ. L’enseignement patristique sur le caractère sacrificiel de l’eucharistie s’est développé en y incluant l’idée que la messe était un acte de réparation des péchés, pouvant être offert chaque jour pour le salut des vivants et des morts. La participation des laïcs au sacrifice consistait principalement en une identification spirituelle avec le Christ dans sa Passion, exprimée dans la dévotion par une méditation qui met en relation les différents moments de la messe avec les étapes de la Passion. En raison du caractère propitiatoire du sacrifice, la célébration de messes particulières dans une intention votive fut encouragée : ainsi se répandit l’usage de célébrer des messes pour le salut de l’âme des donateurs, de leurs proches et de leurs amis.
49. À la suite de Martin Luther, les réformateurs du XVIe siècle rejetèrent ces interprétations théologiques ainsi que les pratiques qui les accompagnaient. À leurs yeux, le fait de voir dans la messe un sacrifice en faisait une « œuvre », ce qui était contraire à leur théologie de la grâce de Dieu. Ils soutenaient que l’eucharistie n’est pas une répétition, mais un mémorial du sacrifice du Christ accompli une fois pour toutes sur la croix, suffisant pour racheter tous les péchés des hommes. Les réformateurs n’étaient pas tous d’accord entre eux sur le sens à donner à ce « mémorial ».
50. En réponse aux réformateurs, le Concile de Trente, citant les enseignements des premiers siècles de l’Église, réaffirme que la messe est un sacrifice vrai et propre, et non une « simple commémoration ». Il enseigne que la messe est le même sacrifice que celui de la croix, quoique offert différemment, d’une manière non sanglante : le Christ présent et immolé dans la messe de façon non sanglante, est celui-là même qui s’est offert une fois pour toutes sur la croix dans un sacrifice sanglant[16].
51. Trois siècles plus tard, les Disciples du Christ reçoivent et reprennent à leur compte, sans trop discuter, le rejet de l’interprétation sacrificielle de l’eucharistie par les Réformateurs. Les Disciples voient plutôt l’eucharistie comme un repas au cours duquel le sacrifice offert consiste dans la louange et l’action de grâce des croyants.
3.3.2. Enseignement actuel des catholiques et des Disciples sur la dimension sacrificielle de l’eucharistie
52. Ensemble, Disciples et catholiques saluent le retour au sens biblique du mémorial (anamnèse) au XXe siècle, selon lequel ce qui est remémoré est représenté ou réactualisé par l’assemblée des fidèles. Dans nos discussions, nous nous sommes efforcés de mettre en relation le concept de mémorial avec le dynamisme de la parole de Dieu. Pour les catholiques, le retour au sens biblique du mémorial (anamnèse) a aidé à corriger certaines interprétations déviées des enseignements du Concile de Trente. En effet, alors que ce Concile enseignait qu’il n’y a pas une nouvelle oblation sur la croix à chaque célébration eucharistique, certaines interprétations théologiques de ce même Concile pouvaient donner l’impression du contraire. Il n’était pas facile pour les théologiens catholiques de trouver un outil conceptuel permettant de poser à la fois l’oblation radicale du Christ une fois pour toutes (ephapax), et sa présence permanente dans le sacrement. Cet outil leur fut fourni par le concept biblique de mémorial. Chez les Disciples, le retour au sens biblique du mémorial leur a permis de ne pas voir uniquement dans ce terme un rappel mental, une erreur dans laquelle les réformateurs eux-mêmes n’étaient pas tombés : « [Dans l’anamnèse] l’action de Dieu dans l’histoire, qui a une signification pour l’éternité, est manifestée et actualisée dans la vie des fidèles »[17].
53. Tant les catholiques que les Disciples ont participé à la rédaction de la Déclaration Baptême, Eucharistie, Ministère. La Commission a trouvé dans ce document une aide pour sa présentation du mémorial (anamnèse). Il y est dit notamment que l’eucharistie est « le sacrement du sacrifice unique du Christ, toujours vivant pour intercéder en notre faveur » (E 8), avec ce commentaire : « C’est à la lumière de cette signification de l’eucharistie comme intercession que l’on peut comprendre les références à l’eucharistie comme ‘sacrifice propitiatoire’ en théologie catholique. Il n’y a qu’une expiation, celle du sacrifice unique de la croix, rendu agissant dans l’eucharistie et présenté au Père dans l’intercession du Christ et de l’Église pour toute l’humanité ». L’eucharistie est un sacrifice de louange et d’action de grâce offert par les fidèles en union avec le Christ ; et en s’unissant au Christ, ils sont rendus participants du don de soi qui constitue le sacrifice du Christ au Père. Ainsi, l’eucharistie représente pour ceux qui y prennent part le sacrifice de la croix ; et la communion au corps et au sang du Christ est à la fois un appel à suivre le Christ et une réaffirmation de notre condition de disciple.
