LE MYSTÈRE DE L’ÉGLISE ET DE L’EUCHARISTIE
À LA LUMIÈRE DU MYSTÈRE DE LA SAINTE TRINITÉ

 Munich, 30 juin – 6 juillet 1982

 

Fidèle au mandat reçu à Rhodes, ce rapport aborde le mystère de l’Église par un seul de ses aspects, mais un aspect particulièrement important dans la perspective sacramentelle de l’Église, à savoir le mystère de l’Église et de l’Eucharistie à la lumière du Mystère de la Sainte Trinité. En effet, on demandait de partir de ce que nous avons en commun et, en le développant, d’aborder de l’intérieur et progressivement tous les points sur lesquels nous ne sommes pas en accord.  

En rédigeant ce document, nous entendons montrer que ce faisant, nous exprimons ensemble une foi qui est la continuation de celle des apôtres. 

Ce document marque la première étape de cet effort pour réaliser le programme de la commission préparatoire approuvé lors de la première réunion de la commission de dialogue. 

Puisqu’il s’agit d’une première étape, abordant le mystère de l’Église par un seul de ses aspects, bien des points n’y sont pas encore traités. Ils le seront dans les étapes suivantes, telles qu’elles sont prévues dans le programme mentionné ci-dessus.   

 

I

1. Le Christ, Fils de Dieu incarné, mort et ressuscité, est le seul qui a vaincu le péché et la mort. Parler de la nature sacramentelle du mystère du Christ, c’est donc évoquer la possibilité donnée à l’homme et, à travers lui, au cosmos, de faire l’expérience de la nouvelle création, Royaume de Dieu, hic et nunc, par les réalités sensibles et créées. Tel est le mode (tropos) dans lequel l’unique Personne et l’unique événement du Christ existent et opèrent dans l’histoire depuis la Pentecôte et jusqu’à la Parousie. Cependant, la vie éternelle, que Dieu a donnée au monde dans l’événement du Christ, son Fils éternel, est portée dans des vases d’argile. Elle n’est donnée encore qu’en avant-goût, comme arrhes.   

2. À la dernière Cène, le Christ a affirmé qu’il donnait son Corps aux disciples pour la vie de la multitude, dans l’Eucharistie. Ce don y est fait par Dieu au monde, mais sous forme sacramentelle. À partir de ce moment, l’Eucharistie existe comme sacrement du Christ lui-même. Elle devient l’avant-goût de la vie éternelle, le remède d’immortalité, le signe du Royaume à venir. Le sacrement de l’événement du Christ passe ainsi dans le sacrement de l’Eucharistie. Sacrement qui nous incorpore pleinement au Christ.    

3. L’incarnation du Fils de Dieu, sa mort et sa résurrection ont été réalisées dès le départ selon la volonté du Père, dans l’Esprit Saint. Cet Esprit, qui procède éternellement du Père et se manifeste par le Fils, a préparé l’événement du Christ et il l’a réalisé pleinement dans la résurrection. Le Christ, qui est le Sacrement par excellence, donné par le Père pour le monde, continue de se donner pour la multitude, dans l’Esprit, le seul qui vivifie        (Jn, 6). Le sacrement du Christ est aussi une réalité qui ne peut exister que dans l’Esprit.   

4. L’Église et l’Eucharistie:   

a) Bien que les Évangélistes, dans le récit de la Cène, se taisent sur l’action de l’Esprit, il était pourtant conjoint plus que jamais au Fils incarné pour l’accomplissement de l’œuvre du Père. Il n’est pas encore donné, reçu comme Personne, par les disciples (Jn 7, 39). Mais quand Jésus est glorifié, alors l’Esprit lui aussi se répand et se manifeste. Le Seigneur Jésus entre dans la gloire du Père et, en même temps, par l’effusion de l’Esprit, dans son tropos sacramentel en ce monde-ci. La Pentecôte, achèvement du mystère pascal, inaugure du même coup, les derniers temps. L’Eucharistie et l’Église, Corps du Christ crucifié et ressuscité, deviennent lieu des énergies de l’Esprit Saint.  

b) Les croyants sont baptisés dans l’Esprit au nom de la Sainte Trinité pour former un seul corps (cf. 1 Cor 12,13) Quand l’Église célèbre l’Eucharistie, elle réalise « ce qu’elle est », Corps du Christ (1 Cor 10,17). Par le baptême et la chrismation, en effet, les membres du Christ sont joints par l’Esprit, greffés sur le Christ. Mais par l’Eucharistie, l’événement pascal se dilate en Église. L'Église devient ce qu’elle est appelée à être de par le baptême et la chrismation. Par la communion au Corps et au Sang du Christ, les fidèles croissent en cette divinisation mystérieuse qui accomplit leur demeure dans le Fils et le Père, par l’Esprit.  