54. La Commission a trouvé que la perspective développée dans Baptême, Eucharistie, Ministère était très utile pour comprendre l’interprétation sacrificielle de l’eucharistie. Elle note que dans leur réponse à Baptême, Eucharistie, Ministère (largement positive dans l’ensemble), la Congrégation pour la doctrine de la foi et le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens précisent que la notion d’intercession ne paraît pas suffisante pour expliquer la dimension sacrificielle de l’eucharistie telle que les catholiques la conçoivent. Dans cette réponse, ils réaffirment que le sacrifice du Christ, accompli une fois pour toutes, n’est pas répété, mais que puisque le Grand prêtre est le Seigneur crucifié et ressuscité, on peut considérer que ce sacrifice est « rendu éternel », une idée que le terme « intercession » ne rend pas pleinement. Ils précisent en outre que la foi catholique « lie plus étroitement l’aspect sacrificiel de l’eucharistie au sacrement du corps et du sang [du Christ] qu’il n’apparaît dans ce texte »[18].
55. Au cours des discussions, la Commission a découvert davantage de points communs sur la nature sacrificielle de l’eucharistie que ceux reconnus précédemment. Nos deux traditions enseignent que le sacrifice du Christ a eu lieu une fois pour toutes et ne peut être répété. Dans la célébration de l’eucharistie, l’Église rappelle et représente le sacrifice du Christ de façon sacramentelle. À la Conférence d’Édimbourg de Foi et Constitution en 1937, la position des Disciples ou des Églises du Christ était ainsi définie : « L’eucharistie est pour eux le grand service ecclésial par lequel l’Église, comme sacerdoce royal, offre un culte, mais pas un modèle qu’elle aurait conçu elle-même ni un modèle déterminé par ses propres préférences. L’Église ministérielle offre plutôt un culte à travers son Grand prêtre éminent, présenté ici dans son saint acte de rédemption comme sacrificium »[19]. Plus récemment, les Disciples ont défini cette remémoration (anamnèse), qui « n’est pas seulement le mémorial d’un événement survenu dans un passé lointain, et donc éloigné de nous, mais une représentation qui fait de cet événement passé une réalité vivante et vécue, ici et maintenant. Dans cette anamnèse, Jésus Christ lui-même est présent, avec tout ce qu’il a fait pour nous et pour la création » (CDC 144). Ces affirmations, qui laissent entrevoir une convergence plus marquée avec la réponse de l’Église catholique romaine à Baptême, Eucharistie, Ministèrequ’avec le texte de BEM lui-même, présentent de fortes analogies avec l’enseignement actuel du Catéchisme de l’Église catholique où il est dit que « dans le sens de l’Écriture Sainte, le mémorial n’est pas seulement le souvenir des événements du passé, mais la proclamation des merveilles que Dieu a accomplies pour les hommes » (CEC 1363). Ainsi, « quand l’Église célèbre l’eucharistie, elle fait mémoire de la Pâque du Christ, et celle-ci devient présente : le sacrifice que le Christ a offert une fois pour toutes sur la Croix demeure toujours actuel » (CEC 1364). Citant un document du Concile de Trente[20], le Catéchisme explique que l’eucharistie est un sacrifice « parce qu’elle représente (rend présent) le sacrifice de la croix, parce qu’elle en est le mémorial et parce qu’elle en applique le fruit » (CEC 1366).
56. Disciples et catholiques s’accordent à dire que l’eucharistie est le sacrement du sacrifice du Christ. Et bien que le sacrifice du Christ sur la croix soit advenu une fois pour toutes et ne puisse être répété, les chrétiens sont rendus participants du don de soi du Christ dans la célébration eucharistique. « En union avec lui et avec toute l’Église sur la terre et au ciel », dit la Base d’union de l’Église réformée unie, « ses fidèles rassemblés à cette table présentent un sacrifice d’action de grâce et renouvellent le don d’eux-mêmes »[21]. Sans rien ajouter à ce que Jésus a déjà fait, « tout le peuple de Dieu… en réponse au sacrifice du Christ, offre son sacrifice de louange et d’action de grâce, en s’offrant à Dieu qui a porté la Bonne Nouvelle aux pécheurs » (CDC 145). Dans l’eucharistie, l’Église s’unit à l’intercession que le Christ adresse au Père pour tous les hommes et pour toute la création. « La vie des fidèles, leur louange, leur souffrance, leur prière, leur travail sont unis à ceux du Christ et à sa totale offrande, et acquièrent ainsi une valeur nouvelle », dit le Catéchisme (CEC 1368).
3.3.3. Résumé
57. Ensemble, Disciples et catholiques affirment que le sacrement de l’eucharistie rend présent le sacrifice du Christ, accompli une fois pour toutes. La Commission est parvenue à une réelle convergence sur ce point, une fois dissipées les incompréhensions mutuelles, tout en admettant que des divergences subsistent encore. Nous allons maintenant examiner une autre question, liée aux précédentes : la façon dont le langage sacrificiel est appliqué à ceux qui président à l’eucharistie, considérés dans leur rôle sacerdotal.
4. Le sacerdoce du Christ et de ses ministres
4.1. Aperçu historique sur la conception sacerdotale du ministère ordonné
58. À côté des interprétations sacrificielles de l’eucharistie apparues dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, s’est développée une interprétation du rôle sacerdotal de celui qui préside à l’eucharistie. On ne trouve pas trace d’une telle interprétation dans le Nouveau Testament, qui qualifie l’Église de « race élue, communauté sacerdotale du roi » (1 P 2, 9), mais n’utilise aucun de ces termes pour désigner ceux qui président à l’eucharistie communautaire. Cependant, à mesure qu’un parallèle est établi entre l’eucharistie et la dernière Cène dans le symbolisme liturgique et théologique de la période patristique, en s’appuyant sur Hébreux 10, 10 et sur l’Ancien Testament, celui qui préside à l’eucharistie en vient à être considéré comme étant dans un rapport sacramentel avec le don de soi du Christ Grand prêtre, et est appelé « prêtre ».
59. Au Moyen Âge, l’interprétation sacerdotale finit par prévaloir dans la théologie et dans la pratique du ministère ordonné de l’Église d’Occident. Le Concile de Trente, en ligne avec cette tendance très ancienne, réaffirme cet enseignement doctrinal en concentrant son attention en particulier sur l’ordination à la prêtrise. Durant la dernière Cène, le Christ a fait de ses apôtres des prêtres et leur a confié le mémorial du sacrifice de son corps et de son sang[22].
60. Si le Concile de Trente a insisté sur ces éléments, c’est parce qu’il entendait réaffirmer les points contestés par les réformateurs, et en particulier la dimension sacrificielle de l’eucharistie, le caractère sacerdotal du ministère ordonné, et le caractère sacramentel de l’ordination. Tout en reconnaissant l’importance du ministère ordonné dans l’Église, les réformateurs mettaient plutôt l’accent sur la prédication, l’enseignement et les tâches pastorales des ministres ordonnés. En outre, les réformateurs luthériens, réformés et anabaptistes d’Europe furent amenés à devoir choisir entre continuité de l’office épiscopal et continuité de l’enseignement. C’est ainsi qu’ils supprimèrent ou limitèrent l’office épiscopal, en soutenant que la succession apostolique dépend principalement de la continuité de l’enseignement. Ils cessèrent d’attribuer aux presbytres ordonnés le nom de « prêtre », préférant parler du « sacerdoce des fidèles ». Les Disciples du Christ ont recueilli cet héritage de la Réforme. Chez les Disciples, un ministre ordonné ou un ancien préside normalement aux sacrements de l’eucharistie et du baptême, et ils n’ont pas coutume d’utiliser le mot « prêtre », qui pour eux s’applique spécifiquement à l’eucharistie, pour désigner celui qui baptise et qui prêche (ECDC 45).
61. Vatican II a traité à plusieurs reprises la question du ministère ordonné et de ses rapports avec l’Église tout entière. D’un côté, le Concile parle du « sacerdoce commun » de tous les fidèles qui, « en vertu de leur sacerdoce royal, ont part à l’offrande eucharistique et exercent ce sacerdoce par la réception des sacrements, la prière et l’action de grâce, par le témoignage d’une vie sainte, par l’abnégation et la charité active ». D’autre part, il affirme que le sacerdoce ministériel de l’ordonné diffère du sacerdoce commun « essentiellement et non pas seulement en degré », car il « instruit et gouverne le peuple sacerdotal » et « accomplit le sacrifice eucharistique » (LG 10). Il existe pour promouvoir et nourrir le sacerdoce commun de tous les baptisés.
62. En outre, le Concile, en suivant en cela une tradition ancienne, a vu dans l’épiscopat, davantage encore que le presbytérat, la catégorie fondamentale du ministère ordonné. Plutôt que de considérer que l’épiscopat confère seulement une juridiction et une autorité supplémentaires, le Concile a mis l’accent sur la sacramentalité du ministère épiscopal et sur la collégialité des évêques agissant ensemble comme successeurs des apôtres. Non seulement le ministère épiscopal continue d’être considéré comme une participation au sacerdoce du Christ, mais il confère aussi la charge d’enseigner et de gouverner (LG 21). Enfin, parmi les fonctions de l’évêque, une place prééminente est donnée à la prédication (LG 25). En tant que collaborateurs de l’évêque, les presbytres[23] ont, eux aussi, « pour première fonction d’annoncer l’Évangile de Dieu à tous les hommes » (PO 4).
4.2. Enseignement actuel des catholiques et des Disciples sur la dimension sacerdotale du ministère ordonné
63. Nos deux traditions sont en accord sur un certain nombre de questions liées au ministère ordonné. Ensemble, Disciples et catholiques affirment que l’unique sacerdoce du Christ est la mesure et la norme de tout sacerdoce. Le Christ fait office de médiateur entre Dieu et les hommes, en nous sanctifiant par le don de lui-même dans un sacrifice parfait, accompli une fois pour toutes pour le rachat des péchés du monde. « Il n’a pas besoin comme les autres grands prêtres d’offrir chaque jour des sacrifices, d’abord pour ses propres péchés, puis pour ceux du peuple. Cela, il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même » (He 7, 27). Par sa mort et sa résurrection, en instituant son rôle unique et éternel de Grand prêtre, il a inauguré un nouveau rapport entre Dieu et les hommes (cf. Jn 7, 21).