c) Ainsi, d’une part, l’Église célèbre l’Eucharistie comme expression, en ce temps-ci, de la liturgie céleste. Mais, d’autre part, l’Eucharistie édifie l’Église, en ce sens que par elle l’Esprit du Christ ressuscité façonne l’Église en Corps du Christ. C’est pourquoi l’Eucharistie est en vérité le Sacrement de l’Église, à la fois comme sacrement du don total que le Seigneur fait lui-même aux siens et comme manifestation et croissance du Corps du Christ, l’Église. L’Église pérégrinante célèbre l’Eucharistie sur la terre jusqu’à ce que son Seigneur vienne remettre la Royauté à Dieu le Père, afin que Dieu soit tout en tous. Elle anticipe ainsi le jugement du monde et sa transfiguration finale.  

5. La mission de l’Esprit demeure conjointe à celle du Fils. La célébration de l’Eucharistie révèle les énergies divines manifestées par l’Esprit à l’œuvre dans le Corps du Christ :   

a) L’Esprit prépare la venue du Christ en l’annonçant par les Prophètes, en guidant vers lui l’histoire du peuple élu en le faisant concevoir de la Vierge Marie, en ouvrant les cœurs à sa Parole.  

b) L’Esprit manifeste le Christ dans son œuvre de Sauveur, l’Évangile qu’il est lui-même. La célébration eucharistique est l’Anamnèse (le Mémorial) : vraiment, mais sacramentellement, aujourd’hui, l’Ephapax est et advient. La célébration de l’Eucharistie est le kairos par excellence du mystère. 

c) L’Esprit transforme les Dons sacrés dans le Corps et le Sang du Christ (metabolè), pour que s’accomplisse la croissance du Corps qui est l’Église. En ce sens, la célébration entière est une épiclèse, qui s’explicite davantage à certains moments. L’Église est perpétuellement en état d’épiclèse. 

d) L’Esprit met en communion avec le Corps du Christ ceux qui participent au même pain et au même calice. À partir de là, l’Église manifeste ce qu’elle est: le sacrement de la koinônia trinitaire, la « demeure de Dieu avec les hommes » (cf. Ap 21,4). 

L’Esprit en actualisant ce que le Christ a fait une fois pour toutes — l’événement du mystère — l’accomplit en nous tous. Cette relation au mystère, plus évidente dans l’Eucharistie, se retrouve dans les autres sacrements, tous des actes de l’Esprit. C’est pourquoi l’Eucharistie est le centre de la vie sacramentelle.   

6. La célébration eucharistique prise en son ensemble rend présent le mystère trinitaire de l’Église. On y passe de l’audition de la Parole, culminant dans la proclamation de l’Évangile — annonce apostolique de la Parole faite chair — à l’action de grâce envers le Père, au mémorial du sacrifice du Christ et à la communion en celui-ci grâce à la prière épiclétique faite dans la foi. Car, dans l’Eucharistie, l’épiclèse n’est pas uniquement une invocation pour la transformation sacramentelle du pain et de la coupe. Elle est aussi une prière pour le plein effet de la communion de tous au mystère révélé par le Fils. 

De cette manière, la présence de l’Esprit lui-même s’étend par le partage du sacrement de la Parole faite chair, à tout le corps de l’Église. Sans vouloir encore résoudre les difficultés suscitées entre l’Orient et l’Occident au sujet de la relation entre le Fils et l’Esprit, nous pouvons déjà dire ensemble que cet Esprit qui procède du Père (Jn 15,26), comme de la seule source dans la Trinité, et qui est devenu l’Esprit de notre filiation (Rom 8,15) car il est aussi l’Esprit du Fils (Gal 4,6), nous est communiqué, particulièrement dans l’Eucharistie, par ce Fils sur lequel il repose, dans le temps et dans l’éternité (Jn 1,32). 

C’est pourquoi le mystère eucharistique s’accomplit dans la prière qui conjoint les paroles par lesquelles la Parole faite chair a institué le sacrement et l’épiclèse dans laquelle l’Église mue par la foi, supplie le Père, par le Fils, d’envoyer l’Esprit pour que dans l’unique oblation du Fils incarné tout soit consommé dans l’unité. Par l’Eucharistie, les croyants s’unissent au Christ, qui s’offre au Père avec eux, et reçoivent le pouvoir de s’offrir en esprit de sacrifice les uns aux autres comme le Christ lui-même s’est offert au Père pour la multitude, se donnant ainsi aux hommes. 