64. Ensemble, Disciples et catholiques reconnaissent aussi que le Christ a fait des baptisés un peuple sacerdotal dont les membres sont liés au Christ, et donc liés les uns aux autres comme membres de son corps. En tant que peuple sacerdotal, les baptisés offrent des sacrifices de louange et d’action de grâce (He 13, 15, Ps 116, 17), et présentent leur corps comme « un sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu : ce sera là votre culte spirituel » (Rm 12, 1).
65. Disciples et catholiques s’accordent à dire en outre que le ministère ordonné doit être considéré dans le cadre de l’apostolicité de l’Église. Dans une précédente phase du dialogue, la Commission avait reconnu et étudié le rapport entre eucharistie et maintien de la continuité avec la communauté apostolique. L’Église comme communion dans le Christdéclare que « Disciples et catholiques romains ont en commun la détermination de vivre et d’enseigner de telle manière que le Seigneur, à son retour, puisse trouver une Église qui témoigne la foi des apôtres » (ECDC 27). Ils croient en outre que l’Esprit Saint travaille à relier le passé et à entretenir dans l’Église la mémoire de la foi apostolique, en la rendant présente et en permettant aux générations successives de s’approprier l’événement commémoré. « Dans l’eucharistie en particulier, l’Esprit rend le Christ présent aux membres de la communauté » (ECDC 28).
66. D’autre part, la Commission a reconnu que l’Esprit Saint « dispense une variété de dons ou de charismes qui permettent à l’Église dans son ensemble de recevoir et de transmettre la Tradition apostolique. Les dons essentiels sont ceux qui sont propres au culte, et surtout à la célébration de la Cène du Seigneur » (ECDC 41). Mais parmi la variété des dons accordés à l’Église « le ministère ordonné reçoit le don particulier de maintenir la communauté dans la mémoire de la Tradition apostolique. Disciples et catholiques romains affirment que le ministère chrétien existe pour actualiser, transmettre et interpréter fidèlement la Tradition apostolique dont l’origine remonte à la première génération » (ECDC 44).
67. Cependant, tout en reconnaissant qu’il existe un rapport entre ministère ordonné et continuité de la tradition apostolique, Disciples et catholiques interprètent et définissent ce rapport différemment. Issus de la tradition de la Réforme qui a rejeté l’épiscopat tel qu’il existait au XVIe siècle, « les Disciples ont toujours reconnu que la tâche ministérielle, répartie dans la communauté locale entre ministres ordonnés et anciens ordonnés, est essentielle pour la vie de l’Église et qu’elle est un signe de continuité avec la tradition apostolique » (ECDC 45). La Commission note que les catholiques croient que l’évêque, en coopération avec « les prêtres, les diacres et la communauté tout entière dans l’Église locale, et en communion avec tout le collège des évêques du monde entier uni à son chef, l’évêque de Rome, garde vivante la foi apostolique dans l’Église locale afin qu’elle demeure fidèle à l’Évangile » (ECDC 45). La Commission a pu constater ainsi que même si leur ministère ordonné est structuré de façon différente, dans les deux communions les ministres ordonnés jouent un rôle essentiel qui consiste à garder vivante la tradition apostolique dans la communauté. Ensemble, catholiques et Disciples déclarent que « toute l’Église prend part au sacerdoce et au ministère du Christ » et ensemble, ils affirment aussi que « les ministres ordonnés ont le charisme spécifique de représenter le Christ dans l’Église ; leur ministère est l’expression du ministère du Christ pour toute l’Église » (ECDC 45). Il s’agit là d’une convergence significative sur la nature apostolique de nos ministères ordonnés et sur la question de la succession apostolique, malgré quelques différences dans leur interprétation et leurs expressions.
68. Sur la question de la représentation du Christ par les ordonnés, Disciples et catholiques sont à la fois en accord et en désaccord. Ils sont d’accord pour dire que les ministres ordonnés représentent le Christ, chef de l’Église, mais ils ne sont d’accord ni sur la nature de la représentation du Christ et sur sa source dans la succession apostolique, ni sur le rapport entre ministère ordonné et sacerdoce des fidèles.