Cette consommation dans l’unité, accomplie inséparablement par le Fils et l’Esprit, agissant dans la référence au Père et à son dessein, est l’Église en sa plénitude. 

 

II

1. En se référant au Nouveau Testament, on remarquera d’abord que l’Église désigne une réalité « locale ». L’Église existe dans l’histoire comme Église locale. Pour une région, on parle plutôt des Églises, au pluriel. Il s’agit toujours de l’Église de Dieu, mais dans un lieu. 

Or l’Église qui existe dans un lieu n’est pas formée, radicalement, par les personnes s’ajoutant pour la constituer. Il existe une « Jérusalem d’en haut », qui « descend de chez Dieu », une communion fondatrice de la communauté elle-même. L’Église est constituée par un don gratuit, celui de la nouvelle création. 

Il est cependant clair que l’Église « qui est en » tel lieu se manifeste comme telle lorsqu’elle est « assemblée ». Cette assemblée elle-même dont les éléments et les exigences sont indiqués par le Nouveau Testament, est pleinement telle lorsqu’elle est synaxe eucharistique. En effet, quand l’Église locale célèbre l’Eucharistie, l’événement advenu « une fois pour toutes » est actualisé et manifesté. Dans l’Église locale, il n’y a alors ni homme ni femme, ni esclave ni homme libre, ni juif ni grec. Une nouvelle unité se trouve communiquée, qui surmonte les divisions et restaure la communion dans l’unique Corps du Christ. Cette unité transcende l’unité psychologique, raciale, socio-politique ou culturelle. Elle est la « communion de l’Esprit Saint » rassemblant les enfants de Dieu dispersés. La nouveauté du baptême et de la chrismation porte alors tout son fruit. Et par la puissance du Corps et du Sang du Seigneur, rempli de l’Esprit Saint, le péché, qui ne cesse d’assaillir les chrétiens, faisant obstacle au dynamisme de « la vie pour Dieu dans le Christ Jésus » reçu au baptême, est guéri. Ceci vaut aussi du péché de division, dont toutes les formes contredisent le dessein de Dieu. 

L’un des textes majeurs à rappeler est 1 Cor 10, 15-17: un seul Pain, un seul Calice, un seul Corps du Christ dans la pluralité des membres. Ce mystère de l’unité dans l’amour de plusieurs personnes constitue proprement la nouveauté de la koinônia trinitaire communiquée aux hommes, dans l’Église, par l’Eucharistie. Tel est le but de l’œuvre salvifique du Christ, répandue dans les derniers temps, depuis la Pentecôte. 

C’est pourquoi l’Église trouve son modèle, son origine et sa fin dans le mystère du Dieu un en trois Personnes. Bien plus, l’Eucharistie ainsi comprise à la lumière du mystère trinitaire constitue le critère pour le fonctionnement de la vie ecclésiale en son entier. Les éléments institutionnels ne doivent être qu’un reflet visible de la réalité mystérique.   

2. Le déroulement de la célébration eucharistique de l’Église locale montre comment la koinônia s’actualise dans l’Église célébrant l’Eucharistie. Dans la célébration de l’Eucharistie par la communauté entourant activement l’évêque ou le presbytre en communion avec lui, on relève les aspects suivants, intérieurs l’un à l’autre, même si tel ou tel moment de la célébration accentue particulièrement tel ou tel aspect. 

La koinônia est eschatologique. Elle est la nouveauté qui vient dans les derniers temps. C’est pourquoi tout commence, dans l’Eucharistie comme dans la vie de l’Église, par la conversion et la réconciliation. L’Eucharistie présuppose la repentance (métanoia) et la confession (exomologèse), qui trouvent ailleurs leur expression sacramentelle propre. Mais l’Eucharistie remet et guérit aussi les péchés, puisqu’elle est le Sacrement de l’amour divinisant du Père, par le Fils, dans l’Esprit Saint. 

Mais cette koinônia est également kérygmatique. Cela se vérifie dans la synaxe non seulement parce que la célébration « annonce » l’événement du mystère, mais aussi parce qu’elle l’actualise aujourd’hui dans l’Esprit. Cela implique l’annonce de la Parole à l’assemblée et la réponse de foi de tous. Ainsi s’actualise la Communion de l’assemblée dans le kérygme, donc l’unité dans la foi. L’orthodoxie est inhérente à la koinônia eucharistique. Cette orthodoxie s’exprime le plus clairement par la proclamation du symbole de la foi qui est le condensé de la tradition apostolique dont l’évêque est le témoin en vertu de sa succession. Ainsi l’Eucharistie est-elle indissociablement, Sacrement et Parole puisqu’en elle c’est le Verbe incarné qui sanctifie dans l’Esprit. C’est pourquoi la liturgie tout entière, et non seulement la lecture des Saintes Écritures, constitue une proclamation de la Parole sous forme de doxologie et de prière. Inversement, la parole proclamée est la Parole faite chair, et devenue sacramentelle. 

La koinônia est à la fois ministérielle et pneumatique. C’est pourquoi l’Eucharistie en est la manifestation par excellence. Toute l’assemblée, chacun à son rang, est « liturge » de la koinônia, et elle ne l’est que par l’Esprit Saint. Tout en étant don du Dieu trinitaire, la koinônia est aussi réponse des hommes. Ceux-ci, dans la foi qui vient de l’Esprit et de la Parole, mettent en œuvre la vocation et la mission reçues au baptême: devenir, chacun à son rang, membres vivants du Corps du Christ.  

3. Le ministère de l’évêque ne s’épuise pas dans une fonction tactique ou pragmatique (parce qu’il faut bien un président), mais c’est une fonction organique. L’évêque, reçoit le don de la grâce épiscopale (1 Tm 4,14) dans le sacrement de la consécration, accomplie par les évêques qui ont eux-mêmes reçu ce don, grâce à l’existence d’une succession ininterrompue des chirotonies épiscopales, en commençant par les saints apôtres. Par le sacrement de l’ordination, l’Esprit du Seigneur « confère » à l’évêque, non pas juridiquement, comme une pure transmission du pouvoir, mais sacramentellement, l’exousia de Serviteur que le Fils a reçu du Père et qu’il a humainement accueilli par son consentement dans sa Passion. 

La fonction de l’évêque est étroitement liée à l’assemblée eucharistique qu’il préside. L’unité eucharistique de l’Église locale implique la communion entre celui qui préside et le peuple auquel il livre la Parole du Salut et les dons eucharistiés. D’ailleurs, le ministre est aussi celui qui « reçoit » de son Église, fidèle à la tradition, cette parole qu’il transmet. Et la grande intercession qu’il fait monter vers le Père n’est autre que celle de son Église tout entière avec lui. Pas plus que celle-ci ne peut être coupée de son évêque, l’évêque ne peut être séparé de son Église. 

L’évêque se tient au cœur de l’Église locale comme ministre de l’Esprit pour discerner les charismes et veiller à ce qu’ils s’exercent dans la concorde, en vue du bien de tous, dans la fidélité à la tradition apostolique. Il se situe au service des initiatives de l’Esprit pour que rien ne les empêche de contribuer à l’édification de la koinônia. Il est ministre d’unité, serviteur du Christ Seigneur, dont la mission est de « rassembler dans l’unité les enfants de Dieu ». Et puisque l’Église est édifiée par l’Eucharistie, il est celui qui, revêtu de la grâce du ministère sacerdotal, préside à celui-ci. 

Mais cette présidence doit être comprise. L’évêque préside à l’oblation qui est celle de sa communauté tout entière. Consacrant les dons pour qu’ils deviennent le Corps et le Sang que la communauté offre, il célèbre non seulement pour elle ni seulement avec elle et en elle, mais par elle. Il apparaît alors comme ministre du Christ faisant l’unité de son Corps, créant la communion par son corps. L’union de la communauté avec lui est d’abord de l’ordre du Mystérion, non primordialement de l’ordre juridique. C’est cette union exprimée dans l’Eucharistie qui se prolonge et s’actualise dans l’ensemble des relations « pastorales » du magistère, gouvernement, vie sacramentelle. La communauté ecclésiale est ainsi appelée à être l’ébauche d’une communauté humaine renouvelée.   

4. Il y a communion profonde entre l’évêque et la communauté dont l’Esprit lui confère la responsabilité pour l’Église de Dieu. L’ancienne tradition l’évoquait, avec bonheur, par l’image des noces. Mais cette communion se situe à l’intérieur de la communion avec la communauté apostolique.  