69. En premier lieu, les Disciples et les catholiques ne sont pas d’accord sur la représentation du Christ par les ordonnés. Pour les catholiques, le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique ont entre eux « une différence essentielle et non seulement de degré » (LG 10), tout en étant ordonnés l’un à l’autre. Car d’une part, tous les fidèles prennent part au sacerdoce du Christ en vertu de leur baptême. Le Christ continue son sacerdoce en la personne des baptisés qui consacrent le monde à Dieu par leurs sacrifices spirituels. « Il n’y a aucun membre qui n’ait sa part dans la mission du Corps tout entier » (PO 2). La participation des baptisés au sacerdoce du Christ culmine dans l’eucharistie. D’autre part, conformément à l’intention et au mandat du Seigneur, cette vie sacramentelle requiert l’intervention d’un ministre apostolique agissant en sa personne et parlant en son nom. Le sacerdoce ministériel est conféré par un sacrement distinct du baptême, par lequel les ministres ordonnés sont configurés « au Christ Prêtre pour les rendre capables au nom du Christ Tête en personne » (PO 2). Les catholiques croient que les ministres ordonnés exercent cette fonction d’une façon spéciale dans la célébration eucharistique : « Là, tenant la place du Christ, et proclamant son mystère, ils joignent les prières des fidèles au sacrifice de leur Chef » (LG 28). En présidant à l’eucharistie, l’ordonné agit au nom et pour le salut de tous les baptisés. « C’est par le ministère des prêtres que se consomme le sacrifice spirituel des chrétiens, en union avec le sacrifice du Christ, unique médiateur, offert au nom de toute l’Église dans l’eucharistie par les mains des prêtres, de manière sacramentelle et non sanglante, jusqu’à ce que vienne le Seigneur lui-même » (PO 2). Ainsi, ceux qui sont ordonnés pour le sacerdoce ministériel prennent part à la personne et au travail du Christ Grand prêtre, en rendant possible le sacerdoce des baptisés.
70. Les Disciples n’ont pas développé une réflexion aussi détaillée sur le rapport entre ministère ordonné et sacerdoce du Christ. Ils considèrent l’ordination non pas comme un sacrement distinct du baptême, mais comme sacramentelle dans un sens plus large. Le fondement du ministère ordonné est Jésus Christ, Grand prêtre et chef de l’Église, « qui est son corps, la plénitude de celui que Dieu remplit lui-même totalement » (Ep 1, 22-23). La communauté tout entière, désignée communément par l’expression « le sacerdoce de tous les croyants » participe au ministère éternel du Christ comme membres de son corps. C’est pourquoi en proclamant la Parole vivante, par la puissance de l’Esprit Saint, l’ordonné appelle l’Église à assumer son identité en Christ[24]. Cependant pour les Disciples, les ordonnés ont un rôle distinctif à remplir dans la vie et dans le ministère de l’Église, qui se révèle tout spécialement dans la célébration de l’eucharistie. En tant que représentant du Christ, présidant à la table du Seigneur, le ministre ordonné sert d’hôte à table à la place du Christ. L’ordonné exerce son rôle sacerdotal en dirigeant l’offrande des sacrifices de louange et le culte. Par la puissance de l’Esprit Saint agissant à travers la prière eucharistique et la foi de la communauté, le pain et le vin deviennent pour nous le corps et le sang du Christ.
71. En second lieu, par le fait qu’ils interprètent différemment le rapport entre l’ordonné et le sacerdoce du Christ, Disciples et catholiques conçoivent et expriment différemment le rapport entre le ministre ordonné et l’Église tout entière. Car si d’une part, ils sont d’accord pour dire que « tous les membres n’ont pas la même fonction » (Rm 12, 4), de l’autre, les catholiques croient que la participation des baptisés au sacerdoce du Christ diffère essentiellement du sacerdoce ministériel, et non pas seulement en degré, une conception étrangère à la tradition des Disciples, pour qui l’ordonné a pour tâche d’appeler la communauté à assumer son identité dans le Christ et de représenter le Christ auprès d’elle. Mais tout en soulignant la différence entre le sacerdoce des laïcs et celui des ordonnés, les catholiques disent qu’ils sont liés entre eux : « Le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique, s’ils diffèrent essentiellement et non pas seulement en degré, sont cependant ordonnés l’un à l’autre », a déclaré Vatican II. « L’un comme l’autre participe à sa façon à l’unique sacerdoce du Christ » (LG 10). Les catholiques précisent que le ministère ordonné existe pour le bien de l’Église, et jamais en dehors de l’Église. À propos de cette différence, le Catéchisme de l’Église catholique dit que « le sacerdoce ministériel est au service du sacerdoce commun, il est relatif au déploiement de la grâce baptismale de tous les chrétiens » (CEC 1547). Les Disciples trouvent ces clarifications utiles. Mais ils tiennent à souligner aussi la valeur des dons accordés à tous les baptisés et se méfient de toute définition du ministère ordonné qui limiterait ces dons.
4.3. Résumé
72. Disciples et catholiques s’accordent à dire que le sacerdoce du Christ est le critère de tout sacerdoce dans l’Église. Ils sont également d’accord sur le fait que le peuple de Dieu tout entier est un peuple sacerdotal « que Dieu s’est acquis » (1 P 2, 9). Mais ils n’interprètent pas de la même façon le rapport entre le sacerdoce des fidèles et celui des ministres ordonnés. Dans une précédente phase de ce dialogue, les participants avaient reconnu que le rôle d’episcope (surveillance) est exercé différemment chez les Disciples et chez les catholiques, mais que chez les uns comme chez les autres, les ministres ordonnés remplissent un rôle essentiel qui consiste à garder vivante la mémoire de ce que le Christ a fait et de maintenir l’Église dans la continuité de la foi apostolique. Dans la présente phase, la Commission a découvert de nouveaux points d’accord sur le ministère ordonné, même s’il subsiste encore quelques divergences. Car si les Disciples sont d’accord avec les catholiques pour dire que l’ordonné représente le Christ Grand prêtre dans son ministère, ils n’ont pas la même conception de la nature de cette représentation du Christ et refusent de considérer que son sacerdoce est distinct essentiellement de celui des fidèles. Ces divergences nécessitent d’être explorées plus à fond dans une prochaine phase de notre dialogue ensemble.