Dans la tradition ancienne (dont fait foi notamment la Tradition apostolique d’Hippolyte), l’évêque élu par le peuple — qui se porte garant de sa foi apostolique, en conformité avec ce que l’Église locale confesse — reçoit la grâce ministérielle du Christ par l’Esprit dans la prière de l’assemblée et par l’imposition des mains (chirotonia) des évêques voisins, témoins de la foi de leur propre Eglise. Son charisme, venant directement de l’Esprit, lui est donné dans l’apostolicité de son Église (reliée à la foi de la communauté apostolique) et dans celle des autres Églises représentées par leur évêque. Par là, son ministère s’insère dans la catholicité de l’Église de Dieu. 

La succession apostolique dit donc plus qu’une pure transmission de pouvoirs. Elle est succession dans une Église, témoin de la foi apostolique, en communion avec les autres Églises, témoins de la même foi apostolique. La sedes (la cathedra) joue un rôle capital dans l’insertion de l’évêque au cœur de l’apostolicité ecclésiale. D’autre part, une fois ordonné, l’évêque devient dans son Église le garant de l’apostolicité, celui qui la représente au sein de la communion des Églises, son lien avec les autres Églises. C’est pourquoi, dans son Église, toute Eucharistie ne peut se célébrer en vérité que présidée par lui ou par un presbytre en communion avec lui. Sa mention dans l’anaphore est essentielle.  

Par le ministère des presbytres, chargés de présider à la vie et à la célébration eucharistique des communautés qui leur sont confiés, celles-ci croissent dans la communion avec toutes les communautés dont l’évêque a la responsabilité première. Dans la situation actuelle, le diocèse lui-même est une communion de communautés eucharistiques. L’une des fonctions essentielles des presbytres est de les relier à l’Eucharistie de l’évêque et de les nourrir à la foi apostolique dont l’évêque est le témoin et le garant. Ils doivent aussi veiller à ce que, nourris du Corps et du Sang de celui qui a livré sa vie pour ses frères, les chrétiens soient des témoins authentiques de l’amour fraternel, dans le sacrifice réciproque nourri du sacrifice du Christ. En effet, selon la parole de l’apôtre, « si quelqu’un voit son frère dans le besoin et lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui ? ». L’Eucharistie détermine la manière chrétienne de vivre le mystère pascal du Christ et le don de Pentecôte. Grâce à elle s’opère une profonde transformation de l’existence humaine toujours confrontée à la tentation et à la souffrance.   

  

III  

1. Le Corps du Christ est unique. Il n’existe donc qu’une Église de Dieu. L’identité d’une assemblée eucharistique avec une autre, vient de ce que toutes, avec la même foi, célèbrent le même mémorial, que toutes par la manducation du même corps et la participation au même calice deviennent le même et unique Corps du Christ auquel elles ont été intégrées par le même baptême. S’il y a multiplicité de célébrations, il n’y a qu’un seul et unique mystère célébré auquel on participe. En outre, quand le fidèle communie au Corps et au Sang du Seigneur, il ne reçoit pas une partie du Christ, mais le Christ total. 

De même, l’Église locale qui célèbre l’Eucharistie autour de l’évêque n’est pas une section du Corps du Christ. La multiplicité des synaxes locales ne divise pas l’Église, mais au contraire en manifeste sacramentellement l’unité. Comme la communauté des apôtres rassemblés autour du Christ, chaque assemblée Eucharistique est en vérité la Sainte Église de Dieu, le Corps du Christ, en communion avec la première communauté des disciples et toutes celles qui par le monde célèbrent et ont célébré le Mémorial du Seigneur. Elle est aussi en communion avec l’assemblée des saints dans le ciel qu’évoque chaque célébration.   

2. Loin d’exclure la diversité sur la pluralité, la koinônia la suppose et elle guérit les blessures de la division, transcendant celle-ci dans l’unité. 

Puisque le Christ est un pour la multitude, ainsi dans l’Église, qui est son Corps, l’un et le plusieurs, l’universel et le local, sont nécessairement simultanés. Plus profondément encore, parce que le Dieu un et unique est la communion de trois Personnes, l’Église une et unique est communion de plusieurs communautés, et l’Église locale communion de personnes. L’Église une et unique s’identifie à la koinônia des Églises. Unité et multiplicité apparaissent à ce point liées que l’une ne saurait exister sans l’autre. C’est cette relation constitutive de l’Église que les institutions rendent visibles et, pourrait-on dire historicisent.   