5. Conclusion
73. Parce que nous, Disciples et catholiques, partageons un engagement commun pour l’unité de l’Église, nous nous sommes écoutés mutuellement avec attention et nous avons réfléchi ensemble sur les moyens pour faire progresser notre dialogue. Nous sommes partis de notre conviction commune que Dieu est présent dans le monde et dans l’Église, et que sa Parole est dynamique et efficace. En Christ, le Verbe de Dieu s’est fait chair ; et en entrant dans une nouvelle dimension par sa mort et sa résurrection, il est maintenant présent dans le monde en tout temps et en tout lieu.
74. La Commission a cherché en particulier à mettre en relation la présence du Christ ressuscité et la Parole dynamique de Dieu avec les points sur lesquels nous étions en désaccord à propos de l’eucharistie. Le caractère agissant de la Parole de Dieu nous a aidés à mieux comprendre la puissance des paroles de l’anamnèse qui nous rappellent tout ce que Dieu a fait pour nous dans son œuvre de rédemption et le proclament de telle façon que ces événements passés sont efficaces aujourd’hui. Nous avons souligné en particulier l’efficacité des paroles d’invocation à l’Esprit Saint (épiclèse) pour que le pain et le vin deviennent le corps et le sang du Christ[25]. Parce qu’il est ressuscité d’entre les morts, le Christ peut maintenant s’offrir d’une façon unique en nourriture aux croyants dans l’eucharistie, signe et avant-goût de la nouvelle création qui s’accomplira quand il reviendra dans la gloire. Notre confession commune de l’efficacité de la Parole de Dieu et de la puissance de la résurrection du Christ nous a aidés à découvrir davantage de convergences sur l’eucharistie qu’il n’avait été possible précédemment entre catholiques et Disciples.
75. Les membres de la Commission s’accordent à dire qu’il existe un lien essentiel entre la présence du Christ dans le monde, dans l’Église, dans la parole et dans les sacrements du baptême et de la Sainte Communion. Et ils reconnaissent aussi que l’approche sacramentelle de la vie se fonde sur la croyance que nous vivons dans un monde créé par Dieu, et dans lequel Dieu est constamment à l’œuvre.
76. Ce dialogue nous a permis de mieux comprendre pourquoi des points de vue opposés ont été soutenus dans le passé sur la présence du Christ dans l’eucharistie. Nous avons pris conscience que la perception que nous avions de nos croyances respectives était basée sur des malentendus. Ensemble, catholiques et Disciples proclament le mystère fondamental de l’eucharistie, dans laquelle le pain et le vin deviennent le corps et le sang du Christ. Pour réfuter les interprétations matérialistes de ce changement (conversio), les catholiques, parmi d’autres, ont développé la catégorie aristotélicienne de « substance » pour désigner la réalité qui lui est sous-jacente. C’est donc principalement pour lutter contre les interprétations matérialistes que le concept de transsubstantiation a été forgé. Par la suite, les réformateurs protestants ont à leur tour interprété erronément la notion de transsubstantiation dans un sens matérialiste, et les premiers Disciples, formés dans le climat du réalisme écossais fondé sur le bon sens, l’ont écartée, la considérant comme une spéculation métaphysique inutile. Ensemble, catholiques et Disciples affirment que toute explication matérialiste de ce qui se passe à la table du Seigneur doit être rejetée, et que le mystère sacramentel échappe à toute tentative pour l’appréhender.
77. La Commission reconnaît que l’eucharistie est le sacrement du sacrifice du Christ, accompli une fois pour toutes. L’eucharistie est une nouvelle alliance dans le sang du Christ, scellée par sa mort sur la croix pour notre rédemption. Dans l’eucharistie, l’Église s’unit au don de soi du Christ au Père pour tous les hommes et pour toute la création.
78. Ensemble, catholiques et Disciples reconnaissent la dimension sacrificielle de l’eucharistie, et ensemble, ils la considèrent comme une célébration sacerdotale. Mais chez les catholiques, l’action sacerdotale est identifiée plus particulièrement avec le ministre qui préside la célébration, tandis que chez les Disciples tout le peuple sacerdotal de Dieu célèbre le sacrifice eucharistique. Néanmoins, ils pensent que ce sacrifice doit être présidé par un ministre ordonné, par un ancien, ou à défaut par une personne choisie et appelée par la congrégation à remplir cet office de représentation. Une nouvelle réflexion serait nécessaire ici pour clarifier ces différents points que nous avons tout juste commencé à étudier.
79. Malgré tout, c’est la première fois en plus de trente ans de dialogue que nous nous sommes engagés dans une discussion approfondie sur l’eucharistie. La présente Déclaration ne constitue pas une présentation exhaustive de la présence du Christ dans l’eucharistie, mais plutôt un début prometteur, une communion in via. Nous avons identifié quelques domaines sur lesquels il conviendrait de confirmer à travailler :
a) il serait nécessaire d’approfondir notre réflexion sur la présence du Christ dans l’eucharistie (n. 45) et sur la dimension sacrificielle de l’eucharistie (n. 57), pour voir jusqu’à quel point nos divergences de vues nous séparent encore en tant qu’Églises ;
b) il faudrait étudier aussi les implications ecclésiales de cette question, et en particulier le rapport entre ordination et sacerdoce d’une part, sur laquelle notre discussion n’en est qu’à ses débuts (n. 69-70), et le rapport entre ministère ordonné et représentation du Christ de l’autre (n. 40, 61, 69, 74). Ce dernier point a déjà été abordé précédemment, mais le contexte eucharistique lui confère une nouvelle priorité.
c) à l’arrière-plan, il reste la question de la succession apostolique et de son rapport avec le ministère ordonné (n. 65-67), que nous avons également traité précédemment.
Notre dialogue nous a permis d’identifier plus précisément les questions de foi substantielles sur lesquelles un accord doit encore être trouvé pour parvenir à la pleine communion (n. 11).
80. Cette fois encore, nous avons découvert que grâce aux explications patientes et à l’écoute mutuelle, nombre de malentendus ont pu être dissipés. L’ampleur des convergences ainsi mises en lumière nourrit en nous l’espoir d’une plus grande unité entre Disciples et catholiques. Nous les présentons ici comme une contribution à l’unique mouvement œcuménique.
30 juin 2009
Membres des Disciples du Christ :
Rév. Dr William Tabbernee, Tulsa, Oklahoma, États-Unis (coprésident)
Rév. Merryl Blair, Mulgrave, Victoria, Australie
Rév. Dr James O. Duke, Fort Worth, Texas, États-Unis
Rév. Marjorie Lewis, Kingston, Jamaïque
Rév. Kay Bessler Northcutt, Tulsa, Oklahoma, États-Unis
Rév. Dr David M. Thompson, Cambridge, Angleterre
Rév. Dr Robert K. Welsh, Indianapolis, Indiana, États-Unis (cosecrétaire)
Membres catholiques :
S. Exc. Mgr Daniel M. Buechlein, OSB, Indianapolis, Indiana, États-Unis (coprésident, 2004-2007)
Rév. Gosbert Byamungu, Cité du Vatican (cosecrétaire, 2007-2009)
S. Exc. Mgr Abbot Denis Farkasfalvy, O.Cist., Irving, Texas, États-Unis
S. Exc. Mgr Basil Meeking, Christchurch, Nouvelle-Zélande (coprésident, 2008-2009)
Mgr John Mutiso-Mbinda, Cité du Vatican (cosecrétaire, 2004-2006)
Rév. P. Aidan Nichols, OP, Cambridge, Angleterre (2007-2009)
Dr Margaret O’Gara, Toronto, Canada
Dr Lawrence J. Welch, St Louis, Missouri, États-Unis
Dr Robert Louis Wilken, Washington, DC, États-Unis
NOTES
[1]. A. Campbell, Foundation of Christian Union, The Christian System (4e ed., Cincinnati 1867), 107 ; UR 1.
[2]. La phrase ‘in quadam cum ecclesia catholica communione, etsi non perfectia’ a été traduite de différentes façons. La traduction donnée ici est tirée du Catéchisme de l’Église catholique, n. 818 ; Tanner la traduit par ‘in some kind of communion with the Catholic Church, even though this communion is imperfect’, Tanner 2, 910 ; W.M. Abbott par ‘a certain, though imperfect, communion’, The Documents of Vatican II (Geoffrey Chapman, New York NY 1966), 345 ; Austin Flannery par ‘some, though imperfect, communion’, Vatican Council II: The Conciliar and Post Conciliar Documents (Leominster 1981), 455.
[3]. J. Ratzinger, Église, œcuménisme et politique (Fayard, Paris 2005).
[4]. Durant le premier siècle de leur histoire, les Disciples utilisaient rarement le mot « sacrement » ; ils préféraient désigner le saint Baptême et la sainte Communion par le terme « ordinances » (ordonnance), exprimant ainsi la croyance (inspirée de l’enseignement de Jean Calvin) qu’ils avaient été institués par le Christ plutôt que par l’Église. Au XXe siècle, les Disciples sont parvenus à la conclusion que cette distinction ne faisait pas vraiment de différence. Ainsi, le penseur de l’Église du Christ anglaise William Robinson publia en 1925 un guide à l’intention des membres de l’Église sur le baptême et la communion intitulé Holy Ordinances (Saintes ordonnances), et plus tard, en 1949, un autre guide sur The Sacraments and Life (Les sacrements et la vie).
[5]. « Quod itaque Redemptoris nostri conspicuum fuit, in sacramenta transivit », Léon-le-Grand, Sermon 74.2, PL 54, 398; cf. LG 1.
[6]. « Si vous éliminez la Parole, qu’est-ce que ‘eau sinon de la simple eau ? Lorsque la Parole est ajoutée à l’élément, le sacrement en résulte, comme une sorte de Parole visible » : « Detrahe verbum, et quid est aqua nic aqua? Accedit verbum ad elementum, et fit Sacramentum, etiam ipsum tanquam visible verbum », Augustin, Tractatus in Joannis Evangelium, 80.3, (PL 35:1840).