3. Puisque l’Église catholique se manifeste dans la synaxe de l’Église locale, deux conditions surtout doivent être réalisées pour que l’Église locale qui célèbre l’Eucharistie soit en vérité dans la communion ecclésiale.   

a) En effet, l’identité du mystère de l’Église vécu dans l’Église locale avec le Mystère de l’Église vécu par l’Église primitive — catholicité dans le temps — est fondamentale. L’Église est apostolique parce que fondée et sans cesse soutenue dans le Mystère du Salut révélé en Jésus Christ, transmis dans l’Esprit par ceux qui furent ses témoins, les apôtres. Ses membres seront jugés par le Christ et les apôtres (cf. Luc 22,30).  

b) La reconnaissance mutuelle, aujourd’hui, entre cette Église locale et les autres Églises, est elle aussi capitale. Chacun doit reconnaître dans les autres, à travers les particularités locales, l’identité du Mystère de l’Église. Il s’agit d’une reconnaissance mutuelle de catholicité comme communion dans l’intégrité du mystère. Cette reconnaissance s’accomplit d’abord au plan régional. La communion dans un même patriarcat ou dans quelque autre forme d’unité régionale, est d’abord une manifestation de la vie de l’Esprit dans une même culture ou de mêmes conditions historiques. Elle implique également l’unité du témoignage et appelle l’exercice de la correction fraternelle dans l’humilité. 

Cette communion à l’intérieur d’une même région doit se dépasser dans la communion entre Églises sœurs. 

Mais cette reconnaissance mutuelle n’est vraie qu’aux conditions, exprimées dans l’Anaphore de Saint Jean Chrysostome et les premières anaphores antiochiennes. L’une est la communion dans le même kérygme, donc la même foi. Déjà contenue dans le baptême, cette exigence s’explicite dans la célébration eucharistique. Mais il faut en outre la volonté de la communion dans l’agapé et dans la diaconie, non en paroles seulement, mais en actes. 

Tant permanence à travers l’histoire que reconnaissance mutuelle sont particulièrement évoquées lors de la synaxe eucharistique par la mention des Saints au Canon et aux dyptiques celle des responsables d’Église. On comprend ainsi pourquoi ces derniers sont signes de l’unité catholique dans la communion eucharistique, responsables, chacun à son plan, du maintien de la communion dans la symphonie universelle des Églises et leur fidélité commune à la tradition apostolique.   

4. On retrouve donc entre ces Églises les liens de communion que le Nouveau Testament présente: communion dans la foi, dans l’espérance et dans l’amour, communion dans les sacrements, communion dans la diversité des charismes, communion dans la réconciliation, communion dans le ministère. De cette communion, l’agent est l’Esprit du Seigneur ressuscité. De par lui, l’Église universelle, catholique, intègre la diversité ou la pluralité en en faisant un de ses éléments essentiels. Cette catholicité représente l’accomplissement de la prière du chapitre 17 de l’Évangile selon Jean, reprise dans les épiclèses eucharistiques. 

Le rattachement à la communion apostolique relie l’ensemble des évêques assurant l’épiskopé des Églises locales au collège des apôtres. Ils forment eux aussi un collège enraciné par l’Esprit dans le « une fois pour toutes » du groupe apostolique, témoin unique de la foi. Ceci signifie non seulement qu’ils doivent être unis entre eux par la foi, la charité, la mission, la réconciliation mais aussi qu’ils communient dans la même responsabilité et le même service de l’Église. Parce que dans son Église locale l’Église une et unique s’accomplit, chaque évêque ne peut séparer le souci de son Église du souci de l’Église universelle. Et lorsque par le sacrement de l’ordination, il reçoit le charisme de l’Esprit pour l’épiskopé d’une Église locale, la sienne, il reçoit du fait même le charisme de l’Esprit pour l’épiskopé de toute l’Église. 

Dans le peuple de Dieu, il l’exerce en communion avec tous les évêques hic et nunc et charge d’Églises et en communion avec la tradition vivante que les évêques du passé ont transmise. La présence d’évêques de sièges voisins à son ordination épiscopale « sacramentalise » et actualise cette communion. Elle produit une osmose de sa sollicitude pour la communauté locale et du souci de l’Église répandue par toute la terre. L’épiskopé de l’Église universelle se trouve confiée, par l’Esprit à l’ensemble des évêques locaux, en communion les uns avec les autres. Cette communion s’exprime traditionnellement dans la pratique conciliaire. Nous aurons à examiner ultérieurement la manière dont celle-ci est conçue et réalisée, dans les perspectives de ce que nous venons de préciser.

 

[Service d'information 49 (1982/II-III) 64-65]