[7]. « Rémission des péchés », Proposition 10 in Campbell, The Christian System, 201.
[8]. « Si enim vere Verbum caro factum est, et vere nos Verbum carnem cibo dominico sumimus; quomodo non naturaliter manere in nobis existimandus est, qui et naturam carnis nostrae jam inseparabilem sibi homo natus assumpsit, et naturam carnis suae ad naturam aeternitatis sub sacramento nobis communicandae carnis admiscuit? » Hilaire de Poitiers, De Trinitate 8, 13, PL 10.246.
[9]. « Si enim sacramenta quamdam similitudinem earum rerum quarum sacramenta sunt, non haberent, omnino sacramenta non essent. Ex hac autem similitudine plerumque etiam ipsarum rerum nomina accipiunt » : « Car si les sacrements ne présentaient pas quelque ressemblance avec ce dont ils sont les sacrements, ils ne seraient pas des sacrements. En outre, le plus souvent, en vertu de leur ressemblance ils portent le nom de la réalité à laquelle ils ressemblent, Augustin, Lettre 98.9, PL 33.364 ; cf. Sermons 227.1 et 272, PL 38.1099, 1257-68.
[10]. IVe Concile du Latran, Constitution 1.
[11]. Thomas d’Aquin, Summa Theologia, 3e partie, qu 75, art 4, v, 2443-4.
[12]. Cf. Aidan Nichols, OP, « La consécration du pain et du vin ne détruit pas les qualités naturelles du pain et du vin, mais celles-ci ne manifestent plus leur réalité dernière. Leur vraie substance, ce qui est suprêmement important, se trouve ailleurs », Epiphany: A Theological Introduction to Catholicism (Collegeville, 1996), 295.
[13]. J. Calvin, L’Institution de la religion chrétienne, Livre IV, ch. XVII, n.14 (traduit en français par Jean Calvin lui-même et réédité en 2009 en version abrégée aux éd. Olivétan). Bien que la première édition de l’Institution ait paru avant le Concile de Trente, l’édition latine définitive fut publiée en 1559 après la 13e session du Concile (1551), dont le canon 2 lance un anathème contre ceux qui nient le changement que l’Église catholique a « justement et proprement appelé transsubstantiation » ; à ce moment là, les positions opposées s’étaient déjà consolidées ; cependant, l’importance de Calvin réside davantage dans la façon dont il a contextualisé les décrets tridentins que dans une influence directe sur le développement des Disciples deux siècles et demi plus tard, d’autant plus que les Disciples empruntèrent surtout leur cadre de référence philosophique à Bacon et à Locke.
[14]. Concile de Trente, Session 13 (1551), ch 1, canon 1, et ch 4.
[15]. Eucharisticum mysterium (Instruction sur le culte du mystère eucharistique) n. 5, 24-25, 49-50, 62 www.introibo.fr/ Eucharisticum-Mysterium-1967, Concile Vatican II 1981, 106, 116-7, 129-30, 134. La réservation du sacrement a été établie par le canon 13 du Concile de Nicée.
[16] « Doctrine et canons sur le très saint sacrifice de la messe », canon 3, ch. 2, Concile de Trente (Session 22).
[17]. W. Robinson, A Companion to the Communion Service (Oxford 1942), 35.
[18]. M. Thurian (ed.), Churches Respond to BEM, 6 (Genève 1988), 20-21.
[19]. R. Dunkerley (ed.), The Ministry and the Sacraments (Londres 1937), 264.
[20]. « Doctrine et canons sur le très saint sacrifice de la messe », ch. 1, Concile de Trente (Session 22).
[21]. Base de l’Union de l’Église Réformée Unie, n.15. (La majorité des Églises du Christ de Grande-Bretagne ont rejoint cette Église en 1981.)
[22]. « Doctrine et canons sur le très saint sacrifice de la messe’ », Canon 2, Concile de Trente (Session 22).
[23]. Le mot latin « presbyteri » est toujours traduit par « prêtres » dans PO, tandis qu’en LG 10, la traduction latine de « prêtre ministériel » est « sacerdos ministerialis ».
[24]. Comparer avec la déclaration The COCU Consensus (ch 7, §31), proclamée officiellement par les Disciples des États-Unis : « Ordination marks them as persons who represent to the Church its own identity and mission in Jesus Christ » (L’ordination les marque comme personnes qui présentent à l’Église son identité et sa mission en Jésus Christ) ; J.A. Burgess & J. Gros, FSC, Growing Consensus: Church Dialogues in the United States, 1962-1991 (New York/Mahwah, 1995), 56.
[25]. «Fiat» dans la liturgie romaine, ou dans les prières eucharistiques I et II, «deviennent pour nous»; comparer «être pour nous» aux points correspondants dans la liturgie de la sainte communion dans les Églises du Christ en Grande-Bretagne et en Irlande (1964 et 1967) et les Livres de messe de l’Église réformée unie.